Eleaml - Nuovi Eleatici


Numero CCCCLXXXI (quattrocentoottantuno) lettere, inviate, tra il 27 luglio 1836 e il 28 maggio 1861 da Camillo Benso conte di  Cavour e Emile de la Rue. Chi era costui? Un banchiere di Genova, titolare della Rue, una delle banche svizzere più antiche d’Italia (1758); altra banca svizzera fu la Meuricoffre di Napoli (1760), per un secolo una delle più importanti banche private italiane.

Un banchiere la cui esistenza ritroviamo intrecciata torbidamente – lo citiamo giusto per amor di cronaca – con quella dello scrittore Charles Dickens(1) cultore di mesmerismo, che usa le sue abilità mesmerici per curare Augusta Granet de la Rue.

Mentre scorrevo le pagine di questo libro per digitalizzarne il contenuto mi suonavano nella mente le dure parole di Zitara pronunciate durante una commemorazione dei caduti dell’assedio di Messina (2) e mi passavano davanti agli occhi alcuni passaggi de L'INVENZIONE DEL MEZZOGIORNO - una storia finanziaria, Jaca Book 2011 (3) . Soprattutto quando leggevo che Cavour prima che Garibaldi entrasse a Napoli già prefigurava l’installazione della Banca Nazionale in quella città (4).

Non che avessi mai pensato che i cosiddetti unificatori fossero delle romantiche verginelle senza macchia, ma da queste lettere emerge uno spaccato impressionante dei comitati  d’affari e delle combriccole (in diverse lettere leggiamo i cognomi che si ritrovano in qualsiasi manuale di storia patria, Thaon de Revel, Nigra, Bombrini, Pallavicino, Balduino, Sonnaz, Pinelli) che poi son passati alla storia come patrioti e italianissimi.

Tra guano, riso, fucili, emissione di biglietti di banca, i termini che ricorrono di più sono le percentuali dei possibili guadagni derivanti dall’acquisto di partite di merci o di bond. Magari inframmezzate da qualche considerazione su umane vicissitudini, come quella della fucilazione del generale Ramorino per non aver ottemperato agli ordini superiori. Solo una volgare parentesi tra i freddi numeri.

Testo rigorosamente francese per tutte le lettere. La raccolta è opera di Amedeo (Pierre Jean Jacques Amédée) Bert jr. (7 settembre 1833 – 7 febbraio 1916) pastore della Chiesa Riformata Svizzera, segretario e presidente del comitato dell'Ospedale Internazionale Evangelico di Genova, fondatore di numerose opere a carattere filantropico.

Zenone di Elea – 5 Ottobre 2013

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1) Cfr. Dickens a caccia di fantasmi - Una «folie à trois»: la vera storia dello scrittore a Roma - Corriere della Sera, http://archiviostorico.corriere.it/.

2) "Noi siamo nella nostra terra, non nella terra di Cavour, di Vittorio Emanuele, della bandiera tricolore. Noi siamo nella nostra terra con i vessilli antichi, della nostra storia. Questo dobbiamo ricordare, questo dobbiamo rivendicare, sennò queste celebrazioni servono semplicemente a sentire cattivi odori e a rivedere calcinacci che si sgretolano, non onorati dal ricordo, non onorati dal resto degli italiani." (Cfr. Trascrizione del discorso pronunciato da Nicola Zitara durante la commemorazione dei caduti della cittadella di Messina - http://www.eleaml.org/)

3) “Bombrini corse più veloce dei bersaglieri. Tra il giugno del 1859 e il settembre 1860 venne praticamente realizzata l’occupazione della Lombardia, dell’Emilia, delle Romagne, dell’Umbria, delle Marche e di alcune province laziali. Crollate anche le Due Sicilie, furono immediatamente istituite altre due sedi, Napoli e Palermo.” (Cfr. L'INVENZIONE DEL MEZZOGIORNO - una storia finanziaria, Jaca Book 2011, Capitolo nono - La cavalcata della Banca Nazionale Sarda)

4) “Si la Banque nationale demande à créer à Naples un établissement qui se confonde avec celui qui existe dans le Nord, je crois qu'il faut lui donner la préférence; car il est hors de doute que l'unité du billet présente des avantages incalculables.” (Cfr. lettera CCCCLXXVII, A. Bert Jr., Nouvelles lettres inedites de C. Cavour. Recueillies et publiées avec notes historiques par Amédée Bert, Torino, L. Roux, 1889)


C. CAVOUR

NOUVELLES LETTRES INEDITES

RECUEILLIES ET PUBLIÉES AVEC NOTES HISTORIQUES

PAR

AMÉDÉE BERT

1889

L. ROUX ET C. EDITEUR

ROME-TURIN-NAPLES

PREFACE

Turin, 27 juillet 1836

16 juillet 1841

Turin, 1er avril 1844

Turin, 25 juin 1844

Turin, 10 juillet 1846

Turin, 4 décembre 1848

16 mars 1847

21 avril 1847

19 juin 1847

Léri, 26 septembre 1847

Turin, 13 décembre 1847

2 avril 1848

6 septembre 1848

18 octobre 1848

Turin, 17 janvier 1849

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PRÉFACE

Je dois à l'affection de mon excellente et regrettée amie, Madame Augusta Granet, veuve d'Émile de la Rue, morte à Gènes le 19 juillet 1887, la possession des lettres du comte de Cavour, contenues dans ce volume (1).

Ces lettres ont toutes été écrites de la main même de l'illustre homme d’État dont les talents, l'énergique persévérance et le patriotisme concoururent, pour une si large part, à l'affranchissement et a la constitution définitive de l'Italie moderne.

Émile de la Rue, auquel elles sont adressées, était banquier à Gènes et y occupait, dans la finance et dans la société, une haute position (2).

L'importante maison qu'il y dirigea jusqu'à sa mort, avait été fondée en 1758, par son grand-père, André de la Rue, de Genève.

(1) Dans une note testamentaire en date du 4 septembre 1878, Madame De la Rue m'écrivait: «Quant aux lettres du comte de Cavour, que je vous ai confiées, je vous autorise à en faire l'usage que vous jugerez bon, dans cinq ans, à partir de ce jour, m'en remettant à votre délicatesse pour ne pas abuser des choses intimes qu'elles peuvent contenir».

(2) Émile de la Rue mourut de la petite vérole, le 19 septembre 1870, à Vérone, en revenant d'un voyage qu'il avait fait à Venise.

 Originaire de Lessnies, en Fiandre, la famille De la Rue s'était réfugiée a Genève vers la fin du XVI siècle, pour cause de religion, et elle tenait dans cette ville, un rang des plus honorables, puisque le noble et spectacle Gédéon de la Rue (père d'André de la Rue) était membre du Conseil des Deux cents, Auditeur de la sommaire justice, Juge des Terres de St-Victor, et son épouse, Marie Mestrezat, appartenait à une famille qui fournit à la République plusieurs théologiens et magistrats célèbres.

André de la Rue eut deux fils, Antoine et Jean, qui succédèrent h leur père dans la direction de sa Banque, sous la raison sociale de «De la Rue frères» et qui la cédèrent ensuite à leurs fils, Émile, Hyppolite et David Julien de la Rue. Ceux-ci demeurèrent associés jusqu'au moment où Hyppolite, ayant acquis une terre en Piémont, se consacra entièrement à son exploitation, et où, David s'étant retiré à Genève, en 1850, Émile de la Rue resta seul à la tète de la Maison, qui prit alors le nom de «De la Rue et Comp°».

Les rapports de la famille de Cavour avec la famille De la Rue, dataient de fort loin. La marquise de Cavour (mère du comte Camille), et sa sœur, la duchesse de Clermont Tonnerre, toutes deux filles du comte de Sellon, étaient nées à Genève, où elles avaient beaucoup connu la famille De la Rue, et elles continuèrent à avoir avec elle des rapports fréquents après leur établissement à Turin, où elles s'étaient fixées depuis leur mariage. Le marquis Michel de Cavour confia souvent des capitaux à la Maison De la Rue, dont la haute réputation de probité et d'honorabilité était proverbiale, et il la chargea parfois, de ventes ou d'achats de céréales, pour son propre compte. Ses deux fils, Gustave et Camille, furent ainsi amenés à connaître les jeunes De la Rue, surtout Camille que ses fonctions de page appelèrent souvent a Gênes, où il fréquenta la famille De la Rue, dont l'hospitalité était aussi proverbiale que la probité.

C'est alors quo commença sa liaison avec Émile de la Rue, qui était à peu près de son àge et avec lequel il avait beaucoup d'idées et de goûts communs (1).

Lorsque le comte Camille de Cavour vint ensuite en garnison à Gènes, en qualité d’officier du génie (1830 et 1831), il y fut un habitué des salons de Mesdames de la Rue, chez lesquelles il était reçu comme un enfant de la maison, et sa liaison avec David, mais surtout avec Émile de la Rue, y prit un caractère plus intime encore, comme le prouvent les lettres contenues dans ce volume (2).

L'amitié qui unissait le grand politique au banquier de Gênes, la confiance qu'il avait en lui, et la haute estime dans laquelle il tenait son bon sens et son jugement, ressortent, en effet, à chaque page dans cette longue correspondance, qui, commencée en 1836, ne prit fin que le 28 mai 1861, c'est à dire dix jours avant la mort de l'illustre ministre.

«Je vous attends avec la plus' grande impatience, je dirais même avec la plus vive anxiété, si je ne comptais pas autant sur votre amitié, votre intelligence et votre sagacité en affaires», écrivait le comte Cavour à Émile de la Rue, en avril 1848 (lettre CXL). Il faut, mon cher, qu'en cessant d’être mon correspondant d’affaires, vous continuiez à être mon confident. Je ne connais personne à Gènes, et, quand même je connaîtrais toute la ville, je n'aurais en personne autant de confiance qu'en vous lui dit-il, le 13 octobre 1850, peu après sa première entrée au Ministère (lettre CCCXIII).

(1) Je dois ces détails à l'obligeance de Mr H. V. Aubert de la Rue, petit-fils de Mr Hyppolite et petit neveu de Mr Émile de la Rue.

(2) Madame la marquise Josephine Alfieri de Cavour, qui m'a aussi accordé, de la manière la plus gracieuse, l'autorisation de publier les lettres contennes dans ce volume, a bien voulu me confier celles des lettres d'Émile de la Bue qui avaient été conservées par le comte de Cavour et me permettre de consulter la correspondance de celui-ci avec sa famille, ainsi que le Diario, ou journal intime, dans lequel il consignait, presque chaque jour, ses pensées et ses principales actions. — C'est dans ce Diario et dans ces lettres, que j'ai puisé les informations citées ci-dessus.

 «J'aurais désiré vous parler confidentiellement; j'avais «des choses a vous dire que je ne saurais écrire», lui mande-t-il, peu de jours avant de partir pour le célèbre colloque de Plombières, qui était alors encore, un secret sauf pour La Marmora (1). (9 juin 1858, lettre CCCCXLVIII). Et je pourrais multiplier les citations prouvant que cette confiance amicale ne se démentit jamais un instant, pendant les 25 années que dura cette correspondance.

Le comte de Cavour consultait Émile de la Rue, dès qu'il était embarrassé sur quelque question de finance, de législation commerciale, ou même de politique; il lui demandai son avis sur une foule de choses et il le priait souvent de venir a Turin, pour pouvoir plus librement et confidentiellement causer avec lui. C'est par lui qu'il commença à traiter en 1851, le grand emprunt Anglo-Sarde (Hambro); c'est lui qu'il envoya en Angleterre, en activer la solution, de même qu'il l'envoya à Paris et à Chambéry, en 1855, pour combiner le tracé et traiter là fusion des chemins de fer de la Savoie, avec la Compagnie Bartholony. Entre ces deux hommes, en un mot, il régna une amitié que la mort seule a pu briser, et qui les honore également l'un et l'autre.

A l'aide de ces lettres de Cavour à Émile de la Rue, on pourrait reconstruire à grands traits presque toute Thistoire de la glorieuse épopée italienne. Depuis les premiers jours où un soufflé de liberté commença à agiter le Piémont, elles nous conduisent, en effet, jusqu'aux jours, où, malgré les désastres de 1848 et 1849 et les divisions des partis qui si souvent menacèrent de tout compromettre, les réformes de Charles Albert, la guerre de Crimée, le Congrès de Paris et les campagnes de 1859 et 1860, amenèrent la fusion de la Lombardie, des Duchés et de Naples avec le Piémont, et préparèrent la constitution,

(1) Chiala, Lettere edite ed inedite del conte di Cavour, vol. II, pag. 219.

en un seul royaume libre et fort, de l'Italie tout entière (1).

Plusieurs de ces. lettres traitent exclusivement de spéculations agricoles, industrielles et commerciales, entreprises en social avec Émile de la Rue, et, comme Cavour ne savait pas faire les choses à-demi, leur lecture pourrait faire croire qu'avant d'arriver au pouvoir, son intelligente énergie s'était tout entière concentrée sur ces sujets. — On s'apercevra bien vite, cependant, que les opérations de ce genre, malgré la rare habileté avec laquelle il savait les entreprendre et les conduire à bonne fin, n'étaient qu'un accessoire, un déversoir au trop plein de son activité, et que la politique, quoi qu'il en dise, fut de tout temps sa passion dominante.

A chaque instant, en effet, au milieu ou a la fin d'une de ces lettres d'affaires, il échappe a sa plume un mot, une observation, une phrase, qui trahit cette constante préoccupation, cette involontaire tendance de son esprit. Le Cavour patriote et futur ministre y perce partout. L'exploitation de ses terres, la vente de ses riz et de ses blés, la création de ses Banques et de ses sociétés industrielles n'étaient, au fond, qu'un dérivatif passager pour son activité. Il était né, avant-tout, pour devenir homme d'État, et homme d'État il devint.

On a dit avec raison, que les grands hommes perdent à être connus de près, car l'intimité de chaque jour nous fait infailliblement découvrir chez eux, des imperfections dont nous ne les aurions jamais soupçonnés. Peut-être la lecture de ces lettres, qui, certainement, dans la pensée de leur auteur n'étaient pas destinées à la publicité, produira-t-elle cet effet sur ceux qui ne voient Cavour qu'à travers les succès qu'il a obtenus et la grande œuvre qu'il a accomplie.

Peut-être l'y trouvera-t-on parfois trop realiste,

(1) J'ai cherché à résumer, dans les notes qui accompagnent ces lettres, la biographie des principaux personnages qui y sont nommés et les événements auquels elles font allusion.

trop pratique, trop préoccupé d’intérêts purement matériels (1). J'en conviens, et lui même reconnaissait, que dans son cerveau la «folle du logis» n'avait jamais joué un bien grand róle. Mais, s'il en avait été autrement, si, au lieu d'avoir été un homme d'affaires accompli, un homme pratique dans toute l'étendue du terme, un honnête juste milieu, comme il aimait à s'appeler lui même, Cavour avait été un idéaliste, un enthousiaste, un utopiste, comme il y en eut en si grand nombre autour de lui, lors de ce premier réveil du sentiment national en Piémont et en Italie, aurait-il pu mener a bonne fin, comme il le fit, l'immense entreprise à laquelle il consacra sa vie? «Avec la constitution actuelle de la société», dit avec raison monsieur De la Rive (2), «il me semblerait difficile d'imaginer un grand politique dépourvu des facultés qui, dans les affaires, assurent et maintiennent le succès».

Les ennemis de Cavour l'ont souvent accusé d'avoir profité de sa haute position, pour réaliser de gros bénéfices, et d'avoir recouru, pour augmenter sa fortune, à des procédés que la délicatesse devait lui interdire. Je crois que celles de ses lettres à Émile de la Rue, qui traitent d'opérations financières, suffisent pour réfuter cette accusation. Cavour, avant d'être ministre, spécula, sans doute, sur les céréales, les engrais chimiques, les actions de la Banque et les fournitures des chemins de fer alors en construction dans le Piémont, et il y réalisa des bénéfices importants; mais, ces bénéfices, il les dut à sa remarquable intelligence des affaires, à sa persévérante activité, et non pas a des procédés louches et peu délicats, comme ses ennemis l'ont prétendu. Tout homme d'affaires, qui lira la correspondance de Cavour relative à ces opérations, reconnaîtra, j'en suis convaincu, quo si elles étaient fort habilement menées,

(2) On a même dit que Cavour avait si peu le sentiment esthétique et était si peu poste, qu'il aurait transformé, si cela avait dépendu de lui, en fabriques et usines tous les monuments de l'Italie. (Galleria Nazionale. Genova, Tipografia Sordo-muti,1863, pag. 72).

(2) De la Rive, Cavour, page 69.

 elles étaient cependant parfaitement honorables et n'avaient rien que d'absolument légitime dans les gains qu'elles lui procurèrent. Et,, un fois devenu ministre, au lieu de profiter, comme on l'en a accuse, de sa-haute position et des facilités qu'elle lui procurait, Cavour s'interdit, au contraire, d'une manière absolue, toute spéculation et toute affaire commerciale, en dehors de celles que nécessitaient l'exploitation de ses terres et la conservation de sa fortune. Ce fait ressort avec évidence, soit des lettres contenues dans ce volume, soit de celles qui ont été précédemment recueillies (1).

On a dit aussi, que Cavour n'eut jamais un pian politique clairement dessiné et fermement suivi, et qu'il ne fut qu'un «modéré», tour à tour municipaliste, federaliste ou unitaire, suivant les circonstances. Sans doute, les idées de Cavour subirent l'influence des événements, au milieu desquels il vécut. Il appartint d'abord, au parti constitutionnel piémontais, liberal, mais très conservateur, très modéré et très piémontais. Il soutint ensuite les idées fédéralistes de Gioberti, et il modifia plus tard son pian, en devenant unitaire. Mais l'immutabilité est-elle donc la condition première de la grandeur et de l’honnêteté politique? Et le véritable homme d'État, est-il celui qui ne change jamais ses plans et ses idées, ou celui qui, tout en ayant-un but bien défini, sait profiter des leçons de l'expérience et élever son idéal toujours plus haut, a mesure que les circonstances le lui permettent?

Cavour ne fut jamais un démocrate, dans le sens strict du mot, et ne professa jamais grande sympathie pour ceux qu'il appelait «les exagérés». Ce fut là un des grands reproches que le parti avancé ne cessa de lui adresser. Quoique libéral par instinct et par conviction, il lui resta néanmoins, toujours quelque chose des influences aristocratiques que la famille, les idées et le milieu au sein desquels il nacquit, exercèrent sur lui.

(1) Voyez en particulier les lettres CCCXIII et CCCLVIII

Faut-il s'en étonner? Ce qui m'étonne bien plus, au contraire, c'est que, de l'ancienne Cour de Turin et des salons de la vieille noblesse piémontaise, alors si imbue encore de préjugés et d'idées surannées, il ait pu sortir un libéral comme lui, et qu'il ait dirige aussi vite et aussi loin qu'il le fit, le grand mouvement national dont il fut l'un des plus puissants facteurs.

Du reste, mon intention, en publiant cette correspondance, n'est pas de faire une apologie du comte de Cavour, mais simplement de contribuer, au moyen de documents encore inédits, à mettre en relief quelques-uns des traits distinctifs de cette riche et puissante personnalité.

Après les travaux des Massari, des Berti, des Bianchi, des Castelli, des De la Rive, et surtout, après le volumineux Epistolario, si patiemment, forme et si admirablement commenté par L. Chiala, entreprendre une nouvelle publication sur le grand ministre et sur son œuvre, pourra paraître inutile, d'autant plus que près de deux mille de ses lettres ont-été déjà publiées. Chiala, qui en a recueilli la majeure partie, exprime cependant le vœu que «plusieurs autres encore soient publiées et contribuent ainsi à faire toujours mieux connaître les pensées intimes et les sentiments de cet homme, dont la grandeur augmente a mesure que les années s'écoulent» (1).

J'ai cru que les lettres de Cavour à Émile de la Rue, pourraient concourir a ce but et qu'elles méritaient mieux que d'être simplement conservées dans des archives de famille. J'ai cru que leur publication serait intéressante et utile, et, puisque j'en ai reçu l'autorisation, je les ai publiées.

Gènes, Avril 1888.

Amédée Bert.

(1) L. Chiala, Lettere edite ed inedite del conte di Cavour, vol. I, pag. XI.


vai su


Turin, 27 juillet 1836.

Mon cher Émile,

Je m'empresse de répondre aux notions que vous me demandez sur les tentatives faites en Piémont, pour y importer la nouvelle industrie du sucre indigène. La personne qui s'en est le plus occupé et qui a déjà fait quelques essais à ce sujet, c'est votre très-humble serviteur (1), qui a l'honneur de vous écrire.

Je m'abstiendrai de vous parler de sa moralité et des garanties qu'il présente, quoique je vous avoue que j'ai en lui une grande confiance.

(1) Après avoir servi pendant peu de temps, en qualité de sous-lieutenant du Génie dans Tarmée sarde, le comte de Cavour dut se convaincre que ses opinions politiques et la franchise avec laquelle il les exprimait lui fermaient tout avenir dans cette carrière, sous le Gouvernement absolu qui régissait alors le Piémont, et en ayant obtenu le consentiment de son père, il donna sa démission le 12 novembre 1831. — Au demeurant, comme le dit M. De la Rive, fait pour obéir il ne l'était pas pour servir, et encore était-il fait plus pour commander que pour obéir. — Après avoir voyagé quelque temps en Angleterre et en France, où l'avaient appelé des intérêts de famille, son père lui proposa de se charger de la direction de ses terres, dont les fonctions de Vicaire qu'il remplissait à Turin, ne lui laissaient pas le loisir de s’occuper suffisamment. «J'ai accepté avec empressement, écrit le comte Camille à M. De la Rive, car lorsqu'on a entrepris de faire valoir soi-même toutes ses terres, il y va de sa fortune à ne pas en soigner l'administration.

L'année dernière j'ai commencé à cultiver la betterave dans nos collines de Grinzane (1); je n'avais alors en vue que de me procurer une nourriture saine et abondante pour mon bétail, de sorte que je semai de la betterave champêtre, soit ratine d'abondance. J'eus tout lieu d'être satisfait de mon essai; quoique ce fut la première fois que cette culture était pratiquée dans le pays et qu'elle n'ait pas été exécutée avec tous les soins qu'elle exige, j'en obtins de fort beaux résultats; un demi-journal, soit trois cinquièmes de pose, me donna à peu près 607 quintaux de racines. Pendant l'hiver, l'idée me vint que nous pourrions tirer parti de la betterave pour en faire du sucre. Je me décidai donc à faire venir de la graine de betterave blanche de Silésie, soit saccharine; malheureusement je ne pus m'en procurer, m'y étant pris fort tard, qu'une très-petite quantité.

Rien ne viendra d'ailleurs me troubler dans la carrière (d’agriculteur) que j'ai entreprise. Quand je conserverais le même goût que j'avais pour la politique, il y a quelques années, il me serait impossible de me mêler d'une manière active des affaire s publiques sous un Gouvernement dont. mes opinions et mes circonstances personnelles m'éloignent également. Car, quelque modéré, quelque juste milieu que je sois devenu, je suis bien loin encore de pouvoir approuver le système suivi chez nous. Ne sachant pas faire les choses à demi, nne fois lancé dans les affaires, je m'y suis donné tout entier. J'y suis d'ailleurs forcé par ma position; je suis cadet, ce qui veut dire beaucoup dans un pays aristocratiquement constitué; il faut que je me crée un sort à la sueur de mon front. En agriculture, il n'y a de bonnes affaires que celles qu'on peut diriger soi-même. Je suis presque entièrement absorbé par mes occupations agricoles. J'ai entrepris de vastes spéculations, qui exigent de grand soins et une surveillance de tous les instants. (De La Rive, Le Comte de Cavour, pag. 49 et suiv.).

(1) Vaste propriété dans la province d'Alba, appartenant à la famille de Cavour.

Pour que l'expérience fit complète, je me décidai à semer plusieurs journaux (1) d'abondance, et de placer à côté quelques sillons de betteraves blanches. J’ai-voulu donner une assez grande étendue à cette culture, pour pouvoir juger si elle était susceptible de réussir sur une vaste échelle. Si les résultats répondent à mon espérance, je n'aurai qu'à comparer le produit des racines blanches avec celui de l'abondance et j'aurai une base certaine pour établir mes calculs. J'ai pris nos risières pour théâtre de mes expériences en grand; j'ai préféré cette localité, car y possédant une très vaste étendue de terrain, nous pourrions produire à nous seuls, sans nous gêner, une quantité suffisante de betteraves pour alimenter une manufacture de moyenne grandeur.

J'ai aussi continué mes essais à Grinzane. Jusqu’à présent je reçois des deux côtés les meilleures nouvelles. De Leri (2) on m'écrit que les betteraves sont magnifiques, et de Grinzane on me mande qu'elles sont fort belles aussi, mais qu'elles commencent à souffrir de l'horrible sécheresse qui nous désole depuis deux mois. A Leri je suis sans inquiétude sur le succès de l'expérience, car nous pouvons arroser tant qu'il nous plait nos champs de betteraves; je crains un peu plus pour Grinzane. A la récolte je constaterai la qualité et la quantité de mes produits, et s'ils sont de nature à me permettre d'entreprendre la fabrication du sucre avec avantage, je n'hésiterai pas à le faire, car la betterave nous fournit le moyen d'amender fort avantageusement nos sols de rizières.

J'aurais eu quelque envie d'établir ma fabrique à Grinzane, parce-que le sol est plus fertile; mais le manque d'eau,

(1) Ancienne mesure piémontaise, valant 3800 mêtres carrés environ.

(2) Vaste propriété dans la province de Verceil, dont le marquis de Cavour et madame de Tonnerre avaient fait l'acquisition quelques années auparavant, et dont le comte Camille prit la direction en 1833.

le défaut d'espace et le mauvais état des communications me décideront, je pense, pour Leri. L'expérience de cette année sera décisive pour moi, car c'est un des terrains les moins fertiles de la terre, terrain qui a produit du riz cinq ans de suite.

Lorsque je serai décidé à entreprendre ce genre d'industrie, je ferai un appel à vos capitaux, que vous ne me refuserez pas j'espère, et nous aurons la gloire d'avoir importé dans notre pays un nouveau produit.

La récolte du blé a été bien mauvaise, elle ne dépassera pas la moitié de celle de l'année dernière, je puis vous r affirmer de la manière la plus positive. La sécheresse donne les plus vives inquiétudes pour les secondes récoltes. Si elle continue, elles seront à peu près nulles et le pays sera obligé d'importer une quantité considérable de blé pour sa propre consommation. Je vous prie de me mander quel a été le résultat des récoltes en Suisse, ce qu'on a fait en blé et ce qu'on attend des secondes récoltes. Cela m'importe beaucoup pour nos riz.

Veuillez me rappeler au souvenir de madame De la Rue, qui aura, j'espère, profité de son voyage, et croire à ma bien sincère amitié.

Camille de Cavour.

II.

Turin, 29 août 1836.

Mon cher ami,

Une inflammation à la gorge, pour laquelle on m'a fait trois saignées, m'a empêche de répondre plus tôt à votre lettre du 10 courant. Grâce au ciel, ma maladie n'a pas été longue et je suis maintenant en pleine convalescence, prêt à recommencer mes courses agricoles.

Je m'en vais m'occuper de la récolte des betteraves, que j'ai fait semer comme essai, dans nos rizières. Le résultat que j'obtiendrai décidera la partie agricole de la question, c'est-à-dire le prix de revient de la betterave brute. J'espère que nous pourrons en avoir tant que nous voudrons, à raison de IO francs les 1000 kilos, c'est-à-dire qu'il nous conviendra, somme propriétaires, de les cultiver à ce prix; e'est meilleur marche qu'en France, où on les paye généralement 15 francs les 1000 kilos. Maintenant il nous resterà la question industrielle à résoudre, savoir quels sont les capitaux et les dépenses nécessaires pour établir et faire marcher une sucrerie. Je vous prie de prendre à cet égard tous les renseignements que vous pourrez; vous ferez bien de vous adresser a Mr Vincent qui connaìt à fond toutes les questions industrielles et qui est à même de vous mettre en rapport avec les hommes les plus versés dans cette partie (1)1 Une fois que nous saurons ce que coùte l'érection d'une fabrique et quels sont les frais de fabrication de cet article, nous verrons de suite, s'il nous convient d'établir une sucrerie en Piémont. Faites bien attention que les résultats obtenus m France et en Lombardie ne sont pas décisifs pour nous, parceque dans ces deux pays les droits sur les sucres sont beaucoup plus élevés que chez nous. Si d'après des calculs exacts nous venons à découvrir que la fabrication du sucre peut nous offrir un beau bénéfice, mon projet serait d'établir une sucrerie dans nos rizières, à laquelle entreprise je serais heureux de vous voir concourir comme associé actif. Le domaine de Leri s'engagerait à fournir à la fabrique une certaine quantité de betteraves au prix de 10 francs les 1000 kilos, de plus elle lui céderait un hangar très vaste, pour y établir les constructions nécessaires et lui fournirait une force motrice suffisante pour faire aller les mécanismes.

(1) Émile De la Rue se trouvait alors à Paris.

En compensation de ces sacrifices le domaine retirerait les pulpes de betteraves sans les payer. Nous formerions une société, vous, votre père et moi, qui devrait durer au moins vingt ans, au bout desquels, si nous ne voulions plus continuer à faire du sucre, nous liquiderions nos fonds cédant au domaine les constructions que nous aurions fait faire pour le prix des matériaux. Vojlà le projet qui me roule depuis longtemps par la tète, méditez-le et dites-moi franchement votre avis.

Vos idées sur les obligations de 1834 sont justes, en grande partie. On les admet comme cautionnement, au taux de 1000 pour les employés publics, mais à la condition de les déposer dans les caisses du trésor, ce qui n’empêche cependant pas de percevoir les intérêts qui y sont attachés.

Les fonds de 1819 et de 1831 sont passibles d'hypothèque, bien entendu qu'il ne peut être question que de cédules nominatives. Je pense que vous vous amusez légèrement à la bourse, je vous souhaite bonne chance.

Vous aurez bien profité du séjour de Paris, pour bien courir et voir une foule de choses; j'espère que les distractions qu'il aura procurées à madame de la Rue, lui auront fait plus de bien encore que les prescriptions des oracles de la faculté (1).

Les nouvelles de Gènes sont beaucoup meilleures; il n'y a eu que deux cas de choléra pendant les deux derniers jours. A Paris aussi cette maladie a reparu l'année quia suivi la grande invasion, mais sans faire de mal bien sensible. De toutes parts nous apprenons que le choléra diminue; en Lombardie il a disparu d'un grand nombre de lieux, dans nos provinces il commence à devenir moins violent. Nous n'en sommes ici aucunement inquiets.

(1) Madame de la Rue, dont la santé était fortement ébranlée, avait accompagné son mari a Paris pour consulter les médecins les plus célèbres de cette ville.

Le mariage Rora (1) a eu lieu ce matin, il s'est fait à petit bruit dans une chapelle privée. Le contrat a eu lieu samedi dernier, les présents de l'époux et des parents de la mariée, anciens et futurs, étaient magnifiques; elle a reçu plus de dix parures, toutes d'une grande beauté. Il y a longtemps qu'on n'avait vu étaler à Turin autant de magnificences. L'ami Rora aura été bien content.

Adieu, cher ami, mon père vous dit bien des choses.

Votre dévoué

Camille de Cavour.

III.

Turin, 1 décembre 1836.

Mon cher Émile,

Je ne saurais assez vous dire combien j'ai regretté de ne pas m'être trouvé a Turin lors de votre passage dans cette ville. Si j'avais su au juste le moment de votre arrivée, j'aurais quitté mes affaires pendant un jour ou deux pour vous les consacrer; mais dans l'incertitude où votre lettre m'avait laissé, je ne pouvais m'absenter longtemps de la terre dont je viens de faire l'acquisition (2). J'aurais vivement désiré avoir une main à fond sur l'article betterave qui m'intéresse au plus haut degré.

(1) Le mariage du comte V. Costa Carru de la Trinité avec mademoiselle Constance de Rora, fille du marquis Lucerna di Rora et sœur du marquis Emanuele di Rora.

(2) La propriété du Torrone. «J'ai acheté une vaste propriété dans les rizières. Je crois avoir fait une excellente affaire. Il me manque seulement l'argetìt pour la payer; à ce-là près, elle doit me donner un bénéfice superbe. (Lettre à M. de la Rive. De la Rive, Cavour, p.58).

Les documents que vous m'avez apportés, sont de nature, je pense, à fixer nos idées sur ce sujet; je me réserve pourtant de vous en parler à fond une autre fois, ne les ayant pas encore étudiés comme ils méritent de l'être et ne pouvant ce matin que vous donner quelques moments. J'espère que je pourrai, avant la fin du mois, vous communiquer mes opinions de vive voix, car il est bien probable que. faille à Grènes pour régler l'affaire de nos moutons que nous devons expédier en Égypte (1). Je n'attends que l'arrivée de Mr Serra pour vous aller trouver; si vous pouviez me donner des nouvelles du dit sieur Serra, vous m'obligeriez infiniment, car il y a deux mois que j'attends de ses lettres et que je ne reçois rien. Son correspondant à G-ènes est un certain M. G. B.; veuillez, je vous en prie, faire demander en mon nom à ce Mr s'il ne sait rien de Serra.

Je vous quitte à regret, mais le courrier part et je n'ai que le temps de vous dire mille amitiés et de vous renouveler l'assurance de mes sentiments d'attachement.

Camille de Cavour.

IV.

Janvier 1837.

Je profite, mon cher Émile, du départ de notre ami Bora, pour vous renvoyer les précieux documents que vous m'aviez apportés de Paris, sur l'industrie du sucre indigène. D'après les données qu'ils contiennent, et d'après toutes celles que m'ont pu fournir mes recherches et ma propre expérience, je me suis convaincu que la fabrication du sucre peut devenir fort avantageuse dans ce pays.

(1) Il s'agissait de 800 montons que le comte de Cavour avait vendus au Pacha d'Égypte.

Je crois que l'agriculteur-fabricant piémontais peut produire du sucre brut à meilleur marché que le fabricant français, et qu'il peut par conséquent, malgré la différence des prix dans les deux pays, faire d'égaux bénéfices. D'après cette conviction bien établie chez raoi, je n'hésiterais plus à entreprendre un essai de fabrication, si je n'étais retenu par une crainte que je crois bien fondée; l'industrie du sucre indigène est encore dans l'enfance, les procédés dont elle se sert présentent de graves imperfections que tout le monde reconnaît, sa marche est encore incertaine, puisque les hommes les plus habiles ne sont pas encore décidés entre les modes de fabrication les plus opposés. Cette industrie peut subir, d'un moment à l'autre, une révolution qui en change la face comme l'invention de Mull-Sercy a changé l'industrie cotonnière. Convient-il, dans cet état de choses, de se lancer dans une entreprise nouvelle, pour laquelle il faut tout créer et établir à grands frais, ce qu'il faudra peut-être abandonner demain? Mr Duport (1), qui vient de passer un mois dans le Nord de la France pour étudier la marche de l'industrie du sucre indigène, a été frappé du désaccord qui règne dans l'opinion des différents fabricants qu'il a connus. Comment pourrions-nous nous décider, nous qui manquons de tous les éléments nécessaires pour asseoir notre jugement? Cette considération me fait penser qu'il est plus sage de suspendre l'exécution des projets de fabrication pour le moment. Laissons l'industrie saccharine se développer et s'asseoir sur des bases fixes, préparons-nous seulement à profiter des travaux et de l'expérience des autres. Pour nous mettre dans le cas de le faire avec avantage, je suis décidé à donner une grande extension dans nos terres à la culture de la betterave, dont je trouve déjà un emploi avantageux comme nourriture pour le gros bétail.

(1) Le baron Duport, industriel, nommé baron par le gouvernement sarde, en récompense des services rendus par lui à l'industrie. (Chiala> lettere, V, p.57).

Lorsque cette ratine se sera acclimatée parmi nous et fera partie de notre système agricole, nous pourrons sans peine, d'un moment à l'autre, créer un établissement pour en tirer le sucre qu'elle contient. Je vous ai exposé avec franchise ma manière de voir sur cette question, qui, je le sais, vous intéresse autant que moi; je serai charmé que vous me fassiez également connaître votre opinion à cet égard, afin que nous puissions arriver à une conviction commune.

Ne connaissant pas personnellement le comte Gallina (1), je l'ai fait sonder par un de ses plus intimes amis sur ses intentions relativement au projet de banque que vous avez soumis au gouvernement. Je suis fâché de vous dire que le ministre y est tout à fait hostile, non qu'il désapprouve l'idée de fonder une banque à Gènes, mais d'abord, parce qu'il a été choqué que vous ne vous soyez pas adressé directement à lui pour soumettre votre projet au roi, et que vous vous soyez servi pour cela de Villamarina (2), qui passe pour avoir dans la réussite du projet un fort intérèt personnel, et ensuite, parce qu'il s'est fourré dans la tète que les actions de la banque projetée ont été accaparées par un petit nombre de capitalistes, pour la pìupart étrangers, ce qui rendrait cet établissement peu populaire parmi le commerce de Gènes. Je sens, autant que qui que ce soit, le peu de fondement des objections du ministre; mais comme elles reposent en grande partie sur l'amour propre blessé, je sens aussi qu'il est parfaitement inutile de vouloir les combattre directement.

(1) L'avocat comte Etienne Gallina di Guarene, premier secrétaire d'État pour les affaires de l’intérieur et des finances, ministre d'État du 1850-66; nommé Comte par le roi Charles-Albert en 1834, mourut l'an 1867. (Cibrario, Notizie genealogiche di famiglie nobili, pag. 130).

(2) Le marquis Salvatore Pès de Villamarina, sénateur du Royaume.

Je suis fâché d'être au bout de mon papier, car j'aurais encore désiré m'entretenir avec vous sur une foule de choses qui nous intéressent également. Ce sera pour une autre occasion, ou peut-être pourrai-je le faire plus à mon aise, de vive voix avant peu, car je n'ai point renoncé à mon projet d'aller faire une course à Gènes, et si je puis, je le réaliserai avant peu.

Mes amitiés, je vous prie, à Davidin (1) et veuillez présenter mes hommages empressés à Madame de la Rue.

Votre bien dévoué

C. de Cavour.

V.

Turin, 27 avril 1837.

Mon cher Émile,

Je vous assure que je n'ai pas négligé l'affaire de la banque. N'ayant pas de relations directes avec Mr le comte Gallina et sachant qu'il éprouve une certame jalousie pour tout ce qui lui vient de mon père, je lui ai fait communiquer les observations que votre lettre contenait, par mon ami le marquis Cesar Alfieri (2), qui a assez d'empire sur son esprit. Une absence de plusieurs jours et un grand malheur (3) m'ont successivement empêche de vous faire connaître plus-tót le résultat de cette communication. Ce n'est qu'avant hier d'ailleurs, que César Alfieri m'en a parlé.

David Julien de la Rue, cousin et associé de M. Émile de la Me.

Le marquis César Alfieri di Sostegno, sénateur du Royaume. (Voyez Lettre XXXIV).

La mort du due de Tonnerre, onde par alliance, du Comte de Cavour, ancien pair de France.

Le comte Gallina assure que, loin d'être opposé à l'établissement d'une banque à Gènes, il est disposé à le favoriser de tout son pouvoir, que même il a déjà soumis cette question au conseil de conférence, et qu'il est parvenu à faire renoncer le comte Pralorme (1) au projet qu'il avait formé de créer un établissement qui fut commun aux deux premières villes du Royaume. Le pian que vous aviez présente le printemps dernier, n'est pas tout à fait conforme aux vues du ministre, mais il ne s'en éloigne pas radicalement. Cependant, comme il est atteint d'une certaine tache originelle, je crois qu'il vaudrait mieux que vous en présentiez un nouveau. Vous devriez aussi, en le présentant, déclarer que les fondateurs de la banque sont disposés à consentir à toutes le modifications qui paraîtraient convenables au gouvernement, pourvu qu'elles soient compatibles avec leurs intérêts, et, afin de les régler, il faudrait que vous délégassiez une ou deux personnes qui discuteraient avec le ministre le pian proposé et tâcheraient de le bien pénétrer de son importance, sur laquelle je crois qu'il n'a pas des idées bien étendues, ni bien exactes.

Vous savez, mon cher Émile, que je suis toujours charmé de faire quelque chose qui vous soit agréable, ainsi vous pouvez compter entièrement sur moi pour cette affaire. Je n'ai pas des moyens bien étendus, mais le peu que je possède est entièrement à votre disposition. Je crois d'ailleurs avoir dans mon ami C. Alfieri un excellent canal pour faire parvenir la vérité jusqu'aux oreilles du ministre.

On m'a objecté vaguement, pour combattre le projet de la banque de Gènes, le mauvais succès de la Banque de Marseille; je croyais cet établissement dans l'état le plus prospère, de sorte que cette nouvelle m'a prodigieusement étonné. Je vous prie de me dire si elle est fondée, ou bien si c’est un bruit absurde propagé par des ignorants ou des personnes malveillantes.

(1) Le comte François Beraudo di Pralormo, ministre de l'intérieur.

Le pauvre Rora regrette bien de ne pouvoir vous être d'aucune utilité; mais il est plongé au fond de sonlit, où la goutte le retient depuis vingt jours. Il avait cru un moment, avoir trouvé dans le magnétisme un remède contre cette maladie, l'attaque terrible qu'il vient de subir Fa cruellement détrompé.

Faites mes amitiés à Davidin et croyez moi, à la hâte,

Votre dévoué ami

C. de Cavour.

VI.

Juin 1837.

Mon cher ami, je regois à l'instant votre lettre d'avant hier, je m'empresse d'y répondre. Je crois qu'il n'est pas question de diminuer encore les droits d'entrée sur les blés; cette mesure n'aurait plus maintenant de sens commun, elle ne ferait pas arriver un navire de plus avant la prochaine récolte, époque à laquelle le Piémont aura du blé au delà de ses besoins. Les apparences sont magnifiques; les huit jours de beau temps que nous avons eu, ont suffi pour rendre à la campagne un aspect de prospérité qui ressemble fort à celui de l'année 1827, où la récolte a été si abondante. Soyez bien intimement convaincu qu'il y aura vers la moitié de juillet une baisse sensible sur tous les marchés du Piémont. Une foule de gens seront obligés de vendre pour payer les dettes contractées pendant cette année de misère. Tous mes orangers à Grinzane n'ont d'autre moyen de me payer leur loyer, qu'en réalisant tout de suite une partie de leur récolte. Dès qu'il y aura du blé récolté, la consommation de l'ancien produit cessera entièrement.

Dans les temps ordinaires les boulangers de Turin ne peuvent pas employer du blé de l'année avant le quinze du mois d’août;

cette année il leur sera permis d'en faire usage dès qu'il en paraîtra sur les marchés.

Le mariage (1) a eu lieu hier; le soir il y a eu appartement à la cour et l'épouse est partie à onze heures; on a hàté le départ pour ne pas se mettre en route un vendredi, ce qui, dans l'idée des Napolitains, serait d'un triste augure.

J'ai énormément à faire, et le courrier va partir dans un instant. Je n'ai plus que le temps de vous faire mes amitiés et de vous assurer de mes sentiments dévoués.

Votre très-aff. né

Camille de Cavour.

VII.

Coni,17 août 1838.

Mon cher ami, je vous prie de faire dire aux deux courtiers qui ont en consigne le blé que nous avons acheté à compte à demi avec Davidy, de suspendre toute vente, quand même les prix auraient atteint la limite qui leur avait été fixée. Les secondes récoltes ayant complètement manqué dans le nord de l'Italie, vous pouvez vous attendre à de fortes demandes de blé étranger. On parie déjà de diminuer les droits d'entrée. L'année s'annonce sous les mêmes auspices que 1836.

Je vous serai fort obligé de me donner quelques détails sur l'état de votre place relativement aux blés.

Je vous écris fort à la hâte, sur le coin d'une table de l'auberge de Coni, ce qui m’empêche de m'entretenir plus au long avec vous.

Votre tout dévoué ami

Camille de Cavour.

(1) Le mariage de Marie Christine fille cadette de Victor Emanuel avec le roi Ferdinand de Naples.

VIII.

Turin, 25 août 1838.

Mon cher Émile,

Je vous remercie de la lettre que vous m'avez écrite le vingt-trois de ce mois, ainsi que des précieux renseignements que vous me donnez sur le commerce des blés. Vos raisonnements ont ébranlé ma conviction et je crois comme vous que, pour le moment, il n'y a pas à espérer une nouvelle hausse. J'étais loin d'ailleurs, de supposer que le blé eût atteint le prix que vous me marquez dans votre lettre. Nous avons acheté l'Odessa à 18 et 20 et le Marianopoli à 18 et 18,14; les prix actuels nous offrent un si beau bénéfice que je pense que la prudence nous ordonne d'en profiter; en conséquence, veuillez considérer comme révoqués les ordres contenus dans ma lettre de Coni et dans celle que Mr Renaldi (1) vous a écrite, en mon nom, le 28 courant.

D'après ce que vous me mandez et les nouvelles que les journaux donnent de l'Angleterre et de la France, je ne doute pas qu'il n'y ait une baisse dans les blés exotiques vers le mois de décembre. Par contre je ne doute pas que nous ayons cet hiver une très-forte hausse sur tous les marchés du Piémont, car la récolte du blé et surtout celle du mais, sont bien plus mauvaises qu'on ne le pense. Ainsi donc, il faut vendre maintenant, pour acheter en décembre et revendre ensuite en mars.

(1) Secrétaire du comte de Cavour.

Seulement, il faudra calculer si le blé de Sardaigne ne convient pas mieux à la spéculation, que les blés d'Odessa et de Marianopoli.

Ma mère a été très-dangereusement malade, aux eaux de Vaudier; après 36 jours de maladie nous ayons pu la transporter, partie en litière, partie en voiture, jusqu'à Turin où elle est arrivée hier; elle est maintenant en convalescence, mais la faiblesse est encore extrême.

Mon père est bien, il vous dit bien des choses. Mille amitiés.

Votre tout dévoué

Camille de Cavour.

IX.

Turin, 31 août 1838.

Mon cher ami,

Je reçois à l'instant votre lettre du 28 courant et je m'empresse d'y répondre.

Je ne suis nullement fàché que l'on ne puisse pas exécuter l'ordre de vente que je vous avais donné, car mon opinion personnelle est à la hausse, et même à lai très-grande hausse. Vous verrez que les prix hausseront sur tous les marchés de l'Europe cet hiver. La récolte ayant été retardée partout, elle sera peu productive. J'ai assez d'expérience agricole pour savoir que lorsque une piante ne mùrit pas régulièrement, elle donne un produit moindre que celui qu'on en attend d'après les apparences. Au mois de juin on croyait encore avoir une belle récolte de froment en Piémont, ce n'est qu'après avoir battu les gerbes qu'on a reconnu qu'elle était détestable.

Le mais manque entièrement, ainsi que le millet, les haricots et ce que l'on appelle généralement les secondes récoltes.

Le même défaut a lieu en Lombardie et dans le midi de la France. Je ne doute pas un instant, qu'avant la récolte prochaine, le port de Marseille ne s'ouvre aux blés exotiques. Si j'avais consenti à vendre, c'ótait uniquement par déférence pour votre opinion et pour ne pas prendre sur moi la responsabilité d'une mesure qui intéresse votre cousin autant que moi. Mais, puisque vous revenez à mon avis, je n'hésite pas à vous déclarer que pour faire cet-achat pour mon compte, j'aimerais mieux ne pas vendre pour le moment, persuadé que je suis, que l'Odessa se vendra 30 livres cet hiver. Je crois même, que ce serait une excellente affaire que d'acheter du mais à 14 livres, car vous pouvez être sùr qu'on ôtera le droit sur cette denrée. Si D... était à Gènes, je lui proposerais d'acheter en compte à demi mille ou deux mille émines (1) de mais de 14 à 15 livres. Nous les revendrions à 20 livres avant le mois de février. Si j'avais de l'argent disponible je vous en enverrais pour mon compte, en attendant la réponse de D... Si vous trouviez à acheter à livrer, pour la fin de l'année, je vous prierais de conclure le marché en en donnant avis à D... pour qu'il se décide s'il veut entrer de moitié dans cette spéculation, ou non.

Je vous prie, Mon cher ami, de faire prendre par votre cuisinier, des informations sur le prix de la viande de mouton; j'ai un troupeau de béliers châtres que je voudrais envoyer vendre à Gènes, mais avant de leur faire faire un couteux voyage, je désirerais assurer leur débit. Si un boucher voulait traiter au poids, je pourrais faire un marché avec lui dès à présent.

Pardon de cette commission triviale, elle rentre dans mes habitudes d'agriculteur,

(1) Ancienne mesure piémontaise valant 23 litres. Une minette = 1|8 d'émine.

dont Hyppolite (1) vous aura appris à connaître la puissance.

J'ai reçu hier de bonnes nouvelles de votre père, à qui j'ai envoyé un cochon modèle. Je vous prie de présenter mes hommages à madame de la Rue et de me croire à jamais

Votre dévoué ami Camille de Cavour.

X.

Turin, 10 septembre 1838.

Mon cher Émile,

Une course rapide que j'ai faite à Grinzane, et les deux jours de fête, pendant lesquels on ne regoit pas les lettres à la poste, m'ont empêche de répondre plus tot à vos lettres du 4 et 8 courant. Je vous remercie infiniment des peines que vous vous donnez pour exécuter ma commission et des conseils que vous me donnez. Je crois comme vous, qu'il convient mieux d'acheter du mais à terme, dont la qualité est connue, que de courir la chance du livrer; ce qui me déterminerait pour ce dernier parti, c'est que je n'ai pas d'argent disponible pour le moment, et que j'en aurai à la fin de l'année. Sans ce motif, je préférerais payer le mais 14 livres à terme et même 14.50, que 15 à livrer, si on ne me garantissait pas un certain échantillon. Si vous pouvez me trouver de l'argent, n'hésitez pas à prendre le disponible, sans cela traitez à livrer, mais en tâchant d'assurer la qualité, autant que possible.

Dans la course que j'ai faite à Grinzane, j'ai pu m'assurer du produit réel de la seconde récolte; le produit sera moins faible qu'on ne le craignait; la sécheresse n'a pas fait tout le mal qu'on pouvait redouter, malgré cela la récolte est, au plus, médiocre, certes elle ne s'élève pas aux deux tiers de l'année passée.

(1) Frère de Mr Émile de la Rue.

Cependant je crois que les besoins les plus considérables se feront sentir sur le blé; cette denrée est peu abondante sur tous les marchés et je persiste à croire qu'elle obtiendra de très-hauts prix. Les journaux vous auront confirmé les nouvelles que je vous donnais de la Baltique. Dans la Prusse on craint de ne pas avoir assez de blé pour les besoins du pays. Le déficit qui en résultera, doit nécessairement réagir sur les prix de la Méditerranée; la Hollande importe ordinairement une grande quantité de blé de Hambourg; si elle ne trouve pas sur cette place, il faudra bien qu'elle Vienne acheter à Gènes. Vous devez connaître mieux que moi l'état de la place de Marseille, cependant je persiste à croire qu'avant la fin de l'année agricole de grands besoins s'y feront sentir. La sécheresse a été plus forte dans le midi de la France que chez nous; la récolte des légumes doit y être nulle. Dans le nord on commence à se lamenter du faible produit des gerbes; la moindre impulsion peut causer une grande hausse.

J'ai tort de vous faire tous ces raisonnements, puisque vous ne spéculez pas dans les blés, mais comme je tiens à votre bonne opinion, je tâche de justifier ma manière de voir par tous les arguments que je peux.

Je n'ai pas de nouvelles politiques à vous donner. Toute la ville a été douloureusement affectée par la mort subite du marquis de Barol (1), arrivée à Chiari, près de Milan. Il revenait de Vérone avec sa femme, on le croyait guéri d'une maladie qu'il avait eu dans cette ville; en voiture il prit mal, on le descendit à l'auberge de Chiari, où il expira au bout de peu d'instants. Le marquis de Barol était l'homme le plus charitable du pays; sa fortune, son temps, ses moyens, il les employait au services des pauvres, qui le regardaient comme leur père.

Aussi jamais homme n'a été autant regretté par toutes les classes de la population.

(1) Le marquis Charles Tancredi di Falletti di Barolo, philantrope des plus généreux.

Il laisse sa grande fortune à sa femme, qui s'était associée depuis long-temps à toutes ses bonnes oeuvres, et qui, bien certainement, a reçu la mission de les continuer; elle n'y manquera pas.

La récolte du riz est magnifique, tàchez d'en expédier beaucoup en Portugal et à Marseille, afin de maintenir nos prix.

Adieu, Mon cher ami, croyez a mon bien sincère attachement.

Camille de Cavour.

XI.

Turin, 15 décembre 1838.

Mon cher Émile,

Je vous prie de me donner sans délai des nouvelles de 1)..., je voudrais lui écrire et ne sais pas où le prendre. D'après ce que je connaissais de ses intentions, il devrait être de retour à Gênes, mais peut-être le mauvais temps le retient-il à Genève.

Vous aurez lu le décret pour la diminution de l’impôt foncier. Il a été accueilli avec reconnaissance par tous les propriétaires. Le comte Gallina est un homme fort éclairé et certes il fera tout ce qui dépend de lui, pour faciliter le commerce, surtout si cela doit augmenter les revenus de l'État. Je ne doute pas qu'on n'abolisse définitivement les droits différentiels.

Je ne vous parie pas des céréales; peu de variations sur nos marchés, le blé se soutient sans grande hausse, le mais est moins recherché. En France, on a un peu baissé, mais les nouvelles d'Angleterre me rassurent complètement. Les ports vont être libres et il ne peut manquer de se faire d'énormes envois qui feront monter nos prix.

Recevez à la hâte, Mon cher ami, l'assurance de mes sentiments dévoués.

Camille de Cavour.


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XII.

16 juillet 1841.

Mon cher Émile,

Une course que j'ai faite à Grinzane, m'a empêché de vous remercier plus-tot, des renseignements sur le commerce des blés, que vous m'avez fournis par votre lettre du 8 courant.

Ils me sont très précieux, en ce qu'ils me mettent à même de démontrer que les craintes que les blés d'Odessa avaient inspirées aux propriétaires piémontais, étaient chimériques.

Les résultats de la récolte du blé sont peu satisfaisants, nous n'aurons pas un produit au delà de la moyenne et comme il n'existe pas de fonds ancien, nous serons obligés d'avoir recours aux blés étrangers. Les mais sont magnifiques, ce qui empêchera le blé de dépasser une certaine limite; néanmoins, comme il y a des besoins de blé que le mais ne peut satisfaire, cette denrée sera constamment recherchée. A Turin, d'ordinaire, on ne permet pas aux boulangers d'employer le blé de l'année, que du 10 au 15 aout. Cette année l'administration municipale s'est vu forcée d'admettre les blés nouveaux dès le 12 juillet; au dernier marché il n'y avait plus un sac de vieux blé.

Je vous ai mandé, je crois, dans le temps, que j'avais fait acheter en Angleterre six vaches et deux taureaux pour le Roi. Ces bêtes précieuses, parties de Londres le 15 juin sur le bâtiment l'Henry Brougham, doivent débarquer à Gènes dans quelques jours.

Je les ai fait adresser à Mr le Chev. Baratta (1), afin que les formalités de douane ne retardassent pas le débarquement. Mr de Castagnette (2) lui ayant écrit au nom de S. M., je suis persuade qu'il mettra tout l'empressement possible pour s'acquitter de la mission dont il est chargé. Cependant, comme j'ai promis à Mrs Morris, Prevost et Compagnie, qu'ils n'auraient rien à démêler avec les employés du gouvernement, je vous serai fort obligé de veiller à ce que Mr Baratta, par excès de zèle, ne fasse pas de mauvaises difficultés au capitaine.

Ce même bâtiment porte une caisse de livres à mon adresse. Le comte Avet (8) a du écrire à la censure de Gènes, pour qu'on la laissât passer librement. Je vous serais, en conséquence, fort obligé de la réclamer en mon nom, et de me l'expédier le plus-tôt qu'il vous sera possible.

Le pauvre ministère Melbourne touche à sa fin. Je le regretterais vivement si Lord Palmerston n'en faisait pas partie. J'ai confiance dans la sagesse de sir Robert Peel et j'espère que sous d'autres formes il adoptera à peu-près les mêmes mesures de réforme commerciale qui sont devenues indispensables à l'existence de la puissance industrielle de l'Angleterre; cependant je regretterai le droit fixe de 8 sh. par quarter proposé par Lord John Russel.

Je vous prie, mon cher Émile, de faire mes amitiés à Davidy et de croire a toute mon amitié.

C. de Cavour.

(1) Directeur des Douanes à Gènes.

(2) Intendant de la maison du Roi, c. a. d. ministre de la liste civile.

(3) Ministre de grâce et justice.

XIII.

31 juillet 1841.

Mon cher Émile,

Je vous remercie infiniment des soins que vous avez donnés au troupeau de S. M. arrivé par l'Henry Brougham. Je me flatte d'avoir rendu un véritable service à l'agriculture Piémontaise, en décidant S. M. à faire venir d'Angleterre la race courtes-cornes, dont la supériorité est incontestable. Les amateurs de beef-steaks et de roast-beef s'en trouveront fort bien dans quelques années, car la viande des short-horns est infiniment supérieure à celle des bètes des autres races. Je pense qu'Aymo (1) sera arrivé, à l'heure qu'il est; il était parti le 24 de la montagne. Comme je vous l'ai mandé, il conduit des bètes pour le compte de la maison Modéna. C'est un très petit envol. dans le cas où cette maison me proposerait une affaire considérable, puis-je traiter en toute sûreté?

Accossato (2) est très solide, et, qui plus est, honnête et intelligent. C'est certainement le boulanger de Turin qui entend le mieux le commerce des blés. Je crois qu'il n'a plus l'entreprise de la munition, ce dont je le félicite, car le gouvernement payant un nombre déterminé de rations par émine de blé, il y aurait de la perte cette année que les blés sont de qualité médiocre.

Je ferai appeler le dit Accossato, et lui parlerai de vous; je veux cependant préalablement prendre des informations plus positives sur l'état présent de ses affaires.

(1) Berger en chef des troupeaux de moutons du comte de Cavour.

(2) Boulanger à Turin et fournisseur de l'Armée.

Je n'ai pas de nouvelles notions à vous mander sur les blés. La récolte a été infiniment moins abondante de ce qu'on le croyait au moment même où l'on a coupé les froments. La rente des gerbes est très faible, de sorte qu'on a beaucoup de paille et peu de grain. Il y aura des besoins réels. Les mais et les haricots suppléeront jusqu'à un certain point au deficit du blé, mais ils ne nous dispenseront pas d'avoir besoin de blés étrangers. Je pense qu'il nous faudra cette année de 5 à 600 mille émines de blés exotiques pour les besoins du pays.

À 23 francs je crois qu'il y a de la marge à spéculer; on ne peut pas perdre beaucoup, tandis qu'on peut gagner beaucoup. Si les ports s'ouvrent en Angleterre, l'Odessa monterà à 28 francs et peut-être à 30. Si vous en achetiez un 1000 d'émines. J'y  prendrais, volontiers un intérêt. Il nous conviendrait peut-être, de les faire vendre à Chivasso, marche où j'ai de nombreuses relations. Je me suis fort bien trouvé des expéditions de mais que j'y ai faites, il y a deux ans; j'ai regretté seulement, d'avoir attendu si tard à me servir de ce moyen pour écouler les grains que vous aviez achetés pour mon compte.

Si vous avez quelque inquiétude sur des maisons de Turin, faites-le moi savoir et je tâcherai de vous donner des renseignements précis sur leur compte.

Votre dévoué ami

Camille de Cavour.

XIV.

Turin, 7 août 1841.

Mon cher ami,

En arrivant de Verceil j'ai écrit hier un mot à votre maison, pour lui donner l'ordre d'acheter de 1500 à 3000 émines de blé d'Odessa tendre, suivant les prix. Je crois qu'il n'y a pas de temps à perdre pour spéculer sur cet article, car s'il doit y avoir de la hausse, elle se manifesterà dès que la récolte sera achevée et que l'on commencera à battre les gerbes. Les pluies, au moment de la floraison, font un mal réel aux blés bien plus grand qu'on ne le pense d'abord. Nous en avons fait cette année la triste expérience. Au moment même où les moissonneurs commençaient leur besogne, on espérait encore une récolte abondante. Ce n'est qu'après avoir battu un certain nombre de gerbes, qu'on s'est aperçu qu'on avait récolté beaucoup de paille et peu de blé. Ce qui est arrivé en Piémont arrivera dans le nord de l'Europe; les agriculteurs peuvent se faire un moment illusion, mais dès qu'ils auront récolté. ils verront combien leurs calculs étaient fautifs.

Sur nos marchés il y a eu de la baisse causée surtout par la nécessité de vendre les blés avariés, qui ne sauraient se conserver longtemps; il ne peut pas y avoir de hausse sérieuse avant le mois d'octobre. Hier, en passant à Chivasso, on m'a assuré qu'Accossato avait énormément acheté.

Les secondes récoltes sont belles et les riz magnifiques.

Je vous remercie infiniment des renseignements que vous me donnez sur la maison M., vous pouvez être bien persuadé de toute ma discrétion. Au reste les affaires que je pourrais avoir avec elle, ne sont pas assez importantes pour qu'un doute puisse m’arrêter.

Je vous remercie de nouveau, de tous les soins que vous avez donnés au troupeau que je vous avais recommandé. Il doit arriver aujourd’hui ou demain à sa destination, j'espère que le propriétaire auquel il est destiné, en sera content.

Mon père est alle faire une course au Lac Majeur, et de là il compte aller à Milan. Je reste pour garder la maison.

Il n'y a rien encore de décidé à l'égard du nouveau ministre de l'intérieur (1). Il est probable que l'état provisoire dans lequel nous nous trouvons, se prolongera encore quelque temps.

Faites, je vous prie, mes amitiés à Davidy et croyez à ma sincère amitié.

Camille de Cavour.

PS. J'ai vu Accossato, il ma confirmé toutes les nouvelles que j'avais récoltées sur les récoltes. De plus il m'a assuré que les blés manquaient dans le Parmesan, d'où l'on en avait tiré l'année dernière de grandes masses. Accossato m'a parlé des blés d'Ancóne, comme de ceux qui conviennent le mieux aux besoins et au gout de ce pays. Les connaissez-vous? Veuillez me marquer leur prix.

(1) Le comte Pralormo, ministre de l'intérieur, s'est retiré à la suite d'une lutte violente avec le parti congréganiste... Sa retraite a été un malheur pour le pays, car c'était un parfait honnête homme, aimant le bien pour le bien, administrant dans l’intérêt du pays et non dans l’intérêt d'une secte ou parti. Il résistait avec la plus louable énergie, à l'esprit envahissant du parti prêtre, malheureusement fomenté par les dispositions particulières du Roi. Un moment on a cru que le comte de Collegno, le plus fanatique et le plus obscurantiste du congréganistes, était ministre. La sagesse du Boi nous a sauvés de ce malheur... mais jusqu'à présent, le successeur de Pralormo n'est pas nommé. (Lettre du comte de Cavour a Mr Naville de Château-vieux, juillet 1841).

XV.

Turin, 27 février 1844.

Mon cher ami,

Sachant qu'en affaires le temps est un grand élément de succès, j'ai été trouver, à peine votre lettre m'a été remise, le baron Manno (1) vice-président du conseil suprême de Sardaigne, et qui, mieux que personne, connaît les affaires de son pays. Voici les renseignements qu'il m'a donnés, vous pouvez leur accorder une entière confiance.

Il existe trois dettes en Sardaigne. La première contractée en 1825 en des conditions analogues à celles des emprunts de Piémont. La seconde est la dette dite féodale, qui devait s'élever à 250,000 francs de rente et dont je vous parlerai plus tard. La troisième enfin est celle qu'on vient de contracter dernièrement avec Mr Magnone (2).

Je ne vous donne pas de détails sur cette dernière, attendu que l'édit de création a paru dans les journaux, il y a trois jours, et que par conséquent vous devez l'avoir sous les yeux. J'ajouterai seulement, que le gouvernement a décidé que les rentes de cet emprunt pourraient être affectées au cautionnement des comptables en Sardaigne. Or, comme le nombre des personnes qui doivent donner des cautionnements dans cette ile, a augmenté et augmente tous les jours, il est probable que les rentes Magnone seront très recherchées par les comptables.

(1). Le baron Joseph Manno, qui fut ensuite Président de la Cour de Gassation, puis du Sénat.

(2) Banquier génois, prêta au Gouvernement 4 millions pour payer l’affranchissement des feudi sardes.

L'emprunt de 1825 est garanti par les revenus généraux des finances sardes, les intérêts ne sont payables qu'à Cagliari.

L'emprunt féodal a été émis aux mêmes conditions que l'emprunt de 1825, seulement on a affecté pour en garantir le payement: 1°) le produit des douanes, qui s'élève à plus d'un million; 2°) le produit des prestations que les anciens vassaux doivent au gouvernement, en compensation de l’impôt féodal dont ils ont été affranchis, prestations qui se payent en argent et constituent un véritable impôt personnel.

La dette féodale est dotée d'un amortissement de 96,000 francs, ce qui équivaut à 2 pour 0|0 du capital nominai.

Ce qui a empêché que cette dette parut sur les marchés des capitaux, c'est que le Roi a voulu que les lois de fidecommis et des substitutions, qui réglaient la transmission des fiefs, s'appliquassent aux rentes féodales. Néanmoins il a accordé à tous les féodataires qui en ont fait la demande, la libération absolue du tiers de leurs rentes. Il en résulte que plus des deux tiers des titres des rentes féodales sont immobilisés entre les mains des personnes qui les ont reçus. Quant au tiers libère il est transmissible librement, transférable à volonté, et il n'est sujet à aucune dévolution quelconque, ni en faveur du gouvernement ni en faveur des descendants des anciens propriétaires de fiefs.

Avant donc de traiter des rentes espagnoles, assurez-vous bien qu'elles sont libres. Pour cela vous n'avez qu'à vérifier le titre, car celles qui sont grevées du lien d'une substitution doivent être annotées d'une manière formelle.

Le seul inconvénient réel que les rentes espagnoles présentent, et ce qui les fait moins rechercher que les rentes Magnone, c'est que les intérêts de celles-là ne sont payables qu'à Cagliari. Néanmoins le baron Manno m'à assuré qu'il avait été plusieurs fois question de les faire payer à Grènes, et qu'il était persuadé que si des porteurs de rentes faisaient une demande

pour être payés par la caisse de la marine moyennant une perte minime cette demande leur serait accordée.

Voilà, mon cher, des renseignements qui doivent vous satisfaire; s'il y avait encore quelques points sur lesquels vous désirassiez de plus amples détails, écrivez moi librement, j'irai les puiser à la source qui m'a fourni ceux que je vous transmets ce matin.

J'oubliais de vous dire que les garanties accordées à l'emprunt Magnone, sont tout-à-fait distinctes de celles de l'emprunt féodal.

On s'attend tous les jours, à voir paraître le décret pour la formation de la banque de Grènes. Si j'apprends quelque chose à cet égard, je vous le ferai savoir immédiatement.

Les blés se soutiennent en hausse ainsi que le mais, on m'a assuré que dans les villes qui alimentent les vallées, il s'en est vendu samedi à 4 francs. Ce serait 15 francs de hausse par minette. Je suis étonné que les prix à Grènes ne s'en ressentent pas.

Recevez mes salutations affectueuses.

Camille de Cavour.

XVI.

Turin, 6 mara 1844.

Mon cher ami,

Je vous envoie, ci-joint, une note que le Baron Manno a bien voulu rédiger en réponse aux questions que je lui ai adressées sur l'emprunt Sarde de 1825.

Vous verrez par son contenu, que l'on n'avait affecté aucun revenu spécial à l'emprunt de 1825 et que, par conséquent, on n'a pas violé la promesse faite aux préteurs en hypothéquant les douanes aux porteurs de l'emprunt féodal et le revenu des salines à ceux de l'emprunt Magnone.

D'ailleurs, l'emprunt de 1825 est plus qu'à moitié amorti, il n'en reste plus grand chose. L'amortissement augmenté du produit de toutes les rentes rachetées l'aura éteint entièrement dans sept ans au plus.

Je considère l'emprunt Sarde comme aussi solide, comme plus solide peut-être, que l'emprunt piémontais. En cas de guerre, la Sardaigne courrait moins de risques d'être envahie et révolutionnée que le Piémont. et par conséquent les porteurs de rentes sardes auraient plus de chances d'être payés que les porteurs de rentes piémontaises. On m'assure que l'emprunt Magnone s'est négocié à 117.

Croyez à mon sincère dévouement.

Camille de Cavour.

XVII.

Turin, 17 mars 1844.

Mon cher Émile.

Je ne suis pas parvenu à connaître l'opinion positive du ministre de la Sardaigne relativement à la demande que vous pourriez être dans le cas de lui faire, si vous traitiez avec Magnone pour ce qui lui reste de l'emprunt de Sardaigne. Cependant je doute, d'après tout ce qu'on m'a dit, que le ministre osàt accorder quelque faveur que ce fut, aux porteurs de rentes Magnone. On a tant crié contre la manière frauduleuse dont cette opération avait été faite, qu'il est peu probable que l'on facilite aux soumissionnaires les moyens de remplir leurs obligations.

Quoique vous ne puissiez pas obtenir la rémission des titres, vous feriez toujours une bonne affaire en prenant les 2,000,000 que Magnone a encore sur les bras, à 108 et même à 109. Pour que l'emprunt se classe à Turin, il faudrait que quelqu'un se chargeât d'assurer contre les chances de remboursement.

C'est indispensable pour le succès de l'opération, ici où l'on cherche avant tout, dans les placements sur les fonds, à s'assurer une rente certaine.

Si je ne me trompe, l'amortissement de l'emprunt est de deux pour cent par an, soit d'un pour cent par semestre. Dans cette hypothèse, en supposant la rente à 115, il y aurait du bénéfice à assurer à raison de 2 francs pour 1000. H en résulterait que pour 1150 on aurait 46 francs de rente, sans chance de diminution de capital. Or l'assurance sur l'emprunt de 1831 étant de 8 francs par mille et son cours étant à 125, il s'en suit que pour 1250 francs on n'a que 44 francs de rente. C'est une différence de 100 francs sur le capital et de 2 francs sur l'intérèt, plus que suffisante pour balancer la plus grande faveur dont l'emprunt de terre ferme peut jouir pendant quelque temps.

Si vous faites cette affaire, j'y prendrai volontiers une part, car je la crois très bonne.

J'ai été aux informations sur la Banque de Grènes. Yoici ce que m'a dit une personne qui en sait, à cet égard, autant que le ministre lui-même.

Le projet est définitivement approuvé: il n'y a, à cetégard. aucune espèce de difficulté. Ce qui retarde sa mise en exécution, c'est l'embarras dans lequel le ministre se trouve pour la distribution des actions. Vous savez que les soumissionnaires n'auront que le tiers. Les deux autres tiers le ministre s'est réservé le droit de les donner à qui il voudrait. Or il ne sait comment s'y prendre pour opérer cette répartition entre le commerce de Grènes et de Turin sans faire crier. Je vous dirai en toute confidence, que les soumissionnaires qui sont au nombre de neuf, lui inspirent très peu de confìance. H craint que s'il n'entre dans la société d'autres maisons plus respectables du pays,. la Banque ne soit très-mal administrée. En présence de ces difficultés, le ministre hésite, retarde et cherche un moyen qui est, je le crains, bien peu facile à trouver. J'ai parlé à la personne en question, de vous.

Il m'a répondu que le ministre désirait beaucoup voir votre maison prendre une part active à la Banque. Je l'ai vivement engagé à ne pas vous oublier dans la répartition des actions, et il m'a promis de rappeler la demande que vous aviez faite dans un temps. A cet égard il m'a parlé d'une doublé demande faite par des Mrs De la Rue, une de 200 et une autre de 100 actions. Il croyait qu'il y avait deux maisons De la Rue. Je lui ai dit qu'il n'y en avait qu'une, mais que probablement cette doublé demande était faite et pour la maison et pour le compte particulier d'un de ses membres.

Ces détails, dans lesquels vous pouvez avoir la plus entière confiance, étant d'une nature toute confidentielle, je vous prie de ne les communiquer à personne.

Si par hasard vous aviez quelque idée sur la manière de distribuer les actions de la Banque, écrivez-moi, je pourrai peut-être la faire goûter au ministre.

Depuis deux jours il tombe une pluie fine et douce, qui doit faire beaucoup de bien aux blés, aussi les derniers marchés on été froids.

Croyez, mon cher, à mes sentiments dévoués.

Camille de Cavour.

XVIII.

Leri, 24 man 1844»

Mon cher Émile,

Il m'est venu cette nuit une idée que je m'empresse de vous communiquer. Le ministre, je vous l'ai déjà dit, se donne au diable pour trouver le moyen de faire une répartition équitable des 2x3 des actions de la Banque, qu'il s'est réservés. Il n'a pas une très grande confiance dans l'impartialité de la chambre de commerce de Grènes, et ce n'est pas sans raisons.

Je doute que de longtemps il résolve le difficile problème, qui n'a pas de solution possible. Dans cette circonstance, si deux ou trois des premières maisons de banque de votre ville, vous, Parodi et Ricci par exemple, vous offriez au ministre de vous charger de toutes les actions qu'il a à sa disposition, en payant une prime au gouvernement, je crois que votre offre aurait des chances pour être acceptée.

Sans se faire d'illusions, il est à croire que les actions de la Banque se placeront facilement à 10 0|0 de prime. Si le ministre se contentait du 5  0|0, ce serait encore une belle affaire.

On pourrait statuer que la prime payée au gouvernement serait employée exclusivement en faveur de la ville de Grènes; ce serait un moyen de rendre la banque populaire.

Si mon projet vous sourit, répondez-moi de suite, j'irai en parler au comte Gallina.

Les blés en terre ont une très triste apparence. Si le printemps ne leur est pas excessivement favorable, la récolte sera, tout au plus, médiocre.

On a mené de Gènes assez de blé de qualités inférieures. Cela a empêché les prix de s'élever. Les mais se-soutiennent sans hausse bien marquée.

Répondez-moi à Turin, car j'y serai de retour dans deux ou trois jours au plus tard.

Recevez mes salutations amicales.

Camille de Cavour.


vai su


XIX.

Turin, 1er avril 1844.

A MM. De la Bile, frères. — Gênes.

Ayant été retenu à la campagne par les soins d'un procès, je n'ai reçu que hier matin la lettre collective que MM. Ricci et vous m'ayez adressée le 27 dernier. Je suis revenu immédiatement à Turin et ce matin même je me suis rendu chez le comte Gallina et je lui ai soumis la proposition que vous m'aviez chargé de lui faire (1). Le ministre m'a répondu qu'il aurait eu le plus grand plaisir à traiter avec vous et MM. Ricci, mais qu'il craignait, en acceptant votre proposition, de manquer aux engagement contracté savec les fondateurs de la banque; que ceux-ci avaient fortement insisté pour qu'il fit vendre les actions à la Bourse au profit de la banque elle-même, mais qu'il s'y était positivement refusé parce qu'il redoutait d'attirer sur le gouvernement l'accusation d'agiotage. H a ajouté qu'il aurait pu avoir pour le moins 10 p. % de prime, mais qu'à tout prendre il préférerait sacrifier ce que le gouvernement pourrait gagner, et distribuer les actions entre toutes les maisons de banque. Après beaucoup d'hésitations, il s'est décidé à consulter les Chambres de commerce et ensuite à faire la répartition luimême. J'ai objecté que c'était faire un cadeau aux maisons favorisées. Il a répondu qu'il le savait, mais de répartir les actions entre tant de maisons que le cadeau fût le même pour tout le monde. Je ne pense pas, m'a-t-il dit,

(1) MM. De la Rue frères et fratelli Ricci, en date du 27 mars, offraient collectivement au ministre des finances, de se charger de la portion des 4 millions de la banque d'escompte de Gênes, qu'il avait à sa disposition, en lui bonifiant le 5 °/0 de prime de dessus du pair.

que les maisons comme celle de MM. Nigra (1), obtiennent plus de 10 à 12 actions chacune.

Je suis fâché de ne pas avoir mieux réussi. Peut-être, nous y sommes-nous pris un peu tard, car il m'a para comprendre que dans le dernier conseil de conférence, c'est h dire jeudi dernier, le ministre avait fait approuver le pian de répartition dont je vous ai parlé.

Une commission s'occupe du projet de chemin de fer; si vous le désirez, je vous tiendrai au courant de ce qui se passe à ce sujet. Où en sont les granoun? Le blé a fléchi chez nous, les mais au contraire se soutiennent dans les environs de 4 francs la minette.

En grande hâte, recevez mes salutations empressées.

Camille de Cavour.

XX.

Turin, 4 avril 1844.

Mon cher Émile,

J'ai reçu ce matin votre lettre du 3, qui était contenue dans une autre de votre maison.

Je vous écris deux mots, pour vous dire que la Chambre de commerce de Turin a déjà reçu une lettre du ministre de l'intérieur pour lui annoncer la formation de la banque de Grènes et l'intention du gouvernement d'en distribuer les actions qu'il s'est réservées, entre les maisons de commerce de Grènes, Turin, Nice et Chambéry. Il invite ensuite la Chambre à rendre publique cette détermination et à engager tous ceux qui désireraient des actions, à adresser leur demande à la secrétaire de la Chambre dans le délai d'un mois.

(1) Une des premières maisons de banque de Turin.

La Chambre devra dresser un tableau de ces demandes et le transmettre ensuite au ministère avec les observations qu'elle croira devoir y faire. En grande hâte

Tout à vous

Camille de Cavour.

XXI.

Turin, 15 avril 1844.

Mon cher ami,

Avant de vous répondre, je voulais attendre de voir la tournure que prenait la souscription ouverte pour la banque de Gênes. Samedi il y avait des demandes pour près de trois millions, et cependant beaucoup de personnes, MM. Nigra entr'autres, n'avaient pas encore souscrit.

Je crois que vous devez faire une demande modérée de 50 actions, et ensuite adresser un mémoire au ministère, dans lequel vous exposeriez ce qui s'est passé lors de la première demande (1). Le ministre est persuadé que, soit vous, soit MM. Ricci, vous vous êtes retirés volontairement. En lui prouvant qu'on a mal agi à votre égard, il se peut qu'il vous traite plus favorablement que les autres maisons.

Je tâcherai de prendre, dans la journée, des informations relativement à l'affaire de Sardaigne, dont vous me parlez. Je la crois fort avantageuse, bien entendu pourvu que les titres ne soient pas grévés de quelque obligation.

Reconnaissant de votre offre, j'entrerai pour 1/5  dans l'affaire. Ainsi que je vous l'avais mandé, plusieurs personnes ici songent à établir une banque à Turin.

(1) Lors du premier projet pour la fondation d'une banque à Gênes, en 1836, qui n'aboutit pas et pour lequel la maison De la Rue frères avait souscrit pour 600,000 francs.

 Ce projet vient d'etre repris avec plus d'ardeur depuis quelques jours. Je vous ai dit les raisons qui me portent à avoir confiance dans une banque turinaise. Toutes les années il se vend sur la place de Turin pour 40 millions de soies et l'on achète dans les provinces pour 30 millions, au moins, de cocons. C'est donc un mouvement de 70 millions qui s'effectue en grande partie au moyen du crédit. Il y a là de quoi alimenter de nombreuses opérations pour une banque d'escompte.

La banque de Turin aura néanmoins quelques difficultés à surmonter. Les maisons qui prêtent aux fileurs de la province, y sont contraires. En effet, lorsque la banque escomptera du papier à 4 p. %, ceux qui filent n'emprunteront plus à 6 et 5 de messieurs les banquiers de Turin. B.... et N...., le premier par égo'isme, le second par ignorance, ont jusqu'ici découragé tous ceux qui voulaient se mettre à la tète de l'entreprise. Mais enfin, quelques personnes plus entreprenantes se sont décidées à passer outre, ce sont MM. Vicino, Dupré, Casana et De Fernex. Cotta se joindra à eux, mais il ne veut pas se mettre à la tète de l'affaire.

Si vous jugiez l'entreprise bonne, il serait aussi convenable qu'utile, que votre nom parut panili ceux des fondateurs. Je crois pouvoir faire la même proposition à'Messieurs Ricci. Je dois cependant vous observer que la banque de Turin aura à ses débuts plus de peine à s'acclimater que celle de Gènes. Je crois que son avenir est pour le moins aussi assuré, je serais même tenté de le croire plus brillant; mais en commençant il faudra plus de temps pour apprendre aux Piémontais à profiter d'une institution dont ils n'ont aucune idée.

J'écrirai demain à votre maison. Les blés qui avaient baissé, ont repris quelque faveur. La sécheresse se prolongeant serait très-nuisible aux emblaves.

A la hâte, je vous salue affectueusement.

Camille de Cavour.

XXII.

Turin, 16 avril 1844.

A MM. De la Bile, frères. — Gênes.

Voici les renseignements que j'ai recueillis hier sur la possibilité d'obtenir le payement en terre ferme des intérêts de la dette sarde féodale. Vous pouvez y ajouter une foi entière.

Les finances sardes étant complètement séparées de celles de terre ferme, dépendent exclusivement du ministre chargé des affaires de Sardaigne; il n'est pas au pouvoir de ce ministre d'autoriser le payement à Gènes des intérêts de l'emprunt féodal. Il ne suffirait même pas pour cela de l'accord du ministre des finances, car la Chambre des comptes ne sanctionnerait pas cette disposition, si elle n'était pas ordonnée par un billet royal.

Cela étant, les porteurs de rentes sardes, désirant percevoir leurs intérêts à Gènes, devraient recourir au roi. Mais il est peu probable que leur demande fùt accordée dans ce moment:

1°) A cause des complications et des embarras que causeraient à l'administration des finances de terre ferme l'établissement d'un grand livre succursal de la dette sarde à Gènes ou à Turin. Les employés du ministère prétendent que la faculté accordée aux porteurs de l'emprunt Magnone, d'être payés à Gènes, leur a donné beaucoup de besogne. Il est donc à croire qu'ils s'opposeraient à ce changement et qu'on aurait bien de la peine à vaincre leur résistance, car vous savez, Messieurs, mieux que moi, que nous vivons sous le régime de la bureaucratie;

2°) Quand-même le ministère de Sardaigne serait dispose à accorder la facilité que les porteurs de l'emprunt féodal demandent, ils auraient la plus grande difficulté à obtenir le consentement du Conseil d'État et du ministère des finances,

qui sont en guerre ouverte avec lui, surtout depuis l'affaire Magnone. Il est peu probable que Mr de Villamarina voulut engager une lutte pour une question qui ne l’intéresse que médiocrement.

La personne de qui je tiens ces notions, haut-placée dans l'administration de Sardaigne, m'a offert de me faire payer à Turin les fonds que je toucherais à Cagliari sans aucun frais. Il suffirait de les verser dans la caisse de la trésorerie et de former une requête à l'Intendant général, qui serait prévenu d'avance. Mais il ne pourrait pas me les faire payer à Grènes, parce-que le ministre de Sardaigne n'a de comptes ouverts qu'avec la caisse centrale du trésor et celle des gabelles de Turin.

J'ai obtenu d'ailleurs les détails les plus satisfaisants sur les finances de Sardaigne; elles sont maintenant sor une base des plus solides et il n'y a pas de doute que, si les choses continuent à suivre le cours qu'elles parcourent depuis quelques années, elles présenteront bientôt un excédant de recettes considérable.

D'après ce que je viens de vous exposer, il me parait difficile que les rentes sardes soient l'objet d'une spéculation avantageuse, à moins que parmi vos clients il y en ait qui voulant faire un placement stable, n'auraient pas de répugnance à laisser leurs rentes entre vos mains, et se borneraient à retirer leurs intérêts moyennant une commission que vous pourriez réduire dans des limites fort bornées, car les frais pour faire venir les fonds de Cagliari à Turin et de Turin à Grènes, seraient excessivement minimes.

Si vous persistiez dans vos projets d'achat et que vous voulussiez faire quelque arrangement à Cagliari, prévenez-moi, car j'ai sur les lieux un de mes meilleurs amis, sur le zèle duquel je puis compter de la manière la plus absolue.

Recevez, Messieurs, l'assurance de mes sentiments dévoués.

Camille de Cavour.

PS. Hier, les demandes d'actions s'élevaient déjà à 3,400,000 et l'on avait renvoyé à un autre jour près de quarante personnes, faute de temps pour inscrire leurs demandes. Il parait que tous les épiciers de la capitale et de la province ont été mis en mouvement par leurs correspondants de Gènes et de Turin. C'est un spectacle curieux à voir. Ce qui se passe est une raison de plus pour suivre le conseil que je vous ai donné dans ma lettre de hier.

XXIII.

20 avril 1844.

Mon cher Émile,

Je ne vois aucun inconvénient que vous demandiez 100 actions de la banque de Grènes, quoiqu'au fond cela revienne au même.

Dans votre mémoire insistez beaucoup sur ce que vous désirez avoir des actions, non pour spéculer, mais pour pouvoir prendre à l'administration de cette institution une part active. Vous direz que, faisant beaucoup d'opérations de banque, il vous importe qu'elle soit entre des mains sures; cet argument touchera peut-être le Ministre.

Si vous n’êtes pas pressés, vous pouvez m'envoyer votre mémoire ainsi que celui de MM. Ricci, ou bien votre mémoire collectif. Je l'enverrai au comte Gallina, ou le lui remettrai moi-même, au retour de la campagne. Du reste, vous ne perdrez rien à attendre; je crois même qu'il vaut mieux que votre mémoire arrivé en même temps que les notes des Chambres de commerce.

Les demandes ici, s'élèvent déjà à 7,000,000, je ne sais pas où elles s’arrêteront.

Les blés ont repris faveur; il parait certain que les blés ont souffert des torts, jusqu'à un certain point, irréparables. Je vous salue à la hâte.

Camille de Cavour,

XXIV.

Grinzane,27 avril 1844.

Mon cher ami,

J'ai reçu ici votre lettre du 24 courant et le mémoire que MM. Ricci et vous avez rédigé pour le Ministre. Je le remettrai à mon retour, au comte Gallina; je le trouve aussi convenable que possible. Je crains néanmoins, qu'il ne vous fasse pas obtenir un grand nombre d'actions, car les demandes se multiplient de la manière la plus ridicule. Le mémoire cependant est de nature à faire impression sur le ministre et il peut vous être utile pour l'avenir.

Le projet de la banque de Turin est entre les mains de MM. Vicino. Nigra parait revenir des idées hostiles qu'il avait manifestées. Il n'y a encore rien d’arrêté. Je sais seulement, que des maisons de Lyon sont disposées à s'y intéresser pour de fortes sommes. Les Genevois, aussi entreraient volontiers dans cette affaire. Un de mes amis qui cherche des placements, m'a écrit pour avoir 200 actions.

Avant de partir de Turin, j'ai eu l'occasion de causer longuement des rentes sardes avec un parent de Villamarina. Je lui ai démontré l'avantage immense qu'il y aurait pour la Sardaigne, en donnant le moyen aux porteurs de rentes, de percevoir leurs intérêts sur terre ferme. Cette personne m'a fort bien compris, et, comme lui et ses parents ont des rentes féodales, il m'a promis de chercher à persuader le ministre de faire tous ses efforts pour obtenir ce que les porteurs de rentes sardes demandent.

Je ne conçois rien au mouvement des céréales. Les apparences sont tout-à-fait médiocres, les dépóts sont faibles et malgré cela les prix ont de la peine à se soutenir. Je veux attendre le mois prochain pour me défaire de mes mais, car en Piémont presque tout le monde croit que les prix monteront.

Il y a eu une hausse marquée sur les riz fondée sur l'opinion que le Novarrais, la Lomelline et une partie du Vercellais, ne pourront pas semer cette année, faute d'eau. Je saurai cela dans quelques jours. Il y a une sécheresse vraiment extraordinaire. Mes amitiés à Davidy.

Tout à vous

Camille de Cavour.

XXV.

24 mai 1844.

Mon cher Émile,

Le Ministre a très-bien accueilli la demande que je lui ai fait adresser relativement à l'emprunt sarde. Il a très-bien compris que la faveur qu'on lui demandait, sans rien couter au gouvernement, augmenterait le prix des rentes sardes et serait par conséquent, avantageuse aux sardes porteurs de ces titres. Il a déclaré sans hésiter, que si la chose dépendait de lui seul, il l'accorderait sans difficulté, mais que, comme le concours d'un autre Ministère était nécessaire, il ne pouvait s'engager à rien. Il a ajoute que si on lui présentait une demanda par écrit, accompagnée d'une note où serait indiquée la manière dont l'opération pourrait se faire, il s'en occuperait et ferait tout ce qui dépendrait de lui pour faciliter le payement des intérêts de la dette sarde, soit à Gênes, soit à Turin.

Je vous engage donc à vous occuper sans délai de rédiger une demande formelle au Ministère de Sardaigne, dans laquelle vous exposerez: 1°) que vous avez acheté une forte partie de rentes féodales espagnoles; 2°) que vous seriez disposé, tant pour votre compte, que pour celui de vos amis, d'en acheter pour des sommes beaucoup plus considérables, soit des féodataires espagnols, soit des féodataires sardes, si le gouvernement consentait à vous accorder la même faveur qui a été accordée aux porteurs de rentes Magnone, c'est-à-dire à payer à Gènes les intérêts, moyennant une déclaration faite trois mois à l'avance.

Dans ce mémoire, vous pourriez appuyer sur l'avantage qu'il résulterait pour la Sardaigne, des capitaux que les féodataires, tous grands propriétaires, retireraient de la vente de leurs rentes.

En outre, il faut que vous vous informiez des arrangements qui ont été pris à la trésorerie de marine pour le payement des rentes Magnone, et que vous étudiez le moyen de faire effectuer par ce même bureau les payements des autres rentes sardes achetées sur le continent. Si l'on établit une espèce de grand livre, rien ne serait plus simple que d'y ajouter une annexe relative aux rentes féodales et autres. Il faudrait se soumettre à payer un léger droit toutes les fois qu'on opérerait un transfert du livre principal de Cagliari sur le livre auxiliaire de Gènes. Tâchez de vous mettre eu rapport avec les employés chargés d'organiser le nouveau service de la dette sarde, et de vous entendre avec eux pour présenter au ministre un pian, qui soit facilement exécutable.

Dès que vous m'aurez envoyé les pièces que je vous demande, je les ferai tenir directement à Mr de Villamarina, sans qu'elles passent par les bureaux, qui sont, ainsi que je vous l'ai dit, opposés au nouveau mode de payement des intérêts de la dette sarde, que nous demandons.

Je crois que Mr de V. a été flatté de penser que des étrangers voulaient placer des fonds dans les rentes sardes. H sera bon que ces notes que je vous indique, viennent de votre maison, qui est connue pour avoir des relations hors du pays. A la hâte, mille amitiés.

Camille de Cavour.

XXVI.

27 mai 1844.

Mon cher Émile.

Je suis désolé que mes mais vous donnent tant de peine. Cette affaire a vraiment du guignon. Puisque vous n'avez pas vendu, ne vous pressez pas, car je persiste à croire que plus l'on s'approchera de la moisson et moins l'on se fera illusion sur les résultats de la récolte.

Hier il a più assez, ce qui a fort dérangé nos courses et nous a force à les renvoyer. Aujourd'hui le temps est gris et le baromètre bas.

Malgré les chances de la pluie, je vous prie de ne laisser échapper aucune circonstance pour vendre mes mais en détail.

Rien de nouveau quant à la banque de Gènes. Le ministre accablé d'affaires n'en presse aucune.

J'attends une réponse de D... pour aller lui parler de la banque de Turin. A ce sujet il m'est venu un doute. Si vous et MM. Ricci désirez en faire partie, est-ce que votre mémoire sur la banque de Gènes ne serait pas déplacé? Votre concours avec les maisons de Turin pourrait être attribué à un mouvement de dépit. Réfléchissez-y et faites-moi savoir votre opinion.

Il n'y a rien de fait quant au chemin de fer. La commission dont je vous ai parie, n'a point fait son rapport.

De Ferrari (1) a passé quelques jours ici, il en est reparti furieux des retards qu'on apporte dans la discussion du projet de la Compagnie génoise, dont il s'est constitué le patron.

Il est inutile de faire des demandes auprès de Mr Villamarina, si vous n'avez pas des rentes entre vos mains. Au contraire, une demande qui ne serait pas appuyée sur un fait accompli produirait un mauvais effet.

Je vous quitte pour aller à l'Exposition (2), où je suis de garde.

Recevez mes compliments affectueux.

Camille de Cavour.

XXVII.

30 mai 1844.

Mon cher Émile,

Il a plu tous ces jours-ci, beaucoup de blés son versés, cependant les plaintes ne sont pas générales, de sorte que

(1) Le marquis Raphaël De Ferrari, due de Galliera, prince de Lucedio, président de la compagnie pour le chemin de fer Gènes-Pavie, riche patricien de Gènes, pour le port de laquelle il fit don à la ville, de 20 millions, le 7 décembre 1876. Il lui donna de même, avec son épouse, la marquise Brignole-Sale, le célèbre palais rouge avec ses collections et sa bibliothèque. Il fit bâtir à Gènes plusieurs maisons pour la classe peu aisée et fut un vrai bienfaiteur de cette ville. — Son épouse vient d'y fonder le splendide hôpital de St-André sur la colline de Carignan et l’hôpital de St-Philippe pour les enfants malades. (L. P. Belgràno, La famiglia De Ferrari di Genova. Gènes 1876).

(1)Exposition des Produits de l'Industrie Sarde, ouverte au Palais du Valentin. «Notre exposition de l'industrie quoique bien loin de celle de «Paris, témoigne cependant, des progrès de nos fabriques. Les étoffes de soie, celles pour meubles surtout, se sont fort améliorées, aussi nos exportations augmentent rapidement». (Lettre du 29 mai 1844, du comte de Cavour à Mr G. E. Naville de Château-vieux à Genève)

j'ignore si les prix s'en ressentiront. Aujourd'hui nous avons le soleil, mais il est encore fort pale et le ciel est très nuageux. Je doute néanmoins, que vous ayez haussé à Gène-, en conséquence, je crois qu'il faut se résigner à vendre au dessous de 14 francs, s'il n'y a pas moyen d'obtenir ce prix en détail.

Je remettrai votre mémoire au ministre, dès que la Chambre de commerce de Gènes aura envoyé son travail. Je ne comprends pas pourquoi elle retarde si fort à le faire. Le ministre en est très étonné.

Demain la commission des chemins de fer doit prendre une détermination et arrêter les réponses qu'elle doit adresser au ministre (1). Je crois que les partisans des compagnies l'emporteront.

Les vers-à-soie vont médiocrement. La semence est très mauvaise, ce qui est cause que beaucoup de vers sont morts à peine éclos. Je ne doute pas que les cocons ne se payent fort cher, je vous avoue que je ne redoute pas-autant que vous, les folies des fileurs. Généralement ceux qui travaillent avec leurs capitaux et qui achètent dans de certaines limites, ne font jamais de mauvaises affaires. Il y a souvent plus de bruit que de mal.

Recevez mes sincères amitiés.

Camille de Cavour.

(1) Les affaires sont chez nous d'une lenteur désespérante, surtout depuis que la même personne (le Comte E. Gallina) cumule les deux ministères de l'intérieur et des finances (réunis en 1841). Il y a un arriéré effrayant dont on ne parviendra pas à se débarrasser si l'on ne dédouble les deux ministères. (Lettre du Comte de Cavour à Mr G. E. Naville de Chateau-vieux,29 mai 1844).

XXVIII.

Turin, 3 juin 1844.

Mon cher ami,

Les rapporteurs de la commission des chemins de fer ont fait les propositions suivantes, qui, selon toutes les probabilités, seront adoptées par la commission:

1°) De fixer dès à présent le système général de chemins de fer pour les états du Roi.

Ce système comprendrait:

1°) Le chemin de fer de Grènes à la frontière Lombarde, d'après le trace de Brunel, légèrement modifié, allant aboutir à Pavie.

2°) Un chemin de fer de Turin à Novi, par Asti et Alexandrie.

8°) Un chemin de fer de Turin à Verceil et Novare.

4°) Un chemin de fer de Novare à Arone.

5°) Un chemin de fer de Turin à Coni, par Saluce et Pignerol.

2°) De chercher à faire exécuter simultanément et le plus tot possible les deux premières lignes.

3°) Traiter avec la compagnie Grènoise, sur les bases de leurs demandes, avec quelques modifications, dont les principales seraient de réduire la garantie d’intérêt réclamée à 4 Ii4, soit 3 ¼ d’intérêt et 1 p. 0$ d'amortissement, et de faire fixer la durée de jouissance de la route à 10 ans après l'amortissement complet des actions capitales.

Ce système entraîne la création d'actions de jouissance, ce qui me paraît peu convenable.

4°) De traiter sur les mêmes bases avec toute autre compagnie qui se présenterait pour exécuter le chemin de fer de Turin à Novi.

Le travail de la commission est très bien fait, j'espère que le gouvernement en sera satisfait et agira suivant ses conclusions.

Il me parait évident que la compagnie Gènoise acceptera les modifications proposées. C'est d'autant plus probable, que le chemin de fer de Milan a Pavie vient d'être décidé et concédé à une compagnie dont le due Visconti est le chef.

J'aurais assez bonne idée du chemin de fer de Turin à Novi, il n'offre que peu de difficultés. En suivant les vallées du Tanaro et du Borbo on arrive jusqu’à Villanova, presque sans mouvementent de terrain. Les communications de Turin à Asti sont très multipliées. D'ailleurs avec la garantie du 4 ¼ on ne risquerait rien. Pensez-y.

La pluie a continué de plus belle, elle a fait beaucoup de mal que le beau temps ne pourra pas réparer en entier. D'ailleurs la pluie continue.

Les vers-à-soie vont généralement mal. On parie de 50 francs le rub, pour les cocons.

A la hâte

Tout à vous

Camille de Cavour.

PS. Un de nos agents, qui arrive à l'instant de Saluce, m'assure que presque tous les blés sont versés et que, pour peu que la pluie continue, elle fera des dommages incalculables. Les prix se sont relevés aux marchés de samedi, en conséquence si vous n'avez pas encore vendu mes mais, je crois que je ne perdrai rien à attendre.

XXIX.

Turin, 9 juin 1844.

Messieurs De la Bue frères — Gênes.

J'ai eu ce matin une entrevue avec le comte Gallina, dans, laquelle je lui ai remis le mémoire que Mrs Ricci et vous, Messieurs, m'aviez envoyé pour lui. Il Ta accueilli avec bonté, tout en me déclarant qu'il craignait ne pas pouvoir faire grand chose. En effet, après ce que je vous ai mandé dans ma dernière lettre, il n'a pas beaucoup de marge.

J'ai manifesté au ministre le projet de fonder une banque à Turin, sur les mêmes bases que celles de la banque de Gènes, avec la faculté de prêter sur dépôts de soie. Il m'a assuré n'avoir rien de contraire à ce projet, quoiqu'il ne le crut pas fort avantageux pour le pays. Je n'ai pas pu saisir les causes sur lesquelles il fonde cette opinion, je crois qu'elle vient en grande partie de l'idée que les banques ne servent qu'au commerce étranger. C'est du moins ce que j'ai cru démêler au milieu d'un grand nombre de phrases passablement obscures. Le ministre m'a ensuite positivement déclaré qu'il n'avait aucune difficulté à admettre parmi les fondateurs des maisons étrangères établies depuis longtemps dans le pays. Je lui ai annoncé alors, que MM. Ricci et vous comptiez vous réunir à moi.

En sortant de chez le ministre j'ai été chez Mr. De Fernex (1), et nous avons convenu de faire un projet et de le communiquer ensuite à MM. Nigra et Vicino (2). Si, comme il parait certain maintenant, ces deux maisons signent avec nous, nous ne demanderions plus que la signature de

(1) Charles De Fernex banquier genevois à Turin.

(2) Banquiers à Turin.

 

MM. Dupré, Soldati et Casana et celle du baron Duport. qui représente une ou deux grosses maisons de Lyon.

Dès que le projet sera rédigé, je vous en enverrai une copie, que vous voudrez bien communiquer à MM. Ricci. Recevez, Messieurs, mes salutations empressées.

Camille de Cavour.

XXX.

14 juin 1844.

Mon cher Émile,

La commission du chemin de fer a opiné, contrairement à l'opinion du rapporteur, pour qu'on accordât à la compagnie du chemin de Pavie 4 p. 0\0 d’intérêt et 1\2 p. 0\0 d'amortissement. Les amis du ministre ayant tous voté dans ce sens, je dois croire que le gouvernement est disposé à accorder aux Gènois de brillantes conditions. Avec la garantie du 4 0|0, certainement les actions valent au moins 110. Quoique, je vous le répète, la ligne, en elle même, soit, pour le moment, très médiocre.

Les membres de la commission, qui ont appuyé la garantie du 4 ½, ont en même temps insiste chaudement pour l'exécution du tronc de Turin à Alexandrie. Le gouvernement serait charme de faire pour Turin, ce qu'il fait pour Gènes. Aussi une compagnie. qui se présenterait pour exécuter cette ligne, serait très bien venue.

Si on bat le fer pendant qu'il est chaud, on obtiendra la garantie du 4 1\2 et un tarif avantageux. Ce serait, je crois, une magnifique affaire. D'abord parce-qu’au fond le 4 p. 0|0 d’intérêt et 1x2 d'amortissement vaut plus que le pair, ensuite, parce-que je crois la ligne d'Alexandrie bonne.

Je crois qu'elle ne coûterait pas plus de 27,000,000, car il y a peu d'ouvrages d'art à exécuter et les terrains ne seraient pas ruineux. On transporterait sur cette route une quantité énorme de marchandises. En comptant au plus bas, le vin seul donnerait de 4 a 5 cent mille francs par an. On aurait ensuite toutes les denrées venant de Gènes et Savone. Les sels, les coloniaux, les laines, les cotons, les huiles, etc. Asti fournit de légumes Turin. Le Piémont fournit à Alexandrie et Gènes la plus grande partie du bétail qu'on y consomme; la houille deviendrait aussi un objet de transport important; plusieurs usines à gaz en employent déjà une certaine quantité. D'après toutes ces considérations, je crois qu'on peut évaluer à 1,500,000 la recette des marchandises.

Les voyageurs produiront autant: 1°) Parce-qu’il y a déjà un mouvement très considérable entre Turin, Chieri, Asti et Alexandrie; 2°) Parce-que la route en fer attirerait la plus grande partie des provinces d'Alba et Casal, qui maintenant se rendent à Turin par d'autres routes; 8°) Parce-que les communications entre Gènes et Turin deviendraient infiniment plus fréquentes. Il existe fort peu de rapports entre ces deux villes maintenant, mais du jour où elles seraient à quelques heures de distance, il s'établirait entr'elles un mouvement en rapport avec leur richesse et leur population; 4°) Tant que le chemin de fer de Novare ne sera pas fait, on passera à Alexandrie pour se rendre à Milan, ce sera là, pendant quelques années du moins, une source abondante de recettes.

Vous voyez, d'après ce que je viens de vous dire, que mon calcul n'est pas exagéré, je le crois de beaucoup au dessous de la vérité. Au reste, il me serait facile d'avoir sur le mouvement actuel des notions précises. En partant de la base de recette brutte 3,000,000, la recette nette peut être évaluée à la moitié, 1,500,000, ce qui pour 27,000,000 établirait un intérêt de 5,50. Ce ne serait pas énorme s'il y avait des chances à courir, mais avec une garantie derrière soi de 4 ½ c'est beaucoup.

Si mes raisonnements vous paraissent fondés, vous devriez écrire à Mr Adolphe d'Eichtal (1) qui est de première force pour ce qui concerne les chemins de fer. H est probable qu'il s'unirait à vous pour traiter cette affaire. D'après ce qu'on m'écrit de Genève, avec la garantie du 4 1x2 on trouverait beaucoup d'argent dans cette ville.

Je vous le répète, si on veut faire une bonne affaire il ne faut pas perdre de temps, il faut profiter du moment où l'on traite avec la Compagnie génoise. Plus tard si l'on voit que le gouvernement garantit le 4 1x2, il y aura concurrence. Parlez de cette affaire à, MM. Ricci, mais surtout écrivez à Mr d'Eichtal.

L'affaire de la banque marche bien, seulement le nombre des amateurs augmente. Mr Cotta (2) s'est déclaré en sa faveur. Il sera fort utile, car c'est un homme capable et qui a beaucoup d'influence sur le commerce.

Hier le vieux V... est venu me trouver, il a commencé par me pérorer, pendant une heure, contre la banque de Turin. Je me suis gardé de le contrarier, car je désirais connaître à fond son opinion. Après m'avoir clairement démontré que ce serait une affaire détestable, il a fini par me dire que cependant, si on la faisait, il se chargerait volontiers d'une partie des actions, qu'il en prendrait même, pour nous aider, le quart ou au moins le cinquième. J'avoue que je suis parti à ces mots d'un grand éclat de rire. Je crois qu'on peut amèliorer les statuts de la banque de Gènes; on y travaille activement.

Je pars demain pour Yerceil. Je désirerais à mon retour recevoir les pouvoirs nécessaires pour signer en votre nom et en celui de MM. Ricci comme fondateur. Je signerai pour mon compte, car mon frère désire placer 100,000 francs dans cette affaire et j'ai des demandes de Genève pour des sommes beaucoup plus considérables.

(1) Banquier à Paris.

(2) Le chevalier Joseph Cotta, banquier à Turin, plus tard sénateur du Royaume, un des hommes les plus bienfaisants de son temps.

Vendez mes mais, ou donnez-les pour rien, mais pour l'amour du ciel, que je n'en entende plus parler.

A la hâte tout à vous

Camille de Cavour.

PS. La chaleur est excessive, elle a fait beaucoup de tort aux cocons et elle ne vaut pas grande chose pour les blés.


vai su


XXXI.

Turin, 25 juin 1844.

A Messieurs De la Bue frères,

J'ai reçu à Léri la lettre par laquelle MM. Ricci frères et vous m'autorisez à comprendre vos noms parmi ceux des fondateurs de la banque de circulation, d'escompte et de dépôt, qu'on a le projet d'établir à Turin.

A mon retour j'ai trouvé l'affaire fort avancée, les statuts rédigés en français sont maintenant entre les mains de Mr Cotta, qui s'est chargé de les traduire en italien. Ils sont calqués sur ceux de la banque de Gènes, avec de notables améliorations dont les deux principales consistent: 1°) A déclarer insaisissables, sauf en vertu d'un jugement, les comptes courants de la banque; 2°) A faire considérer comme négociant toute personne tirant, acceptant ou endossant un billet escompté par la banque. Cette dernière clause est vitale, car le succès de notre entreprise dépend surtout des affaires auxquelles les opérations agricoles donnent lieu.

La banque trouve une grande faveur partout. Le malheur, maintenant, c'est que tout le monde veut en être. H est un grand nombre de maisons qui est impossible d'exclure.

Depuis ma dernière, ont demandé à faire partie des fondateurs: MM. Long et fils, MM. Sella, Bertini, Mancardi, Todroz et Levi (1).

Je crois que la semaine prochaine il y aura une réunion préparatoire, elle aurait eu lieu plus-tót, si ce n'eut été l'époque de l'achat des cocons. Recevez mes salutations empressées.

Camille de Cavour.

XXXII.

Turin, 6 juillet 1844.

Mon cher Émile,

Je crois que je n'en viendrai jamais à bout, avec cette malheureuse banque. Voici ce qui arrive. Ainsi que je vous l'avais mandé, les bases principales avaient été acceptées par tout le monde; il était convenu que vous, MM. Ricci et Mr Emilio Vitta, figureriez au nombre des fondateurs; les statuts rédigés en français par le baron Duport avaient été traduits en italien par Cotta, qui était devenu tout-à-coup un des plus chauds partisans de la banque. Un seul inconvénient s'était manifesté, c'était le grand nombre de personnes qui avaient successivement demandé à figurer parmi les fondateurs. Nous en comptions déjà 27 et il aurait fallu aller au moins jusqu’à trente. En effet, ayant admis quelques maisons de second ordre, il fallait les admettre à peu près toutes. Cependant ce n'était pas, à mon avis, un grand malheur, car cela assurait, dès ses débuts, à la banque, une nombreuse clientèle.

Les choses étaient à ce point, lorsque l'autre jour MM.

(1) Banquier à Turin.

Nigra, Barbaroux, Còtta et Vicino (1), se sont réunis et, après une longue discussion, ils ont délibéré qu'ils n'adhéreraient au projet, qu'autant que le nombre des fondateurs fut réduit à 10, pris tous parmi les personnes résidentes à Turin et qu'il fut stipulé que, pendant trois ans, les fondateurs seraient tenus de garder au moins 50 actions. Ils m'ont envoyé communiquer cette décision, en me disant qu'elle ne pouvait pas me déplaire, puis-qu’étant au nombre des fondateurs, j'aurais eu le même nombre d'actions que vous, Ricci et moi, dans le projet primitif. Ils prétendent que cette mesure ne choquera pas les maisons de second ordre, dont ils répondent. Leur but unique est, disent-ils, d'éviter les difficultés et les embarras que le concours d'un trop grand nombre de personnes amène dans les débuts d'une entreprise. Mon premier mouvement a été de les envoyer tous aux cent mille diables, eux, leur projet et la banque. Mais après avoir ragé quelque temps, j'ai pensé que si je rompais avec ces Messieurs, la banque ne se ferait plus, ni par eux, ni par nous, car s'il eut été possible, même facile de la faire sans eux, s'ils s'étaient déclarés dès le principe, ce serait maintenant extrêmement difficile, s'ils venaient à faire une scission et à nous faire une guerre ouverte. Ces quatre maisons étant les plus riches et les plus influentes sur la place, elles trouveraient le moyen de nous susciter toutes espèces d'entraves.

Si je m'étais retiré, ces Messieurs n'auraient pas été en avant, car, au fond, Nigra, et Barbaroux ne désirent pas l'établissement de la banque, et Cotta n'aurait pas osé marcher tout seul. Or, comme je crois que le pays a essentiellement besoin d'une institution de crédit, je n'ai pas voulu sacrifier son avantage pour une question personnelle. En conséquence, je n'ai rien répondu et j'ai demandé huit jours pour vous écrire.

(1) Banquier à Turin.

Si, par suite de cette détermination, vous pensez qu'il faille tout rompre, je le ferai, car ayant tout je désire ne rien faire qui puisse vous blesser, vous ou Messieurs Ricci.

Si, au contraire, vous croyez qu'il faut transiger avec ces Messieurs, je vous propose de faire l'affaire en compte à tiers, entre vous, Messieurs Ricci et moi. Si elle réussit vous aurez à peu près le même nombre d'actions que s'il y avait eu trente fondateurs.

J'attends à cet égard, une prompte réponse.

Selon le projet de Nigra, Barbaroux, Cotta et Vicino, les fondateurs seraient, en outre d'eux quatre: Litta et C., De Fernex, Mestrezat, Todros et fils, Dupré et moi.

J'ai écrit hier une immense lettre à Mr Odier (1), sur le chemin de fer d'Alexandrie. En voici le résumé:

Trois lignes ont été arrêtées: celle de Grénes à Pavie; celle de Turin à Alexandrie; celle du Pó à Arona.

Le gouvernement a été autorisé à traiter avec des compagnies. H a été déclaré que pour obtenir leur concours, on pourrait leur garantir un intérêt, pourvu qu'il n’excédât pas le fonds d'amortissement compris 4 1x2, et que la concession ne s’étendit pas au delà de 60 ans.

Voilà les bases adoptées dans le dérider conseil. Le roi paraît décidé à les appliquer.

La Compagnie génoise n'a aucun droit sur le tronc de Turin à Alexandrie. Il est vrai que dans les premières patentes ce droit leur avait été réservé. Mais alors ils ne demandaient rien; or, s'ils veulent une garantie d’intérêt, le premier contrat est annulé et ils ne peuvent plus prétendre aux faveurs qu'il leur réservait.

D'ailleurs, Mr Cavagnara (2) est venu me trouver et, d'après ce qu'il m'a dit, il me parait que la Compagnie génoise ne se soucie pas d'entreprendre à la fois les deux lignes.

(1) Gabriel Odier banquier à Paris, beau-frère de Mr Émile De la Rue.

(2) Gènois, agent d'affaires.

Je vous le répète, si l'on pouvait obtenir du gouvernement la concession du chemin de fer, avec la garantie du 4 1x2 p. 0|0 pendant 60 ans, je dirai même 50 ans, ce serait une affaire où il y aurait au moins dix millions à gagner.

Il est sur que les capitalistes regarderaient ces actions, au bout de quelque temps, comme un fonds public, et que leur cours se réglerait d'après celui des rentes de l'État. Or celles-ci ne rendent guère plus du trois. Calculez ce que coute la rente et ce qu'elle donne, en déduisant l'assurance contre le remboursement, et vous trouverez qu'elle se négocie au taux de 3  4/10.

Lorsque vous serez à Genève, je vous prie d'aller voir Mr Naville Edouard (1), qui s'intéresse beaucoup au chemin de fer d'Alexandrie.

La récolte du blé est à peu près finie; elle est bonne ordinaire; ce qui la distingue, c'est sa bonne qualité. Cela fera gagner une cinquantaine de mille francs de plus à Capello et Accossato, qui, recevant le prix de leur fourniture à la mesure, tandis qu'ils fournissent au poids, gagnent en proportion de la bonté moyenne des récoltes.

Recevez, mon cher, l'assurance de mes sentiments dévoués.

Camille de Cavour.

XXXIII.

Turin, 9 juillet 1844.

Mon cher Émile,

Je répondrai demain à votre maison, je me borne aujourd'hui à vous accuser réception de la lettre collective que MM. Kicci et vous, m'écrivez, pour m'autoriser à signer

(1) Mr. G. Edouard Naville de Châteauvieux, conseiller d'état à Genève.

pour votre compte, comme pour le mien, un engagement comme fondateurs de la banque de notre ville. Depuis ma dernière lettre, j'ai vu Cotta qui est la seule personne qui comprenne bien l'affaire. Il m'a dit qu'en réduisant le nombre des fondateurs à dix, il n'avait eu qu'un objet en vue, celili d'éviter que les marchands de soie fussent en majorité dans le conseil. Il prétend que cela aurait les plus graves inconvénients et peut-être n'a-t-il pas tort. Si on avait été juqu'à 15, cela serait certainement arrivé.

Nigra et Vicino n'entendent absolument rien à l'affaire. Barbaroux en est ennuyé, quoiqu'il la comprenne fort bien. Le seul vous dis-je, qui va bon jeu, bon argent, c'est Cotta. Cela nous suffit, car, quoique moins riche que Nigra et Barbaroux, Cotta a plus d'influence qu'eux sur la place.

Demain, je l’espère, nous terminerons quelque chose.

Les banquiers de Genève, à qui j'avais parlé du chemin de fer d'Alexandrie, ont pris feu; ils voulaient déjà envoyer ici l'un d'eux. Je leur ai conseillé d'attendre votre arrivée et celle de Mr G. Odier. Cela me donnera le temps de connaître plus positivement les intentions du ministre.

Mr Cavagnara est venu me trouver, avant son départ pour Gènes. Je lui ai parlé du projet du chemin de fer d'Alexandrie, et c'est à moi qu'il a dit qu'il était persuadé que la Compagnie génoise serait charmée de s'entendre. avec une Compagnie turinaise. Je ne crois pas qu'il ait rien traité avec Mestrezat (1), cependant je m'en assurerai.

Je vous engage fortement à faire partie de la Compagnie qui se formerà à Gènes, soyez persuadé qu'avec la garantie, les actions seront très recherchées. L'amortissement agit chaque année avec une nouvelle vigueur, les capitaux s'accumulent et leur emploi devient de plus en plus difficile.

Si vous voyez à Gènes Mr Gustave Levol, le jeune compagnon

(1) Banquier suisse à Turin.

 de Mr Rigai, veuillez lui faire mes compliments et lui dire que je lui ai adressé à Gènes une lettre, que Mr Naville m'avait envoyée pour lui. Recevez à la hâte, mes salutations empressées.

C. de Cavour.

XXXIV.

Turin, 12 août 1844.

Mon cher ami,

J'ai reçu avant-hier, à Santena, votre lettre du 8 cour. Je suis bien sensible à tout ce que vous me dites d'aimable sur votre trop court séjour à Santena. J'aurais désiré, ainsi que toute ma famille, que vous n'eussiez pas été aussi pressé et que vous eussiez pu vous arrêter plus longtemps avec nous. J'espère que, puisque vous avez appris le chemin de Santena, vous ne passerez plus devant, sans venir vous y reposer au milieu de ma famille qui se fera toujours une fête de vous voir.

Il parait certain que Gallina se retire. Le Roi a envoyé Castagnè auprès de lui pour s'assurer de son état, il l'a trouvé dans l'impossibilité ni d'écrire, ni de lire. Là dessus un grand parti a été décidé, mais le Roi le tient encore caché. Villamarina, qui faisait le malade, a recouvré de suite la santé, et ce matin il est parti pour Raconis, pour aider l'enfantement du nouveau ministère. Son intervention nous préservera de Collegno (1),

(1) Le général Giacinto Provarla di Collegno (1793-1856) avait fait la campagne de Moscou, puis était entré au service sarde. Compromis en 1821, il dut s'exiler jusqu'en 1848, où Charles Albert le nomma ministre de la guerre, charge qu'il céda bientôt à son ancien compagnon d'armes, Perrone. Collegno fit partie de la députation qui porta à Oporto, à Charles Albert, l'adresse du parlement sarde.

mais nous vaudra-t-elle Alfieri? (1) Tant que nous ne connaîtrons pas le successeur de Gallina, il faut suspendre toute démarche.

Les ingénieurs se sont mis à l’ouvrage. Barbaroux était à Poirino lundi. Ils paraissent déployer une grande activité. Du reste, je ne fais qu'arriver de Santena, de sorte que je ne sais rien de précis. J’espère vous mander des nouvelles plus intéressantes, dans le courant de la semaine.

Une maison de Marseille, MM. G. R. de la T.... et C., m'a écrit pour m'offrir du guano, à livrer aux première mois de l'année prochaine. Avant de lui répondre, je désirerais avoir quelques notions sur la moralité de ces Messieurs, car la valeur du guano dépend entièrement de sa composition chimique. Si, en effet, il répondait à l'analyse qu'ils m'ont envoyée, il y aurait convenance à en acheter pour fumer nos terres; mais il faut pouvoir compter sur la fidélité et l'exactitude de ces Messieurs.

En 1852 il représenta le Piémont à Paris, puis en 1854, il commanda la division militaire de Gênes, où il se distingua par son dévouement à secourir les cholériques, pendant la terrible épidémie de cette année. Sa santé chancelante l'obligea ensuite à prendre sa retrai te.

(1) Le marquis César Alfieri di Sostegno (1799-1869), ami intime du comte de Cavour, avec lequel il se lia chez Je marquis de Barolo, leur ami commun, et avec lequel il travailla à organiser la statistique du royaume et les Asili infantili de Turin. Ministre de Sardaigne en Russie en 1825, U fut chargé en 1833, avec Cesare Balbo, de la réforme des prisons sardes. Président de l'institution de la maternité à Turin, conseiller d'État en 1838, président de l'Association agraire en 1842, Magistrat de la réforme des études en 1844, où il rendit d'immenses Services à l'instruction publique, ministre ensuite de l'instruction publique, il concourut pour une large part, à obtenir du roi Charles Albert la Con8titutiou de 1848. Sénateur, vice-président, président du Sénat, il fut rapporteur, le 18 janvier 1850, sur le traité de paix avec l'Autriche et en 1855, sur celui d'alliance avec la France et l'Angleterre. César Alfieri fut, à juste titre, un des hommes les plus estimés et les plus influente de son temps. Son fils Charles, fondateur de l'École des sciences sociales à Florence, épousa la nièce du comte de Cavour, Joséphine de Cavour.

Il vous sera facile de vous procurer à Marseille ces renseignements; vous m'obligerez beaucoup en me les transmettant le plus tòt possible, car je tiens à ne pas trop tarder à répondre à MM. GL. R... qui se sont montrés très polis à mon égard. Recevez mes compliments amicaux.

Camille de Cavour.

XXXV.

Turin, 31 août 1844.

Mon cher Émile,

Vous aurez déjà su les nominations de MM. de Revel (1) et Des Ambrois (2) aux ministères des finances et de l'intérieur.

(1) Le comte Octave Thaon de Revel, né a Turin le 26 juin 1803, mort le 10 février 1868, fut ministre des finances de 1844 à 1849; le marquis Vincenzo Ricci le remplaça dans ce poste, pendant peu de mois, et Revel reprit ces fonctions pendant le ministère Alfieri-Perrone. Revel concourut largement, à obtenir la médiation de la France et de l'Angleterre, après les désastres de 1848. Après la chute de ce ministère, Revel fut, successivement, député au Parlement par plusieurs collèges et devint sénateur en 1860. Il fut un des adversaires de Cavour, en fait de théories financières et ne partageait pas ses idées libre-échangistes. Il fut nommé Commissaire royal à Londres en 1851, lors de l'emprunt Hambro.

(2) Le chevalier Louis de Nevache Des Ambrois. «Le comte Gallina a du se retirer à cause de l'affaiblissement de sa santé, son crédit s'est borné à empêcher la nomination d'un partisan déclaré du parti jésuitique. Le Roi à nommé Mr Des Ambrois, jeune et habile administrateur, qui, bien-qu'élève du comte Gallina et ami d'Alfieri, n'était pas de taille à effrayer le parti congréganiste». (Lettre du comte de Cavour à Mr Naville de Châteauvieux, septembre 1844). «Je crois qu'il arrivera aux mêmes résultats, que le comte Gallina et reconnaîtra les difficultés qui s'opposent à l'exécution des chemins de fer par l'état». (Ibid). Louis Des Ambrois de Nevache était né à Oulx, dans la Vallèe de Suse. Il contresigna, en sa qnalité de ministre, le Statnt de Charles Albert et la déclaration de guerre à l'Autriche. Ministre des travaux publics (Cabinet Balbo), député de Suse au Parlement, nommé sénateur le 18 4écembre 1849, il représenta le Piémont à Zurich et à Paris, président du Conseil d'État et enfin président du Sénat, il mourut à Home le 4 décembre 1874.

Le comte Gallina est nommé grand archiviste et conserve l'entrée du Conseil. Je considère ces nominations comme favorables aux chemins de fer et aux compagnies, cependant je ne puis avoir une opinion positive sur Mr Des Ambrois, car je ne sais rien de lui, sinon que c'est une créature de Gallina et d'Alfieri. La position ne tardera pas à se dessiner d'une manière positive. Je vous écris fort à la hâte, car je ne fais que d'arriver de Pignerol, où j'ai assisté au congrès agricole. J'ai passé cinq jours à Campion, avec Rora, qui est tout fier d'avoir été couronné trois fois, en récompense de ses travaux champêtres.

La maison D... jouit d'une très bonne réputation, ce ne sont pas des aigles, mais de fort honnètes gens. Je considère qu'on peut sans danger leur faire un crédit de cinquante à soixante mille francs.

La récolte de mais est décidement médiocre, les prix se soutiennent.

Mille amitiés.

Camille de Cavour.

XXXVI.

6 novembre 1844.

Mon cher Émile,

Je prends la liberté de vous recommander le porteur de ce billet, fils du portier de notre hôtel. Étant en garnison à Gênes, il s'y est marié; le temps de son service militaire expiré, il a servi comme domestique plusieurs étrangers. Maintenant il se trouve sur le pavé. Si vous pouviez l'aider à se placer chez quelques-unes des personnes qui viennent à Gênes pour y passer l'hiver, vous me rendriez un véritable service.

Je viens de faire un voyage agricole avec César Alfieri. Nous avons parcouru les provinces qui bordent le Pó, depuis Casal jusqu'à Pavie. Ce sont de beaux pays, admirablement bien cultivés. L'agriculture y a fait et continue à y faire des progrès énormes. La Lomelline est soignée comme un jardin. La culture des prairies et celle des mûriers y sont aussi avancées qu'en Lombardie.

Partout on nous demandait des nouvelles du chemin de fer. Nous étions fort embarrassés à répondre, car Alfieri n'en savait pas beaucoup plus que moi. Le Roi se décidera peut-être pendant son séjour à Gènes. Le parti qui pousse à l'exécution par l'État me parait gagner des forces. Il flatte l'amour propre du Roi. Le ministre actuel n'est pas de force à lui résister.

Je vous écrirai au long, un de ces jours, par la poste.

Tout à vous

Camille de Cavour.

XXXVII.

Turin, 12 novembre 1844.

Mon cher Émile,

Je vous remercie de la lettre que vous m'avez écrite le 9 et qui ne m'a été remise que hier matin.

Ce que vous me dites au sujet des actions du gaz, me paraît fort sensé; j'attendrai donc l'émission des titres pour vendre mon action et demi. Les coupons seront plus facilement négociables et il est probable, pour peu que l'affaire marche, qu'ils se vendront au dessus du pair.

La baisse des actions de la banque ne m'étonne pas, quoique je ne croie pas qu'elle soit fondée sur des raisons solides. Il me paraît évident que s'il y a eu des retards, il n'y a pas eu des dommages réels. Je crois que, vu la rareté des écus, causée par la manie de thésauriser qui s'est emparée du gouvernement, et les inconvénients que présentent les mauvaises monnaies d'or, qui surchargent les marchés intérieurs, les billets de la banque de Gènes seront recherchés en Piémont. Il suffira pour cela qu'elle ait à Turin un correspondant qui change ses billets moyennant une petite prime.

Un de mes amis avait pensé à faire une spéculation sur ces valeurs, il désirerait savoir ce qui lui en coûterait en frais d'achat, courtage et commission compris. Veuillez me donner à cet égard des renseignements positifs.

Le Roi étant à Gènes, vous en saurez plus que moi sur la question des chemins de fer. lei l'on commence à, murmurer contre l'inaction du gouvernement. Quoiqu'on puisse dire et faire, je ne pense pas que la question fasse un pas avant le printemps.

Je ne crois pas que les blés haussent. La récolte n'a pas été abondante chez nous, mais il parait qu'elle a été énorme dans le nord, surtout en Angleterre.

Les mais ont peu donné dans tous les pays où l'on n'arrose pas, aussi leur prix se soutient. La vente des mais de la Mer-Noire n'aura pas une grande influence sur nos marchés, car décidément nos consommateurs n'en veulent pas.

Les riz, quoique la récolte ait été bonne; se soutiennent. On m'a assuré que cette année l'Inde et l'Amérique ne peuvent envoyer en Europe que de faibles quantités de riz; cela nous assurerait de bons prix jusqu'à la récolte prochaine.

Je joins à ma lettre un petit billet de ma grand-mère qui s'adresse à vous pour satisfaire une fantaisie d'une de ses amies.

Je crains que vous n'ayez de la peine à trouver des chinoiseries à Gènes, car il ne m'a jamais para qu'on y eut beaucoup de goût pour des babioles de ce genre. Adieu, cher ami, croyez à mes sentiments dévoués.

Camille de Cavour.

XXXVIII.

Verceil,22 octobre 1845.

Mon cher ami,

J'ai écrit à votre maison relativement au transport du guano, en lui envoyant copie du traité que j'ai passé avec le charretier Cipriano. Je ne regrette pas le retard que nous fait subir le capitaine Cumming, pourvu toute-fois, qu'il ne soit pas cause de prix additionnels à Liverpool. Si vous écrivez à MM. Melwisch et De la Bue (1), veuillez leur toucher deux mots à ce sujet.

Le chemin de fer de Pignerol peut devenir une bonne ou mauvaise affaire, selon les conditions que le gouvernement imposera à la compagnie cessionnaire. Si celle-ci obtient de s'embrancher au-delà de Moncalier, sans être assujettie à un fort péage pour l'usage du tronc commun avec le chemin de Gènes, elle peut se tirer d'affaire. Mais si on l'oblige à un débarcadère spécial, ou si l'État la force à lui payer un péage élevé, l'affaire sera mauvaise.

Pignerol est un cul-de-sac, très-riche, très-peuplé, il est vrai, mais au-delà duquel il n'y a que des montagnes infranchissables. L'ouverture du Mont-Genèvre n'aurait pas une grande influence sur cette route, car entre Pignerol et les frontières françaises il y a, outre cette montagne,

(1) Négociants à Liverpool.

le col Sestrière à passer, ce qui rendra préférable, soit pour les moyens ordinaires de communication, soit pour ceux à vapeur, la vallée de la Doire qui, entfautres mérites, a celui d'avoir donné le jour à notre ministre de l'intérieur. Si le gouvernement favorise cette entreprise et si la route ne coûte pas trop, la compagnie Rora peut prétendre à un honnête bénéfice. Ne vous pressez pas de répondre aux ouvertures qu'on vous fera; lorsque j'aurai étudié cette affaire je vous la ferai connaître en détail.

Les projets pour Parme me paraissent absurdes; je sais qu'il est arrivé à Turin des aventuriers anglais de la pire espèce, pour traiter un de ces chemins. Ne les laissez pas approcher de vous.

Le projet de percer les Alpes pour unir la Suisse allemande avec les lacs de la Haute Italie est sérieux. Des ingénieurs piémontais et grisons ont fait des investigations pour trouver un passage facile à travers la grande chalne. Ils assurent que la route est faisable, mais pour sùr elle ne saurait être profitable.

En fait de chemins de fer il y a une règie générale, c'est qu'il n'y a de bonnes lignes que celles qui sont alimentées par le mouvement national. Les lignes qui vont à la frontière ne valent rien. Voyez en effet le chemin de Strasbourg à Bàie. Le chemin du Nord forme une exception, mais sans compter qu'on ne saurait trouver des foyers de population comparables à Londres, Paris et la Belgique, il faut ajouter que ce chemin traverse les provinces les plus riches et les plus peuplées de la France.

Le Piémont sera probablement envahi par les spéculateurs en chemins de fer. Quant à moi, je ne connais qu'une seule ligne qui fut véritablement excellente. Ce serait celle qui de Turin irait s'embrancher près de Verceil sur le chemin de Gènes à Arona. Je saurai si le gouvernement y songe ou s'il est disposé à la concéder. Dans ce cas, je vous en préviendrai. Pour vous donner une idée du mouvement qu'il y a sur cette ligne, il me suffira de vous dire qu'aujourd'hui la ville de Chivas est-traversée chaque jour par 26 diligences, sans compter un nombre infini de voitures de particuliers et de louage. Cette ligne vaut celle d'Alexandrie, j'en ai l'intime conviction.

La récolte du riz traîne en longueur, les grains mûrissent mal, même chez nous qui avons des terres et des eaux de première qualité. La pluie nous contrarie excessivement; somme toute, je crois que la récolte ne réalisera pas les espérances que l'on avait conçues.

Les mais sont assez beaux.

Adieu, mille amitiés.

Camille de Cavour.

XXXIX.

Leri, 14 janvier 1846.

Mon cher ami,

Je m'empresse de répondre d'une manière catégorique aux diverses questions que contient votre lettre du 10 courant.

1°) J'ignore ce que Rora a offert au gouvernement; ce que je sais fort bien, c'est qu'il n'a jamais eu l'intention de garder les ¾ de sa part du chemin de Pignerol. Le gouvernement défend la vente des promesses d'actions, mais il n'a jamais songé à entraver la négociation des actions, une fois que la société anonyme sera fondée.

Les fondateurs sont dans le cas de verser 2/10 facilement; il y en a deux qui sont fort légers: MM. B.... et D...., mais on les dit appuyés par des maisons solides. Dans l'état actuel des choses, ils n'auraient pas de peine à céder leur part d’intérêt, car le chemin de Savigliano a été accueilli du public avec une grande faveur.

Nigra est tout capot de n'avoir demandé au début qu'un vingt-cinquième, et plusieurs bonnes maisons de Turin cherchent à se procurer une demi action de fondation.

Cette première réponse répond à vos 3me et 4me questions.

2°) J'ignore si les actions de Savigliano pourront être cotées à Paris et à Vienne. J'ai l'idée que l'affaire restera dans le pays, ne dépassant pas ses moyens.

3°) L'affaire du St-Gothard est un job dans toute la force du terme. Il n'y a pas un fondateur, Nigra tout le premier, qui pense à mettre un sou dans cette affaire qui n'a pas le sens commun.

4°) J'ai écrit à Odier, mais je lui ai à-peine parlé de Savigliano, car je n'aurais pas pu lui offrir un intérêt qui méritât d'attirer son attention sur cette affaire. Mon but a été de lui parler de la ligne de Turin à Novare, que je persiste à considérer comme une affaire capitale, sous tous les rapports.

5°) Nous avons, mon frère et moi, 2/25 chacun. Mon frère est très-animé, possédant de grandes propriétés à Savigliano même et dans les environs, il veut garder son intérêt. Quant à moi, je n'ai voulu prendre d'engagement avec personne, si ce n'est avec Mr de St-Marsan (1), qui est mon intime ami et qui certainement ne voudra pas s'engager pour plus de 20,000 francs. J'ai donc 2/25. Si vous voulez la moitié de l'affaire, je vous l'offre volontiers. Nous entendrions facilement les conditions de notre compte à demi.

Je vous laisse libre de traiter, soit pour vous seuls, soit d'accord avec MM. Ricci; seulement, soit dans un cas, soit dans l'autre, je ne pourrais pas vous céder au-delà de 1/25.

(1) Capitaine d'artillerie, fils du comte de St-Marsan, exilé et condamné a mort pou sa participation aux événements de 1821. En 1854 le comte de Cavour étant ministre, l'envoya comme commissaire sarde au quartier général français en Crimée, où il fut atteint du choléra et en mourut en peu d'heures.

L'affaire, je vous le répète, est destinée à rester dans le pays qui possède les capitaux qu'elle exige. Par amour propre ou par intérêt, tous les principaux marchands de soie voudront avoir une part dans cette affaire; cela assure un concours à peu près suffisant.

Je ne crois pas que le chemin de fer de Pignerol lui fasse concurrence, car la compagnie qui veut le soumissionner renferme peu d'hommes sérieux. Quant au chemin des deux lacs, c'est une véritable plaisanterie. Magnone et Prandi ont cru organiser une attaque pour prendre les capitalistes anglais. Je ne sais s'ils y parviendront, mais à Turin ils n'ont rien à espérer. On ne peut songer aux rails qu'après avoir obtenu la concession définitive. Alors nous verrons de nous servir de l'intermédiaire de MM. Melwisch et De la Rue.

Le Roi s'est montré on ne peut plus favorable au projet. H en a parlé à plusieurs reprises à mon père. Nous avons eu soin de placer à la tète de la Société quelqu'un qui lui est particulièrement agréable, le marquis de Pampara (1), choix, au reste, excellent car le dit marquis est un homme de beaucoup de bon sens, qui a cent mille livres de rente en terres, et qui a marié son fils unique à M. lle de Praslin, petite-fille de Sébastien. Nous n'avons encore rien décidé quant à l'ingénieur. Le comité compte s'adresser à Mr Maus (2)

(1)Intendant de la liste civile du Roi. — «Votre onde n'aurait «pas trop mal figuré autour de la table (de jeu) de Sartirana, entre l’honnête Pampara et vous». (Lettre du Comte de Cavour à monsieur William De la Rive,20 janvier 1847).

(2)Mr Henry Maus, célèbre ingénieur belge, qui fut ensuite directeur supérieur des chemins de fer du Piémont et inspecteur honoraire du génie civil, s'était acquis une réputation presque européenne par la construction d'un appareil fort ingénieux de locomotion sur le pian incliné de Liège. Chargé par le gouvernement sarde d'étudier la question du percement des Alpes, après 4 ans d'études avec l'ingénieur Rombaux et le savant naturaliste Sismonda, il présenta en 1845 son célèbre projet sur ce sujet. (Hudry-Menos, Il Traforo delle Alpi. — Revue des Deux Mondes,15 février 1865).

pour avoir sa coopération, ou du moins ses conseils, relativement à l'ingénieur.

Si ces réponses vous laissent encore quelques doutes, je m'empresserai de les éclaircir dès que vous me les aurez fait connaître. Croyez à ma sincère amitié.

Camille de Cavour.

XL.

Turin, 13 avril 1846.

Mon cher Émile,

M. D.... m'avait proposé l'affaire dont vous m'entretenez dans votre lettre du 9 courant. Je ne puis découvrir quel est le propriétaire des actions en question. Je ne pense pas que ce soit le comte R... Reste le marquis de P... Si c'était lui, on pourrait traiter avec toute sûreté, car il a une fortune territoriale magnifique.

Je ne crois l'affaire bonne que pour un capitaliste qui aurait des fonds à placer. Ce ne peut être une spéculation convenable, car on engagerait une somme considérable pour un temps indéterminé. Je ne crois pas que ce soit une affaire qu'on puisse proposer à Genève. Vous savez que les Genevois n'aiment guère à immobiliser leurs capitaux. Je n'ai reçu de Genève des demandes que de votre famille. Votre frère et votre père voulaient un intérêt de 60,000 francs, je leur en ai fait céder un de 20,000 par mon frère. A. De la R.... m'a demandé un intérêt, je le lui ai promis, mais sans en déterminer l'importance. D'ailleurs, je n'ai parlé de cette affaire à personne, pas même à M. L. 0. et MM. T... et P... avec lesquels nous sommes en correspondance suivie. Comme il n'y a encore rien de définitif, que la concession est incertaine, il m'a para peu convenable de les faire entrer dans une société préparatoire, où il n'est encore question que des fonds pour des études.

En résumé, si vous connaissez quelqu'un qui désire placer d'une manière sure de 120 à 150 mille francs et qui en même temps soit bien-aise de spéculer sur un chemin de fer piémontais, vous pouvez leur proposer l'affaire de M. D..., mais elle n’ira pas à des capitalistes spéculateurs, et colportée à Genève, elle pourrait faire du tort au crédit définitif de nos actions.

Les études avancent promptement. M. Maus, après avoir parcouru le tracé provisoire, a ordonné quelques nouvelles études complémentaires.

Ce matin nous avons reçu l'avis de verser un second dixième de nos actions; en conséquence je débiterai le compte de votre maison de deux cent francs valeur 14 courant.

Mandez-moi au juste l'époque à laquelle le navire en charge pour Liverpool mettra à la voile. Yu la baisse des riz, il serait possible que j'envoyasse quelques sacs de plus à MM. Melwisch et De la Rue.

Je pense qu'il faut faire des balles de 100 kilos. Dans le cas où je me déciderais à faire un envoi à Liverpool de 200 à 800 sacs vercellais, voudriez-vous faire l'affaire en compte à demi, ou bien me fournir les fonds moyennant l’intérêt à 5 % et une commission de 1 %?

Recevez l'assurance de mes sentiments dévoués.

Camille de Cavour.


vai su


XLI.

Turin, 10 juillet 1846.

Mon cher Émile,

D... me répond que pour ce qui le regarde particulièrement il ne peut pas augmenter la part qu'il a prise dans le chemin de fer de Savigliano, ayant déjà donné une autre direction à ses capitaux. Si cette réponse de D.... ne change pas vos projets, je vous offre de prendre pour mon compte ce que votre cousin aurait pris. D'après cela, dans la demi-action que je me suis fait céder, vous et vos parents prendriez ce que vous voudriez, votre maison arriverait ensuite et ce qui resterait serait pour moi. Je n'ai aucun scrupule à vous recommander cette affaire, car, en vérité, je la crois une des meilleures qu'il soit possible de faire en Piémont.

Si pendant votre séjour à Envie (1) vous vous ètes informé du mouvement qu'il y a entre Salùces et Turin, vous aurez la même opinion que moi. D'ailleurs le sentiment public est favorable à cette ligne. La seule difficulté c'est de la bien présenter au public. Je vous assure que, si j'avais assez de capitaux disponibles, je n'hésiterais pas à prendre 2 actions pour moi tout seul.

Pendant votre séjour à Genève, sondez le terrain pour savoir si l'on pourrait s'organiser pour soumissionner l'emprunt.

La récolte du blé est décidément médiocre, aussi les blés vieux et nouveaux se vendent très-bien. Vraiment on ne conçoit pas comment l'ancien droit a été rétabli.

Mille amitiés à votre père.

Tout à vous

Camille de Cavour.

(1) Près de Saluces, chez le comte Guasco.

XLII.

Turin, 14 octobre 1846.

Mon cher Émile,

Je réponds deux mots, à la hâté, à la lettre que vous m'avez écrite le 9 courant et à celle de votre maison. Celle-ci ne parie pas des 8000 francs en billets de banque que contenait la lettre que M. N. a dû vous remettre.

Je suppose que ce n'est qu'un oubli et que le dit M. ne se les est pas appropriés.

J'écrirai aujourd'hui ou demain au plus tard, à MM. D... et C., en leur envoyant les plans et profils des rails et coussinets de la fourniture à faire pour le chemin de Turin à Asti, et je leur transmettrai des renseignements précis sur cette affaire. Je connais particulièrement toutes les personnes dont elle dépend.

À l'heure qu'il est, vous connaîtrez déjà les affreux événements de Genève (1). La lutte, le combat, la chute du  gouvernement et le triomphe des radicaux.

(1) Le 7 octobre la révolution avait éclaté à Genève. La question de l'expulsion des Jésuites de la Suisse, en fut une des premières causes, le Conseil d'État ayant refusé de déclarer leur existence incompatible avec la liberté, l'ordre et la sécurité que les Cantons s'étaient assurés entre eux par l'art. ler du pacte fédéral. — La Diète fédérale réunie à Zurich n'avait pas réussi à trancher la question, et l'alliance des 7 Cantons catholiques (sous le nom de Sonderbund) et la guerre civile, en furent la conséquence. Le grand Conseil de Genève refusant de se prononcer contre les Cantons catholiques, une protestation d'environ 3000 citoyens réunis aux abords du temple de St-Gervais, déclara violé le pacte fédéral. — Le Conseil d'État appela sous les armes quelques bataillons de milices et décerna un mandat d'amener contre James Fazy, qui était à la tète du mouvement, et alors les habitants de St-Gervais s'armèrent élevèrent des barricades et le combat commença. Peu d'heures après un armistice fut signé et le 8 octobre le Conseil d'État donnait sa dimission et le Conseil municipal était provisoirement chargé de prendre ses attributions.

J'en suis atterré car j'étais loin de m'attendre à une si prompte et aussi horrible catastrophe.

Mes deux cousins Revilliod et Maurice sont blessés; heureusement leurs blessures ne sont pas dangereuses. Mes cousins De la Rive sont à Bonneville. Quels malheurs ! Je pense que D.... suspendra son départ. Ce serait plutôt le cas d'engager Hippolyte à venir vous trouver, Genève ne sera plus tenable. Si je sais quelque chose avant le départ du courrier je vous l'écrirai.

L'affaire de Savigliano marche bien. Le rapport officiel des ingénieurs nous est tout-à-fait favorable. Il donne de grands éloges au projet. Il se peut que la concession définitive nous soit accordée plus vite que l'on ne le pense.

J'avais placé une action à Genève, je ne sais maintenant si ces MM. seront encore d'humeur à se mêler d'affaires. En tout cas je compte sur vous pour les première fonds. Si l'opinion ne se modifie pas une foi§ la concession obtenue, les actions se placeront avec une forte prime.

J'ai un rendez-vous à neuf heures, je vous quitte en vous promettant de vous écrire demain.

Tout à vous

Camille de Cavour.

— À la tète de ce mouvement populaire se trouvait James Fazy (1794-1878), qui, pendant plusieurs années, fut presque le dictateur de Genève et y joua un rôle important par les réformes radicales qu'il introduisit dans l'administration et le gouvernement de cette république. Le comte de Cavour, quoiqu'il ne partageât pas les idées de Fazy, fut en relation avec lui et le trouvait assai ragionevole. Il dina chez lui en octobre 1852. J'ai dîné hier chez le radical Fazy, qui a une cuisinière distinguée et d'excellents vins. Ses idées sont, pour le moment, assez raisonnables. Il cherche à faire de la conciliation, mais les conservateurs, par antipathie personnelle, au lieu d'accepter ses propositions penchent pour les radicaux extrêmes. Les partis sont également stupides dans tous les pays». (Lettre du Comte de Cavour au député E. Martinit 10 octobre 1852).

XLIII.

Turin, 15 octobre 1846.

Mon cher Émile,

J'ai prévenu yos intentions en envoyant le Cahier des charges à MM. Ch. Det C. Vous avez raison, de vous assurer de la solidité de cette maison, car il s'agit d'une affaire de 3,000,000. Si MM. André (1) y prennent un intérêt, on peut y aller les yeux fermés. Au reste, vous êtes placé de manière à avoir sur leur compte les renseignements les plus précis.

L'affaire de Savigliano chemine aussi vite que nos usages administratifs le comportent. Le ministre a assuré hier M. de Pampara que la concession nous serait accordée dans le courant de novembre.

Lorsque je vous parlais de l'action que j'ai placée à Genève, lors de la petite panique qui a eu lieu cet été, parmi nos actionnaires, j'étais sous l'influence des coups de canon, et j'envisageais la possibilité d'une émigration générale. La tranquillité matérielle étant rétablie, il n'y a pas de doute que MM. Turrettini, Pictet et C., et MM. Lombard Odier (2) ne remplissent les engagements qu'ils ont contractés à mon égard. Cela d'autant plus, que, dans ce moment, mes actions sont très-recherchées. Depuis huit jours j'en ai refusé à un grand nombre de mes amis qui avaient fait la sourde-oreille, lorsque j'avais une action tout entière à placer.

Dès que les deux premiers dixièmes seront payés, les actions se négocieront à la Bourse, seulement les premiers titulaires resteront responsables du payement du troisième dixième.

(1) Banquiers à Paris.

(2) Banquiers à Genève.

On doit élire aujourd'hui le comité dirigeant. Selon toutes les probabilités, les choix seront ainsi faits:


Comte Rignon
M. Mancardi Comité directeur
Camille de Cavour
Golzio, Directeur des travaux;
Bolmida, Directeur des bureaux.

Rignon (1) a beaucoup de capacité, d'ordre et de bonne volonté. Ayant hérité de ses deux oncles, les riches Rignon, il se trouve à la tète d'une très-grande fortune.

Mancardi (2) est un négociant habile, de fortune moyenne. Il représente le commerce des soies et surtout les fileurs de Raconis.

Golzio (3), fils d'un entrepreneur de bàtiments, connait parfaitement la partie des travaux. Riche par lui-même, et plus encore par les héritages qu'il attend, il désire s'illustrer au moyen du chemin de Savigliano. C'est lui qui a dirigé la connection des projets préparatoires qui ont reçu une pleine approbation des ingénieurs du gouvernement.

Bolmida (4) est un homme de beaucoup d'esprit et de moyens. Sa fortune a été un moment gravement compromise par les folies que son frère a faites dans les moresche. Bertini (5) les a tirés d'affaire. Maintenant il va bien, son moulin de la Pérouse jouit d'une grande réputation. Depuis deux ans il a gagné assez d'argent. D'ailleurs il est très populaire parmi les maisons secondaires.

(1) Felice Rignon, banquier et filateur de soie à Turin.

(2) Banquier à Turin.

(3) Grand entrepreneur de travaux publics.

(4) Banquier à Turin.

(5) Banquier à Turin.

Je suis sans nouvelles particulières de Genève. Ce matin le Fédéral raconte en détail les événements de la semaine dernière. Fazy (1) est entré dans la salle du Grand Conseil comme Napoléon à St-Cloud. Le conseiller Chaumontel a protesté au nom des communes réunies. Il y a un germe de dissolution qui pourrait bien amener des nouvelles complications. Je m'en vais envoyer chez Feder et chez Moutura (2) pour voir si monsieur et madame P... sont arrivés. Vraiment ils auraient grand tort de retourner à Genève dans ce moment.

XLIV.

16 octobre 1846.

Mon cher ami,

Voici le résumé des nouvelles que le Gouvernement a reçues hier au soir:

(1) Le 9 octobre l'assemblée des citoyens (radicaux) réunie à la place du Molard, premonta la dissolution du Grand Conseil et du Conseil d'État et proclama un Gouvernement provisoire de 10 membres, à la tète duquel était Fazy. Celui-ci, suivi de la foule, se rendit à l’Hôtel de Ville, où le Grand Conseil était réuni, entra dans la salle et d'une voix vibrante s'écria: «Au nom du Conseil Général, je vous déclare dissous». — Le président, M. Rigaud-Constant, ayant répondu en se couvrant: «Nous ne recevons ici d'ordres de personne», Fazy s'écria une deuxième fois: «Au nom du Conseil Général je vous déclare dissous». — À ce moment, le colonel Dufour se leva et s'adressant à Fazy, s'écria: «Nous ne sortirons d'ici que par la force des baïonnettes». — «Qu'à cela ne tienne» répondit Fazy, et joignant l'action à la parole, il ouvrit la porte: Entrez, messieurs», s'écria-t-il, et en un instant la salle du Grand Conseil fut envahie par la foule irritée et les députés obligés à se retirer. (James Fazy. Sa vie et son œuvre par Henry Fazy, pages 215 et 216).

(2) Les deux premiers hôtels de Turin.

Ochsenbein (1), Druey (2) et Frei (3) d'Argovie, sont accourus à Genève, où ils ont eu de longues conférences avec le Gouvernement révolutionnaire et avec James Fazy en particulier.

(1) Ulrich Ochsenbein de Nidau (canton de Berne), rédacteur du journal radical La Jeune Suisse», chef des corps-francs qui, le 29 mars 1845, attaquèrent le canton de Lucerne qui avait rappelé les Jésuites. À la suite de la révolution de 1846, qui renversa le gouvernement aristocratique de Berne et donna au Canton une nouvelle constitution, il fut nommé Président du nouveau Gouvernement en octobre 1846. Berne étant devenue Canton directeur (Vorort Fédéral) en 1847, Ochsenbein y présida la Diète qui s'ouvrit le 5 juillet. Lorsqu'éclata la guerre du Sonderbund, il commanda, sous le général Dufour, un corps de troupes bernoises, qui fut engagé plusieurs fois. — Après la nouvelle consti tu tion fédérale de 1848, Ochsenbein fit partie pendant plusieurs années du Conseil Fédéral. — Lors de la guerre de Crimée, il fut nommé par le Gouvernement français, général de brigade, commandant d'une légion étrangère, qui fut licenciée avant d'avoir pu être employée sur 1q champ de bataille. — Ochsenbein vit encore retiré à Nidau.

(2) Henry Druey, avocat et homme d'État du canton de Yaud, conseiller d'État et député à la Diète fédérale, fondateur de l'Association démocratiqne, président du Gouvernement provisoire du canton de Vaud en 1845, y était tout-puissant et contribua grandement à la nouvelle constitution radicale de ce Canton. En 1846, lors de la révolution de Genève, il était président du Conseil d'État vaudois et à la première nouvelle du conflit, il fut délégué auprès du Gouvernement genevois pour lui offrir ses bons offices afin de faire cesser l'effusion du sang. En arrivant à Nyon dans la soirée du 8 octobre, Druey apprit que la lutte était terminée et renonga à pousser jusqu'à Genève, se bornant à écrire à J. Fazy pour le féliciter de l'heureuse issue des événements et lui conseiller d'agir avec toute la promptitude et la fermeté possibles. — Après la révision du Pacte fédéral en 1848, Druey fit partie pendant plusieurs années, du Conseil fédéral. — Il mourut le 29 mars 1855.

(3) Frédéric Frei-Hérosée né en 1800 à Aarau, mort en 1873, participa activement aux affaires politiques de son pays dès 1831, se vouant surtout à l'ètudedes questions scolaires. Membre du Conseil de l'Instruction publique du canton d'Argovie, en 1835, député au Grand Conseil, conseiller d'État en 1838, colonel fédéral en 1839, il fit, comme tel, exécuter par la force la décision du Grand Conseil d'Argovie sur la suppression des couvents en 1841. — Député à la Diète fédérale en 1845,1846 et 1847, il fut chef de l'état-major fédéral pendant la guerre du Sonderbund, sous les ordres du général Dufour, et deux fois président de la Confédération suisse, en 1854 et en 1860.

Rien de positif n'a transpiré, mais on dit que l'attaque de Fribourg et du Valais a été résolue. En effet, on remarque une grande agitation dans le canton de Vaud, et tout présage une collision prochaine.

D'un autre côté, il parait que les habitants de la campagne trouvent le nouveau Gouvernement de Genève fort peu de leur goût. Il avait été question de convoquer une assemblée populaire à Chènes, pour protester contre les derniers événements. L'assemblée populaire n'a pas eu lieu, mais jusqu'ici les communes rurales refusent de reconnaître l'autorité de James Fazy et consorts. Ceux-ci, pour se maintenir, seront obligés, assure-t-on, d'invoquer l'appui des milices vaudoises.

Il me parait probable que le Gouvernement pense à envoyer des troupes en Savoie, pour être en mesure d'agir dans toutes les éventualités.

Je ne pense pas que votre présence à Turin soit utile, jusqu'au moment où vous serez fixé d'une manière positive sur le parti.

J'allais fermer ma lettre, lorsqu'un ennuyeux est venu s'établir chez moi et m'a empêché de l'envoyer à la poste. Comme elle ne peut plus partir que demain, j'attends pour la mettre à la poste, le prochain courrier qui nous apportera peut-être quelque chose de nouveau.

samedi.

J'ai une lettre de mes cousins De la Rive. Ils sont revenus à Pressinge. Ils considèrent la partie comme perdue sans ressources, du moins pour longtemps. D'après ce qu'ils me mandent, ils ne croyent pas une réaction possible ou peut-être désirable pour le moment.

Il fait un temps épouvantable depuis deux jours, on craint de nouvelles inondations.

Recevez l'assurance de ma sincère amitié.

Camille de Cavour.

XLV.

Turin, 24 octobre 1846.

Mon cher ami,

Votre lettre du 17 ne m'est parvenue que hier au soir fort tard, grâce au mauvais état des routes. Je m'empresse d'y répondre ce matin.

D'abord, pour ce qui regarde l’intérêt des banquiers de Genève, je vous dirai que peu de jours avant les derniers événements, j'ai reçu un lettre de MM. P.... F.... et C. qui, tant en leur nom qu'à celui de MM. L.... 0..., m’annonçait prendre d'une manière définitive 250,000 fr. dans le chemin de Savigliano. Si ces messieurs avaient du quitter Genève, certes je ne les aurais pas persécutés pour les forcer à exécuter leur contrat, mais comme il n'y a pas de changements dans leur position, il me paraîtrait peu convenable d'avoir l'air de douter de leurs intentions.

Quant à faire une spéculation sur le mais, je ne saurais vous le conseiller, par les motifs suivants. Le mais exige des vastes magasins, on ne peut en faire des tas élevés. De plus il faut le remuer souvent afin qu'il ne contracte pas de mauvaises odeurs. L'automne ayant été pluvieux on trouverait avec difficulté du mais parfaitement sec. Celui qui contient encore de l'humidité perd facilement de sa qualité, en restant en magasin, à moins de lui donner des soins continus.

Je ne vois qu'une manière d’opérer, c'est de s'associer un négociant de Chivas, pays où l'on trouve de grands magasins à louer à bon marché, et qui est très-bien placé pour la vente des mais.

Je m'en vais faire appeler un négociant que je connais beaucoup et sur l’honnêteté duquel on peut compter. Je vous ferai connaître le résultat de notre conférence. Je crois que le riz offre plus de chances et moins de risques à la spéculation, que le mais. Le mauvais état des chemins et le renchérissement du prix de la voiture ont occasioné une baisse momentanée dans le prix du riz, qui se maintiendra, je pense, jusqu'à la moitié du mois prochain. Si vous voulez, nous pourrions acheter 1000 sacs de C..., en compte à demi, à 35 ou 36 fr. le sac. Nous n'aurions aucun frais de magasin à supporter, car les vendeurs prennent facilement l'obligation de garder en magasin pendant plusieurs mois.

Si vous acceptez cette proposition envoyez-moi 20,000 fr., je puis disposer en ce moment de 16 à 18,000 francs. Nous ferions l'affaire à compte à demi, vous seriez censé faire tous les fonds, par conséquent vous porteriez au crédit de mon compte ce que j'ajouterai.

Je ne percevrai aucune commission, ni pour la vente, ni pour l'achat, par contre, vous vous borneriez pour cette affaire au 4 p. %.

Le négociant de Chivasso, Pichiura, offre de mettre à ma disposition, sans frais, ses magasins, de se charger de surveiller nos mais et de les vendre, soit au détail, soit en gros, moyennant le tiers du bénéfice. L'offre me parait acceptable, nous achèterions pour 10,000 fr. de mais d'abord, ses magasins n'en tiennent pas davantage, cela fait, nous verrions s'il convient d'en louer.

L'avis de Pichiura est qu'il y aura 1 franc par émine à gagner. Pour la vente des mais, Chivasso vaut mieux que Turin, surtout cette année, où l'on n'a fait que de très médiocres récoltes dans la vallée d'Aoste. Répondez-moi si vous le pouvez, courrier par courrier. Recevez mes salutations empressées.

Camille de Cavour.

XLVI.

Turin, 24 octobre 1846.

Mon cher ami,

J'ai écrit une longue lettre d'affaires à votre maison. Il ne me reste plus le temps que de vous dire deux mots. Les mouvements des troupes françaises vers la frontière suisse ont produit beaucoup d'effet à Genève. James Fazy doit avoir, à cette occasion, adressé un ordre-du-jour aux milices. Cela serait passablement comique. On craignait un mouvement radical dans Bàie.

Les renseignements que Mr 0.... vous donne sur Mr D.... sont tout-à-fait rassurants; je suis tout disposé à traiter cette affaire de compte à demi avec vous. Je n'ai pas écrit à ces messieurs, car je pense recevoir une réponse d'eux lundi; en conséquence, il m'a paru plus convenable de ne pas se montrer trop pressé.

Le temps est toujours pluvieux. Cela est bien fâcheux pour ceux qui, comme tous les Vercellais, n'ont pas encore semé.

Recevez mes amitiés empressées.

Camille de Cavour.

XLVII.

26 octobre 1846.

Mon cher ami,

Je vous écris deux mots, à la hâte, pour vous annoncer que la pluie continue sans interruption. Le mal cause par les inondations est immense. On compte que le Gouvernement et les Communes auront à subir une perte de plus de 10,000,000. Les pertes des particuliers sont incalculables. Malgré nos lamentations, on assure que le Piémont peut se regarder comme favorisé, relativement au Milanais. Les environs de Pavie ont été abîmés. Des villages entiers sont détruits, enfin c'est une désolation.

Beaucoup de mais qui n'était pas retiré est perdu, ou du moins, fortement endommagé. De ce côté là, j'ai assez à souffrir. Le riz continue à hausser. Je vous manderai ce que Falco (1) aura fait mardi à Verceil. Si les communications se rétablissent, Pichiura commencera aujourd'hui ses achats.

Je vais voir Mr Abbene (2) le chimiste, pour le consulter sur les nouveaux échantillons de guano. Leur odeur est très-satisfaisante, ils empestent l'appartement.

J'ai appris qu'une Compagnie anglaise, propriétaire de grandes forges, se disposait à soumissionner la fourniture des rails.

Je n'ai rien reçu des D....

Mr Abbene juge le guano des nouveaux échantillons fort bon, malgré le mélange de terre et d'humidité. Si Mr B.... voulait garantir la qualité sur ces échantillons, on pourrait aller jusqu'à 18 et 18,50 sans crainte.

(1) Agent du Comte de Cavour.

(2) Angelo Abbene, professeur de chimie à Turin.

En dernière analyse, on pourrait acheter sans garantie, à condition toutefois d'être libre de refnser toute partie dans laquelle l'humidité dépasserait le 25 p. %, ou la terre le 10 p. %.

Le guano, je vous le répète, est d'excellente qualité. Il contient beaucoup d'acide urique, qui est le plus précieux de tous les ingrédients. Ainsi, si on peut être assuré contre l'excès de terre ou l'humidité, on ne court aucun risque de l'acheter.

Croyez à ma sincère amitié.

Camille de Cavour.

XLVIII.

9 novembre 1846.

Mon cher Émile,

Je n'ai pas grandes nouvelles à vous donner aujourd'hui. Pichiura a continué ses achats, mais pas en aussi grande abondance qu'il croyait. Les marchés sont assez bien fournis en mais, mais on trouve à Chivasso difficilement de la marchandise en parfait bon état. Hier il a acheté à peu près 200 sacs de 8,8 à 8,11; en tout il a déjà 800 sacs. Le temps s'étant remis, il n'y a pas de chance que les prix haussent d'ici à quelque temps.

Je n'ai rien de positif de Saluces. J'ai déjà placé 200 q. m. de guano; mais je n'en ai pas fixé le prix, attendant pour cela de savoir si nous serons obligés d'écouler une forte portion du noir humide.

J'ai acheté 80 Obligations qui étaient déposées aux finances, il me suffit, en conséquence, d'avoir 27,000 francs pour les retirer.

La Chambre de Commerce de Gènes a bien voulu m'accorder une médaille de vermeil, pour les mérinos que j'ai exposés au mois de septembre.

Pourriez-vous me faire l'amitié de la retirer, et de me l'envoyer par la première occasion?

Je suis très pressé, aussi je vous quitte en vous renouvelant l'assurance de ma sincère amitié.

Camille de Cavour.

XLIX.

11 novembre 1846.

Mon cher ami,

Nos achats de mais ne vont pas aussi vite que je le voudrais. Nous en ayons cependant déjà plus de 1200 sacs, qui nous reviennent à peu près à 3,9 la minette. J'espère que dans la semaine nous compléterons les 2000 sacs. J'ai également acheté 200 sacs de riz, à 36 francs, profitant d'un moment de baisse a Verceil.

Aux prix ci-dessus, nous pouvons gagner peu ou beaucoup, mais il n'y a aucune chance de perte. Les pommes de terre ont manqué dans toutes nos vallées. J'ai eu à cet égard des renseignements positifs. La récolte des châtaignes a été, il est vrai, fort abondante, mais la qualité en est mauvaise et n'est pas susceptible de se garder.

On a fait dans cet article de forts achats pour le compte de maisons de Marseille. À Mondoyì, un seul agent a acheté près de 4000 sacs.

Le blé augmente chaque jour, en France; les dernières mercuriales de Paris indiquaient le prix de 30 et 31 frs. l'hectolitre. C'est énorme, il y a une différence de 5 à 6 frs. avec le prix d'ici.

Hier Mr H. M..., chef de la maison A. M. de Moscou, s'est présenté chez moi avec une lettre de Mr L....... de la maison L. et V. Il vient pour soumissionner la fourniture des rails et coussinets du chemin d'Asti, au nom et pour le compte de la maison H. C. et fils de Liverpool. Il avait des lettres de crédit pour MM. Mestrezat.

Connaissez-vous la maison M. et la maison C.? S'il me proposait de le cautionner, qu'en penseriez-vous? Veuillez me répondre sur le champ.80 francs les 100 kilogrammes, pour le guano humide,. c'est un prix énorme. Tant mieux si vous pouvez le réaliser, mais jamais je ne pourrai le demander à mes amis. J'apprends à l'instant l'achat de 100 sacs à Saluces à 3,40. Mille amitiés.

Camille de Cavour.

L.

Turin, 14 novembre 1846.

Mon cher Émile,

Étant un peu souffrant, je me borne à vous écrire deux mots pour vous informer du résultat de l'adjudication.

Il n'y avait de concurrents sérieux que Mr S... et Mr M... La soumission du premier n'étant pas conforme au Cahier des charges, n'a pu être admise. Celle du second était régulière, mais il n'avait pas les modèles prescrits par le dit Cahier. En conséquence, l'Intendant général a annoncé que l'enchère était renvoyée à un jour, qui serait fixé incessamment.

Mr S... est un charlatan, il s'est fort mal conduit envers vous puisqu'il a traité avec MM. N... sans vous avoir consulté. Ses prix, d'ailleurs, étaient excessifs,11 L.15 sh. à Grènes.

Mr M... est fort gentil. Si vos informations sur la maison C. sont d'accord avec les miennes, vous serez bien aise d'avoir à traiter avec lui.

Il n'est pas besoin d'être quatre ou cinq fois millionnaire, pour traiter cette affaire. La Maison anglaise a un traité avec le maître de forges, de sorte qu'elle ne risque que le fret et le transport de Gènes à Turin. Mille amitiés.

Camille de Cavour.

LI.

Turin, 18 novembre 1846.

Mon cher Émile,

Je vous écris deux mots avant de monter en voiture pour Léri. Hier j'ai eu une longue conférence avec Mr H. M., dans laquelle je l'ai vivement engagé à se rendre à Gènes pour conférer avec vous; l'enchère étant remise à la fin de décembre, il a tout le temps de faire cette course, et même d'aller à Milan, où sa Maison de Moscou a de nombreuses relations.

J'ai dit à Mr M. que j'avais signé pour vous, et qu'ainsi, ses cautions étaient vous et MM. Duprè père et fils. Je pense qu'à l'heure qu'il est, vous savez à quoi vous en tenir sur la Maison C. Le chef de la Maison de Londres est consul de Belgique, et le chef de celle de Liverpool consul de Prusse. Cela vous prouve que, de toute^ les manières, elle est extrêmement bien placée. Si, comme le pense Mr M. et comme je le considère comme probable, cette première affaire peut devenir un acheminement à des affaires beaucoup plus importantes, puisqu'il y a pour 20,000,000 de rails, au moins, à fournir en trois ans, vous verrez si vous pouvez le seconder dans ses opérations banquières.

Mr M. avait d'abord demandé à Mr Duprè d'être autorisé, une fois les connaissements des navires chargés de rails expédiés à leur adresse, de tirer sur leurs correspondants de Paris. MM. D. n'y ont pas consenti et ils ne le pouvaient pas, car ils n'ont pas un crédit assez étendu pour cela. Mais il me parait que vous pouvez le faire, moyennant certaines précautions, sans courir le moindre danger.

Dans les nouvelles enchères, la livraison des rails devra avoir lieu à Gènes. Cela simplifiera beaucoup les opérations et permettra à Mr M. de faire un rabais très considérable.

Rien de nouveau, en fait de céréales. Nos achats s'élèvent à près de 1500 sacs de mais, de 5 minettes, et 700 sacs de riz. Mon ami de Saluces est parvenu à en acheter enfin 200 sacs à très-bon prix. À Chivas, les prix tendent à s'élever; je ne sais pas si nous pourrons continuer, je verrai cela aujourd'hui à mon passage.

Quant au guano, ne vous en inquiétez pas. Le pire qui puisse nous arriver c'est d'être obligés d'attendre dix mois pour le réaliser avec un honnête bénéfice, car je vois que le prix de cet engrais tend à hausser en Angleterre.

Mon cousin E. De la Rive devait partir aujourd'hui pour Gènes, il est retenu par une légère indisposition de sa Alle. Dès qu'il arrivera dans votre ville, il ira vous voir. Je vous le recommande de la manière la plus particulière.

Adieu, mille amitiés.

Camille de Cavour.

LII.

Turin, 2 decembre 1846.

Mon cher ami,

J'ai reçu hier, après le départ du courrier, la lettre que vous m'avez écrite pour me communiquer les renseignements que Mr Odier vous a transmis sur MM. C... Je vous avoue que j'en ai éprouvé un vif chagrin, car, ainsi que vous, j'ai dans le jugement de Mr Odier une grande confiance. Toutefois, je vois que rien n'est compromis; s'il s'agissait d'une affaire hasardeuse, certainement je serais un peu inquiet, mais l'affaire que ces Messieurs traitent est une affaire qui ne me paraît offrir aucun danger quelconque, pourvu que leur traité avec le maitre de forges avec lequel ils sont en relations, soit sérieux. Quant à la solidité du maître de forges, elle ne saurait être douteuse, car, aux prix actuels, ces Messieurs gagnent des millions.

J'en étais là de ma lettre, lorsque MM. Duprè m'ont envoyé une copie d'une lettre qu'ils viennent de recevoir de MM. H. F. et C.; elle me parait de nature à nous tranquilliser tout à fait, du moins pour ce qui regarde la fourniture de Turin à Asti. Nous ne sommes engagés à rien au delà. Encore nous n'avons plus d'engagements absolus, puisque l'enchère pour laquelle nous avions accordé notre signature, a été déclarée nulle. Toutefois, pour que Messieurs H. et F. leur ouvrent un crédit de L. St.10,000 et les recommandent d'une manière si chaude, il faut que leur position soit à leurs yeux meilleure de ce que pense Mr Odier.

Au reste, MM. H. vous écriront directement, et vous saurez à quoi vous en tenir. Pour le moment il n'est question que de la fourniture de Turin à Asti, et nous sommes d'accord que nous pouvons la garantir sans crainte. Plus tard nous verrons.

J'espère être à même de vous envoyer dans quelques jours le compte des achats faits en compte social.

Pour le moment je n'ai nul besoin de fonds; si par hasard je me trouvais serré ayant la réalisation de nos denrées, je recourrai à votre obligeance pour me couvrir des ayances que j'ai faites.

Je reçois de tous cotés des demandes de guano, il est vrai en petites quantités, mais d'une foule de personnes que je n'aurais pas soupçonné friandes de ce précieux engrais. J'attends le compte final d'achat, pour fixer mes prix. Vous comprendrez que toutes les personnes qui s'adressent à moi, agissent en toute confiance, je ne puis pas leur faire payer hors de proportion avec le guano Schaboé que j'ai fait venir de Liverpool.

Une fois que vous aurez soldé Baldoino, il faudra l'engager à faire venir un autre vaisseau de guano pour l'année prochaine. C'est un genre de spéculation où il est difficile de faire concurrence.

Veuillez me donner la note des frais que vous avez Mts, tant à Liverpool qu'à Gènes, pour le guano et l'engrais venus par le John Hall.

Le prix des transports à Gènes a beaucoup augmenté, par suite du grand nombre de voituriers employés au transport des poutres qu'on emploie au tunnel des Gioghi.

Croyez à ma sincère amitié.

Camille de Cavour.


vai su


LIII.

Turin, 4 décembre 1848

Mon cher Émile,

Les renseignements si contradictoires que nous avonfi reçus à l'égard de MM. C... m'ont plongé, ainsi que vous, dans une grande perplexité. Je reconnais beaucoup de justesse de vue à Mr Odier, mais je crois qu'il est plutôt enclin à la sévérité.

D'autre part les renseignements de MM. H... et F... sont si positifs, leurs recommandations si pressantes, que je ne puis m’empêcher d'avoir confiance dans leurs protégés. MM. H... sont vos parents et amis intimes, certes s'ils croyaient vous compromettre le moins du monde, ils ne vous auraient pas parlé des C... comme ils le font. Il est bien difficile qu'ils puissent se tromper de beaucoup sur les moyens pécuniaires d'une maison qui fait un grand nombre d'affaires. Mr H.. ayant été vingt ans directeur de la banque, et en étant gouverneur depuis deux, doit connaître le poids de toutes les maisons de Londres. D'autant plus que la maison de cette ville s'occupe, presque exclusivement, d'affaires de banque. Quant à Mr T..., vous savez que son opinion fait autorité dans le commerce. Il passe pour un des hommes les plus entendus, les plus délicats de l'Angleterre. C'est l'arbitre de tout le monde; enfin c'est une personne qui inspire une confiance illimitée. D'après cela, je vous avoue que je suis plus disposé à pencher du côte de Mr Odier. Toutefois, l'avis que vous avez reçu, doit nous engager à agir avec une grande prudence et nous donne le droit de suivre de près l'affaire, afin d’empêcher que MM. C... ne s'engagent au delà de leurs moyens.

Si MM. C... ont derrière eux des maîtres de forges du pays de Galles, il n'y a rien à craindre, ni pour eux ni pour nous; car ces Messieurs sont maintenant immensément riches, et chaque jour ils le deviennent davantage.

Mr M... m'a montré une lettre du gérant de la compagnie, si je. ne me trompe, adressée à sa maison, par laquelle la dite compagnie s'engageait à livrer à MM. C... tous les rails dont ils avaient besoin pour soumissionner la fourniture du chemin de fer de Turin à Asti, et de les indemniser de toutes les pertes qui auraient pu être causées par le refus des rails, ou par la garantie de deux ans que présentent les soumissionnaires. En un mot, cette lettre, qui m'a paru pouvoir être considérée comme un véritable contrat, mettait la maison C... à l'abri de tous risques, hors ceux que pourraient lui faire courir l'élévation du frèt ou celui des transports de Gènes à Turin. Or sur ces deux articles Mr M... s'était réservé une marge qui lui garantissait un bénéflce assuré.

Je pense donc, en résumé, que pour le moment nous pouvons aller de l'avant pour ce qui regarde la fourniture des rails de Turin à Asti. Nous avons le temps de concerter ce que nous ferons pour les autres fournitures qui n'auront lieu que d'ici à quelque temps.

MM. C... sont très liés avec les P... W... de Paris. Si vous pouviez les faire interpeler par quelqu'un de sftr, nous serions mieux fixés à leur égard.

Mr M... reviendra peut-être à Turin avant d'aller à Gènes. Il veut savoir à quoi s'en tenir sur l'époque de l'adjudication, qui ne parait pas fixée d'une manière absolue. Mille amitiés.

Camille de Cavour.

LIV.

Turin, 16 décembre 1846.

Mon cher Émile,

J'ai commencé hier une lettre pour vous, qu'il ne m'a pas été possible de finir, tant j'ai été interrompu. Mr M.. est arrivé avant hier jie Milan, où il à été retenu par le désir de traiter avec MM. 0... et B... et B... pour la fourniture du chemin de fer de Cóme. Les maîtres de forges avec lequels sa maison est en relations, sont MM. W... W... and C°, South Wales.

Les dits maîtres de forges ont écrit à C..., après la dernière adjudication, pour renouveler l'engagement qu'ils avaient pris pour le mettre à même de soumissionner les rails et coussinets du chemin de fer d'Asti. Seulement, ils demandent une conférence pour fixer le prix, à raison de la difficulté qu'ils éprouvent à confectionner le trait de Jupiter que M... exige. J'ai vu cette lettre, il ne m'a pas paru nécessaire d'en demander copie.

Mais, comme notre engagement avec Mr M... n'est pas absolu, il est bien entendu que nous ne prêterons la caution qu'il réclame, qu'autant que nous serons convaincus qu'il a tous les moyens d'exécuter ses engagements. Nous devons nous réserver le droit d'exercer un contrôle moral sur toutes ses opérations.

Il est certain que si, par crainte de la concurrence, Mr M... fixait des prix trop bas, je me refuserais à lui servir de caution.

Le maître de forges et Mr M... ont déclaré qu'ils ne pouvaient pas accepter la garantie pendant deux ans des coussinets. En effet, les coussinets étant de leur nature fragiles et sujets à la casse par suite de mille accidents indépendants de la qualité de la fonte, il est absurde de vouloir mettre à la charge des soumissionnaires leur manutention pendant deux ans.

La garantie réduite aux rails, se réduit à peu de chose, car comme on ne forcera pas à la réexportation les rails effeuillés, il n'y aura pas une perte bien forte sur leur revente comme vieux fer.

En effet, j'ai vendu il y a quelque temps, à des marchands de Turin, francs 80 les 100 kilos, soit 800 francs la tonne, des vieux rails du chemin du Bourget.

Mr M... vous écrira ce matin. Quelques personnes songent à remettre en avant l'établissement d'une banque à Turin. Je pense que ce serait une très bonne affaire, car nous avons ici bien plus besoin qu'à Gènes, d'un établissement d'escompte.

D'ailleurs le public se montre très favorable aux billets. Ceux de la banque de Gènes circulent avec la plus grande facilité, et je suis persuadé que s'ils n'étaient pas recherchés comme une remise commode, il y en aurait à Turin beaucoup plus que chez vous.

J'ai déclaré aux personnes qui sont venues me proposer cette affaire, que pour m'en mêler je voulais y avoir une large part, que s'Ù s'agissait de réunir tous nos banquiers je ne voulais pas en entendre parler.

Veuillez réfléchir à ceci et ensuite me faire connaître vos intentions et celles de MM. Ricci, si vous jugez à propos de leur en parler.

J'ai vendu hier 10,000 kilos de guano à mon ami le marquis Alfieri.

Le calme continue sur nos marchés. Les boulangers, quoique presque dépourvus de fonds, s'obstinent à ne rien acheter, par crainte des changements qui doivent avoir lieu au commencement de l'année.

Mille amitiés.

Camille de Cavour.

LV.

22 décembre 1846.

Mon cher ami,

Votre lettre du 19 ne m'est parvenue que ce matin. Mr M... m'avait In la copie de la lettre qu'il vous a adressée avant de partir de Turin. Votre réponse me parait tout à fait bien, seulement je trouve la commission que vous lui demandez un peu élevée. Vous aurez le temps, si vous jugez comme moi, d'en rabattre quelque chose.

Je vous engage fortement à venir à Turin pour l'adjudication, nous nous entendrons bien mieux de vive voix que par écrit. Vous devriez arriver ici le 10 ou le 11 janvier. Je vous ferai préparer une bonne chambre chez Feder et nous tâcherions de vous faire passer le temps agréablement.

Dans l'espoir de vous voir, je ne vous rapporte pas une longue conversation que j'ai eue avec Mr M..., dans laquelle je lui ai parlé avec la plus entière franchise. J'ai été fort satisfait de ce qu'il m'a dit.

Je vous ai mandé hier, que le ministre de l'intérieur a fini son travail sur Savigliano. Malheureusement Pampara a dû partir à la hâte pour ses terres, mais il sera de retour samedi, et dès-lors il se mettra aux trousses de Revel. Je m'en vais pousser les partisans de la banque.

H fait un temps affreux. La neige succède à un froid de huit degrés. Cela arrête les communications.

Croyez à ma bien sincère amitié.

Camille de Cavour.

LVI.

Turin, 27 décembre 1846.

Mon cher ami

La lettre que votre maison m'a écrite le 24, ayant été mise à la poste après le départ du courrier, je ne l'ai reçue que hier au soir, trop tard pour vous répondre de suite. Je m'empresse de vous raconter en détail ce qui s'est passé entre Mr M..., MM. D. et moi. MM. D. se sont engagés ainsi que Mr M. vous le mande, à faire la caution, surveiller le débarquement des rails, l'épreuve à laquelle ils doivent être soumis, ainsi qu'à encaisser la valeur des dits rails, moyennant une commission de 3 p. % Je vous dirai que s'agissant d'une affaire de 8 a 4 millions, qui doit se réaliser dans six mois (voyez le Cahier des charges), je n'ai pas cru qu'on put exiger une commission plus élevée. D'ailleurs je ne crois pas qu'une affaire de ce genre pùt supporter de plus grands frais.

Lorsque MM. D. m'ont prié avec instance de m'associer à eux pour garantir Mr M..., j'ai déclaré que je n'y consentirai. s qu'autant que ces Messieurs, se chargeraient de l'entière surveillance de l'affaire. Ces Messieurs, après m'avoir offert un tiers de la commission, sont venus d'eux-mêmes m'en offrir la moitié, et là-dessus j'ai signé.

Notez que dans la première soumission, les livraisons et les épreuves devant avoir lieu à Asti et Turin, il n'y avait à peu près rien à faire à Gènes. Les navires devaient être adressés à une maison d'expédition, Brambilla, Cabella, ou autre, qui devaient soigner le débarquement et la réexpédition pour les lieux de destination définitive. MM. D... l'ont si bien entendu ainsi, qu'ils se sont associé un certain Paracca qui est très au fait des fournitures à faire au gouvernement.

Maintenant, si la livraison et les épreuves se font à Gènes. et que ce soit vous et non MM. D... qui surveilliez les différentes opérations auxquelles l'affaire donnera lieu, notre position avec ces Messieurs change tout-à-fait. L'intervention de P... devient inutile et la proportion dans laquelle se divisera la commission, doit changer. Je suis prêt pour ma part, à renoncer en votre faveur à telle partie de mes que vous jugerez convenable. MM. D... devront, il me semble, se contenter de moins. Toutefois comme ils auront à faire bien des démarches auprès du Gouvernement, il conviendra de les traiter mieux que moi qui dans tout ceci joue un peu le rôle de la cinquième roue du char. Je serais d'avis de diviser la commission ainsi:


Messieurs Duprè 1          pour     100,
vous 1    ½     »        100,
moi 1    ½     »        100,

Dans ce cas, je ne signerais pas la soumission, mais je m'engagerais envers vous pour la moitié de la caution que vous prêteriez.

Pour le moment, notez que je ne suis pas engagé définitivement avec les Dupré, que les termes du contrat ayant changé, je peux exiger d'autres conditions.

Mais tout ceci ne peut se traiter par lettre, il faut absolument que vous veniez à Turin du 9 au 11 janvier.

Quant à la commission pour le crédit à ouvrir chez H., il me parait que vous pourriez la fixer à l/2; vous auriez ainsi 2 pour %, ce qui sur 3,000,000 fait 60,000 francs à réaliser en six mois.

Au reste, je suis disposé à faire tout ce qui vous arrangera le mieux, même à renoncer à cette affaire, à laquelle je ne tiens que médiocrement.

Recevez mes vœux pour le nouvel-an et croyez-moi à jamais votre bien dévoué

Camille de Cavour.

LVII.

Turin, 28 décembre 1846.

Mon cher ami,

Je vous ai écrit hier une longue lettre sur l'affaire des rails, je n'ai rien à y ajouter puisque vous me promettez d'en venir causer avec moi dans quelques jours. Quant au chemin de Pignerol, je puis vous dire en toute sûreté, que Rora n'a pas obtenu la faculté d'émettre des promesses d'action. On lui a dit: cherchez des fonds et alors nous vous donnerons la concession que vous demandez. Vous comprenez que c'est bien différent. D'ailleurs, ici le chemin de Pignerol est peu populaire. Les personnes qui mènent cette affaire n'inspirent pas de confiance, d'abord parce que parmi elles, il n'y a pas d'hommes véritablement sérieux, De Fernex n'y étant que pour la forme, ensuite parce qu'entre tous les fondateurs, ils n'ont pas fourni 100,000 francs. Rorà lui-même, ne compte pas y mettre plus de 10,000 francs, sauf le cas où il bénéficierait sur la vente des actions. Valerio est un utopiste gorgé d'amour-propre et de vanité, que Bertini a mis à la porte. Enfin il n'y a personne capable de conduire à bien cette affaire.

En elle-même, je la crois très médiocre. Primo, parce-que le chemin de Pignerol aboutit dans un cul de sac; en second lieu, parce-qu’il y aura des pentes très considérables.

L'ouverture du mont Genèvre est une circonstance favorable à ce chemin; mais si jamais on fait le chemin de Suse, comme on parait fermement décidé à le faire, personne ne passera par Fénestrelle et Pignerol pour aller en France. D'ailleurs, les communications avec l'étranger, sauf quelques cas très extraordinaires, influent peu sur la prospérité d'un chemin de fer.

À la hâte, croyez à ma sincère amitié.

Camille de Cavour.

LVIII.

2 janvier 1847.

Mon cher ami,

Je conclus de tous les renseignements que vous avez recueillis sur MM. C... et M. W. W., qu'il faut agir avec une extrême prudence, c'est à dire qu'il faut s'assurer qu'ils ne s'engagent pas imprudemment avec notre gouvernement.

Quant à la fourniture de Turin à Asti, si nous ne garantissons pas les coussinets, nous ne courons aucun danger. MM. W... peuvent fort bien fabriquer 7000 tonnes de rails, en un an, et si ce sont des honnêtes gens, les C... peuvent être parfaitement tranquilles à leur égard, car au prix actuel des rails, ils gagnent beaucoup d'argent. Avant de nous engager plus avant, nous avons le temps de nous concerter. Je pense que nous pourrons nous adresser une seconde fois à Mr. H..., en lui expliquant en détail ce dont il s'agit.

MM. C... de Londres, faisant spécialement la banque, il est impossible que H... ne les ait pas pesés à leur juste valeur, depuis le temps qu'il est initié aux mystères de la banque d'Angleterre.

D'ailleurs, je ne crois guère probable une hausse dans le prix des rails. Il va y avoir un temps d’arrêt dans les entreprises de chemin de fer, qui donnera temps aux usines qui s'élèvent de toutes parts, de venir faire concurrence aux maìtres de forges actuels.

De toutes les manières, il est indispensable que vous veniez à Turin.

Je répondrai lundi à votre maison. Au revoir, mille amitiés.

Camille de Cavour.

LIX.

Turin, 1 février 1847.

Mon cher Émile,

Je réponds deux mots, à la hâte, à votre lettre du 30, qu'on me remet à l'instant.

Attendez pour vendre à livrer, que je me sois assuré des voitures; les 706 sacs que nous avons achetés a 36 francs sont dans le Vercellais. Je ne puis compter, pour les faire partir, sur les moyens dont on dispose à Turin.

Je m'en vais toujours donner l'ordre à Badino, de continuer à vous expédier les riz qu'il a achetés.

Ceux-ci vous arriveront en sacs, ce sera le cas de les vendre sur le champ; les autres, c'est à dire ceux de Beltrani, arrivant en balles de 5 émines, il doit y avoir une grande économie à les envoyer à Marseille.

Recevez, à la hâte, mes compliments empressés.

Camille de Cavour.

LX.

2 terrier 1847.

Mon cher Émile,

Vos craintes ne se sont que trop réalisées. Le gouvernement a défendu la sortie du blé et du mais, et frappé celle du riz d'un droit de 4 francs le quintal. Nous voilà pris. Cependant il ne faut pas trop se désoler, d'abord parce-que plaie d'argent n'est pas mortelle, ensuite parce-qu’il se peut que nous nous en tirions encore sans perte et même avec quelques légers bénéfices.

 

Voilà 2000 sacs qui sont atteints par la mesure du gouvernement; c'est 8000 francs qu'il prend dans nos poches.

Maintenant, mon opinion est qu'il ne faut pas vendre sous l'impression que produira la mesure qui a été adoptée.

Pour ce qui regarde Turin, on regagnera sur le prix de la voiture ce que l'on perd par le droit. En effet, les expéditions de blé et celles de mais, pour la Suisse et même pour la France, étaient fort considérables. Elles avaient contribué à faire monter la voiture pour Lyon et Genève, au prix excessif de 11 francs par balle de 72 kilos. Je crois que lorsqu'on n'aura plus à expédier que du riz, la voiture retombera à 8 francs, si ce n'est au dessous, car le prix moyen est de 5 francs l'été, et 6 francs l'hiver...

Je crois que le riz augmentera à Lyon et à Genève. Je ne sais pas ce que diable ces pauvres genevois mangeront. Ils vont être obligés d'acheter du blé à Gènes ou à Marseille; or ce blé leur reviendra à 11 ou 12 francs l'émine à Genève, pour le moins.

La Savoie sera forcée de manger du riz, le blé y est à 9 francs l’hectolitre et l'on n'en trouve plus.

En Piémont, je m'attends à une forte hausse sur le blé, ainsi donc je ne crois pas que le riz baisse au point de nous constituer en perte.

Mais comme chat échaudé craint l'eau froide, je pense qu'il faudrait nous assurer contre une nouvelle hausse de droit. Mon avis en conséquence serait d'expédier à Marseille, ou même à Londres, une partie de nos riz. L'emballage vous convient, je ferai mettre en sacs nos riz et je vous les adresserai petit à petit. La baisse de la voiture nous dédommagera du droit. Si l'on baisse à 4 francs, il y aura 80 s. de gagnés et le droit ne nous coûtera plus que 50 s.

J'attendais Davidy ces jours-ci, mais comme vous ne me parlez pas de son départ, je pense qu'il l'a ajourné. Je crois que j'irai samedi à Leri.

Dites-moi si je dois vous envoyer des billets, comme ceux que j'ai signés dans le temps, à la requête de Davidy. Je pense que dans ce cas vous enverrez des instructions à Mr Long.

Mon père a la grippe, il vous remercie d'avoir pensé à son vin de Marsala.

Ne vous découragez pas. Que voulez-vous, nous avons eu un moment d’entraînement.

J'ai débité à peu près toute ma cargaison de guano Baldoino, il ne m'en reste plus que 30,000 kilos à Gènes. Je commence à penser pour l'année prochaine. MM. Melwisch et De la Bue m'ont écrit de Liverpool; avant de leur donner un ordre définitif, je voudrais savoir si Baldoino a effectivement expédié un bâtiment au Pérou et si Graffigne est en voie d'arriver.

Vos renseignements à ce sujet, m'obligeraient beaucoup.

Mille amitiés.

Camille de Cavour.

Mardi 10 heures.

Je rouvre ma lettre pour ajouter le reçu de Beltramo.

Les nouvelles de Verceil indiquent une forte hausse.

lei les négociants suisses ne paraissent pas découragés.

Mon courtier m'assure que MM. Bolens et Dutoit (1) ont maintenu une offre de 7,45 la minette, pour un riz marchand, première qualité.

Une quantité de mais avait été achetée pour l'exportation. On croit qu'on continuera à expédier à Gènes, pour les besoins de la consommation locale.

H faut donc attendre, payer le droit et mettre nos riz en lieu sur. De nouveau mille amitiés.

LXI.

13 février 1847.

Mon cher Émile,

J'arrive à l'instant de Verceil, transi de froid. Je m'empresse de vous écrire deux mots pour vous mettre au courant de ce qui se passe. Le riz, à Verceil, était faible, on ne faisait 40 francs que pour les qualités supérieures. Les mais et les blés au contraire très-bien tenus. Les riz à Turin se vendent beaucoup mieux, mais la difficulté est de les faire arriver ici. J'ai voulu payer 8 francs l'émine, on les a refusés; il est vrai que les chemins dans l'intérieur du Vercellais sont atroces, il n'est pas possible de s'en tirer sans l'aide des bœufs. J'ai d'excellents chevaux qui bravent la boue et je puis envoyer charger nos 700 sacs, mais il faut que je combine mes voyages avec les besoins de l'agriculture. Cependant, pour en finir, je vous offre de me charger de toute la partie à 40 francs, valeur 10 màrs. Si vous acceptez, je vous créditerai de 28,000 francs, valeur 10 mars, et vous créditerez de pareille somme le compte denrées.

Savigliano marche. Revel a fini son examen, maintenant il passera au premier conseil de conférence.

M... ne sait rien encore, mais je doute qu'il l'emporte sur C...

Je vais commencer à faire vendre une partie des mais achetés dans la province de Saluces.

Lundi j'enverrai à Davidy le compte d'achat des 1160 sacs achetés de compte à demi.

J'ai promis à Badino de lui remettre 8000 à peu près sur vous. Je verserai ce que j'ai de disponible, chez Monsieur Long.

A la hâte, mille amitiés.

Camille de Cavour.

(1) Négociants suisses à Turin.

LXII.

18 février 1847.

Mon cher Émile,

Je n'ai pas répondu hier à la lettre que Davidy m'a écrite, craignant que ma réponse ne le trouvàt plus à Gènes. H me disait qu'il comptait acheter des riz sur la place pour diminuer le prix de revient des 660 sacs que Badino nous a achetés. S'il l'a fait ou s'il vous a chargé de le faire, je désire que ce soit toujours pour compte à demi. Je persiste à avoir bonne opinion de l'article. Les besoins sont trop généraux et trop réels pour qu'il y ait chance de baisse d'ici à la récolte. D'ailleurs, les prix de Gènes, si tant est que vous puissiez acheter à 24,50, sont relativement bien inférieurs aux nôtres.

J'ignore encore le résultat du marché, mais je viens d'apprendre qu'il y a eu des troubles sérieux à Sesto et au Borgo Ticino. La population lombarde s'est opposée avec violence à l'exportation du blé vers le Novarais. Des barque sont été pillées, des violences commises.

Si après cela, l9Autriche défend l'exportation, il y aura une hausse marquée dans le blé, car le Novarais en est dépourvu. Il devra acheter à tout prix à Gènes, et vous monterez en conséquence. Mille amitiés.

Camille de Cavour.

LXIII.

20 février 1847.

Mon cher Émile.

J'ai eu le plaisir de voir Davidy deux fois depuis son arrivée; nous avons beaucoup causé de nos affaires sociaJes. Il persiste dans ses idées de hausse et, ma foi, tout me porte à croire qu'il ne se trompe pas, surtout pour ce qui a rapport au blé, dont le besoin se fait sentir chaque jour davantage.

Les troubles dont je vous ai parlé, sur le Lac Majeur, ont été fort graves. Il y a eu plusieurs magasins de pillés. La police autrichienne a agi avec une grande mollesse. Maintenant on croit que la sortie de la Lombardie sera prohibée. Cela produira un contre-coup à Gènes, parceque les Ticinois seront obligés de vous acheter à tout prix, et qu'il y aura des besoins dans les vallées qui bordent le lac.

D'après les avis de Davidy, j'ai suspendu la vente des mais.

Je ne sais pas encore ce qu'on fait à Saluces, où j'avais écrit de vendre quelque chose.

Rien de nouveau au sujet de la banque de Savigliano et des rails. Avouez que l'on nous administre d'une singulière façon.

Recevez mes amitiés empressées.

Camille de Cavour.

LXIV.

25 février 1847.

Mon cher Émile,

Une course à Santena m'a empêché de vous répondre ces jours-ci. Les nouvelles que vous me donnez s'accordent avec les opinions de Davidy. La hausse n'a pas atteint ses dernières limites.

 Nos marchés commencent à se ressentir des craintes qu'inspirent les demandes qui nous arrivent de tous les pays de montagne, de la Savoie en particulier. Nous sommes maintenant exposés à avoir une panique d'un moment à l'autre. Hier on demandait 8 francs des plus beaux blés. Aujourd'hui on ne sait pas ce qu'on les payera. Le mais suit le mouvement. Pichiura aurait pu réaliser toute notre partie à 4 L.14 s. Il pense qu'on ira a 5 L. Le riz demeure stationnaire. Cependant je crois qu'il y aura une reprise, car la Suisse ne pouvant tirer du blé de chez nous, est forcée à nous en acheter.

Je finirai ma lettre après le courrier.

Le marché a été faible, les riz ont baissé de deux à trois sous. Les mais stationnaires, les blés bien tenus.

Recevez mes compliments empressés.

Camille de Cavour.

LXV.

février 1847.

Mon cher Émile,

Le gouvernement a fini par prendre une grande détermination relativement aux rails. On renonce complètement au trait de Jupiter !!! (1).

Demain ou après demain, on appellera les représentants des soumissionnaires et l'on engagera à traiter la fourniture d'ici à Poirino, 2000 tonnes à peu près, les rails étant portés de 80 à 34 kilos par mètre courant et l'angle droit étant substitué au fameux trait de Jupiter.

(1) On nomme ainsi (en italien Saetta di Giove) un procédé employé souvent, pour relier l'une à l'autre, deux poutres, au moyen de deux cercles en fer et d'un coin qu'on enfonce dans un petit espace laissé libre entre les deux poutres, et donnant ainsi, à la jointure, par la pression qu'il y exerce, une beaucoup plus grande solidité.

Ensuite on publiera immédiatement l'annonce de la fourniture des rails de Poirino à Novi, plus de 20,000 tonnes qu'on adjugera à Pàques.

Je n'ai pas encore vu M..., j'iguore quel parti il va prendre.

Je compose dans ce moment un long mémoire pour persuader à Revel de nous permettre d'établir notre banque à Turin.

Vous ètes véritablement féroce en fait de subsistances. Diable, il me paraît que nous sommes déjà bien bénis. Je pense qu'à 5 francs nous pourrons vendre sans regret.

Nous avons du temps devant nous pour le guano, car la saison de le répandre sur les prés approche, et s'il n'était disponible que dans un mois, on ne pourrait plus l'employer que pour le mais.

Excitez Baldoino à agir pour une autre année. Aux prix actuels il n'y a rien à faire avec l'Angleterre.

L'ami Golzio me propose un intérèt dans l'achat d'une forèt (1 a superficie bien entendu). Il prétend que ce sera une affaire exceliente. Ses calculs, en effet, offrent une très grande marge.

Qu'en pensez vous? Il s'agit d'une avance pour la part qu'on m'offre, de 20,000 francs au plus.

Répondez-moi et croyez à ma sincère amitié.

Le courrier Simon a rencontré Davidy en très bon état à Chambéry, un peu ennuyé seulement, d'avoir dù démonter sa voiture sans trop grande nécessité (1).

Camille de Cavour.

(1) Pour traverser la montagne en traîneau.

LXVI.

27 février 1847.

Mon cher ami,

Au point où en sont le choses, je crois que les plus habiles n'en savent guère plus que les moins. Vous dire si les blés hausseront, c'est ce que je ne saurais faire, car je n'en sais rien moi-même. Les prix actuels me paraissent déjà bien élevés. Ce qu'il y a de certain, c'est qu'un certain nombre de spéculateurs se sont décidés à vendre et la hausse a été arrètée. Sera-ce momentanément? Ce mouvement ascendant reprendra-t-il dans dix ou quinze jours? C'est bien possible, car je crois que les réserves des propriétaires sont fort dégarnies. Je crois bien qu'il n'y a nul danger à attendre, mais je ne voudrais pas laisser passer tout le mois de mars, sans réaliser quelque chose.

J'ai lieu de croire que l'on n'augmentera pas le droit de sortie pour le riz. Le ministre des finances, sans vouloir prendre d'engagements positifs à cet égard, a cependant déclaré à l'ambassadeur de France, de la manière la plus positive, que le gouvernement n'y songeait nullement.

Il parait que les fers de M... ont été trouvés forts bons. On les a jugés préférables à ceux de S... Jusqu'à présent on n'a rien publié à l'égard des rails. On suit à ce sujet une marche bien extraordinaire. Que voulez-vous, il faut s'armer d'une patience inépuisable.

Nous avons arrèté ce matin un projet de mémoire sur la banque, ainsi que des statuts. Nous avons décidé de demander à N... sa signature, c'est un sacrifico fait au préjugé qui existe en faveur de cette grande nullité. Je doute fort que nous réussissions. En tout cas, le succès ne sera pas prompt.

Croyez, Mon cher ami, à mes sentiments dévoués.

Camille de Cavour.

LXVII.

12 man 1847.

Mon cher ami,

J'arrive de Léri. Je n'ai encore vu personne. Je sais que l'enchère des rails jusqu'à Poirino est fixée au 32 courant et celle jusqu'à Novi, au 4 mai. M... sera furieux. Mais que faire? Il y a une recrudescence de froid incroyable. Nous avons de la giace tous les matins. Gela n'est guère bon pour la campagne. Si les blés n'en souffrent pas, certainement la récolte sera notablement retardée.

Les prix ont une tendance à la hausse. Veuillez m'envoyer la cote des changes, car j'aurai incessamment de l'argent à vous remettre.

Je vous écrirai au long lorsque j'aurai parlé a tout le monde.

Adieu, mille amitiés.

Camille de Cavour.


vai su


LXVHI.

16 mars 1847.

Mon cher Émile,

Le temps m'a manqué hier pour vous écrire. On m'avait d'ailleurs fait espérer jusqu'au moment du départ du courrier, du papier qu'on n'a pas pu me procurer. Je n'ai pas voulu envoyer mes fonds chez MM. Long, car il m'a paru, d'après les cours des changes, qu'il leur était presque impossible de vous faire des remises sans perte.

Golzio est revenu enchanté de vous. Il rumine l'affaire des traverses et il espère parvenir à traiter directement avec le gouvernement. Il peut y avoir là énormément d'argent à gagner, car personne dans le pays ne peut nous faire concurrence. J'ai grande confiance en Golzio; sous une écorce un peu grossière, il cache une grande finesse et une grande habileté. Si vous persistez dans l'intention que vous m'avez plus d'une fois manifestée, de tourner vos regards vers le Piémont, vous trouverez dans Golzio un auxiliaire inappréciable.

A ce propos je dois vous adresser une question, comme à mon ami Émile, et non comme au chef de la maison De la Rue frères. Dites-moi franchement si, lorsqu'une affaire avantageuse se présente, je pnis toujours compter sur votre concours soit comme associé, soit comme bailleur de fonds,. et dans ce cas à quelles conditions? Si vous me répondez affirmativement, je n'entreprendrai rien sans vous en faire part et vous laisser l'option d'agir en compte à demi. Je sais bien que dans ce moment, il y a beaucoup de chair au feu; mais d'un autre cóté, lorsque vous aurez réalisé vos belles affaires en céréales, vous aurez bien des fonds disponibles, et il sera peut-être prudent de ne plus toucher à l'article blé de qnelque temps.

L'affaire de la banque a été retardée par la maladie de Mestrezat. Toutefois elle a avancé, sous ce rapport que nous avons obtenu l'adhésion de Nigra, à laquelle le gouvernement attachait une haute importance. J'ai bon espoir de voir l'affaire réussir.

Le ministre de l'intérieur a nommé une commission pour discuter les conditions de la concession du chemin de Savigliano. Nous espérons arriver à une solution quelconque de cette interminable affaire.

J'écrirai demain à votre maison.

Mille amitiés.

Camille de Cavour.

LXIX.

Turin, 18 mars 1847.

Mon cher ami,

Voici les explications que je vous ai promises sur l'affaire des traverses.

Le gouvernement a besoin, pour le chemin d'Asti à Gènes, de 235,400 traverses de bois. Il a cru qu'il les trouverait facilement dans le pays. En effet, dans une première adjudication, un propriétaire qui possède de nombreuses forets, en a soumissionné 80,000 destinées au premier tronc d'Asti à Turin, au prix de francs 8, si je ne me trompe. Depuis cette époque, c'est à dire depuis six mois, il a vainement tenté de nouvelles enchères. Toutes sont restées sans résultat. Dans ces entrefaites, une maison de votre ville, qui possède, à ce qu'il parait, des forêts en Corse, s'est parait-il adressée à Golzio pour transmettre des offres au gouvernement. On les a d'abord repoussées, mais les résultats de plusieurs enchères successives ayant ouvert les yeux du gouvernement sur la difficulté de se procurer le bois dont il a besoin, on a fait dire a Golzio qu'on était prêt à traiter. C'est alors que celui-ci a été à Gènes, pour s'entendre définitivement avec la maison dont je vous ai parlé. Il s'est aperçu, je crois, qu'elle n'était pas en mesure de faire cette affaire qui exige des capitaux et une certaine capacité, dont il parait que cette maison manque également. Pendant son. séjour à Gènes vous lui avez parlé d'une offre d'un de vos amis de Venise, de 50,000 traverses. Cela lui a donné l'idée de traiter cette affaire avec vous. Toutefois, avant de vous faire une proposition pour la fourniture entière, il a voulu être dégagé tout-à-fait avec la première maison, ce qui aura lieu, je pense, dans quelques jours.

Après cet historique, venons à l'affaire en elle-même. Le gouvernement, vous ai-je dit, a besoin de 235,000 traverses en mélèze ou en chêne. S'il s'agissait de les livrer à Gènes, l'affaire serait facile, mais il faut les livrer à Asti, Alexandrie, Novi et Gènes. C'est ce qui éloigne les personnes qui ne sont pas au fait des grandes entreprises.

Le projet de Golzio serait celui-ci; acheter dans le pays ce qu'il faut pour Asti et Alexandrie, tacher de faire venir par le PO, ce qui est nécessaire pour Novi, et se procurer en Corse ou en Sardaigne, ce qu'on serait autorisé à donner à Gènes. Si l'on parvenait à réaliser cette idée, on obtiendrait un bénéfice énorme, au moins 500,000 francs.

Ainsi que je vous l'ai dit, personne n'est aussi bien placé que Golzio pour traiter. Le ministre a autorisé l'intendant général a traiter de gré à gré avec lui. La première condition qu'il exigera, sera que les payements se fassent au moment même de la livraison; cela réduira de beaucoup les avances. J'ai écrit à> Arona et dans plusieurs autres localités oix je sais exister des bois. Nous ne déciderons rien sans être surs de notre affaire, et tenez pour base qu'à moins d'un bénéfice de 500,000, nous nous tiendrons cois. Quant aux fonds, je pense qu'une avance de 300,000 francs sera suffisante. D'ailleurs, je pense qu'avec des traites signées par Golzio, vous et moi, nous trouverons toujours de l'argent à Gènes.

….........................................................................................

Adieu, mille amitiés.

Votre tout dévoué

Camille de Cavour.

LXX.

Turin, 22 mars 1847.

Mon cher ami,

Eh bien! l'ami M... à été enfoncé. S... a soumissionné les rails à 269,10, tandis qu'il demandait 288. A vous dire vrai, j'ai été fort content que M... ait demandé un prix raisonnable. Celui de S... ne l'est pas; et si je ne savais pas par vous, que la maison L... est fort solide, j'en prendrais une mauvaise opinion. M... était fort démonté, de sorte que j'ignore ce qu'il fera pour l'enchère du 3 mai. Il est possible que les L... aient misé à perte, pour éloigner les concurrents le jour de l'enchère principale. Pour le moment donc je considère l'affaire des rails comme finie. Je ne la regrette pas outre mesure, ayant d'autres choses en vue.

Golzio vous a écrit relativement aux traverses. Il n'a rien de positif avec les Génois, seulement il leur a déclaré qu'il ne se considérait engagé ayec eux que pour ce qui avait rapport aux bois de la Corse. Ces messieurs sont partis pour le Lac Majeur. Je ne sais pas quand ils reviendront.

En attendant, je m'occupe d'organiser une fabrique d'engrais, une espèce de guano. Ces genres établissements ont eu en Angleterre un grand succès. Pour qu'il soit complet il faut qu'une semblable fabrique soit unie à une fabrique de produits chimiques. Il y a deux fabriques de ce genre dans les environs de Turin, une appartenant à M. Rossi, apothicaire très achalandé, et l'autre à Mr Schiaparelli, homme d'une grande intelligence. Je travaille à les fondre en une seule, qu'on monterait sur une échelle assez étendue. Mr Rossi est un commerçant d'une grande prudence et d'une grande régularité. Il est assez riche.

Schiaparelli est certainement le Piémontais qui a le plus de connaissances et d'habileté pour la chimie industrielle.

Il a monté une fabrique de phosphore qui certainement estsans rivale en Italie; mais il a peu de fortune.

Le peu qu'il possède il l'a gagné à la sueur de son front, car il a commencé avec rien. Je crois que ce genre d'industrie est le plus productif qui existe, surtout si, avec les débris non utilisables pour les arts industriels, on parvient à fabriquer des engrais. Nos agriculteurs ayant pris goût au guano, achèteront plus d'engrais artificiels que nous n'en pourrons fabriquer.

On me propose d'y mettre 50,000 francs et l'on m'assure le tiers net des bénéfices, de plus, Rossi et Schiaparelli s'engagent à ne rien entreprendre sans mon approbation. Si vous désirez un intérêt dans cette affaire, je vous le céderai bien volontiers, autrement vous serez notre banquier à Gènes, et nous vous ferons acheter les nitrates de soude, les graisses et les autres objets dont nous aurons besoin.

Ces messieurs ont pour correspondants à Marseille, MM. C... père et fils et MM. C... e J... Vous m'obligerez en prenant des informations sur le compte de ces deux maisons.

Dites-moi également si le papier sur Gènes se fait bien à Marseille. Dans ce moment le Marseille étant très bas chez vous, le Gènes doit bien faire à Marseille, mais peut-être les 50,000,000 de ce bon empereur de Russie vont changer la position et ramener les écus sur les places maritimes.

Il est tombé pendant deux jours une pluie bienfaisante qui a fait beaucoup de bien à, la campagne. Je ne sais si cela influera sur le cours des céréales. Je désire que cela arrête la hausse qui menaçait de faire à chaque marché de nouveaux progrès. Quant à amener de la baisse, je ne le crois guère possible, attendu que les achats pour la Savoie continuent sans interruption. Les voitures sont devenues plus nombreuses et moins chères, de sorte que c'est énorme ce qui part chaque jour pour Suse et le Mont-Cenis.

….............................................................................................

Adieu, mille amitiés.

Camille de Cavour.

LXXI.

29 maro 1847.

Mon cher Émile,

Hier nous avons eu une conférence avec la commission nommée par le gouvernement pour traiter avec la compagnie de Savigliano. La discussion a porté sur les points suivants:

1°) Durée de la cession. Nous demandions 80 ans. On nous en offre 55. Probablement on nous en accordera 60, ou même 65. Sur ce premier point nous serons probablement d'accord, car avec 60 ans à partir de la mise en activité de la route, nous en avons assez.

2°) Tronc commun. Le gouvernement insiste pour faire avec ses locomotives le service du tronc commun, soit de Turin à Moncalier. Cette prétention me parait absurde et onéreuse, surtout pour le gouvernement. Nous l'avons combattue de toutes nos forces. Toutefois, si le gouvernement se soumet à des conditions qui assurent la régularité du service, peut-être trouverons nous avantage à l'accepter, car il y a pour nous une grande économie. La route de Savigliano étant une route royale, nous avons presque la certitude que s'il se manifeste, dans l'organisation du service, des inconvénients graves, le gouvernement sera le premier à chercher à y remédier.

8°) Négociation des actions. Le gouvernement insiste pour que les actions ne soient cotées à la bourse et transformées au porteur, qu'après le payement des 5/10; nous demandions que cela fût fixé aux 3/10. Là dessus la commission a paru assez disposée à transiger.

4°) Le gouvernement veut se réserver la faculté de réviser les tarifs, si le revenu net de la route dépasse le 7 pour %> non compris le fond d'amortissement. Nous nous y sommes opposés et avons propose qu'on divisât avec le gouvernement les produits supérieurs au 7 pour %. La commission a paru gouter notre proposition.

5°) Le gouvernement veut pouvoir racheter le chemin après 15 ans d'exploitation, en assurant à la compagnie une rente égale au produit moyen des 7 dernières années, les deux années les moins productives demeurant exclues du calcul. Nous avons demandé que le rachat ne put avoir lieu qu'après 25 ans. Si l'on fixe ce terme à 20 ans, ce sera raisonnable.

Sur tous les autres points nous avons été d'accord. En général, il nous a paru que le gouvernement avait envie de favoriser notre entreprise. Demain la Société se réunit pour délibérer sur les propositions du gouvernement, et j'espère que la semaine prochaine nous arriverons à une conclusion définitive.

M... m'a dit hier en passant, qu'il croyait que sa maison préférerait nous donner une contre-garantie d'une maison de Paris, pour toute la fourniture. Je lui ai répondu que dans ce cas je croyais que, comme garants, nous nous contenterions d'un pour cent, ainsi que le fait N..., mais qu'il aurait à s'entendre avec vous pour la réception des rails et les avances en compte courant. Pour mon compte je préférerais 1/3 en toute tranquillité, qu'un pour cent avec un certain degré d'inquiétude.

Répondez-moi de suite si vous considérez les B... comme une garantie satisfaisante pour toute la fourniture de 12,000 tonnes.

Au marché de samedi il y a eu moins de fermeté dans les cours. Je crois que la hausse est définitivement arrêtée.

Veuillez me dire à quelle époque nos 661 sacs sont partis de Gènes et à quelle autre on croit qu'ils arriveront au Havre. Je n'ai plus de nouvelles des W... Il me paraît que Marseille doit se ressentir de la hausse sur les riz qui a eu lieu chez nous.

Recevez mes compliments affectueux.

Camille de Cavour.

LXXIII.

Turin, 1 avril 1847.

Mon cher ami,

Il paraît que cette fois nous sommes d'accord et que le projet de banque sera définitivement présenté au ministère avant la fin de la semaine.

Hier nous avons eu une réunion chez Barbaroux. C... nous ayant abandonnés, au grand contentement de tout le monde, nous nous sommes trouvés neuf, le dixième, Salmour, étant pour le moment à Paris.

Je ne vous conterai pas ce qui s'est passé, en détail. Il y a eu des incidents d'un haut comique. Un moment personne ne voulait d'actions, cinq minutes après on se les disputai! Enfin nous sommes arrivés aux conclusions suivantes:

1°) Les statuts seraient mis au net et signés dans la journée de jeudi.

2°) Chacun des dix fondateurs figurerait pour 400,000 francs, mais les personnes suivantes ne s'engageaient d'une manière définitives que:


MM. Nigra 200,000.
Barbaroux 200,000.
Casana 200,000.
Vicino 200,000.

Chacun de ces MM. m'a abandonné d'une manière définitive la moitié de la somme à laquelle ils auraient eu droit, à condition que, si dans l'espace de 20 jours ils ne changeaient pas d'opinion, j'eusse à me charger de toute la somme. J'ai accepté, tant en mon nom qu'au vôtre. Sans me vanter, je vous assure avoir eu un aplomb admirable. Un moment je me suis trouvé avoir presque toute l'affaire sur les bras.

En définitive en nous quittant, je me suis trouvé avoir:


Pour mon compte 400, 000.
id. compte de Salmour 400, 000.
id. Nigra définitif 100, 000.
id. Barbaroux définitif 100, 000.
id. Vicino 150, 000.
id. Casana 100, 000.

1, 250, 000.
Plus, engagements éventuels 450, 000.
Total 1, 700, 000.

Malgré l'appui que vous me prêtez, je vous avoue que je me suis trouvé un tant soit peu hardi. Ne voulant pas commettre d'imprudences trop fortes, j'ai été le soir même chez mon ami le comte Rignon et je lui ai cédé 200,000 francs. Le brave gargon en aurait désiré 400,000. Heureusement j'ai résisté.

Ce matin je suis assailli de demandes. Bolmida prétend avoir des engagements, Mestrezat m'exhorte à céder à différentes maisons fort respectables. Jusqu'à présent je n'ai lâché que les 300,000 de Vicino, qui seront distribués entre MM. Mascardi, Rignon frères et Denina.

Cela me laisserait toujours avec 900,000 francs d'assurés et 300,000 francs d’éventuels, sur lesquels il ne faut pas compter, vu la tournure que prend l'affaire.

Sur ces 900,000 francs, je vous en céderai 400,000 et 200,000 à MM. Ricci. Je garderai 300,000 entre Salmour et moi.

Les banquiers genevois Mestrezat, Long et De Fernex sont très chauds, ils ont déjà bon nombre d'ordres de leurs correspondants de Genève.

Si je n'avais pas blagué un peu, l'affaire ne réussissait pas. J'ai offert à Nigra de lui avancer la valeur des actions contre intérêt. J'ai dit que vous étiez prèt à débourser un million, enfin je les ai amenés à conclure, ce qui ne paraissait guère probable au moment où nous nous sommes réunis.

A la hâte, mille amitiés.

Camille de Cavour.

LXXIII.

2 avril 1847.

Mon cher ami,

Ce qui était facile à prévoir est arrivé. Hier toute la bourse voulait des actions. Les cédants sont tout honteux. Le vieux Barbaroux m'a fait dire qu'il garderait volontiers sa part entière. Je lui ai répondu qu'ayant considéré son engagement comme formel, j'avais disposé des 100,000 francs qu'il m'avait cédés. il n'y a rien à dire, il faut qu'il subisse les suites de sa sottise.

Toutefois, comme j'ai à plusieurs reprises déclaré que je me portais fort pour votre maison, afin d'éviter toute chicane, vous m'obligerez beaucoup, en m'envoyant une déclaration dans la forme suivante:

«Les soussignés déclarent reconnaître tous les engagements que Mr de Cavour pourrait prendre en leur nom, relativement à la formation d'une banque d'escompte à Turin.

«De la Rue, frères».

Ces messieurs sont on ne peut plus capots. C... avait hier, en me parlant, les larmes aux yeux.

A une heure nous signons et demain probablement nous irons chez le ministre. A la hâte, mille amitiés.

Camille de Cavour.

LXXIV.

Turin, 5 avril 1847.

Mon cher ami,

C'est bien 400,000 francs que je vous cède, je me suis trompé samedi. Seulement je vous prie d'écrire à votre père, en mon nom aussi bien qu'au vôtre, car il ne m'en reste plus assez pour pouvoir lui en donner.

J'ai eu tort de céder 200,000 francs à Rignon. Il se serait contenté de 100,000 francs, et nous serions demeurés également bons amis. Patience!

Nigra s'étant fait mettre les sangsues, nous avons été chez Rével avec Casana. Le ministre nous a fort bien accueillis.

Ses seules objections ont porté sur la difficulté de trouver du papier à escompter à Turin. Là-dessus nous lui avons présenté plusieurs observations, et nous avons terminé en disant que si la Banque escomptait peu, ce serait tant pis pour les actionnaires, mais qu'en définitive le pays gagnerait toujours quelque chose.

Si Rével croit l'affaire médiocre, il ne nous forcera pas à faire une distribution philanthropique de nos actions.

Je suis charmé que vous ayez donné la signature à Georges et à votre beau-frère (1). Cela vous permettra de faire plus souvent des courses à Turin, où nous finirons bien par nouer quelques bonnes affaires. Cette année nous avons travaillé le guano et le riz et mais, l'année prochaine ce sera la Banque et les chemins de fer. Espérons que ces nouvelles spéculations iront aussi bien que celles que nous avons à peu près liquidées.

À propos de guano, un de mes amis s'étant adressé à Gènes pour avoir de ce précieux engrais, on lui a écrit qu'on y attendait d'un jour à l'autre un bâtiment venant du Pérou. Tenez-vous au courant de ce qui se passe, car il ne faut pas laisser sortir ce commerce de nos mains. Quoique je sois sur le point de devenir fabricant d'engrais, je ne renonce pas au guano, si je peux l'avoir au prix de l'année dernière.

Vous aurez vu, d'après le projet de statut, que, pour le moment, nous n'aurons à verser que 500 francs par action, et que par conséquent nous n'aurons pas grandes avances à faire.

J'envoie chercher Golzio, pour lui communiquer l'article qui le regarde. Si jamais nous faisons l'affaire des traverses et qu'il y ait une Banque à Turin, vous tirerez à trois mois sur Golzio, des traites que j'endosserai; cela fera travailler la Banque et nous procurera, à peu de frais, les fonds dont nous avons besoin.

Adieu, mille amitiés.

Camille de Cavour.

(1) Monsieur Georges de la Elle, cousin, et Mr William Granet, beau frère de Mr Émile de la Elle.

LXXV.

12 avril 1847.

Mon cher ami,

J'ai reçu hier la lettre que vous m'avez envoyée au milieu d'un échantillon de blé. Je vous remercie des prompts renseignements que vous m'avez fait parvenir sur le voyage de Bombrini. Je le considère comme excessivement utile à notre entreprise. La seule objection que Rével nous ait adressée, reposait sur ce que jamais Gènes n'avait songé à établir une succursale à Turin. Si maintenant la Banque demande à le faire, le ministre ne craindra plus d'autoriser une Banque qui n aurait rien à faire.

J'ai été chez Rével; ne l'ayant pas trouvé, j'ai vu le premier officier Mr Ceppi (1), homme de beaucoup de mente. J'ai pu me convaincre par la longue conférence que nous avons eue ensemble, que l'opposition des génois ne saurait nous être nuisible.

Quant aux actionnaires de la Banque de Gènes, à Turin, nous n'avons rien à craindre, car se sont pour la plupart, des personnes qui ont souscrit à notre demande, ou qui sont associées aux souscripteurs.

Casana a 100 actions, Bolmida autant, et l'un et l'autre sont maintenant passionnées pour l'établissement de la Banque.

L'arrivée des génois mettra l'amour propre des Turinois en jeu. Là dessus n'ayez aucune crainte.

Mestrezat verra Bombrino probablement ce matin, et tâchera de lui prouver, ce qui au fond est très vrai,

(1) Le comte Lorenzo Ceppi, pendant plusieurs années, premier officier au Ministère des finances. Aussi habile administrateur que profond magistrat» (Lettre du comte de Cavour au marquis de Villamarina,16 mars 1858). Député du Collège de Caselle à la II et III Législature, premier officier aux finances (Ministère Thaon de Rével), passa ensuite à la Cour de Cassation et au Conseil d'État, fut nommé sénateur en 1860; mourut en 1872. Le Roi lui accorda le titre de Comte, en récompense de ses longs et importants services.

que l'établissement d'une Banque ici ne saurait être désavantageux à celle qu'il dirige à Gènes. Si je ne partais pas ce matin pour Léri, je verrais Bombrino moi-même, et je crois que je viendrais à bout de le convaincre de l'inutilité de ses efforts.

Hier nous avons eu une seconde conférence avec la Commission chargée de traiter avec nous les conditions de la concession du chemin de fer de Savigliano. Nous l'avons trouvée infiniment plus coulante, de sorte que nous sommes parvenus à nous mettre d'accord à peu près sur tous les points.

Nous arriverons à Turin avec nos locomotives.

Nous mènerons des voyageurs à Moncalier, ce qui est une concession immense. Le péage à payer au Gouvernement pour le tronc commun, est fixé aux 2/5 du prix d'ici à Moncalier, ce qui est fort raisonnable. Enfin nous pourrons négocier nos actions et les faire coter à la bourse, après le payement des 3/10.

Maintenant on nous chicane un peu pour la durée; nous avons tenu bon pour 70 ans et il a été convenu qu'on soumettrait notre demande au Conseil d'État.

On a renoncé au remaniement des taxes, lorsque l’intérêt net serait du 7. Le Gouvernement demande le partage après ce taux, nous le lui offrons après le 10. Probablement tranchera-t-on la difficulté en établissant le point de partage au 9 ou au 8, ce qui, à mon avis, ne serait pas exorbitant.

Pendant la discussion Pampara nous a quittés pour aller assister à la promenade journalière du Roi.

Le Roi lui a parlé de notre affaire et lui a dit en riant: «J'espère que les commissaires sont bons enfants». Ils l'ont été en effet. Il considère l'affaire comme à peu près arrêtée.

Je m'en vais écrire a T... P..., auxquels j'ai cédé un intérêt de 225,000 francs, voulez-vous que je leur propose d'abandonner leur contrat? Nous les prendrions à compte à demi. Si je ne me trompe, le moins que puissent valoir nos actions au moment de l'émission, c'est 10 pour %.

Le vent de la semaine dernière est considéré comme fâcheux pour les jeunes blés. C'est peut-être une illusion, je crois que le mal produit par la sécheresse, est plus apparent que réel, et que la sécheresse, à moins qu'elle ne se prolonge outre mesure, affectera la paille plus que le blé. Néanmoins l'effet n'est pas moins positif sur les imaginations, de sorte que je crois à une reprise dans les prix, dont je profiterai pour écouler le reste de nos mais.

Écrivez-moi demain à Tronzano. Adieu, je vous quitte pour monter en voiture. Tout à vous.

Camille de Cavour.

LXXVI.

15 avril 1847.

Mon cher ami,

Je réponds deux mots à la hâte à votre lettre du 18.

L'affaire des traverses est mal acheminée, Golzio croit qu'on ne peut soumissionner qu'autant qu'on serait assuré d'avance de 100,000 traverses. Les Carignani voulant traiter pour leur compte, il ne faut guère compter sur les traverses de Corse.

La course de Bombrino ne m'a jamais effrayé, ce que je crains ce sont les sourdes menées de quelques maisons de Turin, qui sont mécontentes de ne pas avoir la haute main dans cette affaire. Cependant je considère l'affaire trop engagée pour qu'il soit possible de la faire avorter.

Je ne connais pas Mr F... de Pavie, qui a acheté des riz pour Mr G...; celui-ci lui a été adressé par un de mes amis de Verceil. Si vous désirez avoir des renseignements sur son compte, je puis facilement m'en procurer.

J'ignore si Messieurs d'Eichtall et André De la Rue désirent avoir un exemplaire de mon article sur la législation des céréales, qui a paru il y a deux ans dans

la Bibliothèque Universelle de Genève, ou bien si c'est mon article  sur l'influence des réformes anglaises sur le commerce de l'Italie. Veuillez me fixer à cet égard.

Si vous le voulez, nous établirons notre compte à demi,  à partir du premier Mai; si vous l'approuvez vous arrêterez à cette époque le compte que vous avez avec mon père. Bien entendu que vos rentes seront perçues comme par le passé.

Je serai mardi à Turin. Si votre présence peut être utile à nos affaires autant qu'elle me serait agréable, je vous récrirai.

Il doit y avoir une grande fête dans le mois de Mai, dans le jardin du Roi; vous pourriez saisir cette occasion pour venir traiter nos affaires et faire d'une pierre deux coups.

Adieu, mille amitiés.

Camille de Cavour.

PS. J'espère que Davidy pourra me donner des nouvelles de nos riz du Havre.

LXXVII.

Turin, 20 avril 1847,

Mon cher ami,

Je m'empresse de vous annoncer mon retour à Turin. N'ayant encore vu personne, je n'ai rien appris de nouveau sur la Banque et le chemin de Savigliano.

Les nouvelles de France annoncent une reprise très marquée dans les céréales. J'espère que nous en profiterons pour vendre nos riz à Marseille et au Hàvre. Chez nous, la faiblesse continue, mais elle ne saurait durer car le temps est peu favorable aux récoltes, il y a eu de la gelée blanche qui a fait du mal aux seigles. Les avis sont partagés sur l'effet produit sur la feuille du mûrier.

Certainement la gelée ne leur a pas fait du bien, mais il est probable que les marchands de soie exagèrent le mal.

Je pense qu'il est convenable de faire commencer le compte à demi le 1er Mai. A ce sujet, je vous prie de me diriger dans les commencements. Vous me marquez les courtages à ½ pour 100 je crois que vous voulez dire ½ pour mille.

Ce matin, à la bourse, on assurait de nouveau que les mûriers avaient souffert.

Croyez à ma sincère amitié.

Camille de Cavour.


vai su


LXXVIII.

21 avril 1847.

Mon cher ami,

Les W... n'ayant pas conclu la vente de nos mais à 47, je leur écris de suspendre le contrat jusqu'à nouvel avis. Ce prix me parait trop bas pour ne pas provoquer une reprise. La hausse est très marquée dans le Nord, elle influera sur le Midi.

Si toutefois vous ne partagez pas mon opinion, je vous offre de me charger à 47 francs des 346 sacs sociaux.

Seulement pour ne pas payer une doublé commission aux W... nous attendrions pour régler cette affaire, que j'eusse effectué la vente pour mon compte.

Je crois que notre fabrique d'engrais et de produits chimiques sera en activité le mois prochain, sous la raison Eossi, Schiaparelli et Compagnie. Je leur ai fait une commandite de 50,000 francs, dont 40,000 pour mon compte et 10,000 pour celui de mon ami Mr de Sainte Rose. Sans croire aux calculs de Mr Jullien, qui n'a aucune espèce de privilèges en Piémont, je pense que ce sera une excellente affaire. Il m'est impossible de vous en expliquer les détails avant que vous veniez à Turin.

Si cependant vous étiez tenté de vous y intéresser, je vous céderai sur ma part jusqu'à concurrence de 20,000 francs, la somme que vous me demanderiez.

J'ai promis à mes associés, qui cependant apportent chacun 50,000 francs dans l'affaire, de leur ouvrir à Gènes un crédit de 50,000 francs, pour solder les achats que la fabrique devra faire, tant sur cette place qu'à Marseille, Trieste et Livourne. Je pense que vous n'aurez pas de difficultés à leur ouvrir ce crédit, sur ma responsabilité personnelle, sauf le cas où vous vous intéresseriez dans l'affaire, car alors nous partagerions la responsabilité en proportion de notre mise de fonds.

Pour les achats que vous traiteriez directement à Gènes, vous percevriez la commission qui est d'usage, et quant aux traites qui seraient fournies, il me parait que vous devriez percevoir 1/3 de commission et 5 pour % d’intérêts.

M... a passé chez moi, mais nous nous sommes manqués. Je suis fort satisfait des informations que vous me transmettez sur les T... and F... Elles me tranquillisent tout-à-fait, si M... soumissionne pour eux.

Le pauvre Golzio est malade d'une traverse rentrée, on lui a fait quatre saignées, toutefois il commence à mieux aller.

Nigra et Ticino sont irrités de ne pas avoir mené l'affaire de la Banque. Ils sont honteux du sot rôle qu'ils ont joué.

J'ai appris que les J. B. F... de Pavie étaient des commissionnaires en céréales fort estimés pour leur probité et leur fortune. Cependant, je ne saurais vous fixer, d'une manière absolue, sur l'étendue du crédit qu'ils méritent.

Il parait bien que les mûriers ont un peu souffert. On attend les nouvelles du midi de la France, avec impatience.

Le froid a diminué, mais le vent continue; je n'ai pas une très bonne idée de la future récolte de blé.

Les riz sont calmes, cependant la consommation intérieure a pris une assez grande activité par le manque des légumes.

Pichiura a vendu ce qui nous restait de mais, à 5 francs, livrables à Turin. J'ai été très content de la manière dont il a mené cette affaire.

Il faudra quelque temps pour réaliser nos fonds, mais nos acheteurs sont fort bons.

Adieu, mille amitiés.

Camille de Cavour.

LXXIX.

24 avril 1847.

Mon cher ami,

Une personne, d'ordinaire bien informée, m'a assuré ce soir, que le Conseil des ministres avait adopté un avis contraire à la Banque de Turin. Cela ne m'étonnerait guère, vu l'ignorance et le mauvais vouloir de la plupart de ces Messieurs qui nous gouvernent. La nouvelle peut être exagérée, mais le fond est vrai. Il y en a assez pour faire monter les actions de la Banque de Gènes.

En conséquence, je viens vous proposer d'acheter de compte à demi, de 20 à 80 actions de la Banque de Gènes, de 135 à 137. Si notre demande est rejetée, ou seulement ajournée, nous les revendrons dans la semaine au-delà de 140. Ce petit bénéfice nous dédommagera du petit déboire qu'on nous fait essuyer.

Adieu, mille amitiés.

Camille de Cavour.

LXXX.

8 mai 1847.

Mon cher Émile,

Je vous envoie 60 et quelques mille francs. Vous me direz si j'ai fait des boulettes. Envoyez-moi force billets si vous trouvez que le change se soutient sur Paris. Cette valeur va probablement baisser, attendu l'approche des filatures.

La chambre de commerce, après une longue discussion, a opiné:

1°) Que l'institution d'une Banque était éminemment utile.

2°) Qu'elle ne pouvait faire aucun tort à la Banque de Gènes.

8°) Qu'on devait payer intégralement les actions dans l'espace de 6 mois.

4°) Qu'il fallait donner 2 millions aux fondateurs et répartir les autres 2 millions entre les principales maisons de Turin.

Enfin, qu'il était convenable de consulter les fondateurs, pour la répartition des actions.

Savigliano traine. Vous verrez que la Banque prendra le pas sur le chemin de fer.

Adieu, à la hâte.

Votre dévoué

Camille de Cavour.

LXXXI.

19 mai 1847.

Mon cher Émile,

Il paraît que la faillite de Mr X... de Londres oblige MM. V. à suspendre leurs payements. On espère encore, que l'affaire ne sera pas trop mauvaise. Ces messieurs avaient beaucoup perdu l'année dernière, mais cette année ils se sont presque abstenus de faire des affaires, ce qui prouve qu'ils sont d’honnêtes gens, ce dont d'ailleurs personne ne doute. Une réunion des principaux créanciers doit avoir lieu aujourd'hui chez Long.

H est possible qu'on prenne des arrangements qui leur permettront de continuer à marcher.

Je vous ai remis en mars une traite d'eux, de 800 L. st., qui échoit le 20 juin. Pour éviter des frais, il sera, je crois, utile de la faire payer par Heath.

Je ne doute pas que ces messieurs ne fassent honneur à ma signature si je les en prie, mais n'étant pas en compte avec eux, vous m'obligeriez, lorsque vous leur écrirez, à les autoriser à porter au débit de votre compte le montant de cette traite, si je réclame de leur complaisance son payement.

Bien de nouveau de Savigliano, j'ai dit à Pampara qu'il fallait frapper un grand coup, en déclarant au Gouvernement que nous retirions notre demande. Peut-être cela produirait-il quelque effet.

M... a de nouveau été très souffrant. Le Gouvernement ne s'est point encore prononcé à son égard. Les fers ont baissé en Angleterre; S... doit avoir proposé un assez fort rabais. Mon opinion est qu'on ne l'acceptera pas, mais avec des gens comme ceux qui nous administrent, il est impossible de prévoir ce qui peut arriver.

Les informations que j'ai prises hier, relativement aux vers à soie, ne sont pas aussi favorables que je l'avais supposé.

Les éducations vont assez bien, mais il parait que la feuille manque généralement. Dans plusieurs provinces on a revendu une partie des vers déjà éclos, et la semence est tombée à un prix infime. Il est donc certain que la récolte ne peut être très abondante. Si les chaleurs qui se sont développées, continuent avec la même intensité, elle sera mauvaise.

Les blés ont beaucoup gagné, cependant la récolte sera tout au plus moyenne.

Le temps a été on ne peut plus favorable aux semailles du riz et des mais. J'espère pour mon compte, grâce au guano, en faire plus encore que l'année dernière.

J'ai écrit à Liverpool pour que l'on m’achetât 400 tonnes de guano de Schaboe à L.6,10. Si nous traitons l'affaire de compte à demi, je me réserverai 100 tonnes au prix coûtant. Il est prouvé maintenant que l'effet du guano dure au moins deux années, de sorte que son débit est certain.

J'ai vu Mestrezat, il m'a dit que les V. devaient 400,000 au plus, et que leur actif dépasserait probablement cette somme. Il est, ainsi que Long et De Fernex, des plus intéressés dans cette affaire. Les nouvelles de Londres étaient meilleures ce matin. Mercier espérait reprendre ses payements, si les Y... pouvaient tant soit peu l'aider.

Enfin, quoiqu'il arrive, ce ne sera pas désastreux autant que les riz de W... que j'ai sur le cœur.

Tout à vous

Camille de Cavour.

LXXXII.

Turin, 20 mai 1847.

Mon cher Émile,

Ayant été ce matin faire une course à Truffarello, avec mon père, je me borne à vous accuser réception des 20,000 fr. que vous m'avez envoyés.

M... m'a remis les pouvoirs des T... et F. , ainsi cette affaire est réglée.

J'écris ce matin à Heath de payer la traite de Vertu (1) sur Mercier, et de se rembourser sur vous.

L'affaire V. parait passable. L'actif est de 700,000 et le passif de 500,000. En déduisant les mauvaises créances, il y aurait encore un boni. Toutefois il faut attendre les nouvelles de Londres pour porter un jugement définitif.

Il n'y a que des Turinois compromis, pas un seul étranger. Les plus attrapés sont Celestin Long, pour 1600 L. st., Long et Mestrezat, pour 1000 L. st., chacun. De Fernex, Dupré, Kignon, Andreis et une foule d'autres, pour des sommes, qui varient entre 10 et 20 mille francs.

On a convenu de laisser la gérance des affaires aux V., mais de leur adjoindre trois commissaires.

On craint que si les traites reviennent de Londres un peu vite, cela ne fasse manquer plusieurs petits marchands.

Merci des nouvelles du guano.

Les blés sont médiocres, tout le long de la route. On assure qu'ils valent mieux plus loin.

Adieu, à la hâte

Camille de Cavour.

LXXXIII.

Turin, 22 mai 1847.

Mon cher Émile,

Je vous remercie des nombreux et intéressants détails que vous m'avez transmis dans vos lettres du 19,20 et 21 mai.

Golzio ne croit pas tout à fait exact ce que vous lui mandez relativement à 0... Les C... continuent à lui écrire comme s'ils tenaient toujours la compagnie Suisse sous leurs mains. Je crois qu'il faut renoncer à cette affaire des traverses. Elle est beaucoup trop compliquée. Elle nous donnerait trop d'ennuis et de soucis, surtout si nous avions pour associés les jeunes C... qui me paraissent furieusement légers.

Quant aux rails, je suis moins inquiet que vous. L'intendant général a dit à Golzio qu'on avait attendu l'arrivée de M... pour essayer les fers que M... avait présentés. Quoiqu'il n'ait rien ajouté de positif, il a parie comme un homme qui considérait l'affaire comme décidée.

Quant à Savigliano, nous attendons une réponse définitive d'un jour à l'autre. Il paraît que le Gouvernement ne veut pas démordre de la clause qui limite le dividendo maximum au 4 p. %. Si cela est, mon avis est d'envoyer au diable le projet.

(1) Banquier et filateur de soie à Turin. Mr Vertu est un de nos exposants les plus distingués. Les soies qu'il a exposées, soutiendront, j'espère avantageusement, la comparaison des soies françaises». (Lettre du comte Cavour au marquis E. d'Azeglio,25 avril 1851 — N. Bianchi, Politique du comte de Cavour, pag. 8).

Qu'en dites-vous? Dans l'état actuel du monde financier, il serait absurde de s'engager dans une affaire douteuse. D'ailleurs, en voyant la manière dont le Gouvernement agit à notre égard, il est impossible de ne pas soupçonner un mauvais vouloir de la part du ministre ou de quelque autre personnage influent.

En abandonnant Savigliano, en voyant réduit notre intérêt dans la fondation de la Banque, nous devons penser à d'autres affaires qui ne dépendent pas du bon ou mauvais vouloir de nos ministres. Golzio est venu m'en proposer une ce matin, qui m'a paru très séduisante.

Je vous joins la note qu'il m'a remise. Si vous acceptez en principe, je vous entretiendrai des détails de l'affaire qui est des plus intéressantes.

Il s'agirait de s'associer à un individu qui jouit au plus haut degré de la protection d'un illustre personnage, et de créer une industrie qui, bien exploitée, peut amener à de très grands résultats. Golzio et son associé feraient la moitié des fonds. Il s'agirait de faire l'autre moitié.

Je vais m'occuper de votre Examiner (1). Le plus simple est d'aller en parler au directeur général, le marquis de Cavaglia (2). Je le ferai incessamment.

L'affaire des V. paraît devoir s'arranger d'une manière satisfaisante. S'ils avaient été soutenus par leurs parents et amis, ou même s'ils avaient eu un peu plus d'énergie, ils auraient pu très bien se tirer d'affaire. Pour faire face à 350,000 francs d'échéances plus ou moins éloignées, ils avaient au moins 250,000 fr. de disponibles, abstraction faite de ce que Mercier leur doit. Ils ont agi en hommes d'une excessive délicatesse. Peut-être eussent-ils rendu un service à leurs créanciers, en étant un peu plus hardis.

(1) Le journal l'Examiner qui arrivato irrégulièrement à MM. De la Rue.

(2) Directeur général des postes à Turin.

Je vous remercie de l'avis que vous me donnez sur les GL. Je partage tout-à-fait votre opinion à leur égard. Je ne crois pas que nous ayons de catastrophe à craindre sur la place de Turin.  Le commerce des soies est assez prudent cette année. On à très peu envoyé en Angleterre. Les affaires avec Lyon et l'Allemagne n'ont guère laissé de bénéfices, mais elles n'ont pas non plus entraîné de grandes pertes.

Ce malheureux Coq (1) me corne dans les oreilles, car n'étant pas arrivé à l'heure qu'il est, c'est signe qu'il a fait naufrage quelque part, Étant parti au mois de février, il aurait eu le temps d'aller et de venir deux ou trois fois. S'il avait abordé dans quelque port intermédiaire, le capitaine aurait écrit à Custo. Veuillez me dire ce que le dit Custo, qui est fort expert dans ces affaires, en pense.

J'ai déjà retiré près de 40,000 francs de nos mais. C'est déjà plus que nous n'avons déboursé. Il y a une petite queue que j'espère bientôt écorcer.

J'ai remis à Gabella une traite de 1200 francs pour solde des frais du guano des Deux Sorelle. Comme c'est une affaire que nous avons traitée en compte à demi, je vous ai crédité simplement de la dite somme dans les colonnes de votre compte courant.

Petitti étant malade, Cobden est à ma charge, cela ne me laisse guère de temps pour songer aux affaires. Adieu, mille amitiés.

C. de Cavour.

(1) Navire sur lequel le comte Cavour avait expédié une cargaison de riz et de blés au Havre.

LXXXIV.

Turin, 26 mai 1847.

Mon cher ami,

….........................................................................................

L'affaire de Golzio est une affaire de bois. Il voudrait, avec le fameux Moncalvo, le grand menuisier de la Cour, établir une scie mécanique à la porte de Turin et un dépôt de bois exotiques et du pays.

Il croit que Moncalvo, qui est le favori de Castagnette (1), obtiendra toutes les facilités imaginables et que l'affaire est aussi sûre qu'excellente.

Avant d'avoir re§u une réponse de votre part, je n'ai voulu entrer dans aucun détail. Il m'a offert de me porter tous ses calculs, je les lui demanderai. Comme vous, je suis dégoûté de Savigliano, et je n'attends que la fin des courses (2) qui occupent exclusivement Pampara, pour proposer à la société une mesure énergique. Rignon et les principaux actionnaires sont entièrement de mon avis.

Je ne vous ai pas encore envoyé copie de notre contrat avec Rossi et Schiaparelli, parce que je l'ai remis à ce pauvre Ste-Rose, qui, à peine en convalescence, a eu son fils à la mort.

Cobden (3) est ici depuis cinq jours, je l'ai beaucoup vu et j'en ai été excessivement satisfait; c'est un homme d'un bon sens parfait et d'un esprit très fin et très adroit. Il est en outre d'un caractère charmant, simple, modeste et de bonne foi.

(1) Le comte César de Trabacco Castagnetta, sénateur du royanme.

(2) Une société de coarses de chevaux venait de sfétablir à Tarin.

(3) Le grand économiste anglais.

Hier nous lui avons donne un grand dìner chez Trombetta (1). Colobian (2) devenu free-trader sans s'en douter, le présidait. Pollon (3), Petitti, les deux Syndics, le comte Sclopis (4), les deux premiers officiers du ministre de l'intérieur, beaucoup de grands propriétaires, plusieurs banquiers, des avocats, des savants y assistaient. Les choses se sont bien passées. Colobian a lu un discours en l'honneur

(1)  Propriétaire du grand Hotel de l'Europe à Turìn, place du Château.

(2) Le comte Colobian, ancien officier de gendarmerie, un des favoris du roi Charles Félix et de la reine Marie Christine.

(3) Le comte Antoine Nomis di Pollone, mort en 1866 conseiller d'État et sénateur du royaume, fut nommé en 1849 inspecteur général des postes, et en 1851 commissaire royal à l'Exposition de Londres.

(4) Le comte Paul Frédéric Sclopis di Salerano (né à Turin en 1798, mort en 1878), jurisconsulte du plus haut mérite. Attaché d'abord au cabinet particulier du ministre Prospero Balbo, il fit partie de la Commission nommée par Charles Albert, pour élaborer le nouveau Code civil, puis président de la Commission pour la loi sur la presse, et ministre de grâce et justice en 1848 (cabinet Balbo) il s'occupa de la réforme des-lois pour les harmoniser avec le Statuto, et} en particulier, d'un concordat entre l'Église et l'État. Il envoya dans ce but, à Rome, le marquis Domenico Pareto, avec un memorandum pour le Pape, qui n'aboutit pas. Après la démission du cabinet Balbo, il fut créé sénateur, puis vice-président et président du Sénat, où il prononça plusieurs important discours. Il succéda à Plana dans la présidence de l'Académie des Sciences de Turin, et collabora à l'Antologia fondée à Florence par Vieusseux, tout en continuant à publier d'importantes œuvres de jurisprudence. Catholique fervent, il combattit la suppression des Ordres religieux et l'obligation du service militaire pour le clergé. En 1868, le Roi lui accorda le collier de l'Ordre suprême de l'Annunziata. Dans la fameuse question de l'Alabama, qui mena la de faire éclater la guerre entre l'Amérique et l'Angleterre, en 1872, Sclopis eut l'honneur d'être nommé arbitre entre ces deux nations, et il devint ainsi le chef de l'école qui voudrait substituer l'arbitrage international à la guerre.

du Eoi. Scialoja (1) a porté un toast à Cobden. Celui-ci a. répondu, en mauvais français, des choses excessivement spirituelles et tout-à-fait à propos. Enfin j'ai terminé la séance, par un dernier discours à Cobden, dont je me suis tiré tant bien que mal (2).

Aujourd'hui, je le mène aux courses. Demain il dine chez Abercromby (3), après demain id. et vendredi il part.

Je suis charmé de l'idée de vous voir dans une quinzaine de jours. Je désire bien pour vous et pour nous, que d'ici là la chaleur diminue, car pour le moment elle est véritablement étouffante. Ce temps ne vaut rien pour la campagne; les blés mûrissent trop vite, et les mais souffrent de la sécheresse.

Adieu, mille amitiés.

Camille de Cavour.

LXXXV.

Turin, 28 mai 1847.

Mon cher ami,

Malgré vos avis, je vous envoie un peu de papier sur Paris et Lyon, qui doit nous laisser quelque petite chose pour le compte à demi. C'est du papier de toute tranquillité. Quoique le bon Bertini fasse un tant soit peu de circulation avec Paris, il est encore une des colonnes les plus solides du commerce de Turin.

(1) L'avocat Antoine Scialoja, né en 1817 dans la province de Naples, mort en 1877. Économiste et libre échangiste distingué, appelé en 1845 à la chaire d'économie politique de l’Université de Turin, ministre du commerce en 1848 à Naples, fut emprisonné par la police bourbonne en septembre 1849 et condamné à 9 ans de réclusion, peine qui fut ensuite changée en exil perpétuel. Il se réfugia à Turin, où Cavour qui l'estimait beaucoup, le nomma consultore legale au cadastre.

(2) C'est dans ce discours que le comte de Cavour adressa à Cobden, ce bel éloge: «De loin on vous admire, de près on vous aime».

(3) Ministre d'Angleterre à Turin.

Ne vous prononcez pas d'une manière négative sur l'affaire que Golzio vous propose. Si Moncalvo obtient la concession que le ministre lui a fait espérer, ce sera un apport gratuit de SO ou 40 mille francs qu'il fera à la société. Car une force motrice, comme celle qu'on lui promet dans la ville même, a un prix d'avenir inestimable. D'ailleurs il n'y aurait que le tiers des fonds employé d'une manière stable, le reste serait un capital circulant, dont une partie irait en achats de bois exotiques qui vous viendront à Grènes.

Je vous le répète, si Moncalvo ne se fait illusion, c'est une affaire telle que, même lorsqu'il faudrait renfoncer au commerce, on réaliserait un joli bénéfice enrevendant le terrain.

Je vous promets de ne vous engager dans cette affaire, que s'il y a dix à gagner et un à perdre.

Si vous désirez que nous fassions marcher activement le compte à demi, envoyez-moi des billets. Si au contraire vous croyez plus prudent de rester en panne, remettez-moi du Turin.

J'ai pris des informations précises sur la maison Gr. Il ne résulte pas qu'elle ait éprouvé des pertes. Cette année, au contraire, elle a agi d'une manière très-prudente et elle est du petit nombre des maisons de soie qui aient réalisé leur campagne avec bénéfice. Elle fait assez en huile, ayant des parents à Nice et dans la rivière de Grènes. En définitive, je ne pense pas qu'on doive la traiter avec défiance Bt la ranger dans le nombre des maisons douteuses.

Les maisons qui font en soie, en général, n'ont pas perdu cette année. Les pertes des V. remontent à l'année dernière. Ainsi que presque tous leurs confrères, ils avaient fort restreint le cercle de leurs affaires, ce qui résulte, du reste, de l'état de leur passif.

Cobden part demain pour Milan et Vienne; il va tâcher de convertir le prince de Metternich. Le Roi l'a fort bien accueilli et s'est prononcé pour la diminution graduelle des droits de douane.

Les chaleurs continuent h être accablantes. Il faut espérer que nous aurons bientôt la pluie; sans cela, la récolte des mais serait sérieusement menacée dans les terres sablonneuses.

Merci des nouvelles du Coq. Le capitaine doit être une brute, pour ne jamais avoir écrit à ses commettants depuis Gibraltar.

Adieu, mille amitiés.

Camille de Cavour.

LXXXVI.

Turin, 29 mai 1847.

Mon cher Émile,

Je vous transmets la réponse du marquis Cavaglia, directeur général des postes, aux réclamations que je lui ai adressées en votre nom, au sujet de l'Examiner. Vous verrez qu'il rejette la faute sur votre correspondant de Londres. C'est peut-être une défaite, mais elle aura pour résultat d'exciter les employés de Gènes et de Turin à user envers vous d'un peu plus d'exactitude.

Revel hier m'a écrit une longue lettre, en m'envoyant le rapport de la chambre de commerce sur notre demande de fonder une Banque à Turin. Il parait approuver les propositions de la Chambre, mais il m'annonce que quant à la distribution des actions, il ne compte pas se départir des bases adoptées à l'égard de la banque de Gènes. Cette déclaration m'a beaucoup peiné, car elle change tout-à-fait ma position vis-à-vis de mes cessionnaires. Je ne sais comment, dans ce cas, tenir mes engagements avec vous et Ricci, car enfili, je ne puis pas réduire Salmour à rien, ce qui lui arriverait s'il était obligé de subir une réduction proportionnelle.

Quant à vous, je serai toujours charmé de vous donner la moitié de tout ce que j'aurai, peu ou beaucoup, mais avec les Ricci je ne puis en faire autant.

S'ils ne veulent pas se contenter de peu de chose, de 20 ou 30 mille francs au plus, s'ils prétendent que je suis engagé envers eux d'une manière absolue, j'aime mieux me retirer de l'affaire.

Dans les termes où nous sommes menacés de nous voir réduits, je vous offre un compte à demi complet. Je tâcherai de faire que Rignon se contente de peu de chose, faites en autant avec les Ricci.

Je regretterai de devoir me retirer, non pas à cause du bénéfice qui doit résulter de cette affaire, mais parce que le désir d'avoir une banque à Turin devient, de jour en jour, plus vif à Turin et que je désirerais attacher mon nom à son établissement.

Lundi nous nous réunissons chez Barbaroux pour délibérer la réponse à faire au ministre. Je vous communiquerai mardi le résultat de cette séance.

Si du Paris, comme celui que je vous ai envoyé, vous va, je puis m'en procurer beaucoup. L'excellent Adriani met toujours son portefeuille à ma disposition et comme c'est un des meilleurs papiers de Turin, je puis opérer en toute sûreté.

Cobden est parti ce matin, emportant nos sympathies et nos regrets. Il a su se concilier l'affection et l'estime de tous ceux qui l'ont approché.

Adieu, mille amitiés.

Camille de Cavour.

LXXXVII.

2 juin 1847.

Mon cher ami,

Je craignais que mes bons associés ne profitassent des exigeances du ministre relativement à la répartition des actions de la Banque, pour annuler l'engagement qu'ils ont contracté avec moi, mais il n'en n'ont pas dit un mot. S'ils ne se rétractent pas, la répartition subsistera sur les bases fixées entre nous, avec une seule modification dont vous apprécierez la justesse.

Pour pouvoir disposer d'un plus grand nombre d'actions, j'avais obtenu que Salmour me cédât les ¾ de celles dont il disposait, mais si on le réduit au 1/3 ou au ¼ il me paraît impossible que Salmour me cède encore les 2/3 ou ¾ de son quart. Je ne puis lui laisser moins de 50 actions. Il ne serait pas convenable qu'il en eut moins. Il faudra alors, que chacun, sur notre part, nous supportions la moindre réduction qui frappera Salmour.

Je me suis chargé de répondre au ministre, mais devant en même temps faire le mémoire pour Savigliano (1), je ne sais trop comment me tirer d'affaire, d'autant plus que les grandes chaleurs ne me laissent la disposition que d'une partie de mes facultés intellectuelles.

Il paraît que M... est sur de son affaire, mais jusqu'à vendredi, il n'y aura rien d'officiel. Je l'engagerai vivement à vous aller trouver à Grènes.

Je me recommande pour des billets, avant mardi, car je suis tout-à-fait à sec. Avec 30,000 francs, je ferai marcher toute ma boutique.

Je ne puis digérer ce malheureux Coq.

Adieu, mille amitiés.

C. de Cavour.

PS. Golzio est allé voir les bois de Pérouse. Avant de serrer le contrat, il a cru prudent de faire procéder à une estimation rigoureuse des plantes de la forêt.

(1) Le chemin de fer de Savigliano.

LXXXVII.

4 juin 1847.

Mon cher Émile,

J'ai le plaisir de vous annoncer que le bon M... a reçu ce matin, l'avis officiel que sa soumission était acceptée. Le contrat sera signé vendredi matin, à dix heures. J'ai déjà envoyé à l'Azienda, votre procuration pour qu'on pût l'insérer dans l'acte. M... ira vous trouver la semaine prochaine. Il est fort content, car S... avait fait un rabais de 100,000 francs, au dessous de ses prix.

Préparez-vous à bien mener cette affaire, qui, j'espère, nous en amènera d'autres.

Adieu, n'oubliez pas mes billets.

Tout à vous

C. de Cavour.

LXXXIX.

9 juin 1847.

Mon cher ami,

J'ai reçu ce matin, les deux lettres particulières de votre Maison et votre lettre particulière du 7. J'ai de suite envoyé communiquer à M... celle qui le regarde. Je l'aurais portée moi-même, si je n'avais été retenu à la maison par une suite de visiteurs. Il parait que c'est S... qui a proposé San Pier d'Arena (1), ce qui, dès le premier abord, m'a fait l'effet d'être complètement absurde.

M... partira sans faute dimanche et passera ainsi encore quelques jours avec vous.

Je vous remercie de vos détails sur les soufres. Je vais les communiquer à Rossi et Schiaparelli. Les nouvelles bâtisses sont fort avancées. Cela sera fort beau. Je pense qu'à la fin de ce mois, tout sera en pleine activité.

Baldoino a fait offrir à Verceil son chargement de guano. J'en ai été prévenu par ceux qui font dans cet article. Tous m'ont assuré qu'ils ne nous feraient pas de concurrence.

L'effet de cet engrais a été merveilleux cette année. Il n'y a eu que les prairies guanées qui ayent donné d'abondants produits.

La pluie a fait un bien énorme à la campagne. Les mais. sont sauvés et les blés mûriront bien. Toutefois, la récolte de cette céréale ne sera pas abondante, vous pouvez en être certain. Gràce aux circonstances favorables au milieu desquelles elle s'est développée depuis deux mois, elle sera médiocre.

Nous allons aujourd'hui, Golzio, Rignon et moi, porter au Roi notre philippique contre Desambrois. Pampara, tout premier écuyer qu'il est, l'a signée. Cela amènera une crise; ou l'on nous enverra promener, ou l'on finira par nous accorder ce que nous demandons.

J'ai répondu à la dernière lettre de Rével sur la Banque, en insistant pour avoir la moitié des actions. Demain, il y aura une réunion pour approuver cette réponse, rédigée au nom de tous les intéressés.

J'attends la réponse de M... pour fermer ma lettre.

Adieu, mille amitiés.

C. de Cavour.

(1) Pour y débarquer les rails.


vai su


XC.

19 juin 1847.

Mon cher ami,

J'arrive des rizières, où j'ai reçu yos deux lettres du 12 et du 16 courant. J'ai prolongé mon séjour là-bas, dans la persuasion que ma présence n'aiderait nullement les Rayalle et Bellone à reprendre leurs payements. Ce matin, on croyait à la Bourse, que la liquidation de ces messieurs s’opérerait sans désastres, et que tout le monde serait payé intégralement. J'espère que vos amis de Marseille agissent dans mon intérêt. Veuillez leur donner vous même les direction que vous jugerez les plus convenables.

Les pauvres GK sont finis. Ceux qui n'ont pas d'acceptations de Marseille ou de Gènes, se trouveront assez mal. J'espère que les L. ne sont pas dans ce cas. À propos de ceux-ci, je vous dirai que mon opinion est qu'ils sont d'une honnêteté à toute épreuve, mais que leurs moyens sont faibles. Je ne les crois pas riches. Je les classerais dans les Maisons de second ordre. De Fernex, et même Mestrezat, ont beaucoup plus de moyens pécuniaires qu'eux. Dans les opérations que vous dirigez, vous pouvez avoir toute confiance en eux, car, je vous le répète, c'est l’honnêteté même; mais s'il s'agissait d'une grande affaire où il fallût diviser la responsabilité, je vous conseillerais d'y regarder à deux fois.

Vous aurez su l'arrangement des V. Ils donnent le 70 p. °/o, plus 12 p. % à ceux qui ont des traites acceptées par les M. Je ne doute pas d'être dans cette dernière catégorie. Vous voyez que nous nous en sommes tirés à bien bon marché.

Notre mémoire sur Savigliano a produit un bon effet. On nous a répondu avec assez d'aigreur, mais en consentant à fixer le dividende maximum au 10 p. %. Cela devient passable. Lundi nous nous réunissons pour prendre un parti décisif.

Nos discussions avec le Gouvernement ont eu le bon effet de persuader au public que le chemin de Savigliano ne pouvait pas rendre moins de 10 p. %.

Rien de nouveau sur la Banque.

Il pleut depuis 12 heures. Cela assure la récolte des mais qui sera, j'espère, fort abondante. Si la maladie des pommes de terre se déclare en Angleterre, avec la même intensité que l'année dernière, on pourra y exporter de nos mais. Nous verrons cela à la récolte. H faudrait qu'ils valussent au moins 50 francs.

Adieu, mille amitiés.

C. de Cavour.

XCI.

30 juin 1847.

Mon cher ami,

Ne sachant pas si vous comptez vous reposer quelques heures en arrivant, je n'irai pas vous chercher à l’hôtel. Je vous attendrai chez moi avec beaucoup d'impatience, car nous avons beaucoup de choses à nous dire. J'ai fait prévenir Golzio, qui sera chez moi à 11 h. ½. À une heure, je vais avec Nigra chez Rével, lui annoncer l'acceptation définitive des conditions relatives à la Banque de Turin. Savigliano tourne mal; plusieurs personnes sont découragées, d'autres pensent qu'en faisant mine de se retirer on obtiendra de meilleures conditions. Je vous avoue que l'idée d'avoir à faire à ce gros lourdeau de Desambrois, m'effraye. J'ai reinis votre billet à Jaillet (1) et annoncé à Romagnan (2) votre arrivée en ville pour demain au soir.

Adieu, au revoir.

Camille de Cavour.

(1) Alors Colonnel dans la Brigade de Savoie, plus tard Général en France, après l'annexion de la Savoie.

(2) Gendre du comte Guasco, capitaine de cavalerie, ami intime de Mr De la Rue.

XCII.

Turin, 5 juillet 1847.

Mon cher Émile,

Davidy nous a écrit, à Golzio et à moi, une longue lettre relative au débarquement des rails. Ne sachant trop que lui répondre, nous l'avons envoyée à M... qui est à Milan, et nous vous engageons à venir au plus-tót, en conférer avec moi.

Le gouvernement s'étant aperçu de la bêtise qu'il a faite, en ne s'assurant pas la Darse (1) au préalable, parie de donner une indemnité pour changer le lieu de débarquement.

Il parait que nous allons conclure l'affaire des bois de la Pérouse. Golzio prétend qu'il y aura 50,000 francs à gagner. Cela me dédommagera de cet infâme Coq qui est enfin arrivé au Hàvre.

Adieu, je ne vous en dis pas plus long aujourd'hui, espérant vous avoir bientôt ici.

Camille de Cavour.

XCIII.

Genève,26 juillet 1847.

Mon cher Émile,

Je veux vous écrire deux mots pour me rappeler à votre souvenir, et vous donner quelques nouvelles. J'ai trouvé Genève moins bouleversée que je ne le craignais. L'aspect matériel de la ville n'a pas changé et les choses cheminent sans de trop grands désordres. Certainement il est triste de voir le pouvoir aux mains des gens les moins respectables (2), mais ces gens en font un moins mauvais usage qu'on aurait pu s'y attendre.

(1) La Darse de Gênes, pour j débarquer les rails.

(2) Les radicaux, avec James Fazy à leur tète.

Quant aux affaires suisses, il est difficile d'y voir clair. Toutefois, il me paraît que les radicaux ont moins envie de se battre qu'ils n'en ont l'air. H se peut que tout se borne à des menaces et à des proclamations, mais qu'il n'y ait pas de coups de feu.

Les récoltes, dans la vallée du Rhóne, sont magnifiques. Depuis longtemps les blés n'avaient autant rendu. On dit qu'il en est de même en France, voilà des raisons pour oublier tout à fait les blés et tourner nos vues sur d'autres affaires.

Si les chargements de guano arrivaient pendant mon absence, ne vous hâtez pas de les traiter. Ils seront plus difficiles à vendre qu'on ne le croit. Cette année, d'ailleurs, les frais de transport de Gènes en Piémont, doivent être fort élevés, c'est là un obstacle grave au débit du guano. Aussi, je suis bien décidé à n'acheter de cet engrais par spéculation, qu'autant qu'on me le donnera à bon marché.

Je ne sais pas au juste jusqu'à quand je resterai ici, mais pour sur je serai à Turin du 10 au 15 du mois prochain. Si vous me répondez de suite, adressez-moi votre lettre à Genève, chez Mr Auguste De la Rive.

Adieu, mille amitiés.

Camille de Cavour.

XCIV.

Pressinge, 2 août 1847.

Mon cher Émile,

Je m'empresse de répondre deux mots, à la hâte, à votre lettre du 30.

Je ne pense pas que le guano arrive à Gènes avant le 20 courant; en tout cas, s'il anticipait de quelques jours, Cabella pourrait le faire décharger, sauf quelques quintaux du guano Pérou seconde qualité, qui est destine a, votre frère H...

Je compte garder la moitié du chargement pour mon usage, l'autre est destinée à mes amis qui l'attendent avec impatience.

Dites à Balduino et Puccio que nous avons déjà deux bâtiments et que nous n’achèterons le leur, qu'autant qu'ils n'auront pas des prétentions exagérées. Ils seront embarrassés à vendre directement. Je doute qu'ils trouvent des amateurs dans les Vercellais, qui, déjà plus d'une fois, ont été floués par les Génois.

J'espère que l'affaire des bois sera bonne. Si j'ai bonne mémoire, j'ai envoyé moi-même à Gènes, des lettres relatives à cette affaire. Peut-être les aurai-je oubliées sur ma table, mais certes elles ont été copiées par Tosco, mon second secrétaire.

Mr Rénaldi doit vous prier de lui indiquer une Maison de Marseille, que nous puissions charger de nos intérèts. dans la faillite Rayalle et Bellone. G. donnera 40 p. %> j'espère que les Marseillais donneront au moins 60, eux qui prétendaient avoir une marge d'un million.

J'ai dìné hier avec Davidy, chez Eugène De la Rive.

Adieu, Mon cher ami, écrivez-moi à Turin la semaine prochaine.

Camille de Cavour.

XCV.

Turin, 13 août 1847.

Mon cher ami,

Je suis arrivé cette nuit, j'ai trouvé ici une foule d'affaires arriérées, de sorte que je n'ai pas le temps de vous écrire au long. Ce matin, on m'a apporté de chez Mr Golzio, une lettre des Castellani, qui envoyent une soumission pour différents objets accessoires du matériel du chemin. J'irai la porter au chevalier Bona (1), en lui conseillant toutefois, de ne rien conclure jusqu'à ce que nous ayons reçu des lettres d'Angleterre.

J'ai mandé à votre Maison mon entrevue nocturne avec Golzio. Je lui ai donné une lettre de recommandation pour la maison Melly de Liverpool; quoique j'aie eu à Genève les meilleurs renseignements sur les C...

Quoique j'eusse le plus grand plaisir à vous voir à Turin, je n'ai pas le courage de vous faire faire ce détour, par la chaleur qui règne dans nos plaines. Si vous pouvez suspendre votre départ jusqu'à lundi, je vous écrirai demain, après mon entrevue avec Bona.

Je n'ai pas encore vu Bolmida. Je sais seulement que tous mes scieurs de long sont partis il y a deux jours.

À la hâte mille amitiés.

Camille de Cavour.

PS. J'ai écrit à Cabella pour le guano.

XCVI.

Turin, 14 août 1847.

Mon cher Émile,

Je vous écris encore deux mots, à tout hasard, à Envie, pour vous rendre compte de mon entrevue avec le chevalier Bona. Ce digne administrateur m'a confirmé ce que Golzio m'avait dit; c'est-à-dire que le ministère lui avait donné la faculté de traiter pour son compte, 3000 tonnes de rails aux prix de M..., en lui allouant de plus, une commission de 3 p. % Le ministère attendra en outre, les notions de Golzio, avant de délibérer sur l'adjudication des freins, plaques tournantes, roues, etc.

(1) Le chevalier Barthélemy Bona, alors intendant général des chemins de fer du Piémont; plus tard secrétaire général du Ministère des travaux publics, puis ministre (1857-59). Député du Collège de Nice (Monferrato), nommé sénateur en 1854, mort à Florence en 1876. Son nom et son souvenir sont attachés à toutes les grandes créations de chemins de fer et de travaux publics de cette époque.

S... est toujours ici, s'agitant beaucoup. Il n'est pas tout à fait aussi bas que je l'aurais imaginé.

Pour le moment, il vaut mieux que vous alliez à Gênes directement. Il sera peut-être nécessaire que vous fassiez une course à Turin, au retour de Golzio.

Bolmida m'a dit que l'affaire de la forêt cheminait rondement. Je me propose d'aller la visiter un de ces jours.

Vous apprendrez avec plaisir, que la maison Sébastien Bellone de Nice, sur laquelle je ne comptais nullement, a liquidé et va distribuer un dividende de 35 p. % au moins. Les G. donneront 40 p. %.

C'est bien le diable si les R. ne nous couvrent pas entièrement.

Adieu, mille amitiés.

Camille de Cavour.

XCVII.

20 août 1847.

Mon cher ami,

Je vous adresse ces lignes à Envie, pour vous donner des nouvelles de nos affaires. Golzio n'a pas encore écrit, je n'attends plus de ses lettres avant lundi. Puisque vous ne serez plus à Envie la semaine prochaine, je me bornerai à en envoyer copie à votre Maison.

Les papiers relatifs à la Banque, sont tombés malheureusement, entre les mains de Barbaroux, qui est peu pressé de voir notre projet mis en activité. J'espère cependant, que lundi on prendra un parti décisif.

La chaleur est ici étouffante, je dirais stupéfiante; j'en suis à peu près imbécile.

Il parait que quelques créanciers des GK se flattent de percevoir le 80 p. %. Cela me paraît fort exagéré.

Je crois que si l'on trouvait de bonnes cautions on ferait bien de se contenter du 50. Au reste, depuis que je sais que J. B. donne le 35, je suis sans inquiétude sur le sort de ma créance.

Les soies sont assez bien tenues. Aux prix courants, les fileurs peuvent réaliser de beaux bénéfices. Si j'étais à votre place, j'engagerais mes clients à réaliser une bonne partie de leur filature.

Les blés, les mais et les riz continuent à baisser sans temps d’arrêt.

Adieu, au revoir à bientôt ou plus tard.

Tout à vous

Camille de Cavour.

XCVIII.

Léri,31 août 1847.

Mon cher ami,

Malgré les assurances des Messieurs Heath Furst et C., vous aurez vu que la maison H. C. a été obligée de suspendre ses payements. Cette nouvelle tragique exige, de notre part, de promptes mesures. Si, comme je le pense, cette catastrophe n'atteint pas les T... et F..., elle peut nous mettre en meilleure condition. Mais pour cela il faut que nous envoyons à Golzio des pouvoirs pour traiter avec une autre Maison puissante, qui prenne pour son compte le traité des Castellani, ou, tout au moins, nous serve d’intermédiaire avec les maîtres de forges. En conséquence, je vous engage à partir sur le champ de Grènes et de venir à Turin, pour que nous combinions ce qu'il y a à faire.

Davidy m'offre d'aller en Angleterre, je crois que ce serait fort utile qu'il s'y trouvât en même temps que Golzio. Je vous attends à Turin samedi, n'y manquez pas.

Adieu, à la hâte, mille amitiés.

Camille de Cavour.

XCIX.

Tronzano, 29 août 1847.

Mon cher ami,

Ne pouvant porter moi même, à Mr Bona, la lettre que vous lui avez adressée le 27 courant, je la lui ai envoyée en y ajoutant deux mots, pour lui faire sentir l'importance d'une prompte décision.

Mr Rénaldi vous a transmis copie de la lettre de Golzio du 19, vous aurez appris que le bon M... entrait dans la maison Castelain comme associé. Cela me tranquillise tout à fait, car je crois que M... père est puissamment riche, et par conséquent, il n'irait pas associer son fils unique et son seul héritier, avec des gens qui fussent chancelants.

La récolte du riz est magnifique, malheureusement la grêle tombée mercredi, m'a emporté quelques centaines de sacs.

Adieu, mon cher, je vous écrirai à peine arrivé à Turin.

Tout à vous

Camille de Cavour.

C.

Turin, 3 septembre 1847.

Mon cher Émile,

Je vous envoie copie d'une lettre de Golzio, de Londres, qui est assez rassurante. Comme il parie de partir pour le continent, il est inutile que vous veniez ici pour combiner ce que nous avons à écrire.

Toutefois, comme il parait essentiel de faire partir sans délai les rails qui sont fabriqués, je vous prie d'écrire sur le champ à Messieurs Heath Furst et C., pour les autoriser à payer au besoin à Thomson et Foreman les avances que les Castelain avaient stipulées. Il suffit d'assurer le départ d'un seul navire.

Je m'en vais trouver. le chev. Bona. Je suis désolé de la faillite de C. Je vous avoue franchement que je suis à peu près certain que jamais Davidy n'a parlé de faire l'expédition du Coq en compte à tiers avec C. Il n'a jamais été question que d'embarquer nos riz sur un bàtiment nolisé par C. Je vous fais connaître mon sentiment, cependant je m'en remets entièrement à la délicatesse de Davidy, avec lequel je vous prie de régler cette affaire comme bon vous semblera.

Je vous écrirai demain, au long; ce matin je suis horriblement pressé.

Mille amitiés.

Camille de Cavour.

CI.

4 septembre 1847.

Mon cher Émile,

Je vous ai écrit hier deux mots qui, probablement, n'avaient pas le sens commun. La lettre de G. vous aura, j'espère, tout à fait rassuré. Elle a produit cet effet sur moi. Il me parait clair que G. ne considère plus la Maison de Liverpool comme en état de pouvoir exécuter seule, son contrat, et que, par conséquent, il aura exigé une caution de premier ordre, ou il se sera décidé à traiter directement avec les maîtres de forges. Dans l'une et l'autre hypothèse, il me parait évident que les C. de Liverpool ne peuvent songer à faire traite sur vous.

Ce serait de leur part un acte de déloyauté dont je les crois incapables. D'après cette réflexion, je prends sur moi de suspendre jusqu'à lundi, l'envoi de votre lettre aux C... Lundi nous saurons quels sont les arrangements que Golzio a pris; pour peu qu'ils laissent de doutes sur la faculté que vous avez laissée aux C..., je donne cours à votre lettre. Si vous ne trouvez pas mon opinion fondée, vous me l'écrirez lundi, et alors votre lettre partira mardi.

Je connais l'état critique de la place de Gènes et combien vous devez avoir à faire dans ce moment. Je ne me trouve pas, malheureusement, très en fonds dans ce moment, ayant à faire face aux frais de la récolte de riz que je paye en argent, et étant obligé de faire des avances à l'usine du riz. Je vous envoie 18 billets de Banque que j'ai en caisse. Je préfère cet envoi à l'achat de papier sur Gènes, qui aurait l'inconvénient de me donner de l'inquiétude.

Si la semaine prochaine, il me rentre des fonds, je vous les expédiérai sans retard.

Si le papier sur France tombait beaucoup à Gènes, vous pourriez m'en envoyer, je crois que je le négocierais facilement. Le Paris à 3 mois, se placerait à 99 15. Je vous couvrirai avec des billets, des espèces.

J'ai dit à Rossi, Schiaparelli et C., de ne plus tirer sur vous, jusqu'à nouvel avis. S'ils ont besoin d'argent plus tard, je leur ferai faire une traite à mon ordre, que je vous ferai escompter à la Banque. Leurs affaires vont bien, trop bien peut-être, car la vente est excessivement active. Quoique nous n'ayons pas encore livré une livre de phosphore et qu'ils nous ait été impossible de. fournir tous les articles qu'on nous demande, nous avons déjà pour 60,000 fr. de crédits. Dès à présent on peut compter sur un mouvement d'affaires de 300,000 francs par an.

J'espère que vos nouvelles lundi seront meilleures. Si vous désirez des billets comme ceux que j'ai envoyés à Davidy, je suis à vos ordres.

J'ai quelques broches sur Paris, mais ce n'est pas le cas de vous les envoyer.

Tout à vous

Camille de Cavour.

CII.

6 septembre 1847.

Mon cher Émile,

Je vous envoie ci-contre, copie de la lettre de Golzio du 30. Il s'est laissé attendrir par M... Cependant, étant sur les lieux, il était mieux que nous dans le cas de juger ce qu'il convenait le mieux de faire. Si, en effet, il obtient la garantie de M... père, nous pouvons être tout à fait tranquilles.

Il donne cours, ce matin, à votre lettre aux C... de Liverpool.

Je vois que Heath n'aura rien à payer aux Thomson, mais la commission que vous lui avez donnée produira toujours un bon effet.

J'ai écrit à Davidy quelques mots au sujet du Coq. J'ai relu toutes ses lettres et il n'est dans aucune, question de société avec C... Vraiment cette affaire a été menée bien légèrement.

Vous ne me dites plus rien de la crise. Cela me fait espèrer qu'elle se calme.

Adieu, mille amitiés.

Camille de Cavour.

PS. Les L... se sont plaint que vous aviez refusé de renouveler un prêt sur dépôt d'actions de la Banque. Ils croient que vous voulez rompre avec eux. J'en serais fâché, car ce sont de très-braves gens.

CIII.

Turin, 7 septembre 1847.

Mon cher ami,

Je réponds à votre lettre du 6. Puisque vous ne croyez pas opportun de m'envoyer du papier, ne faisons rien d'ici à quelque temps; c'est le plus sage. Vous avez raison de ne pas vouloir vous prêter aux billets de comodo qu'on vous expédie de Turin, mais quant aux prêts sur dépôts d'actions de la Banque, je vous trouverais bien sévère de vous refuser à les faire, car enfin ce n'est pas une opération qui engage le crédit, au contraire, on prouve à la Banque qu'on est possesseur de plus de capitaux réels, de ce qu'on a besoin de fonds disponibles.

Vous aurez vu par ma lettre d'hier, que j'avais prévenu vos désirs et donné cours à votre lettre aux C... Je suis grandement de votre avis. Dans la position où cette Maison est placée, il ne serait pas du tout convenable que vous acceptassiez ses traites pour des sommes considérables; cela vous ferait tort aux yeux de tous les gens raisonnables.

J'ai écrit à Golzio pour le prévenir de votre détermination. J'écrirai également à M..., dès que je saurai où le prendre. Pour le moment, je ne sais s'il est à Londres,. Liverpool ou Bruxelles.

Quand nous aurons reçu quelques bâtiments, alors nous pourrons nous montrer plus faciles avec ces messieurs. Il est indispensable, avant de nous mettre à découvert, d'avoir reçu au moins 3000 tonnes.

J'ai reçu trois échantillons de guano. Il paraît que les Génois ont mordu à l’hameçon, trois cargaisons outre celle de Liverpool, c'est beaucoup pour le pays.

D'après ce que me mande Cabella, il y a à peu près 700 tonnes; rien qu'à 200 francs par tonne c'est 140,000 francs. C'est une affaire qui est à considérer à deux fois, avant de la tenter.

Mon guano de Liverpool est tout placé. J'ai eu soin de ne pas en vendre dans le Vercellais. Je puis, dans cette province, compter sur un débit de 50,000 francs au moins. Comme on manque de paille, cette année il sera peut-être beaucoup plus considérable.

En résumé, c'est une affaire à ne pas négliger, mais dont il ne faut pas s'engouer. Si nous pouvons l'avoir à bon compte au-dessous de 20 fr., on peut risquer; mais quant à passer ce prix, je vous avoue que je ne m'en soucie guère.

Je n'ai pas encore fait analyser les trois échantillons, mais à en juger par la vue et l'odorat, le guano Baldoino vaut mieux que les autres.

Vous savez que le gouvernement a porté à 4 p. % le taux des prêts sur les obligations. C'est bon pour la Banque et mauvais pour nous.

Adieu, mille amitiés.

Camille de Cavour.

CIV.

11 septembre 1847.

Mon cher ami,

Golzio est arrivé. M..., fils, lui a écrit de Malines, que son père s'était décidé à aller avec lui à Liverpool, qu'arrivés dans cette ville, le père et le fils nous donneraient les plus amples garanties pour l'exécution du contrat des rails.

Golzio m'a répété que, soit H..., soit T..., lui avaient, même après la faillite C..., renouvelé l'assurance qu'il n'y avait absolument rien à risquer pour nous, et que les fabricants qui s'étaient chargés de notre fourniture, étaient en état de livrer deux fois plus de rails et de coussinets que nous n'en avions besoin.

Golzio approuve beaucoup votre lettre aux C.... à l'égard des traites. Au reste, il avait déjà arrangé avec M... que la Maison de Liverpool ne tirerait pas sur vous, au moins pour le moment.

Je vous prie de remercier Davidy de la détermination qu'il a prise à l'égard de nos riz. J'apprécie toute la délicatesse de sa conduite.

..............................................................................................

Vous ne me dites rien des démonstrations qui ont eu lieu à Gènes. Cela a fort occupé les esprits.

J'ai remis hier au ministre les statuts de la Banque, rédigés d'accord avec lui et signés par tous les promoteurs. Adieu, mille amitiés.

Camille de Cavour.

CV.

13 septembre 1847.

Mon cher ami,

Je réponds à votre lettre du 11 courant. Golzio doit avoir entretenu Mr Bona de l'affaire des allèges. Comme je vais partir pour Léri, veuillez vous entendre directement, à ce sujet, avec Golzio qui est plus au fait que moi, de la manière de négocier avec les Aziende.

Je suis convaincu que Balduino et Picino seront obligés de traiter avec moi, veuillez leur déclarer que s'ils vendent au détail, je retire mes offres. Tout ou rien.

Si vous avez quelque chose de pressé à me faire savoir, écrivez-moi à Tronzano. Pour les affaires courantes, adressez vous à Mr Rénaldi (1).

Les blés ont remonté. On dit que la récolte des mais ne tient pas ce qu'elle promettait, que la gelée a fait beaucoup de mal en Savoie et en Suisse. Je ne puis avoir, à cet égard, d'opinion bien fondée. À Santène la récolte du mais est fort belle. Il en est de même à Grinzano; mais les plaintes viennent d'autres localités avec lesquelles je n'ai pas de rapports directs. Le riz aussi se soutient. Il y a eu la semaine dernière deux grêles épouvantables; on estime le dommage qu'elles ont causé, à 60,000 sacs. Un de mes amis en a perdu 2000.

Je vous sais très-bon gré de votre conduite envers les L..., j'aurais été fâché qu'on crut que je voulais vous détacher d'eux.

Adieu, mille amitiés.

Camille de Cavour.

PS. Golzio vient de me dire que le chevalier Bona est alle à Valence avec le Roi, mais qu'il croit être de retour aujourd'hui.

(1) Secrétaire du comte de Cavour.

CVI.

Turin, 14 septembre 1847.

Mon cher ami,

Je vous écris encore deux mots avant de partir pour Léri. Les nouvelles que vous me donnez de Gènes, me rassurent. Tout en étant fort ami du progrès, je ne me soucie pas de nous voir lancés sur une mer orageuse sans piloto habile à bord. Je crois qu'en définitive tout s’arrangera pacifiquement. Évidemment l'Autriche est fâchée de ce qu'elle a fait à Ferrare.

Les obligations ont beaucoup baissé, elles sont à 1125 fr. Je crois qu'elles se relèveront, car au fond l'argent ne manque pas. Les soies s'écoulent et les fileurs gagnent. Mais dans ce moment tout le monde a peur, quoique beaucoup de monde ne sache pas de quoi.

Golzio m'a promis de venir me voir ce matin. Lorsque le chef de division des chemins de fer l'a vu entrer dans son bureau, il lui a sauté au cou et l'a embrassé. Qu'en dites-vous?

S... est toujours ici, on prétend qu'il veut plaider. À propos, Golzio a acheté une cargaison de coke, je pense que c'est pour compte du Gouvernement.

Je vous recommande l'affaire du guano, je suis certain que Picino et Balduino seront obligés d'en passer par où je veux. Personne ici n'ose faire une spéculation sur une aussi grande échelle. Les Verceillais qui ont acheté directement à Gènes, ont tous été pincés.

Ayez l'air de traiter avec Carignani qui, en fin de compte, sera, je l'espère, forcé de jeter son guano à la mer.

Comme je dois vous faire passer des fonds, dites-moi si je puis vous adresser des remises, ou vous faire avoir des-écus ou des billets de Banque.

Adieu, mille amitiés.

Camille de Cavour.

CVII.

Léri,16 septembre 1847.

Mon cher ami,

Je vous écris deux mots à la hâte, pour vous prier de suspendre la négociation des deux chargements de guano Balduino et Picino, jusqu'à l’arrimée à Grènes de Mr Badino de Verceil, avec lequel j'ai du entrer en traité pour qu'il ne me fit pas concurrence.

Je vous prie d'accueillir favorablement Mr Badino et de vous entendre avec lui pour l'achat du dit guano.

Le temps favorise singulièrement la récolte du riz, qui, toutefois, ne sera pas aussi abondante qu'on l'avait espéré.

Adieu, Mon cher ami, croyez à mes sentiments dévoues.

Camille de Cavour.

CVIII.

Léri, 19 septembre 1847.

Mon cher ami,

J'ai reçu hier votre lettre du 16 courant. Vous aurez requ depuis deux jours, l'avis que les C... avaient cédé leur premier contrat anx Baudon. Comme vous ètes d'anciens amis, vous n'aurez aucune difficulté à vous entendre avec eux pour les remboursements. Je ne crois pas que les Baudon veuillent tirer sur vous, mais quand ils le feraient cela ne pourrait nullement vous compromettre, car j'ai toujours oui dire que c'étaient des gens de tout premier ordre.

Vous avez parfaitement raison pour insister sur le 2 p. % sur les nolis. Il n'y a pas eu d'engagements formels,

mais M... a toujours parlé de la commission sur les nolis, comme compensation de vos soins dans cette affaire. Je puis l'attester de la manière la plus positive.

J'accepte avec plaisir votre proposition relativement aux obligations. Si vous voulez, nous réglerons cette affaire au premier octobre.

Quant au guano, je vous ai dit que pour m’ôter tout souci, j'avais donné un intérêt à deux négociants de Verceil, Messieurs Badino et Mazzuchelli; le premier, qui est génois, désire aller voir par lui même la qualité du chargement, vous pouvez le lui laisser traiter, car c'est un homme fort habile. Je vous engage même, à déclarer à Picino que, puisqu'il se met à détailler, vous retirez votre offre.

Badino vous consultera, si par hasard il parvenait à conclure, je vous autorise à lui avancer pour cette affaire, dont en définitive vous aurez toujours la direction, 10,000 fr.

Si Balduino veut plus de 19 fr., qu'il garde son guano. Je suis fort heureux d'être pourvu pour mon compte.

Je vous remercie de vos nouvelles politiques, elles m'ont fort diverti. Le séjour de Léri a le grand mérite de m'éloigner de tous ces bruits qui m'excèdent.

Mon frère devant venir me voir à Léri, je resterai encore quelques jours ici.

Adieu, mille amitiés.

Votre affectionné

Camille de Cavour.


vai su


CIX.

Léri,26 septembre 1847.

Mon cher Émile,

Pendant que le monde financier est agité par les plus violents orages, je ne songe dans mon coin, qu'à retirer du riz et du mais.

Je me trouve fort bien de cet éloignement les affaires, qui me permet de jouir du plus complet repos d'esprit.

Depuis que le contrat des rails est entre les mains des Baudon, je dors parfaitement tranquille, car cette Maison me parait, non à l'abri des pertes, mais hors d'atteinte d'une catastrophe comme celles qui viennent d'épouvanter toutes les bourses du monde.

Je vous remercie des détails que vous me donnez sur l'affaire guano. Je prévoyais le mauvais effet que devait produire le voyage de Badino, néanmoins, j'ai consenti afin d’ôter du cerveau de ces Messieurs l'idée que je voulais monopoliser le commerce du guano. Vous comprenez qu'en cette matière, l’intérêt n'est pas mon seul guide.

Quant à la politique, je m'en bats l’œil. Pendant longtemps j'y ai pris la chose au sérieux, il en est résulté que les ultras m'ont accusé de radicalisme et les radicaux d'ultraisme; je me suis trouvé un beau jour honni par les deux partis. Sur ce, je suis venu à Léri renonçant à la folle idée de jouer un rôle dans ce bas monde, sur le théâtre de la politique.

J'espère que la grande faillite de E,... C... et Comp. ne vous intéresse pas. C'est un terrible moment à passer.

Adieu, mille amitiés.

Camille de Cavour.

CX.

Turin, 4 octobre 1847.

Mon cher Émile,

Je suis arrivé hier au soir, de Léri, et je n'ai pas vu encore le bon Golzio. En conséquence, je ne vous donnerai pas de nouvelles de nos affaires. Je les sais en bonnes mains, de manière à me laisser l'esprit en repos.

Il y a eu ici du bruit, la veille de la naissance du Roi.

On a beaucoup crié sur les remparts: vive le Roi! vive les Lucquois! à bas les Jésuites! etc. Le rassemblement s'étant dirigé vers l’hôtel de l'ambassadeur d'Autriche, un détachement de soldats lui a barré le passage et tout est rentré dans l'ordre.

La gazette vous aura appris la nomination d'un certain nombre de conseillers d'État extraordinaires, parmi lesquels figurent plusieurs noms assez libéraux. Je crains, qu'il n'y ait d'extraordinaire dans cette affaire, que de ne jamais les voir réunis..................................................................................

Nous sommes occupés à préparer des engrais artificiels pour les semailles du blé. On nous en demande beaucoup, mais j'insiste pour que nous n'en donnions qu'à titre d'essai.

Adieu, je vous écrirai demain.

Votre dévoué

Camille de Cavour.

CXI.

Turin, 9 octobre 1847.

Mon cher ami,

Je regois votre lettre du 8 au moment de monter en voiture pour Santena et Grinzane. Je vous réponds deux mots, à la hâte.

Golzio m'a expliqué l'affaire de la forêt. Elle a éprouvé des difficultés, comme toute nouvelle affaire en éprouve. Bolmida ne pouvait les vaincre, car s'il est un habile négociant, il n'y entend rien à l'exploitation des forêts, qui est une affaire du genre de celles que Golzio fait depuis son enfance.

Si nous achetons de nouvelles coupes, nous n'aurons presque pas de débours à faire, le bon Golzio nous payant par anticipation les traverses qui sont équaries, avec l'argent qu'il retire du gouvernement. Ainsi ne vous agitez pas à ce sujet.

La politique va médiocrement ici. La réaction commence. On publie des proclamations contre les rassemblements et les ultras commencent à relever la tète.

J'ai vendu toute ma vendange à Messieurs Oudart et Bruché (1), qui feront du vin chez moi, pour l'usage des Génois. Je vous recommande d'en dire beaucoup de bien, afìn que je puisse, une autre année, me faire payer mes raisins plus cher.

Adieu, mille amitiés.

Camille de Cavour.

CXII.

10 octobre 1847.

Mon cher ami,

Je ne suis revenu que ce matin de Grinzane, où, quoique vous en disiez, on fait du vin beaucoup meilleur que votre Saint Georges.

J'ai vu Golzio il y a peu d'instants. H est vrai que M... lui bonifie 1 p. % sur sa fourniture, qu'il garde pour frais de voyage. Je vous l'ai mandé dans le temps. Le bon Golzio est furieux contre M... qu'il ne trouve pas assez actif. H dit avec raison, que s'il n'avait pas usé d'excessive délicatesse à son égard, il aurait pu avoir la fourniture des plates-formes qui nous a échappé. Du reste il n'est pas inquiet des retards dont vous me parlez, parce-qu’il est à peu près certain que Bona, maintenant son tendre ami, ne le chicanera pas. D'ailleurs Burkard lui a écrit de Liverpool, sans lui dire un mot des difficultés auxquelles votre lettre fait allusion.

(1) Francis établis à Gènes, où leur Maison jouit d'une juste réputation dans le commerce des vins.

Golzio m'a dit qu'il me rembourserait, dans quelques jours, les frais de voyage qu'il vous doit. Je lui ai répondu de ne pas se gêner, qu'il payerait lorsque cela lui conviendrait. Si par hasard il y avait quelques intérêts à supporter, j'en prendrais ma part, car je vous engage à beaucoup ménager Golzio qui est un homme précieux. Le gouvernement ne peut pas se passer de lui et doit lui confier la plupart de ses entreprises. En le traitant bien, nous sommes à peu près certains qu'il ne se détachera pas de nous.

Puisque vous ne faites pas d'affaires, vous ne devez pas être à court d'argent, c'est pourquoi je ne me presse pas de vous couvrir.

Je m'en vais prévenir E... et S... de s'adresser à Messieurs Melhwish, Gray de Londres, en remplacement de ces pauvres Rougemont qui ont manqué.

Les céréales se soutiennent d'une manière qui m'étonne. Le blé est très-recherché, le mais aussi. Je ne puis m'expliquer un tel état de choses que par l'influence que les hauts prix de l'année dernière exercent sur l'esprit des détenteurs.

Veuillez me donner quelques renseignements sur l'état de votre place à cet égard. Peut être que les désastres qui ont frappé le commerce des blés, auront dégouté un grand nombre de vos faiseurs et que par suite, les arrivages d'Odessa auront diminué.

Je n'ai pas encore recueilli de nouvelles politiques, de sorte que je suis moins bien renseigné que vous sur ce qui se passe à Turin.

Adieu, mille amitiés.

Camille de Cavour.

PS. Vous aurez appris, sans doute avec un vif regret, la mort de la pauvre marquise de Rora.

CXIII.

Turin, 16 octobre 1847.

Mon cher ami,

Je reprends la plume pour vous annoncer que le Conseil d'État a approuvé dans sa séance de ce jour, les statuts de la Banque de Turin, sans faire la moindre objection. L'affaire peut donc être considérée comme faite.

On m'a appris ce soir une faillite de Marseille, dans laquelle vous seriez intéresse pour une forte somme. J'espère que cette nouvelle n'est pas exacte, ou du moins fort exagérée.

Croyez à ma sincère amitié.

Camille de Cavour.

CXIV.

Turin, 22 octobre 1847.

Mon cher ami,

Je vous écris deux mots à la hâte, à mon retour de Campion, où j'ai passé deux jours. J'ai trouvé toute la famille Rorà bien abattue. La perte qu'elle a faite est immense, car la marquise Adèle était la clef de la voûte qui tenait réunis tous les membres dont elle se compose.

Le Roi est assez souffrant, on l'a saigné quatre fois. Ce matin, sans être plus mal, il n'y avait pas de mieux décidé. Cette maladie le dispensera peut-être du voyage de Gènes qui l'offusque extrêmement.

Mr de Saint Marsan est arrivé hier au soir. On attend avec impatience de voir la couleur qu'il prendra.

Les patentes de la Banque sont signées ainsi que l'annonce la Gaiette de Turin....................................................

Adieu, mille amitiés.

Camille de Cavour.

CXV.

25 octobre 1847.

Mon cher ami,

Nous venons d'avoir pendant deux jours, non de véritables émeutes, mais des démonstrations publiques en faveur des idées nouvelles. Dans les soirées de vendredi et de samedi, il y a eu des réunions nombreuses sur les principales places de la ville, notamment sur la place Saint Charles, et l'on a beaucoup crié: Viva Pio IX ! Les autorités, sauf quelques exceptions, ont agi avec assez de modération et le commandant lui même, le féroce Bury (1) s'est montré assez poli.

En définitive, il n'y a pas eu de véritables désordres.

La population s'est montrée fort sage, mais en même tems assez décidée. Hier, la soirée a été tranquille. Il y avait beaucoup de promeneurs dans les rues, mais ni cris, ni bruits.

Maintenant quel effet ces démonstrations auront-elles? Tous les hommes raisonnables, quelles que soient d'ailleurs leurs opinions, pensent que le gouvernement doit faire des concessions dans le sens de celles accordées par le Pape. J'ose dire qu'il y a à cet égard, unanimité. Le Roi se décidera-t-il à les faire? C'est probable, quoique je craigne qu'il ne tâche de les rendre illusoires par des subterfuges peu louables.

(1) Commandant militaire de la Place de Turin.

On travaille à une loi sur la presse et à une nouvelle organisation communale. Ce sera déjà un premier pas dans la bonne ligne, mais ce pas est insuffisant. Il faudrait, ayant tout, retirer la police des mains des commandants. C'est ce que le Roi a le plus de répugnance à faire.

Au reste, il est probable que les plus grands changements s’opéreront à Gènes et que vous en serez instruit avant moi.

Les affaires de la Banque marchent, samedi nous avons décidé:

1° De charger une Commission de trois membres de prendre les mesures définitives pour la location et l'appropriation du local où la Banque sera installée (Bolmida, De Fernex, Cavour);

2° De charger une Commission de 2 membres (Barbaroux, Casana) de former une note des candidats à la place de directeur;

3° De verser 500 francs par fondateur pour les dépenses courantes.

J'envoie ce matin 1000 et je vous débite de 500.

J'espère que nous pourrons nous arranger au rez-de-chaussée du palais du Prince de la Cisterne.

Les nouvelles d'Angleterre sont décidément désastreuses. La suspension du Royal-Bank de Liverpool doit porter un grand coup au commerce de cette ville.

Golzio m'assure qu'il vous écrit régulièrement, je ne vous parie pas des rails.

Adieu, mille amitiés.

Camille de Cavour.

CXVI.

8 novembre 1847.

Mon cher ami,

Comme vous le dites, nous avons passé le Rubicon et nous sommes entrés dans la carrière des idées nouvelles (1). Le gouvernement ne peut plus reculer après ce qu'il a fait, et surtout après ce qu'il a laissé faire. Bon gré, mal gré, il va suivre l'impulsion qui, dans peu d'années, l'amènera à établir parmi nous le système représentatif.

Turin, après des fêtes, des illuminations et des cris sans nombre, est rentré dans le calme le plus profond.

(1) Le 2 septembre, Charles Albert avait adressé au comte de Castagnette, la célèbre lettre, où, dans un moment d'enthousiasme, il avait écrit: «Si jamais Dieu nous fait la grâce de pouvoir entreprendre une guerre d'indépendance, c'est moi seul qui commanderai l'armée, et je suis résolu à faire pour la cause Guelphe ce que Schamil fait contre l'immense Empire Russe». Cette lettre lue à l'Assemblée du Cornice Agraire de Casal présidé par le comte de Colobian, y provoqua des transports d'enthousiasme, mais peu après, Charles Albert répondant à une Députation génoise venue à Turin pour applaudir à ses paroles, retirait à peu près ses promesses et refusait d'accorder la liberté de la presse et l'institution de la Garde Nationale. Un mécontentement général et des démonstrations publiques en furent partout, la conséquence, en particulier à Turin, où la police intervint brutalement le 1er octobre, ce qui provoqua la démission du ministre Villamarina et for$a le Roi à se séparer du comte Solaro della Margherita. Le 30 octobre enfin, la Gazzetta Piemontese (journal officiel) publiait une notification promettant au nom du Roi, toutes les réformes demandées par le peuple et en particulier, le gouvernement avec un Conseil d’État consultatif! et la semi-liberté de la presse, sous le contrôle d'une Commission supérieure de censure (dont l'illustre comte Frédéric Sclopis fut nommé président), réformes qui marquaient, sans doute, un grand progrès, mais qui étaient insuffisantes, car, au fond, elles constituaient une fausse positive pour le gouvernement, qui, grâce à elles, n'était plus absolu, mais n' était pas non plus constitutionnel.

Le public attend avec impatience, de voir se dérouler devant lui la série des mesures dont on ne lui a donné que le programme.

Les membres de la Cour de Cassation sont nommé, vous les verrez probablement dans la gazette de Gènes.

Venant au affaires, je vous avouerai que votre lettre m'a fait le plus grand plaisir, le bon résultat de l'essai des rails me tranquillise tout à fait. Maintenant notre affaire marchera sans difficultés. Golzio m'a dit, en partant, qu'il aviserait à tout. C'est un homme bien précieux.

On m'accable de visites. Adieu.

Votre affectionné

Camille de Cavour.

CXVII.

15 novembre 147.

Mon cher ami,

Depuis votre départ, le commerce de Turin a pris le mors aux dents. La Chambre a nommé une Députation pour aller remercier le Eoi de l'union douannière. Les commer^ants réunis à la Bourse, ont décidé d'envoyer un drapeau au commerce de Gènes. J'ai été choisi par la Chambre et par les commergants, de sorte que je fais partie des deux Députations.

Nous partons mardi à 2 ou 3 heures, et comptons arriver mercredi à Gènes, dans la matinée. Vous ne devineriez jamais quel sera mon compagnon de voyage. Je vous le donne en dix — eh bien ! c'est le vieux Barbaroux qui lui aussi, avec ses 86 ans, veut aller à Gènes célébrer les réformes. Ce ne sera pas très-amusant pour moi, mais au moins c'est très-convenable. Je n'ai pas pu refuser ce respectable vieillard.

Nous sommes convenus d'aller tous chez Féder (1).

Je vous verrai mercredi, et vous apporterai des nouvelles de Golzio. Je suis bien aise de voir par moi-même, nos infortunés rails.

Cette lettre vous est portée par mon intime ami Mr de Sainte Rose, qui fait partie de la Députation de la ville de Turin. Je vous le recommande, dans le cas où il aurait besoin de vous.

A la hâte.

Camille de Cavour.

CXVIII.

Turin, 18 novembre 1847.

Mon cher ami,

Je suis tout capot d'être forcé de vous écrire, au lieu d'aller vous faire la visite que j'espérais. Le pouvoir a fait un faux pas. Patience ! Il faut se résigner, car ce ne sera ni le seul, ni le dernier. Je crois que la Députation du commerce aurait fait un excellent effet. Elle était composée d'hommes ultra-modérés; on la retient sans raison plausible, sans avantage réel, au risque de causer des explosions de mécontentement. J'espère que le pouvoir ne continuera pas dans la voie funeste où il s'est engagé un moment. Il serait déplorable qu'il perdît la popularité qu'il s'était acquise.

Du reste rien de nouveau. Nous continuons à nous occuper de l'organisation du journal (2).

(1) Premier Hótel de Gênes, à cette époque.

(2) Le Risorgimento. Les nouvelles libertés accordées à la presse, quoique assez restreintes encore (obligation de l'autorisation supérieure pour les journaux, limitation de leur publication dans les chefs-lieux de division, Commissions supérieures et Commissions provinciales de cévision, etc. ),

La petite brochure de Balbe: «Alcune parole», a produit un excellent effet. Dites à tout le monde qu'elle contient notre véritable programme. Cela nous vaudra des actionnaires. On intrigue beaucoup contre nous. La médisance et la calomnie vont leur train; mais jusqu'à présent nous ne sommes pas découragés.

Je ne vous parie pas des rails, ni des coussinets. Je m'en tiens à ce que Golzio vous en dit. J'attends avec impatience la réponse des Baudon.

Les céréales baissent sur nos marchés. Mais ce n'est point encore le cas de spéculer.

Adieu, mille amitiés.

Camille de Cavour.

donnèrent à Cavour l'idée de fonder un journal politique quotidien, pour diriger le mouvement avec une «énergique modération, également éloignée des exagérations des ultra-libéraux et des rétrogrades». Le Risorgimento fut fondé par Cavour, Balbo, Santa Rosa, Santi, Galvagno, Ferraris, Castelli, etc., qui constituèrent une Société, au capital de 100,000 francs, divisé en 500 actions de 200 fr.

Le premier numéro du journal parut le 15 décembre. Il contenait un article du comte de Cavour: «L'influence des Réformes sur les conditions économiques de l'Italie». Le programme du journal y figure aussi, rédigé par le comte Balbo et se résumé en ces termes: 1° Indépendance — 2° Union entre les princes et les peuples — 8° Progrès dans la voie des Réformes — 4° Ligue des prince italiens entre eux — 5° Modération forte et bien ordonnée.

Dans le second numéro, qui parut le 21 décembre, le comte de Cavour figure avec le titre de Directeur du journal et plus tard avec celui de Gérant. Le Risorgimento fut l'organe du comte de Cavour et le premier champ de bataille de ses luttes politiques. Il y collabora et le dirigea jusqu'au jour où il fut nommé ministre, et les innombrables articles qu'il y publia, démontrent ses admirables aptitudes économiques, financières et politiques, en même temps que son profond amour pour sa patrie et ses progrès. Il disait lui-même, que ce qui l'avait le mieux préparé au maniement des affaires et de la politique, c'était,. après les mathématiques, d'avoir été journaliste». (Massari, Il conte di Cavour, pag. 28).

CXIX.

21 novembre 1847.

Mon cher ami,

Vous receverez par le courrier une copie du programme du nouveau journal. Faites-le lire à vos amis et tâchez de nous obtenir des actionnaires, au-quels vous ferez signer un des bulletins ci-joints, que vous me renverrez ensuite.

Adressez-vous surtout et uniquement aux gens de l'opinion modérée. Dites-leur à demi voix, qu'il s'agit de combattre l'influence d'un journal exagéré: La Concordia (1), et qu'il est de la plus grande importance de s'organiser promptement.

J'ai lu avec plaisir, la lettre des Baudons. Elle est tout à fait convenable. Vous aurez appris directement que les Ticinois ont été complètement battus par les gens d'Uri, lesquels, à l'heure où j'écris, doivent être maîtres de Bellinzone. Cette affaire a une grande importance en mettant les ligueurs en contact avec l'Autriche. Cela leur assure les vivres et les munitions qui leur manquent.

Adieu, mille amitiés.

Camille de Cavour.

(1) La Concordia, journal politique fondé à Turin par les professeurs Domenico Berti et Giuseppe Bertoldi, et messieurs Domenico Corrotti, Marco et Gargano, sous la direction du député Lorenzo Valerio. Le premier numéro parut le lCr janvier 1848. Le programme du journal était: Concordia e federazione entre les États de Rome, Toscane et Piémont.

CXX.

Turin, 23 novembre 1847.

Mon cher ami,

Je commence ma lettre avant la poste, car voilà plusieurs jours qu'une fois le courrier arrivé, je n'ai plus le temps d'écrire. Les dernières nouvelles de Gènes m'ont fait le plus grand plaisir en me prouvant que, pour le moment du moins, les modérés ont eu le dessus. Il en est de même à Turin, où l'esprit, en général, est excellent. Ce qu'il faut maintenant, c'est que le gouvernement soit sincère et qu'il n'ait pas des accès de repentir et des velléités de reculade. Malheureusement, on ne peut guère compter sur l'esprit de suite du principal personnage. Il vient de prendre une décision qui a produit un effet déplorable. Quelques officiers du Piémont Royal(l) en garnison à Vigevano, étant allés au théâtre de Mortara, prirent part aux démonstrations qui eurent lieu en faveur des réformes; ces démonstrations, bruyantes il est vrai, mais tout à fait inoffensives, ne donnèrent lieu à aucun désordre. Malgré cela, le ministre de la guerre a envoyé dans des forts quatre officiers et en a rnis quatre aux arrèts forcés, au quartier. Panili ces officiers, il y a un major et trois capitaines. Ce n'étaient pas des perturbateurs ni des factieux, puisque deux d'entr'eux, Cigala (2) et Villamarina (8), sont attachés à la Cour.

Vous aurez reçu hier le programme de notre journal.

(1) Régiment de grosse cavalerie piémontaise.

(2) Le clievalier Henry Martini de Cigala, plus tard général.

(3) Le comte Bernardino Pès di Villamarina del Campo, plus tard général.

J'espère qu'il sortira avant la fin de l'année. Balbe (1) est très en train. Il s'est engagé à nous faire tous les première Paris. Continuez à le prôner. Vous nous rendrez un de ces services qui ne seront pas inutiles au pays.

Il est entendu que toutes les actions de la Banque que, vous ou moi, nous pourrons avoir, seront en commun. A Turin les demandes ont été fort nombreuses. Elles dépassent de beaucoup la somme disponible. Peut-être en sera-t-il autrement à Gènes. C'est un motif pour en beaucoup de^ mander; 50 actions ce n'est pas trop, nous n'en serions pas embarrassés.

Dites-moi si vous en avez proposé à vos correspondants de Genève. Pour mon compte je n'en ai plus parlé à personne.

Vous faites bien de ne pas escompter et de continuer à jouer très-serré. Mais une fois l'année achevée, je pense que vous pourrez recommencer à donner l'eau au mouliii et à faire tourner la roue.

Je vous envoie par le courrier l'ouvrage que vous me demandez, Le Portefeuille des chemins de fer. Gardez-le tant que vous en aurez besoin, Golzio Fa aussi. En conséquence il est inutile de vous en faire faire la dépense.

(1) Le comte César Balbo (né à Turin en 1789, mort en 1853) fils du comte Robert Balbo, ambassadeur de Sardaigne a Paris, fut élevé dans cette ville et y servit pendant longtemps dans l'armée Française, où il obtint le grade de major. Chargé d’affaires de la Sardaigne en Espagne, en 1818 et 1819, il revint prendre du service en Piémont, puis voyagea jusqu’en 1824, époque où il revint s'établir à Turin et où il écrivit, entre autres œuvres: Le Speranze d'Italia, qui furent un vrai événement, ainsi que son ouvrage: Sulla situazione dei popoli liguri subalpini en 1847. Il collabora activement à la rédaction du Risorgimento et le 16 mars 1848, Charles Albert qui venait d'accorder le Statuto au Piémont et qui professait pour lui une haute estime, le chargea de former un nouveau Cabinet (cfr. Lettre CXXXVII) qui tomba le 27 juillet 1848, à la suite de l'armistice Salasco et des violentes discussions qui le suivirent. Au Parlement, Balbo représenta le II Collège de Turin, y jouit du respect de tous et fit partie de plusieurs Commissions; il présida en particulier celle qui fut chargée de rapporter sur le traité de paix de Milan du 6 août 1849, et fut délégué par d'Azeglio, en 184°, comme envoyé extraordinaire à Gaête et à Naples.

M... a écrit de Paris. Le pauvre Burkard aussi, qui vient de manquer ainsi que les C... Nous sommes bien heureux d'avoir à faire aux Baudon. Si vous réussissez à vendre les rails du San Giacomo en Lombardie, ce serait une excellente affaire qui nous mettrait l'esprit en repos. J'espère que vous aurez terminé avec Pucci.

J'ajouterai deux mots après le courrier.

Dites-moi ce que c'est que Borsino de votre ville.

Davidy m'a écrit, mais comme il m'annonce vous avoir écrit en même temps, je ne vous envoie pas la lettre.

Adieu, mille amitiés.

Camille de Cavour.

CXXI.

Turin, 26 novembre 1847.

Mon cher ami,

Un de mes correspondants me demande 20 actions de la Banque, et m'autorise à payer une prime de 8 à 10 p. %.

Tachez de vous en procurer à 8 p. %, là-dessus nous partagerons une petite commission.

Offrez 8 p. °/0 à la Bourse, cela fera bon effet.

J'attends deux mots de réponse avant de chercher ici.

Adieu, à la hâte.

Camille de Cavour.

PS. Golzio vous aura écrit qu'à 8 heures aujourd'hui, on compare le fer de nos rails à l'échantillon déposé à l'Azienda. On m'avait invité à assister aux expériences. J'ai répondu que vous et moi, nous nous regardions comme suffisamment représentés par Mr E. Golzio.

CXXII.

3 décembre 1847.

Mon cher ami,

Je vous envoie par la poste, une masse de programmes de notre journal. Faites-les répandre dans toute la ville. Demain je vous expédierai plusieurs copies des statuts de la Société, vous en remettrez une à chacun de nos actionnaires. H y a maintenant à payer, par action,50 francs. Je porterai sur votre compte ce que messieurs Ricci et Sebilla doivent payer. Je garderai les titres jusqu'à ce que tout soit payé, à moins que vous n'en décidiez autrement.

Nous sommes prêts à paraître tous les jours. Nous attendons une décision relative au timbre, afin de fixer en conséquence, le prix des abonnements (1).

On prépare de grandes démonstrations pour demain. Les étudiants, au nombre de 2000, seront eux aussi, sous les armes. J'espère que tout ira bien.

Je ne vous parie pas des rails, n'ayant pas pour le moment le temps d'y penser. D'ailleurs l'affaire est en trop bonnes mains pour que je m'en inquiète le moins du monde.

Je crois que les actions de la Banque prendront faveur. Il sera très facile de les faire mousser au début. Ce que, du reste, on peut faire sans scrupules, puisque l'affaire en elle même, est excellente.

Je vous renouvelle l'instance d'acheter ce que vous pourrez trouver au dessous de 10 p. %. Ce genre de contrat n'étant pas légal, il ne faut en conclure qu'avec des personnes dont vous soyez parfaitement sur.

(1) Le 13 décembre la Chambre Royale des Comptes (Tribunal Suprême du Contentieux administratif) fixa à 3 centimes, le droit de timbre des journaux politiques.

Voulez-vous que je vous propose comme correspondant de la Banque à Gènes?

Davidy me paraît très découragé en affaires et en politique. Altro que donner raison à Valerio, il a l'air de nous trouver trop dans le mouvement. Il avoue que les banquiers de Paris sont fort rassurés.

Adieu, mon cher.

Votre dévoué

Camille de Cavour.

CXXIII.

7 décembre 1847.

Mon cher ami,

Je vous suis infiniment reconnaissant des peines que vous vous donnez pour notre journal. Je comprends parfaitement que vos grands meneurs, Balbi et autres, veuillent avoir un journal à eux, et ne puissent, par consèquent, disposer de fonds en notre faveur. Veuillez leur confirmer tout ce que vous leur avez dit sur nos dispositions à leur égard, et leur demander de ma part, l'échange de nos journaux respectifs.

Puisque vous avez tant de zèle pour notre cause, je vous prierai de tâcher de nous procurer, si cela est possible, des correspondants à Naples, à Palerme et dans le Levant. Nous serions disposés à les payer, pourvu qu'ils remplissent fidèlement leur mission. Vous étes on ne peut mieux placé pour recevoir les nouvelles de première main. En me les transmettant de suite, vous me rendrez un immense service.

L'organisation de la banque chez nous, marche bien, malgré le peu d’énergie de notre secrétaire, M. Casana, et le grand âge de notre président, M. Barbaroux. Hier nous avons signé le bail de l'appartement du comte Vial, qui sera, je l'espère, très convenable à l'usage auquel nous le destinons.

….............................................................................................

L'accueil que le Roi a reçu, a été magnifique. Il a eu le tort de passer au galop, au milieu des rangs de la population. Mais il n'est maintenant que trop justifié, car il a du se mettre au lit, et déjà on lui a fait trois saignées. Dieu veuille qu'il se remette vite, car nous avons absolument besoin qu'il se porte bien.

Vous savez la nomination de Borelli (1) au ministère de l'intérieur. Qu'en dit-on à Gènes? lei les opinions sont fort diverses. Les uns croyent que c'est un bon choix, d'autres disent que c'est un fìnaud.

Je crois que l'affaire des rails finira bien. L'intendant général finira par entendre raison. Il me paraît d'ailleurs, qu'il n'est pas excessivement pressé. Golzio le voit souvent et le tient au courant de tout ce que nous recevons d'Angleterre.

Ce qu'il y aura de plus intéressant dans quelque temps, ce sera l'emprunt. Ecrivez-en à Odier. S'il compte y prendre part, tâchez qu'il s'adresse à vous, car il n'a à Turin, pour correspondant, que le vieux Barbaroux, qui n'est plus homme à mener une affaire de ce genre, et qui n'a dans son bureau personne qui connaisse les opérations financières étrangères au commerce des soies.

Je vous renouvelle, en terminant, la prière de nous procurer de bons correspondants et des nouvelles sures.

Adieu, mille amitiés.

Camille de Cavour.

(1) Le comte Giacinto Borelli.


vai su


CXXIV.

Turin, 13 décembre 1847.

Mon cher Émile,

Merci de vos intéressantes nouvelles. Le Roi va mieux, pour cette fois il s'en tirera, mais je crains bien qu'il ne tombe dans le chronisme. Vous avez décidément La Planargia (1). C'est un homme très fin. Sa femme est très aimable. Elle est mère de mon ami le comte Rignon.

Le journal va bien, financièrement, les 500 actions étant toutes souscrites. Politiquement, je crains que nous n'ayons quelques difficultés à surmonter, mais nous avons bon courage.

Adieu, mille amitiés.

Camille de Cavour.

CXXV.

Turin, 17 décembre 1847.

Mon cher Émile,

Vous recevrez de bonnes nouvelles de M... Si les nouveaux rails résistent aux épreuves, il n'y aura pas de difficultés de la part de l'Azienda.

Au prix actuel de la fonte, les fabricants de rails gagnent énormément.

Vous aurez reçu le Risorgimento, le prix de l'abonnement est 40 francs pour Turin, et 44 pour les provinces.

Adieu, mille amitiés.

Camille de Cavour.

(1) Le général Pagliaccio de la Planargia, ancien gouverneur de Turin. nommé alors gouverneur de Gênes.

CXXVI.

23 décembre 1847.

Mon cher ami,

Vous avez reçu, à l'heure qu'il est, le second numéro du Risorgimento. J'espère que vous en serez content. On m'assure toutefois, qu'il a été brûlé chez Giorgio Doria (1). Tâchez de Vérifier le fait.

Cecco Pallavicini (2) ne m'a pas écrit, ainsi Veuillez me procurer à Naples, le correspondant dont vous m'avez parlé.

J'ai vérifié l'affaire de Rossi et Schiaparelli. Ils vous ont demandé des fonds, dont probablement ils n'auront pas besoin, pour peu qu'on nous paye une portion de ce qu'on nous doit. Ils ont craint d'être à court et ont usé de prudence.

Si le nitrate de soude se vend à 16 ou 17 fr. on peut l'acheter par spéculation; il n'y a pas de risques de perte, car à ce prix, on ne peut le faire venir d'Angleterre, où il est réputé à très bas prix à 12 sh., ce qui le fait revenir à 19 francs à Gènes. Au dessus de 17 à 17 50, il ne faut acheter que ce qui est nécessaire à la consommation de l'usine et à la fabrication de l'engrais.

Si vous voulez, nous ferons la spéculation de compte à demi, vous et moi, en cédant à l'usine, au prix coûtant, ce dont elle aura besoin.

Balduino veut détailler à 28 francs. Il a fait insérer un avis à cet effet, dans les journaux. Tâchez de le surveiller de près.

(1) Le marquis Giorgio Doria de Gènes (+ 28 janvier 1873), chez qui se réunissaient les principaux membres du comité réformiste (L. Pareto, G. Mameli, N. Bixio, R. Rubattino, Federici N., etc. ). G. Doria fut nommé sénateur en 1848.

(2) Le marquis Francois Pallavicini de Gènes, député de Varazze à la V législature.

M. Kiston n'est pas encore arrivé. J'espère qu'il parviendra à aplanir toutes les difficultés que présente notre malheureuse fourniture.

Adieu, mille amitiés.

Camille de Cavour.

CXXVII.

27 décembre 1847.

Mon cher ami,

Je suis un bien mauvais correspondant, et je réponds bien imparfaitement à toutes vos bonnes lettres. Mais que voulez-vous? C'est un rude métier que d'organiser et diriger un journal quotidien.

Pallavicini ne m'ayant pas écrit, j'en conclus que décidément il ne désire pas entrer en correspondance avec moi. Je le regrette médiocrement, car, à dire vrai, je ne fais pas un grand cas de son jugement et de son caractère.

Je dois, en conséquence, vous prier de me transmettre les nouvelles de Naples, au fur et à mesure que vous les recevrez.

La Banque ne fera pas d'appel de fonds avant le mois de juillet, d'ici-là nous avons tout le temps de prendre nos mesures pour être en fonds. Il est probable que je puisse disposer de la plupart des fonds qui me seront nécessaires; mais il faudra toujours penser à ceux de Salmour.

Le nitrate de soude à 16 et 17 francs est une si bonne affaire qu'il ne faudrait pas regarder à l'avance de fonds, si on pouvait l'avoir à ce prix-là. Je pense que je pourrais facilement avancer de 20 à 80 mille francs, à la fin de janvier, si ce n'est plus.

J'ai vu une seule fois Kiston. Il est entièrement livré à Golzio; c'est-à-dire qu'il est en bonnes mains.

Je vous remercie de vos détails sur le Risorgimento. J'ai été enchanté qu'on l'ait brûlé. Cela a fait parler de lui, c'était l'essentiel.

Massimo d'Azeglio (1) est avec nous. C'est son frère (2) qui est avec la Concordia. Je vous assure que, le nom à part, il y a plus à perdre qu'à gagner en l'ayant avec soi.

Balbe est malade. C'est fâcheux; malgré cela nous commençons les feux lundi prochain. Dieu nous soit en aide.

La poste reçoit les abonnements. C'est à elle que vous devez vous diriger et faire diriger vos amis.

(1) Massimo Tapparelli d'Azeglio (1798-1866), soldat, peintre, écrivain, orateur et homme politique, fut une des personnalités les plus remarquables du risorgimento italien, dans lequel il joua un grand rôle. Ami et parfois rival de Cavour (qu'il appelait l'empio rivale dans l'intimité), il contribua puissamment, avec Balbo et Gioberti, à préparer le mouvement libéral, soit par ses romans (Ettore Ficramosca, Nicolò dei Lapisoit pas ses écrits politiques (Sui casi delle Romagne, Sui casi della Lombardia). Il combattit en Lombardie en 1848, et fut gravement blessé à Vicence. Victor Emmanuel, qui le tenait en haute estime, le chargea de former un nouveau Cabinet après la déroute de Novare et c'est lai qui rédigea la fameuse proclamation de Moncalieri (20 novembre 1849), où le roi faisait appel an bon sens, à la confiance età l'amour de son peuple, pour pouvoir, au milieu des désordres de ces jours néfastes, gouverner et appliquer le Statuto. D'Azeglio fut président du Cabinet du 7 mai 1849 au 22 mai 1852 et du 24 mai au 4 novembre 1852. Député au Parlement (collège de Strambino), puis sénateur, il fat président du gouvernement des Romagnes en 1859, chargé d'une mission confidentielle à Londres après le traité de Villefranche, gouverneur de Milan, e te. etc.

(2) Roberto d'Azeglio (1790-1862). Comme son frère Massimo, il fut aussi peintre et poste. Intimement lié avec Charles Albert, il dut s'exiler après les événements de 1821, mais n'en continua pas moins, par sa correspondance, à exercer une grande influence sur l'esprit du jeune prince et à le pousser dans la voie du progrès et des réformes. Nommé, en 1833, directeur de la Galerie royale de Turin, il s'occupa activement d’œuvres de bienfaisance et d'instruction publique. Il concourut pour une large part, à la promulgation du Statuto et surtout à l'émancipation civile et politique des protestants et des israélites.

M. Lester, le consul des États-Unis (1), a envoyé à Balbe, par l'entremise de M. Cerruti, une traduction d'une adresse votée au Saint-Père dans un meeting de deux mille personnes à New-York. Veuillez remercier M. Cerruti en lui disant le motif pour lequel Balbe ne répond pas.

J'insérerai l'adresse dans un des premiers numéros du Risorgimento.

Veuillez dire à M. Lester que Balbe et moi acceptons avec empressement, l'échange de notre journal avec le Herald for Europe de New-York, et qu'il ait la complaisance de m'indiquer à qui je dois l'adresser.

Seulement, je l'engage à nous le faire arriver du Hàvre par le moyen le plus économique.

Pardon de tant d'ennuis.

Adieu de cœur.

Camille de Cavour.

CXXVIII.

29 décembre 1847.

Mon cher ami,

J'ai remis à M. Golzio vos 55 obligations, en gardant le coupon qui va échoir.

J'espère que M. Kiston va prendre un parti définitif sur les rails que vous avez déjà reçus.

Il vous rassurera sur le sort des autres cargaisons. Il parait que cette affaire a été menée avec une excessive légèreté par M.... et par T.... lui-même. Nous avons une idée singulièrement exagérée de la régularité et de l'exactitude des Anglais.

(1) À Gènes.

Je suis fort embarrassé pour vous couvrir, d'après ce que vous me dites sur la baisse du Paris; j'avais arrêté 20,000 francs ce matin, que j'ai rendus, pour ne pas causer de perte au compte à-demi.

À propos de compte, il me paraît que c'est le moment de le régler.

Je me recommande de nouveau pour les nouvelles; s'il fallait faire quelques sacrifices avec les directeurs des bateaux à vapeur, pour être renseigné avant les autres, je les ferais volontiers.

Dites-moi si vous avez des correspondants à Bologne chez lesquels je puisse faire verser le montant des abonnements que nous faisons en Romagne.

Pouvez-vous négocier facilement des traites sur Rome, Florence et Bologne?

Remettez ce petit billet à Golzio.

Adieu, mille vœux, mille souhaits pour la nouvelle année.

Camille de Cavour.

CXXIX.

Turin, 7 février 1848.

Mon cher ami,

Je vous écris deux mots par M. M..., pour vous dire que M. Golzio et moi, lui avons déclaré que. si nous n'avions pas, avant quinze jours, la contre garantie formelle de 4000 L. st., soit de MM. Baudon, soit de MM. Thurneister, nous nous considérerions comme dégagés envers lui. Veuillez le lui répéter pour votre propre compte, et, au besoin, lui adresser une lettre.

J'ai parlé à M. M.... avec beaucoup de vivacité et de franchise. J'avoue que je ne sais comment expliquer ce qui arrive. M. L... me paraît un homme sérieux. Il était désolé.

Il me paraît que vous pourriez écrire une lettre un peu forte aux B. Il faut les mettre au pied du mur.

Je serais d'avis qu'à moins de recevoir des nouvelles rassurantes de Paris, vous fissiez partir votre beau-frère pour l'Angleterre. C'est l'homme qu'il faut pour nous tirer d'embarras. Ne précipitez rien, mais préparez-vous à tout.

lei un Conseil extraordinaire (1) discute la grande question de la constitution; je crois qu'elle sera accordée, sans retard. Une fois le principe admis, il faudra voir comment les partis se dessineront. Je crains beaucoup que Gènes ne devienne un foyer de radicalisme. Qu'en pensez-vous? lei, j'espère bien que les Valerio (2) ne domineront pas.

Adieu, si l'on décide quelque chose ce soir, je vous l'écrirai demain.

Camille de Cavour.

(1) La nouvelle que le 29 janvier le roi Ferdinand II avait été forcé par la révolte de la Sicile et de Naples, d'accorder une Constitution à ses sujets, faisait bien prévoir que Charles Albert serait forcé de suivre cet exemple. Le comte de Cavour, dans un remarquable article sur le Risorgimento du 3 février (La Constitution donnée par le Roi de Naples), l’annonçait comme une conséquence inévitable des libertés déjà octroyées. — Les ministres, réunis par le comte Borelli, avaient décidé à l'unanimité, de représenter au Souverain que les circonstances exigeaient qu'il accordât, lui aussi, une Constitution à son peuple, et celui-ci, après, bien des hésitations, finit par y consentir. Le 8 février Charles Albert publiait un manifeste annonçant qu'il accordait le Statuto à son peuple. Quinze jours après, il nommait une Commission (dont le comte de Cavour fit partie) présidée par Cesare Balbo, pour préparer la loi sur les élections des députés. Le 4 mais, enfin, le Statuto était promulgué et un nouveau ministère se formait sous la présidence de Balbo.

(2) Lorenzo Valerio (frère des députés Cesare Valerio, ingénieur, et Gioacchino Valerio, médecin), se voua d'abord à l'industrie, mais mal vu par le gouvernement, à cause de ses opinions libérales, il se réfugia à Vienne en 1831, où il fut employé chez un de ses oncles, qui y avait une maison de commerce.

CXXX.

Turin, 11 février 1848.

Mon cher Émile,

Je vous remercie de ma nomination de ministre, à laquelle je ne m'attendais pas. En attendant que le Eoi la ratifie, je pense à trouver un coin pour me faire élire député. Après, nous verrons.

 Il rentra en Piémont en 1836 et prit la direction d'une grande filature de soie à, Agliè, où il fonda une caisse d'épargne et un Asilo infantile. Il fonda aussi alors un petit journal hebdomadaire «Letture popolari» qui fut supprimé par la censure, à cause de ses idées libérales, mais qui reparut. quelques années après, sous le ti tre de «Letture di famiglia». — Valerio fut un des fondateurs et le secrétaire, pendant plusieurs années, de YAssociation agraire, qui contribua si largement aux progrès de la liberté en Piémont. Les discours qu'il y fit, ayant paru subversifs au gouvernement, le Boi ordonna son internement au fort de Fenestrelle, mais, grâce à l'intervention d'un puissant ami, il révoqua cet ordre et voulut même avoir un entretien avec Valerio, mais la fierté de celui-ci, qui était un vrai popolano pénétré des droits du peuple, jusqu'alors si profondément méconnus, déplut au souverain et ils se quittèrent assez mal. Peu avant la promulgation du Statuto, Valerio fonda avec quelques amis, le journal La Concordia, qui vécut 3 ans et qui professait des principes plus avancés et plus batailleurs que le Risorgimento. Dès les premières élections, Valerio fut nommé député du collège de Casteggio, qui lui confirma son mandat jusqu'à la VIC législature. Il fut au Parlement un des chefs les plus influents de l'opposition et y prononça plusieurs importante discours, avec une éloquence de vrai tribun. Ministre extraordinaire du Piémont en Toscane, lors du gouvernement provisoire de Guerrazzi, et à Rome, lors de la République, Valerio, après la déroute de Novare, ne désespéra pas de l'avenir de l'Italie et fonda, avec d'autres députés, le journal d'opposition «Il Diritto». Lorsque la Lombardie fut affranchie, il fut nommé préfet à Còme, où il acquit l'estime de tous ses administrés, puis commissaire extraordinaire dans les Marche, où sa conduite lui valut sa nomination de sénateur et le grand cordon de l'Ordre de St-Maurice,1862, et enfin préfet de Messine, où il mourut, regretté de tous, le 26 août 1865. Il fut enseveli au Campo Santo de Turin, à coté de Gioberti et de La Farina.

La ville est calme, et je pense que l'ordre rentrera dans les esprits. La seule chose que je craigne, ce sont les passions guerrières que les exagérés chercheront à exciter et à exploiter. J'espère que les gens de bon sens reprendront le dessus, même à Gènes.

Demain je fais partir pour Naples un de mes employés, M. Degrotti; je vous serais obligé de lui donner une lettre de crédit pour cette ville.

Adieu.

Camille de Cavour.

CXXXI.

14 février 1848.

Mon cher ami,

Les tristes résultats de l'Otter me désolent, moins dans la crainte des pertes que nous pouvons essuyer, que par suite des torts que cela nous cause auprès du gouvernement.

Il est évident que nous ne pouvons compter sur ce que nous dit M...; il est menteur comme un Russe, ce qui. est. beaucoup dire. H... vaut mieux en apparence, mais en réalité il agit comme M... Je crois, en conséquence, qu'il est indispensable que votre beau-frère parte le plus-tót possible pour l'Angleterre. Cela fera le plus grand plaisir à l'intendant général, qu'il est essentiel de ménager dans ce moment.

En passant, il verra MM. Baudon à Paris, et pourra leur dire bien de choses qui ne peuvent s'écrire. Ensuite, en arrivant en Angleterre en même temps que les commissaires du gouvernement, il les aidera puissamment.

Golzio va partir pour Gènes; je l'engagerai à y demeurer quelques jours, pour vous aider dans l'affaire des rails et coussinets.

En attendant, écrivez de suite à Davidy de revenir à Gènes, au plus-tót.

Voyez de vous faire rembourser par M... les 2000 francs que je lui ai donnés, car je vous avoue ne plus avoir dans cet animai la moindre confiance. Je le crois capable de nous planter là, un beau matin, pour s'en retourner à Moscou.

On m'écrit de Gènes, que Balduino s'humanise et qu'on pourrait avoir son guano à 24 et même au-dessous. Voyez de sonder le terrain. Malgré les agitations politiques, les demandes de guano ne discontinuent pas.

Bien de nouveau ici. On s'occupe de la confection de différentes lois, peut-être avec trop de lenteur, mais enfin on marche. Le Roi n'est pas dans un état de sante brillanta mais enfin il n'est pas trop mal.

Adieu, pardon de mon insistance au sujet de votre beau-frère, mais plus j'y pense, plus je crois son voyage indispensable.

Camille de Cavour.

CXXXII.

Turin, 27 février 1848.

Mon cher ami,

Au moment de partir pour la grande fête constitutionnelle, où le Risorgimento paraîtra avec un immense gonfalon (1), je vous donne un bonjour à la hâte.

(1) La grande procession patriotique organisée par le marquis Robert d'Azeglio, en l'honneur des Réformes de Charles Albert, à laquelle prirent part les représentants de toutes les classes, professions, arts et métiers, bannières en tète, chantant le célèbre «Fratelli d'Italia» de Goffredo Mameli. Cavour y prit part dans la classe des journalistes, comme directeur du Risorgimento au milieu de Pinelli, Valerio, Brofferio, Castelli, Lanza, Durando, Chiala, e te., représentants des divers journaux de cette époque (Ricordi politici di G. Torelli, p.57).

Je' suis plus que jamais occupé, devant travailler cinq à six heures par jour, à la loi électorale.

…..........................................................................................

J'attends avec impatience des nouvelles des rails. Adieu, à la hâte, mille et mille amitiés.

Camille de Cavour.

CXXXIII.

Turin, 28 février 1848.

Mon cher ami,

Vous aurez appris, probablement en même temps que nous, la révolution de Paris (1). Je suis terrassé, car j'étais loin de m'attendre, je vous l'avoue, à un aussi lamentable événement. Avec la république en France, qu'allons-nous devenir? Entre l'Autriche, d'une part, et la France, de l'autre, comment nous tirer d'affaire? Enfin, toute con jecture serait prématurée. Il faut prévoir le pire et agir en conséquence (2).

J'espère que vous n'aurez pas encore acheté le guano de Balduino. Si vous êtes encore à temps, suspendez les. opérations jusqu'à ce que nous voyions un peu plus clair dans les affaires de la France.

Tâchez de ne pas être en avance, pour les rails. S'il y a la moindre menace de guerre, le gouvernement sera bien aise de résilier son contrat.

(1) La révolution du 24 février.

(2) «Aucun événement, à, mon avis», disait au Sénat, le comte de Cavour, le 16 décembre 1852, «ne fut plus funeste et déplorable et ne me causa plus de donleur».

 

Adieu. Dites-moi si vous croyez que les événements de France exercent un contre-coup à Gènes. Je le crains très fort. Mille amitiés.

Votre dévoué

Camille de Cavour.

CXXXIV.

1er mars 1848.

Mon cher Émile,

Je ne vous parie pas des déplorables événements de Paris, que vous devez connaître mieux que nous, par Marseille.

Nous sommes fort agités, mais non découragés. Nous travaillons activement à la loi électorale. Chargé de la partie qui concerne le commerce et l'industrie, je crois devoir proposer de régler les droits électoraux, d'après l'importance du loyer des magasins et des usines occupées par ces deux catégories de citoyens.

Le loyer minimum doit varier d'après les villes, car leur valeur relative varie excessivement.

On m'assure qu'à Gènes les loyers des boutiques sont très bas. Veuillez, à cet égard, me procurer le plus-tót possible, tous les renseignements qui sont en votre pouvoir. Nous voudrions faire descendre les droits électoraux jusqu'au boutiquier qui jouit d'une petite aisance, qui a tous les jours un bon pot-au-feu. À Turin, je crois que nous atteindrons cette limite en fixant un taux de 6 à 700 francs, boutique et logement compris. Veuillez me dire quel taux correspondrait à Gènes, à cette limite. Faut-il faire une catégorie à part, pour les magasins du port franc?

Les capitaines de navires, qui ne payent pas patente doivent-ils être compris dans le nombre des électeurs? Et à quelles conditions?

Je vous écris fort à la hâte, j'espère toutefois que vous comprendrez bien le sens des demandes que je vous adresse, et que vous serez assez aimable pour m'envoyer des documents précis.

Adieu, mille amitiés.

Camille de Cavour.

CXXXY.

1er mars 1?48.

Mon cher ami,

Je suis parfaitement de votre avis, relativement à la résiliation du contrat des rails. Je voudrais que tout fut fini et qu'il ne fut plus question de rien.

Il est impossible de prévoir ce qui arriverà. Le pays ici jest bon, mais le gouvernement est incapable.

Adieu. Je ne sais rien de plus de ce que les journaux nous apprennent.

Camille de Cavour.

CXXXVI.

9 mars 1848.

Mon cher ami,

Voilà huit jours que je veux vous écrire et que le temps me manque. On m'a élu capitaine de la Civica (1) et tenu quarante-huit heures, de garde.

(1) La garde nationale. Le comte de Cavour fut capitaine de la 1re compagnie (Sezione Monviso), jusqu'au 11 octobre 1850, où il fut appelé à faire partie du ministère.

J'ai accepté pour coopérer à donner un bon esprit à cette nouvelle institution. J'espère beaucoup en elle.

La position est grave, mais n'est pas désespérée.

La nomination de Lorenzo Pareto au ministère, doit satisfaire tous les Génois qui n'ont pas perdu le sens commun (1).

L'affaire des rails me désole. Je donnerais je ne sais quoi, pour n'en entendre plus parler. Je ne congois pas comment B... peut retirer une garantie qu'il a donnée? Ce n'est pas un acte legai, ni loyal. Si M.... veut annuler son contrat <et le gouvernement aussi, j'en serais enchanté, mais je doute que cela soit possible. La route de Turin à Gènes est non seulement une route commerciale, mais c'est encore une route stratégique, le gouvernement doit chercher à l'activer le plus-tòt possible.

Ce qui me console, c'est que les événements européens doivent nécessairement faire baisser les rails, et qu'en définitive nous n'avons rien à perdre.

Je suis assailli de demandes de guano, mais je n'ai pas le courage d'acheter celui de Balduino, sauf le cas où il le céderait à 20 francs. Alors il vaudrait la peine de tenter l'aventure. Je saurais où le placer immédiatement et d'une manière certaine. Il n'y aurait à craindre que le cas de révolte ou de guerre civile, auquel je me refuse encore à croire.

Ayez patience avec les E... et S... Les temps sont durs. On ne nous paye pas et l'on ne peut interrompre la fabrication qui va très-bien. Il n'y a rien à craindre. J'ai retiré le montant de nos intérêts, en fumier. Je vous en donnerai compte prochainement.

Je fais ralentir les opérations commerciales.

Adieu; pardonnez-moi si je vous écris si peu, mais je n'ai plus un moment à moi.

(1) Le nouveau ministère, sous la présidence de Balbo, était composé 4e Revel, Pareto, Franzini, Picei V., C. Boncompagni, F. Sclopis et Desambrois.

Je ne fais pas partie du ministère Balbe. Je ne pouvais guère m'entendre avec lui. Je le soutiendrai toutefois, de tout mon pouvoir.

Camille de Cavour.

CXXXVII.

16 mars 1848.

Mon cher ami,

Le ministère est constitué:

Balbe, président sans portefeuille;

Pareto, affaires étrangères;

Ricci, intérieur;

Revel, finances;

Desambrois, travaux publics;

Sclopis, justice;

Boncompagni, instruction publique;

Franzini, guerre.

Les ministres génois se sont très-mal conduits. Ils ont mis en avant des prétentions insoutenables (1). On n'a pas cédé tout à fait, mais on a introduit dans le gouvernement un germe bien dangereux.

Adieu, mille amitiés.

Camille de Cavour.

(1) Pareto et Ricci demandaient que le fort de Castelletto et les autres forts qui dominent la ville de. Gènes,. fussent détruits, ou tant au moins remis entre les mains du peuple (Paolo Boselli, Lorenzo Nicolò Pareto, Note biografiche, p.24).

CXXXVII.

17 mars 1848.

De chez Golzio, vendredi.

Mon cher Émile,

La nouvelle de la suspension de B... nous a jetés dans l'inquiétude, Golzio et moi; nous croyons toutefois que nous n'avons rien à craindre, si nous agissons avec prudence et résolution.

Il sera indispensable que vous veniez à Turin avec M... et H... et que vous preniez vos mesures pour expédier votre beau-frère, M. Granet, en Angleterre.

Si les B... manquent décidément, nous pourrions nous arranger avec le gouvernement, qui, peut-être, sera charmé de résilier une partie de notre contrat. Il est essentiel d'agir d’accord, avec prudence et sagesse. Peut-être les martres de forges prendront-ils sur eux l'exécution du contrat. Ils sont parfaitement solides, s'ils nous donnaient en outre une maison à Londres, nous pourrions les laisser faire.

L'essentiel c'est de nous entendre. Tâchez donc d'arranger vos affaires de manière à pouvoir venir la semaine prochaine.

Camille de Cavour.

CXXXIX.

Turin, 23 mars 1848.

Mon cher ami,

La guerre (1) va être déclarée légalement, elle l'est déjà de fait. Je vous prie de suspendre tout achat quelconque de guano.

(1) Le 19 mars était arrivée à Turin la nouvelle de la révolution de Milan et de l'expulsion des Autrichiens, et Charles Albert, malgré ses continuelles irrésolutions, avait dû se persuader que la guerre devenait inévitable, s'il voulait conserver son trône.

Je suis dans de grandes anxiétés à l'égard de quelques traites que j'ai prises de l'usine du riz, qui avait une partie de ses fonds chez G...

Ici on est agité et irrite. Je ne me laisse pas décourager, mais je vous assure que je ne vois pas en rose. J'ai bien peu vu Davidy, mais il a passé ici pendant un moment où j'étais accablé d'affaires. Adieu.

Camille de Cavour.

CXL.

1er avril 1848.

Mon cher ami,

J'ai vu H... et M... La longue conversation que j'ai eue avec ces Messieurs, me prouve qu'il est indispensable que nous prenions un parti pour assurer l'exécution de notre contrat, qui est si mal emmanché. Je vous supplie en conséquence de venir le plus-tòt que vous pourrez ici, et même, au besoin, de vous disposer à aller en Angleterre. Je doute fort que, sans ce voyage, nous arrivions jamais à nous tirer d'embarras.

La population de Turin commençait, en effet, à s'agiter aussi et à murmurer contre les demi-mesures prises par le gouvernement pour satisfaire le vœu universel, qui se résumait en ces mots: «Fuori lo straniero». C'est à cette occasion que le comte de Cavour publia dans le Risorgimento, son célèbre article «L'ora suprema della Monarchia sabauda», où il déclare qu'en certains moments «l'audacia è la vera prudenza, e la temerità più savia della ritenutezza «et qu'une seule voie peut sauver le roi et la nation: «la guerra! La guerra immediata e senza indugio». — Peu de jours après, Charles Albert signait la fameuse proclamation «Ai Popoli della Lombardia e della Venezia» et le 25 mars, un premier corps de l'armée. piémontaise entrait à Milan.

Il faut avant tout, préciser notre position avec les B.... Je crois qu'il faut chercher à obtenir d'eux, des pleins pouvoirs pour agir comme mieux nous l'entendrons dans l’intérêt de l'affaire; sans cela, ils pourraient plus tard nous faire des chicanes.

Or, c'est là une négociation qui ne peut pas avoir lieu par lettres. Ensuite il faut voir à assurer le service des rails et des coussinets. R.... voudrait être payé intégralement, et de ce qu'il a fourni et de ce qu'il fournira. C'est une prétention absurde, mais nous ne pouvons rien conclure avec lui, sauf un nouvel arrangement, un nouveau contrat et la sanction des B....

Quant aux coussinets, dans l'état actuel des choses, nous ne savons pas à qui nous adresser. M.... a perdu la tète et ne nous est bon à rien.

Si vous allez en Angleterre, tout s'arrangera facilement. Nous avons entre les mains 700,000 francs et ensuite les fers ont prodigieusement baissé, ainsi nous pouvons tenir les cartes hautes avec les maîtres de forges, mais pour cela, il faut que nous soyons en mesure d'acheter des rails d'autres personnes, si les GL. et les T... veulent nous imposer des conditions exagérées.

En étant ici, nous exposerons à l'intendant et au ministre la position critique où les faillites répétées des soumissionnaires du contrat, nous ont placés. Nous leur témoignerons notre détermination de remplir scrupuleusement notre contrat et nous leur demanderons de nous aider à sortir de ce terrible embarras.

Nous leur proposerons d'aller en Angleterre, avec un délégué du gouvernement, et de traiter d'accord, soit avec T... oli autres, le reste des rails et des coussinets non encore livres.

Cette manière franche d'agir plaira au gouvernement, et je pense qu'on ne nous refusera pas un délai et l'appui d'un commissaire. Avec cela notre affaire est sure.

Les T... subiront nos conditions, non pas quant aux prix, car je suis d'avis d'exécuter à cet égard, fidèlement, les conditions du contrat avec les B..., mais quant aux payements.

Ils ont, pour ne pas rompre avec nous, une excellente raison: c'est que les rails leur étaient payés 8,15 et que maintenant ils ne valent plus 7 francs.

La baisse quant aux coussinets, est plus considérable encore. Il est vrai que l'assurance a augmenté, mais cela ne peut être que transitoire.

Mais si nous ne nous entendons pas, si nous laissons cette affaire traîner en longueur, nous pourrions assumer vis-à-vis du gouvernement, une immense responsabilité. Croyez-moi, je vous en conjure, venez au plus vite, entendons-nous avec le ministère et ensuite allez en Angleterre.

Ce voyage est nécessaire, indispensable, je voudrais bien pouvoir le faire avec vous, mais m'éloigner dans ce moment, c'est perdre ma carrière politique.

Je vous attends avec la plus grande impatience, je dirais même avec la plus vive anxiété, si je ne comptais pas autant sur votre amitié, sur votre intelligence et votre sagacité en affaires.

Adieu, mille amitiés.

Camille de Cavour.


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CXLI.

2 avril 1848.

Mon cher ami,

Après vous avoir écrit, j'ai rencontré Mr Long qui m'a annoncé que Mr Dapples, fonde de pouvoir des Baudons, était parti de Paris, pour se rendre à Gènes par la voie de Marseille. Il sera peut-être chez vous à l'heure qu'il est. En tout cas, il faut l'attendre et nous l'amener à Turin, où tout s'arrangera pour le mieux.

Hier, un employé de l'Azienda m'a assuré que le rapport des commissaires que le gouvernement avait envoyés en Angleterre, était tout à fait favorable aux martres de forges, à T... en particulier. Il ont plus de 5000 tonnes prêtes à être embarquées, et ils sont en mesure de compléter leurs livraisons, avant le mois de juillet.

La seule difficulté est relative aux payements, mais celle-là aussi se résoudra, puisque nous avons de sept à huit cent mille francs entre les mains.

Le gouvernement, malgré la guerre, est en mesure de faire face à toutes les dépenses du chemin de fer. Nous pouvons compter que l'on ne nous fera pas subir de retard, surtout si nous représentons au ministère la position critique dans laquelle la banqueroute de B... nous a placés.

On a quelques inquiétudes sur la Savoie, non pas à cause de l'esprit des populations, qui est excellent, mais par suite du renvoi des ouvriers établis à Lyon, qu'on dit animés d'un très mauvais esprit.

Adieu, mon cher, croyez à mes sentiments dévoués.

Camille de Cavour.

CXLII.

7 avril 1848.

Mon cher Émile,

Je vous écris du corps de garde, où j'ai passé la nuit. Je trouve que vous avez mille raisons de ne pas venir à Turin, tant que Mr Dapples n'aura pas les pleins pouvoirs de Mr Baudon. Si la masse veut exécuter le contrat, c'est ce qui peut nous arriver de plus heureux, car cela nous éviterait des soucis sans nombre, seulement il faudrait voir à ce que les expéditions ne fussent pas retardées.

D'après ce que j'ai appris, je n'hésiterais pas à conseiller à T... d'expédier ses rails; on les acceptera sans difficulté, car le rapport des commissaires leur est favorable. On exigera un rabais de GL. auquel il est tout à fait disposé.

Si les 200,000 francs que vous m'annoncez, sont en outre des 7 à 8 mille qui étaient déjà entre nos mains, je ne verrais pas de difficultés à faire passer aux B... ou, ce qui vaudrait mieux, aux T... le prix du Nautilis et ceux de l'Otteret du Champion (1).

On trouve dans ce moment, à Turin, assez de Londres, à des prix raisonnables,25,40 et peut-être moins, de bonnes maisons. Ne serait-il pas prudent d'en acheter pour n'être pas embarrassé à faire des fonds en Angleterre? On attend assez de cette devise, c'est la seule que nos marchands de soie acceptent de leurs correspondants d'Allemagne et de Russie. Mais je suis sans le sou, si vous voulez que j'en achète, il faut m'envoyer des fonds.

Pas une seule des personnes, auxquelles j'ai vendu du guano, ne me paye. Le riz est à peu près invendable. Dites-moi franchement, si je puis faire faire des billets à trois mois, de mes débiteurs qui sont tous très solides, et si vous pourriez me faire escompter ces billets à la Banque.

Je vous en en verrai pour une somme de 25,000. Répondez-moi sur le champ, car j'aurai besoin d'argent d'ici à quelques jours.

Les événements de Savoie sont bien heureux, si la république tenait à Chambéry (2), nous étions perdus.

Adieu, mon cher, mille amitiés.

Camille de Cavour.

(1) Navires portant les rails à Gènes.

(2) La bande dite des Voraces) de Lyon, avait envahi Chambéry et proclamé la république, profitant de ce que la garnison avait déjà en grande partie quitté la ville pour rejoindre l'armée appelée en Lombardie. Le 16° régiment (brigade de Savone) retourna de suite à Chambéry, et avec le concours de la Garde Nationale, y rétablit l'ordre.

CXLIII.

Léri, 28 avril 1848.

Mon cher ami,

J'ai le regret de vous annoncer que je n'ai pas été élU député dans la province de Verceil, comme je l'espérais et comme je le tenais presque pour certain (1). C'est une nouvelle preuve de la facilité avec laquelle on se fait des illusions sur son mérite et sur l'influence qu'on exerce.

Je m'en retourne à Turin, un peu capot, mais nullement découragé, je continuerai à travailler dans la presse, pour la bonne cause, jusqu'au moment où je verrai ne plus pouvoir être utile au pays.

J'espère que les élections de Gènes auront été modérées, c'est l’essentiel. Si les députés de votre ville ne soufflent pas le feu de la discorde et ne nous poussent pas vers la république, la législature ira bien.

Je suis charmé de la bonne tournure que prend l'affaire des rails. R..., complètement rassuré, hâtera les expéditions d'Angleterre, qui doivent maintenant se succéder sans interruption.

Je vous écrirai à peine arrivé à Turin.

Adieu, mille amitiés.

Camille de Cavour.

(1) Le comte de Cavour se porta, ou fut porté, comme candidat, aux Collèges de Turin, Cigliano, Monforte et Verceil et y échoua, malgré sa remarquable circulaire aux électeurs de Vercelli, où il proclamait ses principes en faveur de l'Italia una e libera e in pieno possesso di un sincero sistema costituzionale. (Risorgimento, 18 avril 1848). Il est hors de doute que le fait d'appartenir à une famille aristocratique et d'être le fils de l'ancien Vicario (Préfet de Police) de Turin, fut une des premières causes de l'insuccès de cette candidature.

CXLIV.

3 mai 1848.

Mon cher Émile,

Je vous envoie une lettre pour Mme de la Bue, que la poste a apportée et qui lui a été adressée par erreur à Turin.

Je suis fàché de toutes les tribulations que vous donne maintenant la livraison des rails. Je vous félicite de l'énergie que vous avez déployée dans cette circonstance.

Je vous promets de veiller au petit contrat. Je suis, comme vous, fort mécontent du capitaine élu (1).

Adieu, cher ami.

Camille de Cavour.

CXLV.

24 mai 1848.

Mon cher ami,

L’honnête Boggio, secrétaire de l'Azienda, m'a promis de vous faire expédier vos mandats, avec une plus grande régularité.

Je suis heureux de voir que les choses cheminent avec régularité, toutefois je ne sera! tout à fait tranquille que lorsque je saurai que les 4000 tonnes de T... ont été acceptées.

Je m'en vais écrire à M... Dites-moi si je dois lui demander des traites sur Durand de Londres. Cela vaudra toujours mieux que rien.

(1) Le comte de Cavour, tout en remplissant régulièrement ses devoirs de capitaine de la Civica, trouvait qu'ils lui faisaient souvent perdre un temps précieux, qu'il aurait pu employer plus utilement.

Turin est d'une tranquillité exemplaire. Nos Chambres paraissent incliner vers le système de lenteur qui a fait tant de mal au gouvernement de Louis Philippe.

Nous avons aussi notre part de prisonniers allemands. On attend aujourd'hui, un premier convoi. Sur la route, on les fête comme si c'étaient des frères.

Adieu, mille amitiés.

Camille de Cavour.

PS. Vous m'aviez annoncé, il y a bien de mois, des livres anglais qui m'auraient été expédiés par les bateaux South-Péninsular, d'ordre de Mr Ridway, librarie.

Je reçois votre lettre du 23, je m'en vais la transmettre à Boggio.

CXLVI.

20 juin 1848.

Mon cher ami,

Bien que je ne vous aie pas répondu, je n'en ai pas moins donné cours aux lettres pour les fabricants et Mr B..., que vous avez bien voulu me communiquer. J'ai approuvé tout à fait, la manière dont vous vous posez à leur égard. Grardez les fonds et vous les verrez se hâter de remplir leurs engagements. D'ailleurs, grâce à la baisse contumelie des prix des fers, ils ont intérêt à livrer à 210 et même bien au-dessous.

Golzio prétend qu'il ne faut pas faire décider maintenant la question des chevilles; que, puisqu'on a consenti à faire porter la réduction sur le 10me de retenue, c'est signe qu'on transigera.

Dans ces matières Golzio en sait long, et je crois qu'on peut se rapporter à lui.

L'agitation s'est calmée jusqu'à un certain point. Si la Chambre décide que l'assemblée se réunira à Turin, le public sera content (1).

On est furieux contre Valerio (2). Cet homme est perdu à jamais, dans l'esprit des Piémontais.

Les articles de Papa (3) dans le Corriere, nous ont fait pitié, car s'il y a une vérité incontestable dans le monde, c'est que les Piémontais sont dix fois plus courageux que les Gènois. Nous avons cru qu'il était de meilleur gout de ne pas le rappeler.

Adieu, Mon cher ami, croyez à mon bien sincère attachement.

Camille de Cavour.

CXLVII.

28 juin 1848.

Mon cher ami,

Je suis certain de vous faire plaisir en vous annonçant que j'ai été élu député à Turin, Cigliano et Monforte (4). Me voilà politiquement réhabilité.

(1) La proposition Rattazzi, qui demandait une costituente élne par suffrage universel (à l'occasion de l'Union opérée avec la Lombardie), avait été votée par la Chambre, avec l'approbation du ministère. Les Turinais craignant que le siège du gouvernement ne fût porté à Milan s'en émurent et présentèrent à la Chambre une pétition qui faisait de Turin capitale, une condition absolue à l'Union.

(2) Valerio avait soutenu au Parlement et dans la Concordia, qu'il s'agissait d'une question italienne et que par conséquent, tous les intérêts de clocher devaient céder devant elle. (Concordia, 19 juin 1848).

(3) Giuseppe Papa, directeur du Corriere Mercantile de Gènes.

(4) Le comte de Cavour opta pour le 1er Collège de Turin, qu'il représenta ensuite jusqu'à sa mort.

Il paraît que l'on s'entendra avec les Lombards, moyennant un amendement moins significatif que celui du ministère. Ce sera un replâtrage. Patience, si on ne peut faire mieux.

J'irai retrouver Golzio pour l'affaire des coussinets. Celui-ci est convaincu qu'en exigeant une déclaration immédiate on se met dans une position pire qu'en attendant à la fin du contrat. Et T... ne vous écrit-il rien? Je commence, sinon à m'inquiéter, un peu à m'impatienter.

Quelles nouvelles de Paris!! Le 25, il paraît qu'on se battait encore, jamais une pareille bataille n'a ensanglanté une ville civilisée. Si on n en finit pas avec les Clubs, il faut désespérer de la France.

Adieu, mille amitiés.

Camille de Cavour.

CXLVIII.

12 juillet 1848.

Mon cher ami,

Le ministère n'est pas encore définitivement constitué; néanmoins il paraît certain que la nuance Pareto (1) sera la dominante; je m’apprête à lui faire une rude guerre.

(1) Le marquis Lorenzo Pareto, né à Gènes en 1800, mort en 1865, géologue distingué, ami intime de Bianca Rebizzo (Lettre TCOLI) et du marquis Vincenzo Ricci, fut un des fondateurs des Asili Infantili de Gènes. Il prit une part importante à tous les Congrès scientifiques qui se réunirent à cette époque dans les principales villes d'Italie et furent le prélude de l'Union, qui en prépara l'indépendance. Il appartenait au parti libéral avancé et s'y était acquis une haute influence par la noblesse et l'élévation de son caractère. Il fat l’âme de toutes les démonstrations qui, en Ligurie, poussèrent le Roi à accorder le Statut et à déclarer la guerre à l'Autriche. Appelé à faire partie du ministère Balbo, en mars 1848. A n'y consentit que si son ami Vincenzo Ricci y siégerait aussi.

Je vous prie de m'envoyer, si cela vous est possible, par le retour du courrier, le compte rendu de la Banque de Gènes du dernier semestre, et dans le cas où il n'aurait pas encore paru, la situation approximative de la caisse, de la circulation et de son portefeuille.

J'espère que ces maudits rails arrivent. Cette affaire me crispe les nerfs. Savez-vous quelque chose de M... et des 600 francs qu'il nous doit encore?

G... a été assez malade. Comment vous êtes vous tiré de l'emprunt qu'il vous a demandé?

Adieu, mille amitiés.

Camille de Cavour.

C'est à eux que Gioberti, qui était alors à Paris, dut sa nomination, à laquelle Charles Albert n'était guère disposé. Pareto fut le premier à voter dans le Conseil des ministres, réuni le 22 mars, pour que la guerre fût déclarée à l'Autriche, et il affirmait que Gènes se serait insurgée et séparée du Piémont, si le Roi n'avait pas pris cette décision (Boselli, Lorenzo Pareto, pag. 28). C'est lui qui prononça à la séance du 16 avril, ces paroles devenues presque classiques: «Italia farà da sè», en présence du refus de la France d'accorder au Piémont son secours, ou même de lui prêter un général pour prendre le commandement de son armée.

Pareto s'opposa avec ardeur à l'armistice de Milan, qu'il déclarait «inconstitutionnel et contraire à l'honneur national». «Que le Gouvernement concentre ses forces à Gènes, qu'il déclare la patrie en danger, et qu'il y appelle autour de lui tous les hommes aptes à porter les armes» s'écriait-il alors, dans le Parlement. Il préludait ainsi au mouvement insurrectionnel de Gènes, après la déroute de Novare; révolution à laquelle il prit une large part comme général dans la Garde Nationale, mais où il fit aussi beaucoup pour empêcher les désordres et les crimes, compagnons trop habituels des émeutes populaires.

Président de la Chambre, Pareto sut s'y concilier le respect et l'affection de ses collègues. A la mort de Cavour, avec lequel il était loin de s'accorder, il premonta cependant, au Sénat, des nobles paroles sur le caractère et la personne du grand citoyen que la patrie perdait en lui. Pareto, libéral et fervent catholique, mourut à Gènes le 19 juin 1865, «pleuré par tous ceux qui en Italie aiment et honorent les bons citoyens, qui ont concouru à la grande œuvre du relèvement de la patrie». (Boselli, loc. cit., pag. 38).

CXLIX.

CO juillet 1848.

Mon cher ami,

Je vous remercie de l'envoi de la situation de la Banque, elle me sera fort utile dans la prochaine discussion des lois de finances.

Je ne veux pas m'associer avec Pareto, parceque c'est un écervelé démagogue, qui n'a ni bon sens, ni énergie, qui est toujours prét à tout sacrifier à la popularité de la rue.

Eicci (1) dont j'avais meilleure idée, est également d'une médiocrité désespérante, d'ailleurs l'opinion publique du Piémont s'est prononcée contre eux. Je ne crois pas qu'il y ait un Piémontais un peu bien place, qui consentit à fiore partie d'un cabinet dont on n'aurait pas mis à la porte, au moins l'un d'eux.

Collegno (2), honnête homme, mais esprit faible et étroit, dominé par sa femme et sa belle-sœur, milanaises intrigantes, s'est uni à eux et il a échoué. Il n'a pu trouver aucun Piémontais pour se joindre à lui. Gioberti (3), lui-même, a jugé les deux Génois des impossibilités gouvernementales.

(1) Le marquis Vincenzo Ricci de Gênes, ami intime de L. Pareto député de Gênes au Parlement Subalpin, mort en 1868, ministre de l’intérieur en 1848 (Cabinet Balbo) puis des finances (Cabinet Casati et Gioberti) combattit la politique de Cavour et en particulier, l'expédition de Crimée, la loi sur le mariage et sur l'incameramento des biens ecclésiastiques.

(2) Giacinto Provana di Collegno. (Voir Lettre XXXIV).

(3) L'abbé Vincenzo Gioberti de Turin (1801-1852), le célèbre auteur du Primato morale e civile degli Italiani, et du Gesuita moderno. député du 3™Collège de Turin, fut président de la Chambre en 1848, pois ministre de l'instruction publique (cabinet Casati,27 juillet à 15 août 1848), puis président du cabinet (cabinet Gioberti 16 décembre 1848 à 21 février 1849).

 

Maintenant Collegno s'est démis, et nous sommes plus loin que jamais, d'avoir une ministère.

Venant aux affaires, je vous dirai que je crains que Bona ne retienne les commissaires pour retarder la livraison des rails, non pour nous faire une mauvaise chicane, mais pour retarder les payements, de quelques mois.

D'après l'état des fonds que vous avez entre les mains, je crois que vous pouvez envoyer aux B..., sinon tout, au moins une grande partie de ce qui leur est du. Mais quant &ux T... je pense qu'il ne faut plus leur làcher un centime. Les livraisons, d'après notre contrat, doivent être achevées à la fin de juillet, elles ne le seront certainement pas et cela suffit pour justifier cette mesure conservatoire.

Vous m'obligerez beaucoup, en me marquant dans une de vos lettres, le nombre de tonnes que nous avons livrées à ce jour, et ce qui reste encore à livrer pour achever notre fourniture.

Je n'ai plus vu Golzio depuis des siècles.

Il voulait envoyer les troupes piémontaises à Rome et en Toscane, pour y rétablir sur leurs trônes, Pie IX et Léopold II, à condition qu'ils s'engageassent à s'allier avec le Piémont contro l'Autriche et à accorder un gouvernement constitutionnel à leurs États. Cette idée (que Cavour appuyait, Lettre CXCIV) d'abord approuvée par le Roi et qui avait déjà reçu un commencement d'exécution par l'envoi de Lamarmora et de ses soldats à Sarzane, fut ensuite abandonné subitement et Gioberti, vivement irrité contre ses collègues et le Roi, donna sa démission. En 1849 (mars 27) Gioberti fut appelé à faire partie du Cabinet De Launay, comme ministre sans portefeuille, et chargé d'une mission à Paris, pour y demander à la France d'intervenir en faveur du Piémont, dans les négociations de paix entre lui et l'Autriche. Sa mission n'ayant pas réussi et les affaires prenant en Italie une tournure que Gioberti déplorait, il jura de ne plus rentrer dans sa patrie, se remit à ses études, pubblia son Rinnovamento Civile d'Italia, qui passe pour un de ses meilleurs ouvrages, et mourut à Paris le 17 octobre 1852.

Ce que vous me dites de l'opinion publique à Gènes, me charme, car c'était le seul point qui me donnât vraiment de l'inquiétude.

Le blé rend peu au battage, de sorte que la récolte est moins bonne qu'on ne l'avait cru. Adieu.

Camille de Cavour.

CL.

28 juillet 1848.

Mon cher ami,

Je viens d'avoir une longue conversation avec le chev. Sismonda (1), qui arrivé de l'Angleterre, où il a laissé son collègue, M. Melchioni, à Londres.11 m'a assuré que tous les rails, sans exception, étaient fabriqués et qu'il y avait dix bâtiments en voyage. Il m'a dit que M... et G... sont d'excellentes gens. Enfin, il paraît enchanté des fabricants. Je pense que vous pouvez envoyer à T... tout ce qui lui revient.

Les nouvelles de l'armée sont assez médiocres. Adieu, je n'ai que le temps de vous faire mes amitiés.

Camille de Cavour.

(1) Savant géologue, membre de l'Académie des Sciences à Turin, collabora aux études pour le projet du tunnel du Mont-Cenis.

CLI.

11 août 1848.

Mon cher ami,

Nos désastres militaires et politiques (1) m'ont rendu hébété. Je n'ai plus la force d'écrire une ligne. Que de fautes, grand Dieu ! Il est impossible de concevoir une plus funeste róunion d'incapacités de tous genres, soit à l'armée, soit dans le ministère (2).

Tout le monde a des torts, mais les plus grands sont ceux des Génois (3). Ils ont fait un mal immense à la cause italienne. Les moins coupables ce sont les Piémontais, les chefs et surtout le chef suprême, exceptés.

On nous assure que le Roi et Radetzky ont conclu un armistice de 45 jours (4). C'est un gage presque certain de la paix. Si l’Autriche victorieuse se montre modérée, elle méritera une bien belle page dans l'histoire.

L'armistice va changer la position financière et l'améliorer singulièrement. Nous allions en être réduits aux expédients.

Un emprunt forcé devenait inévitable. Le ministère actuel se retire. Il est probable que Revel reviendra aux finances. Avec la paix, on pourra contracter un emprunt.

(1) Après l'armistice de Milan et les funestes résultats d'une guerre entreprise cependant sous de favorables auspices et au milieu du plus sublime élan national.

(2) En moins d'un an, il y avait eu successivement 9 ministres de la guerre.

(3) Le 7 août, quand arriva à Gènes la nouvelle de l'armistice de Milan, le peuple se mit à parcourir les rues, criant à la trahison et réclamant qu'on armât la garde nationale et qu'on lui confiât les forts, ce qui eut lieu le 8, où les forts de Castelletto et de S. Giorgio furent détruits. (La Marmora, Un episodio del Risorgimento italiano, p.9).

(4) Le 9 août, avait été conclu l'armistice entre les deux armées, qui fut signé pour le Piémont par le comte Salasco, lieutenant général, chef de l'état major sarde, d’où le nom d'armistice Salasco.

Quant aux coussinets de Falkirk et aux plaques tournantes de Ramage, il vaut mieux ne pas en parler de quelques jours. Il faut attendre qu'il y ait un véritable ministre des travaux publics et qu'on sache à quoi s'en tenir sur la question politique. Si la guerre devait continuer, on ne ferait certainement pas de nouveaux contrats.

Je vais ce soir à Santena, j'en reviendrai demain. Vous verrez par ma lettre que je suis encore tout alluri. Adieu.

Camille de Cavour.

CLII.

13 août 1848.

Mon cher ami,

J'ai oublié de vous dire, dans ma dernière lettre, que le nouvel intendant général de Gènes, M. de St-Martin (1), est mon cousin et ami. Vous en serez content, surtout lorsque vous l'aurez connu; le fond chez lui est infiniment supérieur à la forme.

(1) Le comte Gustave Ponza di S. Martino, né à Cuneo le 4 janvier 1810, appliqué d'abord au ministère de l'intérieur, s'y acquit l’affection et l'estime de Gallina et de Des Ambrois, avec lequel il collabora aux réformes de 1847 et 1848. La nouvelle loi provinciale et communale fut en grande partie, son œuvre. Nommé intendant général à Gènes, il y donna de nombreuses preuves de son courage et de sa fermeté, durant les émeutes qui suivirent dans cette ville, l'armistice Salasco. Lorsque Buffa fut nommé commissaire royal à Gènes, en 1849, S. Martino donna sa démission. Il fut ensuite premier officier du ministère de l'intérieur, lorsque Pinelli et Sineo en furent les titulaires. Le roi Victor Emmanuel avait en lui une confiance absolue et le tenait en haute estime. Il fut ministre de l'intérieur dans le premier cabinet Cavour (4 décembre 1852 6 mars 1854).

Ce matin, Abercromby (1) et Reizet (2) ont reçu des instructions positives. La France et l'Angleterre demandent l'indépendance de la Lombardie et des Duchés. Ils proposent l'Adige à l'Autriche comme frontière. Si ces deux puissances parviennent à faire entendre raison à Radetzky, nous pourrons encore nous féliciter du résultat de la guerre.

Ne parlez pas des instructions arrivées à nos diplomates. C'est encore un secret.

J'ai vu par une lettre que vous avez écrite à Golzio, que M... a payé votre traite. Veuillez m'en écrire un mot pour la régularité de notre compte.

Lorsqu'on croyait à la continuation de la guerre, on avait décide un emprunt forcé sur le commerce, les créances hypothécaires, les propriétaires de terres et de maisons. Sur ma proposition, on aurait émis du 5 % à 80. Je crois que c’était le seul moyen de se procurer de l'argent. Dites moi votre avis.

Je vous remercie de m'avoir envoyé le compte-rendu de la banque de Gènes. Si nous étions en temps plus calmes, je le critiquerais comme il le mérite, mais dans ce moment je n'ai guère envie de faire de la polémique financière.

Si le gouvernement déploie un peu de fermeté, l'ordre ne sera pas troublé à Gènes. On criera beaucoup et l'on finira par accepter avec reconnaissance, la médiation anglo-française.

Adieu, mon cher, croyez à ma sincère amitié.

Camille de Cavour.

(1) Abercromby (air Ralph), ministre d'Angleterre à Turin.

(2) De Reizet, secrétaire de la légation de France à Turin.

CLIII.

20 août 1848.

Mon cher ami,

Le nouveau ministère est constitué (1). Sainte Rose est aux travaux publics. Les deux génois, De Ferrari (2) et Colla (3), ont refusé. Ils ne veulent pas se compromettre avec leurs concitoyens, les gueux!!

Comment les nouveaux ministres se tireront-ils du pas terrible où le pays est placé?... Je ne comprends pas comment tout finira. Les passions sont excitées, les esprits exaltés. Personne ne se soucie de la voie de la raison. Que faire?

Je voudrais bien me débarrasser tout à fait du Risorgimento, et aller me cacher au fond des rizières.

Adieu, croyez à ma bien sincère amitié.

Camille de Cavour.

(1) César Alfieri, président — Pinelli, intérieur — Perrone di San Martino, extérieur — Merlo, grâce et justice et instruction publique — Revel, finances — Franzini, guerre et marine — Sainte Rose, travaux publics — Boncompagni, agriculture et commerce.

(2) Domenico De Ferrari, qui devint plus tard premier président de la Cour de cassation. Député de Gènes au Parlement, fut ministre des affaires étrangères (ministère Chiodo), du 8 au 27 mars 1849, nommé sénateur le 10 juillet 1849.

(3) L'avocat Fédéric CoUa, plus tard contrôleur général, sénateur du royaume et premier président de la Cour des comptes. — Ministre sans portefeuille (ministère Chiodo), du 25 août au 16 décembre 1848.

Je suis parti l'esprit bien préoccupé de la situation présente. Ce malheureux Gioberti, furieux de ne plus faire part du ministère, s'est mis à exciter les passions populaires. Il a été au cercle politique, et y a prononcé un discours incendiaire, dans lequel il dénonce les nouveaux ministres comme des traîtres, les nouveaux ministres, parmi lesquels on compte ses plus intimes, ses meilleurs amis: Pinelli (1), Sainte Rose (2) et Merlo!! (3).

(1) Pinelli Pier Dionigi, né à Turin en 1804, mort en 1852, commença sa carrière comme avocat et prit part au mouvement de 1831. Ami intime de Gioberti, il alla le voir lorsqu’il s'était réfugié à Bruxelles et contribua, pour une large part, à sa nomination au ministère. Député du Ve collège de Turin, Pinelli ne tarda pas à acquérir une haute position dans le Parlement, par sa loyauté et sa franchise. Ministre de l'intérieur dans les cabinets Alfieri et Perrone, il donna sa démission après l'armistice de Milan, estimant, contrairement au vote du Parlement, que le pays n'était pas prêt pour recommencer la guerre. Renommé ministre de l'intérieur après le 2e armistice (cabinets De Launay et 1er d'Azeglio) il eut à lutter contre d'immenses difficultés et fut exposé à l'impopularité et surtout à l'animadversion de son ancien ami intime et ex-collègue Gioberti. — Nommé ensuite président de la Chambre, il sut par son impartialité y regagner une partie de sa popularité, mais non l'amitié de Gioberti, qui ne lui pardonna pas sa conduite politique. Il mourut le 23 avril 1852.

(2) Sainte Rose Pietro Derossi, né à Turin en 1805 mort en 1850, ami intime de Cavour. Décurion de Turin, il proposa, en février 1848, à la municipalité de cette ville de demander le Statuto au roi, et fit part avec Cavour et BrofFerio, de la députation qui lui présenta cette demande. Collaborateur actif du Risorgimento, commissaire royal à Reggio (Emilia) lorsque les Duchés demandèrent leur annexion au Piémont, député au Parlement par le collège de Savigliano, ministre des travaux publics (cabinet Alfieri), puis d’agriculture et commerce (cabinet Azeglio), il prit une grande part à l'acceptation de la loi abolissant le for ecclésiastique, homme d'une droiture et d'une intégrité remarquables. (Voir Lettre CCCIII).

(3) Merlo Felice, né à Fossano (Piémont) en 3793. Professeur à la faculté de droit à Turin, représenta le collège de Fossano au Parlement dont il fut élu vice-président à la 1re législature. Ministre de l’instruction publique dans le cabinet Alfieri, et de grâce et justice dans celui Perrone, il se décrit avec ses collègues, en décembre 1848, après les longues et violentes luttes parlementaires de cette époque.

C'est une véritable infamie, dont un prêtre renégat peut seul être capable. Dans Gioberti, il y a du Lamennais, l'un et l’autre après avoir été les défenseurs exaltés de la puissance de Rome, sont devenus des démagogues effrénés, et ont fait un mal immense à leur patrie. Le discours de Gioberti a produit un grand effet sur la masse ignorante; on a dresse des pétitions pour demander le renvoi des ministres, qu'on a colportées dans toute la ville. On est venu au corps de garde que je commandais, pour obtenir des signatures, mais j'ai mis à la porte le mandataire séditieux. Cela m'a valu une dénonciation furibonde au cercle politique, dont je me bats l’œil (1).

Je crains que les passions ne continuent à s'exalter et qu'il ne s'en suive une collision. Le Roi, avec son caractère faible et irrésolu, ne saura ni céder, ni résister à temps, et il entravera l'action de ses ministres, hommes de tète et de cœur. On se flatte qu'il abdique. Dieu le veuille! C'est peut-être le seul moyen de sauver le pays d'une crise terrible. L'armée est irritée contre les clubs, contre les prétendus patriotes qui prêchent la guerre à mort, au coin du feu, du fond des antres du journalisme. Une collision peut naître d'un moment à l'autre, et donner lieu aux plus terribles conséquences. Si Cavaignac nous envoie Bugeaud (2), nous sommes sauvés; car, loin de fomenter les passions anarchiques, il sera leur plus acharné ennemi.

La perte de l'amitié de Gioberti fut aussi pour lui nn grand chagrin, ainsi que les violentes attaques dont il fut l'objet de sa part. Il mourut le 30 mars 1849, peu de jours après la terrible déroute de Novare.

(1) Voir sur cet incident C. Cavour, Lettere raccolte du L. Chiala, vol. I, p.185-142.

(2) Pour prendre le commandement en chef de l'armée piémontaise, qui, sur le refus des généraux français Oudinot et Bugeaud, fut confier au général polonais Adalbert Chrzanowski.

Mais si l'armée continue à être commandée par des personnages aussi ineptes que ceux qui sont à sa tète, si le Roi s'obstine à rester à Alexandrie, entouré d'hommes impopulaires, si les négociations se prolongent et prennent une mauvaise tournure, nous sommes menacés de troubles graves dans l'intérieur du pays.

Enfin, il faut se préparer à toutes les éventualités et ne pas trop se chagriner d'avance.

Dans ce moment, je ne puis songer à acheter le guano Balduino. J'ai déjà à peu près ce qu'il me faut pour l'année prochaine, et je ne suis guère d'humeur de spéculer sur cet article. La portion la plus riche du Vercellais a été fibimée par la grêle, de sorte que beaucoup de fermiers sont hors d'état de me payer leur guano de l'année dernière; je n'irai certainement pas leur en confier de l'autre.

Veuillez, toutefois, vous tenir au courant de ce que fera Balduino.

Je vous annonce un emprunt forcé; je pense que des maisons de premier ordre, comme la vótre, seront taxées de 20 à 30,000 francs. Si l'on exécute le projet que nous fivons formulé avec Balduino, l'emprunt se payera avec facilité.

Je me suis dédommagé, vous le voyez, mon cher, du silence que je garde avec vous, faute de temps pour vous écrire. Je serai mardi, de retour à Turin, où je trouverai certainement de vos lettres.

Adieu, mille amitiés.

Camille de Cavour.


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CLVII.

6 septembre 1848.

Mon cher ami,

Je fais tout ce qui dépend de moi, pour exciter le Ministère à adopter une ligne de conduite ferme et énergique vis-à-vis des Génois (1). J'espère que l'avenir vaudra mieux que le passé, mais il ne faut pas se dissimuler que le caractère faible et indécis du Roi est un grand obstacle à la marche régulière des affaires.

Depuis quelques jours, nous sommes très belliqueux, la France paraît décidée à agir en notre faveur. Si l'expédition de Venise a lieu d'accord avec l'Angleterre, il y a de grandes chances que l'Autriche cède.

Votre Maison m'annonce que le comte A. de Casanova (2) a tiré sur vous 5000 francs, sans vous en prévenir.

Mon ami, homme excellent, est excentrique au plus haut degré. Il ne m'a pas plus écrit qu'à vous. Toutefois, si vous êtes certain que la signature est légitime, veuillez accepter cette traite pour mon compte.

(1) Plusieurs émigrés italiens s'étaient réfugiés à, Gènes, et parmi eux, un certain nombre d'exaltés prêts à soulever le peuple contre le gouvernement qu'ils accusaient de trahison. Le ler septembre, la police ayant arrêté l'émigré Philippe De Boni, que le gouvernement avait ordonné de renvoyer à la frontière Toscane, une émeute s'en suivit qui for§a le gouvernement à le relâcher et à faire brûler tous les documents du procès commencé contre ceux qui avaient détruit les forts. et à nommer Lorenzo Pareto, commandant de la Garde Nationale, au lieu du marquis Balbi-Piovera (Lamarmora, Episodio, pag. 10).

(2) Le comte Alexandre Avogadro di Casanova, lieutenant-général et sénateur du Royaume, grand propriétaire à Verceil. «Notre ami Casanova à été saisi par une rage agricole furieuse. Il passe tout son temps dans ses champs et ses rizières, et la nuit il couche avec Liebig et Domsbale. Prenant à la lettre tous les préceptes de ces farceurs d’agriculteurs à établissements modèles, il pèse, il compte, il évalue depuis le brin de paile à la meule de foin». (Lettre du comte de Cavour au prof. Auguste De la Rive, Chiala, V, pag. 99).

Les décrets financiers vont paraître. Je pense que les Maisons de premier ordre seront taxées à un emprunt de 30,000 francs nominals, soit 24,000 francs effectifs, pour lesquels elles recevront une inscription de 1500 francs de rente. Enfin ce sera du 5 à 80. Je crois que cette mesure donnera lieu à beaucoup d'opérations.

Adieu, à la hâte.

Camille de Cavour.

CLVIII.

7 septembre 1848.

Mon cher ami,

Vous aurez vu arriver à Gènes, à l'heure qu'il est, le général Jacques Durando (1), nommé commissaire royal avec des pouvoirs extraordinaires. Le dit Durando n'est pas un génie, mais c'est un homme d'ordre et d'énergie. Il tâchera de se servir des moyens de douceur, mais si  ceux-ci ne réussissent pas, il ne reculera devant aucune des conséquences des principes qu'il a mission de faire prévaloir.

(1) Jacques Durando, né à Mondovi en 1807, prit part en 1830, avec Brofferio, à une conspiration contre le gouvernement sarde et dut s'enfuir en Belgique, où il s’enrôla dans la Légion Étrangère; il passa de là en Portugal, où il servit dans l'armée de Don Pedro contre Don Miguel, de 1832-1834. En 1835, il s’enrôla avec Cialdini et Oucohiari au service de Marie Christine contre Don Carlos, et il y obtint le grade de colonel. Après la prise de Sarragosse, il se retira à Paris, puis il rentra en Piémont, où il écrivit son ouvrage sur la Nationalité Italienne, dans lequel il déclarait que la papauté est le plus grand obstacle au risorgimento du pays, contrairement à l'idée de Gioberti,, qui en faisait le fondement même. En 1848, il fonda à, Turin, le journal l'Opinione et il se présenta avec Cavour, Brofferio et P. Sainte-Roser au Roi, pour lui demander la constitution. Nommé général par le ministre Collegno, il fit des prodiges de valeur contre les Autrichiens, sur la frontière du Tyrol.

Disciple d'Espartero, il a fait décimer un régiment, et contribué au bombardement de Barcelone. Cela vous prouve qu'il a l'énergie nécessaire dans les temps révolutionnaires.

Je craignais que vos brouillons ne trouvassent un appui dans la France, mais Mr Bois-le-Comte (1) m'a assuré que son gouvernement désirait le maintien de l'ordre et la répression de l’anarchie. Ayant exprimé des doutes sur la conduite du consul à Gènes, Mr Favre (2), républicain un peu colore, il m'a tranquillisé-en me disant que Mr F... était un honnête homme, incapable d'agir dans un sens contraire aux instructions qu'il a reçues de Mr Bastide (1) et de lui, qui lui enjoignent de s'abstenir de toute menée révolutionnaire.

Envoyé comme commissaire Royal à Gènes, avec pleins pouvoirs, il ne put guère y faire autre chose que temporiser, le parti démocratique y ayant une forte majorité. En 1849 il était aide de camp du roi Charles Albert et il était auprès de lui à Novare. Député au Parlement, il y soutint la politique de Cavour et en particulier, la guerre de Crimée, pendant laquelle il remplaça. Lamarmora au Ministère de la Guerre, charge qu'il occupa jusqu'au 26 juin 1856. Envoyé ensuite comme ambassadeur à Constantinople, il y signa en 1861 le traité entre la Turquie et le nouveau Royaume d'Italie. Battezzi l'appela alors au Ministère des Affaires Étrangères (31 mars à.8 décembre 1862). Député du Collège de Mondovi, puis de celui de Ceva, Durando fut nommé sénateur en 1855.

(1) Ministre de France à Turin.

(2) Léon Favre, frère du célèbre Jules, nommé consul général de France à Gènes, en 1848, puis envoyé en qualité de chargé d'affaires, en Bolivie, en 1819, ses opinions républicaines avancées étant mal vues par le gouvernement sarde. Favre, pendant le siège de Gênes, en avril 1849, s'attira la reconnaissance de tonte la population, en intervenant, à la tète du Corps consulaire, pour obtenir du général Lamarmora un arrangement qui empêchât l'effusion du sang dans la ville. Il s'employa aussi, avec beaucoup de dévouement, à procurer un asile sur le Tonnerre et autres navires français, qui se trouvaient dans le port de Gênes, à plusieurs familles qui fuyaient la ville (Corriere Mercantile, 18 avril 1849). Aussi, le 12 avril 1849, la Municipalité de Gênes et les représentants de la Colonie suisse résidants dans cette ville, lui adressèrent des remerciements publics, pour le rôle bienveillant et conciliateur qu'il joua dans ces douloureuses circonstances et pour la protection qu'il accorda à ceux qui lui demandèrent un abri.

(1) Ministre des affaires étrangères à Paris.

Les nouvelles de Paris sont belliqueuses. La France ne veut pas que l'Autriche se joue d'elle. Si la réponse que l'on attend journellement de Vienne, n'est pas favorable, l'armée des Alpes passera la frontière. L'expédition de Venise est une preuve que Cavaignac est décidé à ne pas reculer.

Dans peu de jours, nous saurons à quoi nous en tenir. Si l'Angleterre, ainsi que Bois-le-Comte l'assure, ne s'oppose pas à l'intervention française, je désire la guerre, comme le meilleur, pour ne pas dire le seul moyen, de rétablir l'ordre à l'intérieur.

Je regrette de ne pas pouvoir vous annoncer le pian financier, mais je suis lié par la promesse du secret le plus absolu.

Quant à l'emprunt forcé à 80, on peut en parler comme d'un bruit, il est bon qu'on s'y accoutume. Il y aura une grande recherche d'argent; si vous avez des fonds disponibles, vous pourrez les employer d'une manière avantageuse et sure. Plusieurs grands propriétaires m'ont déjà demandé si je pourrais leur procurer des fonds.

Dites-moi si l'affaire des rails continue à marcher, et si vous pouvez m'avancer une partie de la commission qui me revient.

Malgré les embarras financiers, notre usine chimique chemine fort bien. La fabrication est fort active et tout se vend à mesure qu'il y a des marchandises disponibles. Le seul article qui n'aille pas est la stearine, je crains que nous ne soyons obligés de fabriquer des bougies, ce qui sera une bonne spéculation, mais qui absorbera des fonds. Le phosphore se vend couramment. Les Milanais, malgré Radetzky, consomment tout ce que nous avons de disponible.

Notre magnifique moulin à riz va être en activité, il donne des produits superbes. Adieu, cher ami, je vais passer la journée à Santena

Camille de Cavour.

CLIX.

Santena, 9 septembre 1848;

Mon cher,

Dans le doute que le Risorgimento ait été informé à temps pour l'imprimer, je vous écris deux mots pour vous informer que l'Autriche a formellement accepté, le 3 courant, la médiation de la France et de l'Angleterre. J’espère que cette nouvelle tranquillisera les esprits et ramènera la paix à l'intérieur et à l'extérieur.

Adieu, mille amitiés.

Camille de Cavour.

CLX.

11 septembre 1848.

Mon cher ami,

Vous aurez lu dans les journaux, les décrets financiers du gouvernement. L'emprunt forcé est tel que je vous l'avais annoncé. Seulement, on a réduit le taux auquel les banquiers et négociants devaient être taxés, et cela parce qu’on a pensé qu'il fallait laisser libres, le plus possible, les capitaux du commerce, afin qu'ils pussent opérer sur la place, de manière à soutenir le cours des nouvelles rentes.

Vous voyez que vous n'avez que 15,000 fr. à payer; sur cette somme, on vous impute le tiers du premier emprunt, ce qui réduit à moins de 7000 francs le débours que vous aurez à faire. Cela ne gênera guère vos opérations.

La mesure. relative à la Banque est plus hardie, l'émission de 20,000,000 de billets en faveur du trésor, le cours forcé sont des actes tant soit peu révolutionnaires. Mais je les crois indispensables. Si l'on n'avait pas mis en circulation des billets, on aurait éprouvé une assez forte gène, par suite du défaut de numéraire. L'emprunt nécessite une circulation extraordinaire, il faut faire entrer dans les caisses du Trésor, en 5 mois,50,000,000. Or, si cette opération avait du se faire tout en écus, il est évident que le numéraire dont dispose le pays n'y aurait pas suffi, ou du moins, qu'une telle opération aurait apporté une perturbation énorme dans toutes les transactions ordinaires du commerce ou de l'industrie. Il eut été indispensable de se procurer des écus à l'étranger, et on n'aurait pu le faire qu au prix d'immenses sacrifices.

L'emprunt de la Banque a été combiné avec Bombrini (1), qui, dans cette occasion, a prouvé avoir des vues très larges et très étendues en finances.

Maintenant, les nouveaux titres vont donner lieu à beaucoup d'opérations. C'est ce que je voulais vous dire dans ma dernière lettre. H serait absurde d'employer ses fonds en emprunts hypothécaires, mais l'on peut acheter des bons d'emprunt à des conditions avantageuses.

Je ne doute pas qu'au moment de verser, les titres ne se négocient à perte, il sera alors avantageux d'en acheter pour les revendre ensuite, avant même d'en avoir effectué le payement total. Si par exemple, on m'offrait le 10 p. % de perte dès à présent, croyez-vous qu'on put les accepter?

(1) Charles Bombrini, mort en 1882, directeur de la Banqne de Gênes fondée en 1844, fusionnée avec la Banque de Turin en 1849, devint le directeur de la Banque Nationale, qui, depuis 1859, étendit ses opérations dans toute l'Italie, et suivit le sort de l'Unification Nationale (Carlo Bombrini e la Banca Nazionale, Cenni di Carlo Bonis).

Cela fait du 5 p. % à 90, avec jouissance du 1er septembre, payable, en moyenne, dans le mois de novembre. C'est de la rente à 69.

L'emprunt de la Banque a une portée politique, il rattache Grènes au Piémont, car, dans le cas d'une séparation, le Piémont ne rembourserait plus les billets de la Banque. J'espère que cela fera réfléchir ceux de vos agitateurs qui ont conserve quelque ombre de bon sens.

Vous serez content de Durando, ou je me trompe fort. Il fait bien de commencer par les moyens de douceur. Il sera d'autant plus justifié à agir avec énergie, à la première occasion.

Adieu, mille amitiés.

Camille de Cavour.

CLXI.

15 septembre 1848.

Mon cher ami,

J'ai pris une part très active aux mesures fìnanrières et j'ai donné ma pleine approbation à l'emprunt fait à la banque. J'avais proposé de consulter le conseil de régence, mais Bombrini, qui connait son monde, a déclaré que cela ferait manquer l'affaire. Je crois que le dit Bombrini était persuadé que ces messieurs opèreraient pour leur compte, profìtant de la connaissance du secret qui leur était confié.

Les négociants de Turin ont plus d'esprit et de patriotisme que les Génois, aucun d'eux ne s'est plaint de la mesure, et cependant vous savez que la plupart des actions sont entre leurs mains.

 

Je vous garantis, de la manière la plus formelle, qu'il n'est aucunement question d’émission de bons du trésor, ni d'un nouvel emprunt, que rien ne justifie. Nous avons cru qu'il fallait pourvoir largement aux besoins du trésor et le mettre en état de parer à toutes les éventualités, afin que les spéculateurs pussent opérer tranquillement à l'égard du nouveau fond.

Soyez persuadé que les écus ne garderont pas la prime qu'ils ont acquise. Une circulation de 20 millions de billets, dans les circonstances actuelles, est dans une proportion si modérée qu'elle ne peut pas amener une dépréciation dans le papier circulant.

Si l'on avait demandé 80 millions à l'emprunt, sans avoir recours à une émission de billets, on aurait produit une grande rareté de numéraire, ce qui eut été nuisible. Les 20 millions que prête la Banque, sont utiles, non seulement parce que ce sont 20 millions de moins que l'on demande au pays, mais encore parce qu'il y a 20 millions mis en circulation.

Je ne sais pas encore si l'emprunt nouveau est coté. Dix pour cent de prime, c'est l'emprunt à 70, ou pour mieux dire à 69.

Adieu, mille amitiés.

Camille de Cavour.

CLXII.

16 septembre 1848.

Mon cher ami,

J'ai reçu hier votre lettre du 14, trop tard pour y répondre courrier par courrier, comme vous me le demandiez.

Je ne puis approuver la demande de la Chambre de commerce de Gènes, qui me parait fondée sur une grande erreur économique, c'est-à-dire que la mesure qui donne aux billets un cours forcé fera sortir du pays une grande quantité d'écus.

Les écus, le premier moment de panique passé, ne sortiraient qu'autant que les billets seraient assez nombreux pour les remplacer dans la circulation. Mais 20 millions de billets ne peuvent suffire qu'à une faible partie des besoins de la circulation, dans un moment surtout, où l'emprunt forcé déplace une foule de capitaux, donc les écus ne seront pas chassés du pays.

La loi ne permettant que provisoirement, les coupures de 100 francs, a voulu prévenir l'exportation des écus.

Il est certain que si notre pays avait été doté d'institutions de crédit en rapport avec sa richesse, il y aurait une circulation de plus de 25 millions de billets, et que, malgré cela, le numéraire n'aurait pas disparu; donc l'émission extraordinaire faite en faveur du gouvernement, ne peut avoir pour résultat de chasser tous les écus du pays. Soyez certain qu'en définitive, cette émission n'aura fait autre chose que de rendre plus facile le payement de l'emprunt.

Si le gouvernement, revenant sur son premier décret, allait ordonner que le dixième des payements s’effectuât en numéraire, il frapperait de discrédit les billets, et augmenterait la panique au lieu de l'apaiser.

Le commerce de Turin est cent fois plus éclairé que celui de Gènes. Il n'a pas eu peur, il n'a ni vendu ses actions de la Banque, ni payé de prime pour les écus. Son exemple sera suivi par les Grénois. Je puis déjà vous annoncer que des ordres de vente d'actions ont été retirés. Les agitateurs ont voulu s'emparer de cette mesure pour faire de l'opposition, mais ils la combattent avec de si mauvais arguments, que le résultat ne leur sera certainement pas favorable.

On n'a pas encore fait d'affaires sur le nouvel emprunt. On parlait de 5 % de prime, mais je pense que lorsqu'il faudra verser, il baissera encore.

Si l'on arrive à 10 % je commencerai à opérer pour votre compte.

L'arrivée du Roi n'a produit aucun effet. On disait que notre Circolo voulait organiser une démonstration en son honneur, mais, en même temps, hostile au ministère. Il n'a rien fait, car il sent qu'il n'a pas de force morale.

La semaine prochaine, on ouvrira le chemin de fer jusqu'à Moncalier pour amuser les badauds.

Adieu, mille amitiés.

Camille de Cavour.

CLXIII.

18 septembre 1848.

Mon cher ami,

Si les Grénois sont aussi timides et poltrons en affaires que sur le champ de bataille, je ne sais qu'y faire. Ce n'est pas une raison pour faire une sottise. Lorsque la mesure s'exécutera, lorsque les billets seront répandus dans le pays, ils ne jouiront plus d'aucun prime.

La mesure est essentiellement transitoire, elle a pour but de faciliter le versement de l'emprunt forcé; si la paix se fait, on contractera un emprunt à l'étranger, et la banque sera immédiatement remboursée.

Je vais passer quelques jours à Leri avec mon père, je crains de ne pas voir M. Cambiaso, que j'aurais eu bien du plaisir à connaître, d'après ce que vous m'en dites.

Sainedi, Casana a acheté de l'emprunt 5 %, mais je crois qu'il a fait une boulette, et que l'on en aura à 10 %.

Bolmida est de cet avis.

Adieu, mille amitiés.

Camille de Cavour.

CLXIV.

24 septembre 1848.

Mon cher ami,

J'ai été passer quatre à cinq jours à Leri, avec mon père.

Depuis hier, me revoilà replongé dans le bourbier de la politique. J'ai trouvé les esprits assez inquiets, la médiation avance lentement en besogne, malgré les belles promesses de la France et les paroles rassurantes d'Abercromby, et puis pouvons-nous compter sur le gouvernement actuel de Paris, condamné par tous les partis!!

Mais laissons la politique et parlons affaires.

L'emprunt est offert à 10 %, mais je pense qu'il tombera au-dessous de cette limite. Veuillez, en conséquence, me mander si je dois exécuter, purement et simplement, votre ordre, ou si vous me laissez libre d'agir comme je l'entendrai, le mieux pour vos intérêts.

Vous m'obligeriez infiniment en m'envoyant, à compte de ma part sur le futur bénéfice des rails,15,000 francs en billets. Je comprends que dans ce moment, il est juste de porter l’intérêt de notre compte courant à 5 %. Si vous le voulez, nous l’arrêterons au 1er octobre et pour les nouvelles affaires nous adopterons cette nouvelle base.

Je vous écris fort à la hâte et au milieu d'un bruit d'enfer.

Adieu, mille amitiés.

Camille de Cavour.

CLXV.

25 septembre 1848.

Mon cher ami,

Ce que je vous ai écrit hier, est arrivé. Ce matin, on m'a offert 120,000 francs à 12 % do perte. J'aurais accepté 60,000 francs si on avait voulu me les donner, mais on s'est refusé à diviser la somme. Alors j'ai dit que je prendrais le tout à 15 %. J'attends une réponse. Il me paraît qu'à ce taux l'affaire est bonne. Si je conclus, vous retiendrez ce que vous voudrez et le reste sera en compte à demi. Nous ferons un compte à part, qui portera un intérêt égal à celui qui ressort du prix d'achat de la rente.

A la hâte, mille amitiés.

Camille de Cavour.

CLXVI.

29 septembre 1848.

Mon cher ami,

Je n'ai rien fait quant à l'emprunt. La personne qui cherchait à placer 120,000 fr, la marquise de B..., a trouvé, à ce qu'il parait, de meilleures conditions que celles que je lui offrais.

Des maisons juives ont fait d'assez forts achats, et, hier matin, quelques ordres sont arrivés de Genève, à Long et De Fernex, de sorte qu'on a place de fortes parties à 68.

Je vous assure que je ne suis pas fâché du résultat négatif de ma négociation, car la question politique s'embrouille terriblement. La médiation n'avance pas. La France recule au lieu d'avancer.

Ses agents parlent de modération, de résistance, tout comme ceux de Louis-Philippe; ils sont curieux à entendre, les fiers républicains qui vous conseillent sérieusement de fermer les cercles, de mettre Gènes en état de siège, et autres mesures de la sorte.

Cela irait fort bien si le gouvernement était fort, si le Roi était de bonne foi, la paix serait assurée. Mais, avec des ministres hésitants, un Roi qui, au fond de rame, désire recommencer la guerre, je crains que la prudence, pour ne pas dire la pusillanimité de la France, ne nous amène à faire quelque folie.

À l'ouverture des Chambres, le ministère pourrait bien être renversé, et alors, qu'aurions-nous? Gioberti et sa queue ! capable de commettre les plus extravagantes choses qu'il soit possible d'imaginer. Ces prévisions sont loin d'être certaines, mais il suffit qu'elles soient probables pour nous engager à la plus grande prudence.

Quand-même la guerre ne s'en suivrait pas, l'entrée de G... au ministère ferait énormément baisser la rente. Je vois le cours de 60 aussi probable que celui de 70.

Le résultat des élections nous éclairera sur l'avenir. Si l'on nomme des hommes modérés, alors on peut prendre courage, mais si la liste de la Concordia triomphe, il faut s'attendre à une grande crise.

J'ai eu à soutenir le feu de vos deux journaux génois. Le Pensiero Italiano (1) a été poli, mais Paolo Farina (2) dans le Corriere Mercantile (3), a été d'une incroyable grossièreté.

(1) Journal opposition publié à Gènes sous la direction de Niccolò Accame, Davide Morchio, Pellegrini, Celesia, Lazzari, etc.

(2) Paolo Farina, avocat génois, député au Parlement, très versé dans les questions de finance et d'économie politique, nommé sénateur en 1857, puis préfet à Livourne, mort en 1871. Libéral avancé.

(3) Journal commercial et politique, publié à Gènes sous la direction de Jean Antoine Papa.

Je leur ai répondu par un long article; il me paraît que la question est maintenant suffisamment débattue et que je puis me taire, si l'on m'attaque de nouveau.

Si la paix se fait, je ferai acheter du guano à Liverpool, car il me paraît qu'on ne peut guère compter sur celui de Balduino.

Adieu, mille amitiés.

Camille de Cavour.

Le ministère envoie Alberto Ricci, à Paris; il croit par là, se concilier les suffrages de quelques députés génois. C'est, à mon avis, une faute, mais patience. Dans la position si difficile où nos hommes d'état sont placés, ils sont excusables de ne pas toujours suivre le meilleur parti.

CLXVII.

3 octobre 1848.

Mon cher ami,

J'arrive de Santena, où la pluie m'a retenu.

Les élections connues jusqu'ici, sont passables.

Si on s'était entendu, il eut été facile de dégommer Radice (1), mais il n'aurait pas fallu porter Revel. Adieu, à la hâte.

Camille de Cavour.

(1) Evasio Radice, officier dans l'armée sarde, où il parvint au grade de lieutenant-colonel, nommé député du V® collège de Turin à la Ire législature, puis député de Vercelli, appartenait à la droite libérale.

CLXVIII.

4 octobre 1848.

Mon cher ami,

Si vous voulez le résumé de la position politique, le voici:

La France ne veut pas intervenir et se f... de nous. L’Angleterre, plus éloignée encore que la France, des idées de guerre, nous témoigne néanmoins une plus grande bienveillance et nous prodigue de bonnes parole et de sages conseils. Le ministère et les masses veulent la paix. Le Roi et la partie la plus remuante des classes moyennes voudraient tenter, encore une fois, le sort des armes.

Maintenant qu'arrivera-t-il? C'est ce que je ne puis prévoir d'une manière certaine. Je crois cependant, que nos mauvaises tètes ne parviendront pas à allumer une guerre générale, en dépit de toutes les grandes puissances. Il se peut que le Roi, secondant et secondé par Gioberti, nous fasse commettre quelque acte imprudent, mais la France et l'Angleterre nous tireront par les basques de nos habits et nous forceront à nous tenir tranquilles.

Les élections prouvent qu'en général, la province est très modérée et à Savigliano et à Fossano, villes qui ne sont pas sans importance, l'opinion s'est prononcée tout-à-fait en faveur des ministres.

Si le bâtiment de Balduino arrive, ne le perdez pas de vue; pour peu que l'horizon politique s'éclaircisse, je le traiterai volontiers.

Adieu, mille amitiés.

Camille de Cavour.

CLXIX.

11 octobre 1848.

Mon cher ami,

Hier j'ai été de garde tout le jour; le matin j'ai donné. des ordres d'achat à plusieurs courtiers, mais à la Bourse, on n'a rien pu faire. P... a fait le fanfaron, il a étalé des masses de billets, et par suite, la rente a monté.

On va accorder jusqu'au 30 du mois, pour payer et jouir de l’avantage du 20 %.

Je persiste à croire que les démonstrations plus ou moins belliqueuses qu'on va faire, produiront de la baisse; mais j'avoue pouvoir me tromper. Dans les circonstances actuelles, personne ne peut prévoir l'avenir. Je commencerai toujours par exécuter votre ordre. Veuillez m'envoyer, avant la fin de la semaine, 20,000 francs en billets.

Mes maudits Hollandais n'achèvent jamais notre moulin, le sorte que je n'ai pas pu vendre une graine de riz de. cette année et que j'en ai encore beaucoup de l'année dernière.

Alfieri a quitté le ministère. Il représentait l'opinion de la paix à tout prix. Perrone (1) a été nommé premier ministre. Le Roi passe une revue ce matin à la garnison.

J'espère que les soldats d'Aoste continueront à faire la police que négligent les autorités.

Ne regrettez pas Durando. Saint-Martin, qui le remplace, vaut beaucoup mieux que lui.

(1) Le baron Ettore Perrone di S. Martino, lieutenant-général, fut d'abord ministre des affaires étrangères (cabinet Alfieri), puis président du cabinet jusqu'au moment où la majorité démocratique de la Chambre, qui réclamait la. reprise des hostilités avec l'Autriche, le for$a à se. démettre et à céder la place à Gioberti.

Entre nous, je vous dirai que la Commission de la Chambre chargée de taxer les banquiers, a omis de la note le nom de B..., et le considérerait comme à peu près ruiné. Adieu, mille amitiés.

Camille de Cavour.

CLXX.

12 octobre 1848.

Mon cher ami,

Gioberti sera probablement élu président de la Chambre, cela fera crier à la guerre; il ne faudrait pas grand chose pour produire une baisse considérable.

Hier le Roi a passé une revue aux troupes de la garnison. Les Lombards l'ont entouré et lui ont remis une adresse, qu'il a accueillie avec beaucoup de bonté.

Les désordres de Gènes m'affligent; je savais bien que la brigade de la Reine était une des moins bonnes, mais je n'aurais pas supposé qu'elle se fut laissé séduire par ces gueux d'agitateurs.

Adieu, mille amitiés.

Camille de Cavour.

CLXXI.

14 octobre 1848.

Mon cher ami,

Je suis désolé de ne pas avoir exécuté votre ordre, le premier jour que vous me l'avez donné. Pour le moment on ne trouve plus à acheter de l'emprunt à aucun prix. J'attends la réponse de Verceil.

Toutefois, je persiste dans mes idées de baisse, car je vois chaque jour, l'horizon se rembrunir. Les événements de Vienne ont donné une grande impulsion aux idées belliqueuses et nous pousseront probablement à quelque résolution extrême. Les députés les plus modérés, réunis hier au soir, ont décidé qu'il fallait engager le ministère à poser le cas de guerre aux puissances médiatrices. D'un autre coté, voyez comment les affaires vont en France. Cavaignac, sur lequel on comptait, est usé. L. Napoléon prouve, chaque jour plus, sa complète incapacité.

Le dernier emprunt ne suffira pas aux dépenses de l'année prochaine; on sera obligé d'en ouvrir un autre, mais ce n'est pas là le plus mauvais de notre position financière. L'emprunt, jusqu'à présent, a fort peu produit. Six millions, et nous comptions sur quarante!!! Hors de Turin, qui a fourni la moitié de cette somme, on ne paye que fort peu. Que fera-t-on? Aura-t-on recours aux moyens coercitifs? mais alors, on risque de bouleverser le pays. Recourrait-on à un emprunt à un cours plus bas que l'emprunt forcé? mais alors, on commet une injustice envers ceux qui se sont soumis aux prescriptions de la loi. — Tout cela est déplorable. Sans un coup de la Providence, je ne sais trop comment nous nous en tirerons.

J'ai reçu l'échantillon de guano, dès que j'en connaîtrai l'analyse, je vous ferai connaître mes intentions à cet égard. Quoi qu'il arrive, on mangera toujours du mais et du riz.

Votre trèfle est de très mauvaise qualité, il est impossible de le vendre cette année, où les belles qualités sont à très bon marché.

Adieu, mille amitiés.

Camille de Cavour.

CLXXII.

15 octobre 1848.

Mon cher ami,

Hier mon agent de change est venu me dire qu'il avait reçu plusieurs commissions importantes, relativement à l'emprunt, mais qu'on lui avait dit d'attendre, pour traiter définitivement, que le nouveau terme touchât à sa fin.

Je crois, en conséquence, que je pourrai exécuter vos ordres.

lei nous sommes, de jour en jour, plus belliqueux. Je crois que le ministère sera forcé à dénoncer l'armistice, malgré tout le mouvement que se donne la diplomatie.

Le ministre de France m'a péroré bien pendant deux heures, pour me prouver que le pays devait avoir foi dans son gouvernement. Vous comprenez que je n'ai pas été convaincu, mais quand l'éloquence de M. Bois-le-Comte aurait produit son effet sur moi, je doute qu'il n’eut été possible de faire partager ma conviction par mes collègues de la Chambre.

Le guano de Balduino est de bonne qualité. Tâchez de l'avoir le meilleur marché possible. Offrez 22 et montez jusqu'à 25. Je me remets entièrement à ce que vous ferez. Il va sans dire qu'on s'engage à ce que tout le chargement corresponde à l'échantillon qu'on m'a envoyé.

Adieu, mille amitiés.

Camille de Cavour.


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CLXXIII.

18 octobre 1848.

Mon cher ami,

Nous vivons dans un temps où l'on ne peut prévoir l'avenir, même le plus prochain. Les députés de l'opposition, que je m'attendais voir arriver dans des dispositions féroces, s'en vont répétant qu'au fond, ils sont plus modérés qu'on ne le pense, et qu'ils ne désirent pas tant de renverser le ministère. Les Grénois, surtout, sont ceux qui affectent la plus grande modération. Est-ce un jeu? Est-ce que ces messieurs commencent à avoir réellement peur du mouvement révolutionnaire? C'est ce que j'ignore encore. Cependant leurs sentiments véritables ne tarderont pas à se manifester.

Les nouvelles d'Allemagne me paraissent tout-à-fait favorables à notre cause. Depuis la révolution de Vienne, la diplomatie recommence à parler de l'indépendance de l'Italie, avec un certain sérieux, et il est probable qu'elle agira avec plus de vigueur.

La France a approuvé le renvoi de notre flotte à Venise, et l'Angleterre ne s'y est pas opposée. C'est là un indice de meilleures dispositions.

Somme toute, je ne vois plus aussi en noir qu'il y a quelques jours. Malgré cela, je ne vous pousserai pas à spéculer sur la rente, et je vous conseillerai plutôt la prudence. Je n'ai rien trouvé en outre des 10,000 fr. dont je vous ai déjà parlé. Hier, il y avait preneur à 72.

Les fondateurs de la Banque ont été appelés à verser 2500 francs chacun, pour payer le papier qui est fabriqué. J'ai versé 2500 pour votre compte. Je crois que le moment est venu d'activer cet établissement.

Adieu, je vous écris à bâtons rompus, sans trop savoir ce que je dis.

Camille de Cavour.

CLXXIV.

22 octobre 1848.

Mon cher ami,

Je ne vous ai pas répondu hier, parce que j'étais dans douleurs de l'accouchement; je devais parler à la Chambre sur la grave question du moment (1) et, ma foi, j'avais quelque appréhension. Enfin je m'en suis passablement tiré, et je crois avoir rendu un véritable service au ministère.

À vous dire vrai, je trouve l'aspect de la Chambre plus rassurant que je ne l'avais pensé. Les orateurs de l'opposition ont montré assez de modération. L'opposition ne veut pas pousser les choses à l’extrême, elle se contenterai d'un ministère de coalition. Les affaires extérieures doivent s'arranger, car l'empire d'Autriche me parait perdu sans ressource. L'empereur est forcé de se jeter dans les bras des slaves, et de se séparer de l'Allemagne.

Ne vous inquiétez pas de la question de la Banque, nous ne l’activerons que si nous pouvons la fonder sur des bases convenables.

Je m'en remets entièrement à vous, à l'égard du guano.

Adieu, mille amitiés.

Camille de Cavour.

CLXXV.

24 octobre 1848.

Mon cher ami,

J'attends le retour de mon secrétaire pour répondre aux lettres de votre maison. Je vous dirai toutefois, que c'est bien 2500 francs que j'ai payés à la Banque pour votre compte, ayant versé 5000 pour nous deux.

(1) La dénonciation de l'armistice et la reprise des hostilités avec l'Autriche.

Vous savez que nous avons la part de S... et que, par conséquent, nous représentons deux parts de fondateurs.

Je vous dis, en toute confidence, que nous avons décidé de n'activer la Banque, qu'autant que nous obtiendrions pour nos billets la même faveur que celle dont jouissent les billets de la Banque de Gènes, ou que nous parviendrions à nous entendre avec celle-ci. Une Commission, composée de Mestrezat, Bolmida et moi, a été chargée de négocier, soit avec le ministre, soit avec la banque de Gènes. Pour que nos négociations réussissent, le plus grand secret est nécessaire.

Le ministère a obtenu une majorité de 19 voix, mais en déclarant qu'il était prêt à faire la guerre.

Vous me direz, peut-être, que cela ne l'engage pas beaucoup. Je n'en sais rien. Au premier indice sérieux de la dissolution de l'armée de Radetzky, je serai le premier à réclamer la reprise des hostilités. Nous vivons dans un temps où il n'y a que les ignorants et les présomptueux qui peuvent avoir la prétention de connaître et de deviner l'avenir.

Je suis très satisfait du contrat du guano. Vous pouvez vous débarrasser sur Cabella, du soin de soigner les expéditions; toutefois, je crois plus avantageux de traiter moi même, avec les charretiers que j'emploie ordinairement. Pour cela, il faudrait que je susse exactement l'époque où ils pourront commencer à charger.

Gioberti tombe tous les jours. Ce ne sera plus, bientôt, qu'une idole brisée. On s'apercevra alors, qu'elle n'était composée que de faux métaux, n'ayant aucune valeur réelle.

Adieu, mille amitiés.

Camille de Cavour.

CLXXVI.

30 octobre 1848.

Mon cher ami,

Pinelli m'a communiqué, hier au soir, les graves événements (1) qui ont affligé votre ville. La conduite de la garde nationale lui fait le plus grand honneur. Dieu veuille qu'elle persévère dans la ferme disposition de réprimer l'esprit d'anarchie et de désordre, qui se développe dans Gènes.

Le ministère me parait décidé à agir avec vigueur. Il a provoqué une réunion de la Chambre ce matin pour dix heures, et il est probable qu'il propose quelque mesure exceptionnelle.

Je rouvrirai ma lettre pour vous l'annoncer, si cela a lieu.

Mais Pinelli croit, qu'en présence d'une si grande agitation, il devient chaque jour plus difficile de maintenir la tranquillité, en conservant la paix. Quant à lui, il serait d'avis de tenter le sort des armes.

Sous le point de vue politique, il a sans doute raison, mais je ne sais si cela est possible au point de vue militaire. Ce qu'il y a de certain, c'est que nous touchons à une crise, et qu'il faudra se décider ou pour la guerre immédiate, ou pour la paix jusqu'au printemps.

(1) Le général Trotti, arrivant à Gènes, à la tète de la brigade de la Beine, avait été sifflé et peu s'en était fallu qu'une collision sanglante, entre le peuple et la troupe, ne s'ensuivit. — La garde nationale, se sentant soutenue par l'armée, avait repris courage et cherché à rétablir l'ordre, et le soir du 28 octobre, un individu qui affichait une proclamation demandant la formation d'une Costituente Italiana, ayant été arrêté par les gendarmes avec le concours de la garde nationale, celle-ci dut faire usage de ses armes pour garder le prisonnier, que le peuple voulait délivrer. Lamarmora, (Episodio, p.10).

Le ministère, je le crains, n'a pas assez de courage pour adopter franchement l'un ou l'autre de ces deux partis.

11 heures. Le ministère propose une loi sur les Lombards, afin de pouvoir les expulser de Gènes. Adieu.

Camille de Cavour.

CLXXVII.

Lundi, 7 novembre 1843.

Mon cher Émile,

Je suis charmé de ce que vous me dites de l'état des esprits à Gènes, et surtout des bonnes dispositions de De Launay (1) et Saint-Martin. Le danger de la position ne vient pas maintenant de votre ville, mais de la nature même, des choses. Nous sommes dans une très mauvaise condition politique, qui s'aggrave tous les jours. Le pays ne peut pas demeurer dans la position actuelle, et le ministère ne sait, ou ne peut, s'en tirer. Comment le pourrait-il en effet? En faisant la paix? Mais alors il aurait contre lui le Roi d'abord, ensuite la majorité de la Chambre et toute la partie remuante du pays. Évidemment il succomberait. Il est donc forcé de continuer à parler guerre, et, peut-être, sera-t-il entraîné à la faire. Si seulement, il avait un peu de génie, je n'hésiterais pas à lui conseiller de la faire, malgré les chances de revers auxquelles il est exposé. Seulement, je lui conseillerais d'attendre encore quelques jours, afin de réorganiser complètement l'armée.

D'après cet exposé sincère de mes opinions, vous pouvez en déduire des conséquences rigoureuses sur ma manière d'envisager les chances de hausse ou de baisse. Sauf quelque événement imprévu, providentiel, nous serons entraînés à faire un coup hardi, peut-être téméraire, avant la fin de ce mois.

Les dépenses du moment sont effroyables, je doute que l'emprunt nous mène beaucoup au-delà du mois de février, et alors que ferons-nous? Un nouvel emprunt forcé, sur des bases plus révolutionnaires.

Je suis charme que le contrat des rails touche à sa fin, cette malheureuse affaire, si mal emmanchée, a fort bien tourné.

Ne reste-t-il pas toujours les plaques tournantes de M...? Je ne voudrais pas que ce fut une mauvaise queue, qui nous donnât du souci.

Mar di matin. La séance de hier a été orageuse (1). Le rapport de la commission infligeant un blâme au ministère, celui-ci a demandé un comité secret. Il aura lieu ce soir. J'ignore ce qu'il en résultera, mais je crains une modification dans le ministère. Peut-être, cette modification est-elle devenue indispensable?

Je vous écrirai deux mots demain. Adieu.

Camille de Cavour.

CLXXVIII.

8 novembre 1848.

Mon cher ami,

La Chambre, réunie en comité secret, a délibéré jusqu'à une-heure du matin. Grâce aux subtilités et aux répétitions des avocats, elle n'a pas épuisé les interpellations qu'elle avait décide devoir être adressées au ministère. Seulement elle a rejeté, à une très forte majorité, un ordre du jour motivé, relatif à la médiation, présenté par Brofferio. L'opposition a été très faible, très malhabile. Si elle ne se relève pas dans la séance d'aujourd'hui, elle est coulée pour quelque temps.

(1) Le rapport de la Commission nommée par le Parlement pour examiner la politique du ministère (rapporteur Buffa), conciliait presque par un acte d'accusation, en déclarant qu'elle n'approuvait ni ses actes, ni sa politique.

Revel a lu à la Chambre un exposé de la situation des finances, assez confus, assez mal fait, duquel il résulte qu'avec l'emprunt forcé et celui fait à la Banque, nous irons tout au plus, jusqu'à la fin de février ou le commencement de mars. Vous voyez que ce n'est pas encourageant.

L'opposition m'a paru disposée à accepter une transaction, c'est-à-dire un ministère de coalition, mais le cabinet n'en veut pas, pour le moment du moins. La crise actuelle surmontée, une modification dans le sens des opposants modérés pourrait avoir lieu, sans graves inconvénients. Revel se retirerait, c'est le plus odieux à l'opposition. On voudrait le remplacer par un génois, Caveri (1). Le connaissez-vous? et croyez-vous que réellement ce soit une capacité financière? Il n'en a pas l'air. Mais il se pourrait que l'apparence fut trompeuse.

La Chambre se réunit à 10 heures; j’espère que, dans la journée, nous en finirons. Je compte parler et traiter à fond les questions politiques, qu’en vérité, la plupart des orateurs ne font qu'effleurer.

Adieu.

Camille de Cavour.

(1) Antoine Caveri, né à Moneglia en 1811, mort le 22 février 1870. Un des jurisconsultes les plus distingués de Gènes, professeur et recteur pendant plusieurs années de l'Université de cette ville. Député du collège de Sestri-Levante, pendant les 3 premières législatures, concourut à la compilation du code de commerce. Nommé sénateur en 1860.

CLXXIX.

28 novembre 1848

Mon cher Émile,

Cette lettre vous sera remise par M. F. Ferrara (1), dont je vous ai parlé dans ma lettre à votre maison. S'il en avait besoin, veuillez lui donner une lettre de crédit pour Livourne.

On m'a parlé d'un projet d'emprunt, présenté au ministère par un génois, agent de la maison B.... Il s'agirait de 40 millions nominai, à un prix de revient de 70 à 71.

Le ministère va en avant, tant bien que mal, je crois qu'il arrivera quelque grand événement.

Adieu, mille amitiés.

Camille de Cavour.

CLXXX.

Turin, 29 novembre 1848.

Mon cher ami,

Bombrini a répondu, au nom du conseil de régence de la banque de Gènes, aux ouvertures que nous lui avions faîtes pour amener la fusion des deux établissements.

(1) Le professeur François Ferrara, né à Palerme en 1810, réfugié à Turin, pour avoir pris part au mouvement sicilien de 1847, fut nommé professeur d'économie politique à cette Université, puis à celle de Pise, ayant subi à Turin une punition disciplinaire, pour y avoir soutenu la liberté de l'enseignement public (1859). Député du 1er collège de Palerme, ministre des finances en 1867 (ministère Rattazzi), dirige actuellement l'école supérieure de commerce à Venise, et a publié diverses couvres fort estimées sur les finances et l'économie politique. — Grand ami du comte de Cavour, qui l'estimait beaucoup, quoique ne partageant pas ses opinions.

Au milieu de phrases assez entortillées, perce le désir d'en venir à un arrangement. Nous avons décidé, hier au soir, de lui répondre d'une manière plus catégorique, en lui indiquant les bases que nous jugeons devoir être adoptées, dans le cas où la fusion aurait lieu.

Si vous avez l'occasion de voir Bombrini, dites-lui confidentiellement, que le conseil de Turin ne serait pas éloigné de l’idée de laisser à Gènes le siège principal de la Banque nationale, et que, dans tous les cas, il est unanime pour vouloir que Bombrini soit le directeur général de la société.

Je crois fermement, que l'union des deux Banque ssera on ne peut plus utile au pays et avantageuse aux actionnaires des deux sociétés. Le local que nous avons loué, étant très vaste, nous pourrons y établir le dépôt des soies, ce qui nous assure un emploi Constant de nos fonds.

Je ne doute pas que les versements ne se fassent facilement, attendu que nos marchands de soie ont beaucoup gagné cette année, et qu'ils ont maintenant une opinion très favorable de notre entreprise.

Nigra, qui était très froid, a changé d'opinion, il est un de ceux qui poussent le plus à la prompte activation de la Banque.

Le ministère et tous les financiers sont très portés pour la fusion. Revel m'a assuré qu'il la favoriserait de tout son pouvoir, et le marquis Ricci m'a promis d'écrire à ses amis de Gènes, pour les décider à signer le pacte d'union. Tâchez, de votre côté, d'influencer Bombrini et les amis que vous avez dans le conseil de régence. Quant aux actionnaires, je ne les crains pas, la majorité des actions étant entre les mains des capitalistes piémontais.

Hier, on nous a annoncé que le Pape s'est sauvé de Rome. Cette nouvelle, fâcheuse d'un côté, aurait peut-être un bon résultat: celui de forcer la France à une intervention armée en Italie.

Le ministre de France m'a dit hier, en apprenant cette nouvelle: «Cela ne m'étonne pas, car je sais que l'on prépare le château de Fontainebleau pour le recevoir».

Ici, l'opposition se remue beaucoup, mais sans succès. On commence à être fatigué de sa violence. Si jamais elle tentait d'exciter des désordres, ils seraient promptement réprimés, car l'armée est unanime dans le désir de frapper sur les perturbateurs. Si on devait faire agir la troupe, la difficulté serait de l’empêcher de frapper trop fort.

Hier on a proposé l’impôt progressif. J'ai vivement repoussé cette absurde proposition; elle sera, j'espère, rejetée, car les Génois me paraissent disposés à voter contre elle.

Adieu, mille amitiés.

Camille de Cavour.

CLXXXI.

3 décembre 1848.

Mon cher ami,

Je vous sais bon gré de vos démarches auprès de Bombrini, et j'espère qu'elles nous aideront à fonder une Banque nationale destinée à rendre de grands services au pays.

…........................... Quant à l'établissement Rossi, Schiaparelli, je vous ai déjà dit que le fonds social n'est pas en rapport avec le développement des affaires que la maison a pris. La clientèle, que Mr Rossi nous a cédée, s'est considérablement étendue. On voit chaque jour une foule d'ordres, qu'on exécute à des conditions très avantageuses, mais qui exigent des avances de fonds. Ajoutez à cela la nécessité d'entreprendre la fabrication des bougies stéariques, et vous comprendrez que l'établissement soit très gêné.

Dans ce moment, comme il ne convient pas de demander du crédit à personne, nous avons payé presque tout, comptant. Mais j'ai dit avancer 50,000 francs.

Pour parer à l’inconvénient de cette situation, je cherche à combiner d'augmenter les fonds sociaux, étant convaincu que nous retirerons de nos capitaux au moins le 15 %

Les exaltés se démènent comme des diables. Ils sont furieux contre moi, ils voudraient bien m'intimider, mais je vous réponds qu'ils n'y parviendront pas.

Croyez, Mon cher ami, à mes sentiments dévoués.

C. de Cavour:

CLXXXII.

5 décembre 1848.

Mon cher ami,

A la suite du vote de la Chambre sur la pétition des étudiants de Turin, le ministère a donné sa démission (1). Il a parfaitement agi. Attaqué avec une passion acharnée, mollement défendu, il ne pouvait plus faire le bien. C'est un malheur sous un certain rapport, car il serait difficile de trouver une réunion d'hommes aussi honnêtes et aussi courageux, mais d'une autre part, il faut avouer que sous le rapport du talent, il n'était pas à la hauteur des circonstances.

(1) Séance du 3 novembre, relateurs Mellana — Les étudiants de l'Université de Turin demandaient l'abrogation d’anciens règlements, leur interdisant de se réunir plus de 20 en public, de former entre eax des sociétés littéraires ou politiques, etc. — Après une longue discussion et malgré l'opposition du ministre de Pin3truction publique, Boncompagni, la Chambre vota pour la prise en considération de la position des étudiants, et invita le ministre à proposer les réformes à introduire dans les règlements universitaires, pour les mettre en harmonie avec les temps modernes.

Il n'y avait pas un seul homme politique, Pinelli a du coeur, de l'énergie, une activité admirable, mais il est dénué des connaissances nécessaires pouf traiter les grandes affaires. Ses collègues n'avaient pas le don de la parole, et étaient, à tout prendre, assez médiocres. Le Roi a chargé l'avocat Gioia (1) de Plaisance de former un nouveau cabinet. S'il y réussit, nous aurons beaucoup gagné, car le ministère sera soutenu par l'ancienne majorité et par la partie modérée de l'opposition, qui se compose de presque tous les députés génois, et la politique ne sera pas altérée.

Si, au contraire, Gioia ne réussit pas, nous aurons un ministère gauche pure, présidé par Gioberti.

Ce ministère fera de grandes sottises, mais il est probable qu'il s’usera dans peu de temps. Ce sera un grand malheur, mais qui aura pour résultat heureux de faire apprécier à leur juste valeur les hommes qui ont acquis un fâcheux ascendant sur le pays.

Si, comme je l'espère, le parti conservateur demeure compacte et s'organise, il est possible que nous nous tirions encore d'affaire.

Je vous envoie une centaine de copies de la contre-déclaration des députés de la majorité, afin que vous tàchiez de la faire lire à ceux qui ne sont pas tout à fait fous.

Les temps sont bien difficiles, mais il ne faut pas se décourager.

Adieu, mille amitiés.

C. de Cavour.

(1) L'avocat Pierre Gioia, collaborateur du Risorgimento, membre du gouvernement provisoire de Plaisance, fut un des délégués qui apportèrent à Turin le vote d'annexion de ce Duché au Piéruont. Il succéda en novembre 1850, à Cristoforo Mameli, au Ministère de l'instruction Publique.

CLXXXIII.

8 décembre 1848.

Mon cher ami,

A moins que le bon Valerio ne mette la main sur tout mon avoir, vous pouvez être certain de ne pas avoir à avancer la somme de 488 (?). D'abord, parce qu’avant l'ouverture de la Banque je vous aurai remboursé la plupart de la somme que je dois au C. te à demi. Les machines du moulin à riz sont achevées, nous les avons essayées, elles répondent pleinement à nos espérances; le riz qui en sort est beaucoup plus beau que celui produit par nos pistes, et se vend 25 % plus cher. Il ne reste plus à mettre en place que le régulateur de la roue hydraulique, ce qui est peu de chose. Dès que les machines travailleront, je pourrai disposer de mon riz et me procurer les fonds dont j'ai besoin pour vous payer.

Ainsi comptez sur mes 100,000 fr. à 20,000 fr. près, qui représentent la quantité de guano qui excède mes prévisions.

…................... A propos de rails, je vous dirai qu'on va ouvrir le chemin jusqu'à Cambiano, c'est-à-dire à 7 milles de Turin, et à la fin du mois, jusqu'à Villanova d'Asti,11 milles.

Le mouvement des voyageurs à Moncalier dépasse de beaucoup les prévisions des ingénieurs.

Venant à la politique, je vous dirai que je doute fort que Gioia parvienne à composer un ministère, car Gioia n'est pas homme à transiger avec les idées exagérées. Il faudra subir Gioberti, ce que je considère comme un bien, car il sera impossible de gouverner tant que cet homme ne sera pas démonétisé.

L'esprit de l'armée étant excellent, comme l'est également l'esprit des masses en Piémont, je ne redoute pas excessivement les folies qu'il pourra faire pendant son passage au pouvoir.

A propos de guano, Davidy m'a dit qu'il voulait retenir 1000 kilog. pour H. Ne les lui expédiez pas encore, car les transports sont à un prix fou, le doublé à peu près des autres années.

Adieu, très cher ami, croyez à mes sentiments dévoués.

C. de Cavour.

CLXXXIV.

14 décembre 1848.

Mon cher ami,

Je vous remercie des nouvelles intéressantes que vous m'avez envoyées sur les tristes événements de Gènes (1). Ces événements ont hâté la solution de la crise ministérielle. D'Azeglio ayant refusé la présidence, il est devenu indispensable d'appeler Gioberti, et de lui abandonner le pouvoir. C'est une triste nécessité, mais qu'il faut savoir subir avec courage et constance. Peut-être en résultera-t-il un bien durable. On nomme comme collègues de Gioberti, Rattazzi, Ricci, Désambrois, Buffa, Pareto, Sineo. Pour la guerre, on parie de Chiodo. Rossi et même de Sonnaz, votre ancien gouverneur. Il est probable qu'aujourd'hui

(1) La révolution comprimée, mais non réprimée, mena^ait d'éclater avec violence d'un moment à l'autre. Une émeute avait failli éclater sous la caserne de l'Annona. Lorenzo Pareto accouru pour la dissiper, à la tète de la Garde nationale, avait été insulté et on avait brisé son épée.

à la Chambre, nous saurons quelque chose (1).

Le nouveau ministère sera fort embarrassé, surtout pour trouver de l'argent. Je crois qu'il aura recours à, un nonvel emprunt forcé. Si Ricci est ministre des finances, il s'opposera à l'émission de billets du gouvernement ayant cours forcé; du moins en quantité telle qu'ils puissent influencer la valeur de la Banque de Gênes. Si Gioberti écarte Ricci, comme trop modéré, alors je ne vous réponds d'aucune extravagance politique ou financière. Le nouvel emprunt se ferait probablement à un cours moins élevé que l'ancien; 75 ou même 70.

Cette mesure serait infiniment préférable à l'émission de billets.

Toutefois, je crois qu'il faudrait demander encore à la Banque de Gènes 5 à 8 millions de billets de petites coupures.

Dites-moi votre avis à cet égard. Lorsque Pinelli espérait encore pouvoir former un ministère conservateur, il parlait d'un certain Viani de Gènes. Dites-moi ce que c'est.

Adieu, mille amitiés.

C. de Cavour.

CLXXXV.

15 décembre 1848.

Mon cher ami,

Gioberti est au pouvoir! Dieu seul sait ce qui en arrivera. En attendant, nous tàchons d'organiser le parti conservateur.

(1) Le nouveau cabinet fut constitué le 16 décembre, et composé de: Gioberti, présidence et affaires étrangères — Sineo, intérieur — Rattazzi, grâce et justice — Cadorna, instruction publique — V. Ricci, finances —Gerbaix de Sonnaz, guerre et marine — Tecchio, travaux publics — Buffa, agriculture et commerce. — Le général Chiodo remplaça Gioberti, le 21 février 1849, à la présidence et aux affaires étrangères.

J'espère que nous parviendrons à le constituer sur des bases solides; mais nous ne pouvons pas nous dissimuler que la position est très grave. On m'a assuré que l'on envoyait à Gènes Josti (1) comme commissaire extraordinaire. C'est un fort honnête homme, mais un fou, capable des plus inouïes extravagances. Je ne crois pas qu'il transige avec le désordre, mais aussi, je ne vous réponds pas qu'il ne se mette à organiser sur-le-champ une levée m masse, ou quelque autre sottise de ce genre.

Le seul ministre qui ait le sens commun, c'est Ricci, mais c'est un homme faible et de mauvaise foi. Je doute fort toutefois, qu'il se prête à des mesures extrêmes.

Je crois qu'on va dissoudre la Chambre. Dans ce cas, je m'attends, à ce que Gènes nous envoie des Pellegrini, des Celesta, des Morchio (2), en masse.

(1) Jean Josti, député du collège de Mortara.

(2) L'avocat Didaco Pellegrini, un des principaux chefs du mouvement de Gênes en 1849, dut s'enfuir après que la ville eut été prise par Lamarmora, et mourut à Constantinople le 20 août 1871.

L'avocat Emanuele Celesia, né en 1821 à Finale, orateur, poète, historien, pédagogue et patriote, prit avec Avezzana, Morchio, Beta et Pellegrini, une part active à la révolution de Gènes en 1849. Ses chants patriotiques et en particulier, celui intitulé «Il fuoco sacro» l'avaient déjà fait connaître lorsqu'en 1846 il organisa avec Lorenzo Pareto, Vincenzo Ricci et Giorgio Doria, la grande procession patriotique à l'occasion du 100e anniversaire de l'expulsion des Autrichiens de Gênes. En 1848 il fit partie des deux députations envoyées de Gênes à Charles Albert, pour protester contre l'armistice Salasco et demander la reprise de la guerre nationale, et il organisa à cette occasion, une compagnie de carabiniers (bersaglieri) volontaires génois. — Après l'armistice de No vare, Gènes redoutant, comme nous l'avons dit (note 1, Lettre CCIV) d'être occupée par les Autrichiens, se souleva, décidée à lutter jusqu'à la mort, plutôt que de se soumettre à cette humiliation et Celesia participa activement à ce mouvement, tout en déclarant hautement que Genes resterait indissolublement unie au Piémont. — Après la prise de la ville par Lamarmora, Celesia voulut rejoindre Avezzana et Garibaldi à Rome, mais ne put y par venir, et dut rentrer à Gène3, où il recommença sa carrière d'avocat et surtout d'homme de lettres.

A propos de Pellegrini, son début n'a pas été heureux. Quelques mots imprudents sur l'armée, relevés avec bonheur par Pinelli, ont soulevé contre lui une tempête, à la quelle ont participé la plupart des membres de l'opposition.

Il écrivit alors l'Histoire de la Révolution de Gènes en 1848-49, puis un nouveau volume de Chants dédié à G. B. Niccolini et plusieurs autres œuvres dont les plus connnes sont Le Storie genovesi del secolo xviii, La Congiura del conte Fieseo (traduite en anglais et en allemand). L'Histoire de l’Université de Gènes, L'Histoire de la Pédagogie italienne, Les ports et les routes de l'ancienne Ligurie, etc., etc. — Actuellement Celesia jouit à Grènes et dans tonte l'Italie, d'une haute et légitime estime, bien justifiée par son patriotisme, ses talents et les services qu'il a rendus au pays. Commandeur des Ordres des Saints-Maurice et Lazare et de la Couronne d'Italie, bibliothécaire et professeur de littérature à l'Université, assesseur municipal à l'instruction publique, conseiller provincial, membre de la Députation de Storia Patria, président de la Società di Letture e Conversazioni scientifiche, — il fut pendant longtemps anssi, président de l'Agile des Orphélins, du Circolo Filologico et du Comitato Ligure per l'Educazione del Popolo, dans le sein duquel il eut l'initiative de la fondation du Pio Istituto dei Rachitici. Homme d'une conscience et d'une énergie rares, il s'est acquitté de toutes ces fonctions dont la confiance publique l'a revêtu, avec un zèle, un dévouement et une sagesse, qui certes, si Cavour vivait encore aujourd'hui, lui feraient désirer et non pas redouter, de voir Gènes représentée au Parlement National, par des hommes de la trempe et du caractère de Celesia.

L'avocat David Morchio, né à Gènes en 1798, avait pris part au mouvement constitutionnel d'Espagne en 1820. Républicain convaincu, il fut avec Beta et Avezzana, un des Triumvirs du Gouvernement que Gènes se donna lors de la révolution de 1849. Exclu de l'amnistie accordée par le Roi à la plupart de ceux qui s'étaient compromis dans cette révolte, il fut condamné à mort, par contumace. Il se réfugia à Constantinople, et dut pour payer son voyage, vendre sa bibliothèque, que ses amis achetèrent. Il reprit, dans l'exil, ses fonctions de jurisconsulte auprès des Tribunaux consulaires, et s'y concilia l'estime de tous ceux qui eurent à faire avec lui. Revenu en Italie, par suite d'une amnistie générale, il se retira à Borzonasca, où il avait été juge, dans sa jeunesse, et y mourut le 2 janvier 1875. La Marmora (Episodio, p.81) dit de lui, qu'il était un vieux révolutionnaire, s'inspirant de Robespierre et Danton, et feroce au point de plaisanter sur les victimes qu'il espérait immoler, disant qu'il aurait fait monter le prix du chanvre, à celui de la soie.  

Je ne crois pas qu'il parvienne jamais à produire grand effet dans la Chambre.

Si les affaires s'arrangent en France, il y aura encore quelques chances de salut; mais si, ce que je ne crois pas, l'élection de L. B. est le signal de nouveaux désordres, je ne sais pas prévoir ce qui arrivera chez nous.

Je suis bien aise que les bâtiments de rails arrivent, je voudrais bien qu'ils fussent déjà tous livrés.

Adieu, écrivez-moi, et croyez à ma constante amitié.

C. de Cavour.

CLXXXVI.

Turin, 18 décembre 1848.

Mon cher ami,

Je change de rôle à votre égard et je crois maintenant devoir vous rassurer, car si les événements qui se succèdent en Italie paraissent nous pousser au désordre, il est impossible de méconnaître qu'il s'opère dans le reste de l'Europe un retour marqué vers les idées d'ordre et de sagesse. Ce qui se passe en France en est une preuve irrécusable. Ce qui me frappe dans ce pays, ce n'est pas l'immense majorité qu'a réunie L. N., mais l'insignifiante minorité des suffrages qui se sont portés sur les représentants de la république rouge, Ledru-Rollin et Raspail

Tous ceux qui ont connu Morchio, rendent justice à la droiture de son caractère, et pendant sa dictature d'une semaine, il ne fit ni enfermer, ni mourir personne. Son frère, le commandeur et professeur Daniel Morchio, est actuellement un des hommes les plus distingués de Gènes, et c'est en grande partie à son initiative et à son activité, qu'est dû le monument à Victor Emanuel, élevé par souscriptions volontaires, en 1886, sur la Place Corvetto à Gènes.

Il est pour moi évident que l'ordre social est sauvé en France, et par conséquent, en Europe, car les révolutions qui n'ont pas leur point d'appui à Paris, sont des révolutions avortées.

L'arrivée de Gioberti aux affaires peut avoir des conséquences funestes pour le pays, mais du moment que les passions révolutionnaires ne seront plus excitées par l'exemple de la France, aucun bouleversement social n'est à craindre, d'ailleurs Gioberti, enivré de vanité, peut devenir aussi bien un instrument de révolution. Pour cela, il suffira peut-être, que le parti conservateur reste sur la réserve. S'il a la sagesse de le faire, il laissera Gioberti aux prises avec les exaltés, qui se disposent déjà à l'attaquer avec acharnement, ce qui le ramènera à des idées de modération.

Si le Roi se donne la peine de le cajoler, il en fera ce qu'il voudra.

Si Gènes est en proie à l'esprit de désordre, à Turin, au contraire, les éléments d'ordre ont une force irrésistible. La journée de hier nous en a fourni une preuve. Une grande revue de la Garde nationale a eu lieu; après avoir assistè à la distribution d'une médaille, elle a défilé sous les fenêtres du Roi. Les agitateurs s'étaient donné un mouvement infini pour faire crier: Vive Gioberti, vive la Constituante! Eh bien; un seul cri a retenti dans tous les rangs, celui de: Vive le Roi!

Lamarmora m'a dit qu'il répondait de l'armée, et soyez sur qu'on peut compter sur sa parole. Tous les officiers de l'artillerie en disent autant, aussi je vous assure que le Roi n'aurait qu'à lever le doigt pour réprimer toute tentative de désordre.

Au reste, Gioberti le sent, car, dans le programme qu'il a lu samedi à la Chambre, il a exprimé des opinions identiques à celles que professait Pinelli. La seule différence mire les deux ministères, consiste dans l'emploi fait par Gioberti, de phrases sonores et vides de sens.

Tranquillisez-vous donc, mon cher, et si vous voyez l'ordre raffermi m France, soyez sans inquiétudes sérieuses pour nous.

Les capitalistes de Turin, toutefois, partagent votre opinion. Le nouvel emprunt a baissé singulièrement. Samedi, on offrait à 14 0|0 de perte, peut-être ira-t-on plus bas encore. Quant à moi, je crois qu'à 15 0|0, soit à 63, il n'y aurait pas grand risque à acheter.

Adieu, mille amitiés.

Camille de Cavour.

CLXXXVII.

21 décembre 1848.

Mon cher ami,

L'absurde proclamation de Buffa (1) a révolté l'armée. Les officiers de la garnison de Turin ont rédigé une protestation qui a été signée par plusieurs régiments, et à laquelle adhéreront probablement tous les corps de l'armée.

(1) Domenico Buffa, né à Ovada en 1818, mort en 1858, Député d'Ovada siégeant au centre gauche. Nommé ministre d'agriculture et eommerce dans le ministère democratico de 1848, il avait été envoyé à Génes le 16 décembre, en qualité de commissaire royal, muni de pleins pouvoirs. A peine installé, il publiait une proclamation contenant les phrases suivantes: «I nuovi ministri, appena giunti al potere, udirono che Genova tumultuava perchè volevasi seguire una politica contraria alla dignità, agli interessi, all'indipendenza della Nazione. Ma ora, uomini nuovi, cose nuove! Il presente ministero vuole l'assoluta indipendenza d'Italia, la Costituente Italiana, la Monarchia democratica. Io, investito dal Re di tutti i poteri civili e militari spettanti al potere esecutivo, sono venuto a dare una mentita solenne a coloro che dicono la vostra città amica delle turbolenze. Pertanto ho or di. nato che le truppe partano dalla città. Quanto ai forti, sarà interrogata la guardia nazionale se voglia o possa presidiarli e le saranno consegnati tutti o in parte, a sua scelta. A mantener l'ordine in una città veramente libera, basta la guardia nazionale».

La brigade de Savoie est plus que toutes les autres brigades dans un état remarquable d'exaspération. On pense que les régiments lombards mêmes enverront leur adhésion. Que fera le ministère en présence d'un acte de réprobation aussi unanime? On a peine à comprendre comment il pourra refuser la destitution de M. Buffa. Qu'arrivera-t-il alors? vraiment on se perd en conjectures.

Ricci m'a répété que jamais il ne consentirait à l'émission du papier-monnaie. Tiendra-t-il parole? Je le crois, parce-que le commerce de Gènes ne lui pardonnerait jamais une mesure qui ruinerait la Banque.

Jaillet (1), a répondu hier à M. de Sonnaz (2), que l'armée ne consentirait jamais à se laisser insulter par un ministre Buffa, Buffone!

Les nouvelles de France me tranquillisent au point que je suis sans inquiétudes sur le résultat final de la crise actuelle.

Mille amitiés.

Camille de Cavour.

CLXXXVIII.

Turin, 8 janvier 1849.

Mon cher ami,

J'ai à vous entretenir de plusieurs affaires importantes; pour procéder avec ordre, je vais les traiter successivement.

….............................................................................................

(1) Colonel dans la brigade de Savoie, ami intime de M. É. de la Rue, général au service de la France, après l'annexion de la Savoie.

(2) Le général Hector Gerbaix de Sonnaz, alors ministre de la guerre.

Banque. — Bombrini a été appelé par Ricci, qui voulait le consulter sur les projets financiers du ministère. Ricci l'a assuré qu'il s'opposerait à l'émission de papier-monnaie, qu'il préférait employer tout autre moyen, avant d'avoir recours à celui-là. Bombrini nous a communiqué la réponse faite par le conseil de régence de la Banque de Grènes à nos propositions. Le conseil accepte les bases que nous avions proposées, seulement il insiste pour que le capital de la Banque de Turin soit fixé momentanément à 2,000,000 et que le versement des deux autres millions, pour compléter son capital, soit renvoyé à une époque indéterminée.

Cette proposition sera sans doute acceptée, elle diminuera de beaucoup les difficultés des versements à opérer et tendra à soutenir le cours de nos actions.

Je crois qu'il en résulte que tous les contrats «à livrer» doivent être réduits de moitié pour le moins, ce qui améliore notre position.

Rossi et Schiaparelli. — Ainsi que je vous l'ai mandé, il serait impossible de retirer les fonds que nous avons, vous et moi, dans cette entreprise, en compte-courant, sans en amener la liquidation, ou du moins une réduction considérable d'affaires, ce qui serait excessivement fâcheux, vu que les progrès de l'entreprise dépassent nos prévisions.

La fabrication du phosphore a pris une grande extension. Il a fallu faire construire un nouveau fourneau, qui nous permettra d'augmenter d'un tiers nos produits. La fabrication des bougies stéariques est commencée et promet également de larges bénéfices. Enfin, le commerce de la droguerie, que nous a légué M. Rossi, s'étend tous les jours. Aussi j'ai la ferme conviction que les fonds sociaux rendront au-delà de 10 0|0.

Mais cela n’empêche pas que les fonds placés en compte courant ne soient exposés à de fortes dépréciations, si l'on émet du papier-monnaie.

…............................Vous comprendrez que mon but principal est de mettre les fonds que vous avez engagés dans cette affaire, à l'abri de tout danger. Je crois l'entreprise excellente, mais je ne tiens pas à vous faire partager cette opinion, seulement je pense que vous aurez en moi un débiteur plus sur, et qui pourra plus vite se libérer, que la maison R. et S.

Je termine cette lettre éternelle en vous manifestant mes craintes sur le résultat probable des élections. Le pays est menacé d'une crise. Vous pouvez être sùr que je ne inserterai pas mon poste et lutterai jusqu'au dernier moment.

Adieu, mille amitiés.

Camille de Cavour.


vai su


CLXXXIX.

Turin, 17 janvier 1849.

Mon cher Émile,

Vous serez étonné de mon silence, mais hélas! il est motivé par une cause bien douloureuse: la maladie de ma tante de Tonnerre (1). Son état est tel que nous ne conservons plus aucun espoir de la sauver.

(1) Madame de Tonnerre était la fille aînée de M. de Sellon et, par conséquent, la tante maternelle du comte de Cavour. Elle avait épousé, en premières noces, le marquis de Tnrbie, avec lequel elle fut assez malheureuse et dont elle avait dù se séparer. Elle épousa en secondes noces le due de Clermont-Tonnerre, et elle trouva dans ce mariage le bonheur qu'une femme peut attendre d'un galant bomme, qui l'aime et la respecte (De la Rive, Le Comte de Cavour, p.4). La révolution de juillet l'amena à se fixer & Turin, qu'elle ne quitta plus depuis 1835 jusqu'à sa mort, qui eut lieu 12 ans après celle de son mari. — Femme d'esprit et de cœur, sa position à Turin était fort considérable et Charles Al1 ert la tenait en haute estime. Son affection pour le comte Camille de Cavour, était un des sentiments les plus vifs qu'elle eut jamais éprouvés (De la Rive,1. c., p.83).

Nous sommes d'accord sur tous les points relatifs a nos affaires.

Adieu, excusez ma précipitation et croyez-moi

votre bien dévoué

C. de Cavour.

CXC.

Turin, 22 janvier 1849.

Mon cher ami,

Les tristes prévisions que je vous exprimais dans ma dernière lettre, ne se sont que trop vérifiées; ma pauvre tante a succombé à la grave maladie qui l'avait atteinte, sans trop de souffrances. Cette perte est bien cruelle pour nous, car nous aimions ma tante comme une seconde mère.

Je compte aller passer quelques jours à Leri, pour me reposer des chagrins domestiques et des soucis de la politique.

Mon élection est fort compromise. Les juifs ont déserté ma cause, et le curé d'une des paroisses de la ville a lance hier une diatribe contre moi.

Si j'échoue, je me consolerai en pensant que, dans les orages révolutionnaires, les bons citoyens sont condamnés à l'impuissance.

Ma tante nous a laissés, mon frère et moi, ses héritiers universels, en nous chargeant du payement d'une grande quantité de legs. Quoique ce testament nous soit au fond extrêmement avantageux, il nous oblige, pour le moment, à nous procurer de l'argent.

Adieu, cher ami, croyez a ma bien sincère amitié.

Camille de Cavour.

CXCI.

Leri, 30 janvier 1849.

Mon cher ami,

Pour éviter de monter la garde aujourd'hui, j'ai prolongé mon séjour ici de 48 heures. Aussi votre lettre du 29 est elle venue me chercher au milieu de mes occupations agricoles.

…..................M. S......, chimiste fort habile, ne pense qu'à étendre le cercle de ses affaires, d'une manière quelquefois exagérée. Je lui avais dit avant de partir de Turin, que je donnais mon consentement à ce qu'il achetât pour 10 ou 12 mille francs de graisses, destinées à la fabrication des bougies stéariques, payables à 3 mois, parce que j'étais à peu près certain que dans ce laps de temps, on retirerait abondamment de quoi faire honneur à cet engagement. M. S... aura voulu faire une grande affaire en suif, et je suis charme que vous l'en ayez empêché. La société peut marcher très bien avec les capitaux qu'elle a; nous avons peut-être agi un peu légèrement en consentant à l'établissement de la fabrication des bougies stéariques. Je m'y suis longtemps opposé, j'ai fini par céder parce qu'il m'a été démontré que c'était une conséquence forcée de la fabrication de l'acide stéarique. Cette nouvelle branche d'industrie a absorbé tous les nouveaux capitaux que nous avons versés. Si elle réussit, comme j'ai lieu de le croire, nous l'étendrons au moyen des bénéfices. Si l'expérience ne répondait pas à nos calculs, alors il faudrait se borner à la fabrication des produits chimiques, et surtout du phosphore, dont les résultats sont infaillibles.

Nous pourrions aussi, au besoin, renoncer au commerce des drogueries que nous a laissé M. E...., et qui absorbe de 80 à 90 mille francs; mais il est non seulement avantageux par lui-même, en outre, il aide singulièrement au débit des produits chimiques.

Cette année, le sulfate de chinine seul, nous a valu un bénéfice net de 3 à 4000 francs.

Ce que vous me dites du retard des navires venant d'Angleterre, m'explique comment une malheureuse meule à riz, que nous attendons depuis deux mois, n'arrive pas.

Je ne vous parie pas politique; depuis huit jours que je suis ici, je l'ai tout à fait oubliée.

Adieu, mille amitiés.

Camille de Cavour.

CXCII.

9 février 1849.

Mon cher ami,

La Marmora rentre au ministère, d'après le conseil de ses amis et de Pinelli en particulier (1). Perrone sera fait sénateur. Gioberti se séparé tout à fait de Brofferio et des exaltés. Hier il a donne une soirée magnifique. Il y a eu une grande démonstration contre le circolo.

Camille de Cavour.

CXCIII.

12 février 1849.

Mon cher ami,

Ma tante De Sellon est partie aujourd'hui pour Gènes, avec ses deux filles cadettes. Elles y arriveront demain et iront descendre à l’hôtel de Londres.

(1) La Marmora remplaça De Sonnaz au ministère de la guerre le 2 février, mais céda ce portefeuille, dès le 9 février, au général Chiodo.

N'étant accompagnées par aucun homme, je les recommande vivement à vos soins obligeants. Elles comptent passer quelques jours dans votre ville, si l'émeute ne les en chasse pas.

lei, nous sommes parfaitement tranquilles. Gioberti s'est déclaré, d'une manière franche et énergique, contre la constituante et la révolution toscane (1), et il a rompu d'une manière éclatante, avec Brofferio et le parti extrême. Il paraît décidé à ne pas reculer, et il peut le faire d'autant mieux que la population de Turin s'est déclarée d'une manière unanime en sa faveur. Le peuple est essentiellement monarchique. Il est charmé par le mot de royauté démocratique, et il serait difficile de lui faire accepter les idées mazziniennes. Quant à Gènes, Gioberti est décidé de la maintenir par la force. Buffa est parti, emportant dans sa poche le décret de l'état de siège. J'espère qu'il saura en faire meilleur usage que Durando.

La Chambre est tout étonnée des tendances conservatrices du ministère. Elle se croyait destinée à jouer de grandes représentations révolutionnaires, et, au lieu de cela, le ministère lui impose des idées d'ordre et de modération.

Je crois la guerre presque inévitable, le mois prochain. Je n'en suis pas fâché, car elle seule peut nous éviter la crise révolutionnaire qui nous menace. Les deux La Marmora (2), hommes qui m'inspirent la confiance la plus illimitée, sont pleins d'espérance.

(1) Guerrazzi, Montanelli, etc., y avaient constitué un gouvernement provisoire et le Grand-Due s'était enfui A. Porto S. Stefano.

(2) Alphonse et Alexandre La Marmora. — Le premier (1804-1878) était capitaine d'artillerie en 1848, se distingua à la bataille de Pastrengo et délivra Charles Albert le 5 août, lorsque sa vie était menacée à Milan, dans le palais Greppi, où la foule exaspérée l'avait assiégé. Nommé général en octobre 1848, ministre de la guerre (cabinet Perrone, 27 octobre à 16 décembre 1848), chef d'état-major de Chrzanowski, ministre de la guerre pour la deuxième fois, du 2 au 9 février,1849 (cabinet Gioberti. Envoyé en Toscane, à la tète d'une division pour réaliser la restauration projetée par Gioberti, il fut soudain rappelé de Sarzane et arriva trop tard pour prendre part à la bataille de Novare.

Si on les laisse faire, je crois probable que nous délivrions la Lombardie. En tout cas, si nous succombons, ce sera d'une manière glorieuse, et non en tombant dans la boue, comme à Rome et à Florence.

Adieu, cher ami, croyez à mon sincère dévouement.

Camille de Cavour.

CXCIV.

1er mars 1849.

Mon cher ami,

Il y a plusieurs jours que je veux vous écrire, et que je ne le fais pas, le courage me manquant pour vous entretenir de nos tristes affaires politiques.

La chute de Gioberti a été un drame honteux.

 Envoyé à Gênes, qui s'était révoltée (avril 1849), il s'en empara, y rétablit l'ordre, et fut ensuite ministre de la guerre jusqu'en 1860, excepté pendant le temps qu'il passa eu Crimée à la tète de la Division piémontaise, où la victoire qu'il remporta à Traktir rétablit la réputation de l'armée sarde, compromise à Novare. Président du cabinet, de juillet 1859 à janvier 1860, pendant la retraite momentanée de Cavour, il alla combattre le brigandage à Naples en 1861. Président du cabinet de 1864 à 1866, il conclut en 1866 l'alliance italo-prussienne, grâce à laquelle Venise fut rendue à l'Italie. Il commanda ensuite le département militaire de Milan et fut enfin lieutenant du Roi à Rome en 1870-71. Pendant sa longue et honorable carrière, La Marmora fut en butte à bien des accusations, auxquelles il répondit par la publication de son Episodio del Risorgimento italiano (Révolution de Gènes e:i 1849) et ses Un po' più di luce et I segreti dello Stato (sur l'alliance italo-prussienne). Il était un des intimes amis du comte de Cavour. Alexandre La Marmora, frère d'Alphonse, partagea avec lui l’honneur d'avoir réformé l'armée sarde et prit part avec lui, aux guerres de l’indépendance. Il fut le créateur du célèbre corps des Bersaglieri, devenu classique en Italie et au dehors, par son courage, sa discipline et son organisation. Il mourut en Crimée, d'une attaque de choléra, le 8 juin 1855.

Le Roi l'a indignement joué; après lui avoir prodigué les témoignages de confiance et de satisfaction, il l'a sacrifié sans regret à Valerio et à Sineo (1), et à la folle idée de s'élever sur les ruines des trônes de l'Italie centrale.

Le projet que Gioberti avait conçu (2), pouvait amener une solution favorable de la question italienne.

Notre intervention en Toscane aurait déterminé la France et l'Angleterre à agir en notre faveur, ce qu'elles ne feront pas maintenant.

Le ministère, sans Gioberti, est un troupeau sans berger. Il n'ose pas céder au parti qui le pousse à la démagogie, car il craint un mouvement à Turin et une démonstration militaire. La nomination du marquis Colli (3), homme éminemment conservateur et énergique, a eu pour but de calmer les esprits, qui commençaient à s'aigrir.

(1) Deux des principaux rédacteurs de la Concordia. — Riccardo Sineo, jurisconsulte distingué, nè à Turin en 1805, mort en 1876, concourut puissamment à pousser Charles Albert à accorder le Statuto et fit partie, avec Cavour, de la Commission chargée d'élaborer la loi électorale. Député au Parlement pendant les 11 premières législatures, Sineo fut ministre de l'intérieur en 1848 (cabinet Gioberti), puis de grâce et justice en 1849. Adversaire du comte de Cavour, il eut presque un duel avec lui, lors de la discussion du traité de commerce avec la France, en 1851. Il combattit l'expédition de Crimée, la cession de Nice et de la Savoie. Son éloquence était assez lourde et ennuyeuse. Il fut nommé sénateur en 1873.

(2) De restaurer le Grand-Due sur son tròne à Florence, par l'armée sarde et de former une confédération constitutionnelle en Italie, sous l'hégémonie du Piémont. Ce projet appuyé par Cavour, avait pour but aussi de prévenir une intervention autrichienne en Toscane, et le général Alphonse Lamarmora était déjà en route pour l'exécuter, lorsqu'une dépêche de Gioberti, qu'il re$ut à Sarzane, lui annonça que le gouvernement du Roi avait subitement changé d'idée et que, comme il ne pouvait voir dans ce changement que le résultat d'une intrigue pour le supplanter, il donnait sa démission de ministre et de président du cabinet. (Lamarmora, Un episodio, ecc., pag. 16, 17 et 18).

(3) Le marquis Victor Colli di Felizzano, major général, nommé ministre des affaires étrangères le 8 mars 1849.

Maintenant qu'arrivera-t-il? C'est ce que tout le monde se demande, et ce à quoi personne ne répond.

Fera-t-on la guerre? C’était possible avec Gioberti, qui avait regagné la confiance de l'armée, mais avec ceux-ci! Si on ne fait pas la guerre, comment obtenir une paix qui ne soit pas honteuse? Voilà les terribles problèmes dont là solution n'avance guère.

Le ministère est aux abois, quant aux fonds. Ricci parie toujours de l'emprunt; mais l'emprunt ne se fera pas, tant que ses collègues et lui seront aux affaires. Il paraît bien qu'un projet d'emprunt a été conditionnellement accepté par une société de capitalistes, mais ceux-ci ne s'étant pas définitivement engagés, poussent le temps avec l'épaule, pour attendre les événements et profiter de la moindre apparence pacifique.

Leur position est excellente, ils ne veulent conclure que si la crise politique se calme, et alors, certainement, les prix auxquels l'emprunt sera émis, leur assureront un immense bénéfice. Pour peu que l'on comptât sur la paix, nos rentes atteindraient le niveau des rentes françaises.

Ricci a fait faire à la Banque de Turin les propositions les plus avantageuses. Nous nous réunissons aujourd'hui pour les discuter.

J'ai communiqué à M. Schiaparelli vos observations sur ses bougies stéariques. Il m'a promis d'apporter tous ses soins à l'amélioration de la mèche. Dans ce but, il désirerait avoir sous les yeux un paquet de bougies anglaises, qu'on ne trouve pas à Turin. Si vous pouviez lui en envoyer un, vous l'obligeriez beaucoup. On fabrique également, des paquets de 5 et des paquets de 4 bougies, du poids de 1\2 kilogr. Les paquets se vendent 1 fr.50 cent., avec 6 0x0 d'escompte. Jusqu'à présent la vente a été très active, et quoiqu'on en fabrique de 800 à 1000 paquets par semaine, tout se vend pour ainsi dire d'avance.

Nous avons de suite réuni le conseil, pour lui faire part de cette communication du ministre. Dans cette réunion, le commissaire royal nous a annoncé que le ministre était disposé à faire plus encore pour nous et qu'il désirait avoir une nouvelle conférence avec les délégués de la Banque. Étant retournés chez Ricci, il nous a répété ses offres, en ajoutant que si nous consentions à prêter 20 millions au gouvernement, il aurait consenti à affecter à leur remboursement les produits des droits réunis (1), qui existent dans les provinces du Piémont et qui s'élèvent à plus de 4 millions. Ces droits, étant affirmés à de riches entrepreneurs et garantis par de bonnes hypothèques, constituaient, au dire du ministre, un gage bien préférable à celui que l'on avait accordé à la Banque de Grènes.

Cette proposition était très séduisante. Elle était infiniment avantageuse aux fondateurs de la Banque qui, se trouvant tout à coup placés dans une position meilleure que celle où se trouve la Banque de Gènes, étaient surs d'amener une fusion au pair, ce qui aurait assuré un débit avantageux de leurs actions. Aussi le conseil a-t-il été à, peu près d'accord de l'accepter, et il a chargé les 3 commissaires de formuler un projet sur les bases de la proposition ministérielle.

Ayant mûrement réfléchi à ce projet, il m'a paru que, s'il était avantageux aux fondateurs de la Banque, il était très nuisible au pays et surtout au commerce; qu'il en serait résulté une émission de 60 millions de billets, ce qui, étant hors de proportion avec les besoins de la circulation, aurait causé une dépréciation considérable sur les billets. En conséquence, j'ai pensé que nous ne devions consentir à cette mesure fâcheuse qu'à la dernière extrémité, qu'il fallait avant, épuiser toutes les ressources ordinaires du crédit et ne nous prêter à une nouvelle émission de billets,

(1) Appelés aussi foglietta, c'est-à-dire octroi sur les boissons et leur vente en détail, actuellement dazio-consumo.

que lorsque nous verrions que le gouvernement serait réduit dans l'alternative d'avoir recours au papier de la Banque de Turin, ou d'émettre lui-même des bons du trésor, ou de papier-monnaie sous un nom quelconque.

D'après cette conviction, j'ai formulé un projet d'emprunt national, sur les bases suivantes:

1° Le gouvernement serait autorisé à faire une nouvelle émission de rentes 5 p. 0|0, au cours de 70;

2° Seraient admises à souscrire toutes les personnes qui se chargeraient d'une vente qui ne serait pas moindre de 5000 de valeur nominale;

3° Les payements s'effectueraient en 4 termes;

4° Seraient admis en payement des rentes souscrites jusqu'à la concurrence de 25 p. 0|0, les bons de l'emprunt volontaire; le 25 p. 0|0 étant affecté:

10 p. 0|0 au premier terme;

10 p. 0|0 au deuxième;

5 p. 0|0 au troisième;

5° Il serait accordé une prime fixe et invariable aux personnes qui effectueraient les payements en espèces;

6° Le gouvernement chargerait la Banque de la négociation d'un million cinq cent mille francs de rente, moyennant une commission;

7° Le payement du semestre de l'emprunt forcé aurait lieu sans retard.

Enfin, si ce projet n'avait pas réussi, si les souscriptions volontaires n'avaient pas atteint un chiffre suffisant pour faire face aux besoins du moment, le gouvernement aurait transformé l'emprunt volontaire en emprunt force, et, dans ce cas, la Banque se serait engagée à consacrer la moitié ou les deux tiers de ses fonds, à l'escompte des titres remis aux contribuables.

J'ai écrit à Ricci pour lui indiquer mes idées. Mestrezat et Bolmida les ont acceptées avec empressement, aujourd'hui je les soumettrai au conseil de la Banque, qui les approuvera, je pense.

Veuillez me dire, sans détour, votre opinion à cet égard< J'ai eu beau me creuser la tète, je n'ai rien su trouver de mieux pour sauver le pays d'une crise économique incalculable. Un emprunt dans le pays n'est pas impossible, car les capitaux ne manquent pas. A Turin, tous les marchands de soie, tous les fabricants, tous les négociants d'objets de consommation, ont énormément gagné cette année. Les propriétaires seuls, ceux surtout des provinces viticoles, sont aux abois.

Malheureusement nos hommes d'État, Ricci compris, sont d'une ignorance complète en fait de finances; toutefois je ne désespère pas de leur faire entendre raison.

Si mon pian réussissait, toutes les maisons de banque devraient s'y prèter, dans une certaine mesure, quand ce ne serait que pour éviter des mesures qui leur seraient éminemment préjudiciables.

Veuillez me répondre sur-le-champ, car le temps presse, et il faut se décider à quelque chose, si on ne veut pas voir arriver une catastrophe financière.

Mille amitiés.

Camille de Cavour.

CXCVI.

6 mars 1849.

Mon cher ami,

Je vous remercie de votre excellente lettre du 4; je vous assure que je partage en grande partie vos idées. Mais pour les mettre en exécution, il faudrait:

1° Être ministre des finances;

2° Avoir la majorité dans la Chambre.

Or, ces deux conditions indispensables n'existant pas, il faut conseiller le moins mauvais des partis possibles.

Hier nous sommes demeurés en conférence avec Ricci, jusqu'à minuit, et nous avons fini par le persuader de renoncer à son idée d'un prèt à la Banque ou de l'émission de papier-monnaie.

Nous avons conclu que nous formulerions un projet d'emprunt et que nous tacherions d'organiser la Banque de Turin, de manière à aider cette opération financière sans porter un trouble grave dans le pays.

Je suis bien découragé; il est dur de travailler pour un Ministère qu'on méprise, mais que faire? Lui refuser notre concours, c'est trahir le pays.

Nigra se conduit très bien, sous ses dehors un peu trop importante, il a un grand fond de bon sens. Je crois que si on arrivait à organiser un ministère conservateur, il faudrait le nommer aux finances.

Adieu, mille amitiés.

Camille de Cavour.

PS. Je vous tiendrai au courant de tout ce que nous ferons. en vous conjurant de continuer à me donner, sans détours, vos avis.

CXCVII.

8 man 1849.

Mon cher ami,

Après de longues discussions, nous avons arrêté d'accord, Nigra, Bolmida, Mestrezat et moi, un projet d'emprunt, que nous avons remis hier au ministre. En voici les bases principales:

1° Le ministère est autorisé à créer 5,000,000 de rentes;

2° Ces rentes seront de deux sortes: 2,500,000 de rentes 5 p. 0|0, en tout semblables aux rentes créées par la loi du 7 septembre, et 50,000 obligations de l'État, de 1000 francs chacune, à 4 p. 0|0, avec un pour cent à répartir en primes, comme pour les obligations de 1884;

8° Les deux sortes de rentes seront émises à un cours qui se corresponde exactement; ainsi, si le 5 p. 0|0 est émis à 70, les obligations le seront à 700;

4° Toutes les personnes comprises dans les catégories fixées par la loi du 7 septembre, seront tenues à concourir au présent emprunt;

Devront aussi y concourir les personnes qui, par l'exercice d'une profession ou art libéral, ont un revenu supérieur à 2000 francs;

5° Le payement de l'emprunt aura lieu en 5 termes échelonnés à un mois de distance;

6° Ceux, toutefois, qui voudraient recevoir des obligations, devraient payer en 2 termes, c'est-à-dire en 2 mois;

7° Les bons de l'emprunt volontaire seraient reçus en payement du second terme des obligations, jusqu'à la concurrence du 25 p. 0|0 de leur valeur;

8° Passé l'époque du payement du premier terme, le gouvernement ne pourrait plus émettre d'obligations;

Si les 50,000, autorisées par la loi, n'étaient pas souscrites, celles qui resteraient ne pourraient être émises qu'en vertu d'un acte législatif;

9° Le produit de la vente des tabacs est affecté en garantie du payement des obligations.

En outre, le conseil de la Banque s'est réuni et a délibéré, à l'unanimité, ce qui suit:

La Banque est prete à se constituer pourvu:

1° Que, pour le moment, le versement soit limite à 2 millions;

2° Que ses billets aient cours forcé;

3° Que ses émissions ne dépassent pas 6 millions;

4° Que les 2x8 de ses fonds soient employés à des avances, sur dépôt de titres du nouvel emprunt;

5° Qu'elle soit autorisée à faire des avances aux personnes obligées à concourir à l'emprunt volontaire, pour. le montant de leur taxe, contre le dépôt du titre et leur obligation personnelle.

Nous avons l'intime conviction que cet ensemble de mesures doit procurer au trésor les ressources dont il a besoin. Nous ne doutons pas que les 50,000 obligations ne soient souscrites, et qu'une partie des 2,500,000 de rentes ne se placent.

Ce projet a l'inconvénient d'augmenter de 6 millions la quantité de billets ayant cours forcé, mais notez que la Banque de Turin fera les fonds, en grande partie du moins, avec des billets de la Banque de Grènes et ensuite que le payement de l'emprunt fera sortir momentanément de la circulation une grande quantité de billets.

Les plus prudents de nos collègues ont donné leur pleine approbation à ce projet. Le vieux De Fernex lui-même, en était tout satisfait.

Quant à la Banque de Turin, elle est certaine de faire de bonnes affaires. Prètant, sur dépôt de titres, aux personnes appelées à concourir à l'emprunt forcé, elle ne court aucun danger, et elle est certaine d'employer ses 6 millions à 5 p. 0|0. Aussi, je crois que les actions seront dès l'abord recherchées.

Je vous le répète, l'argent ne manque pas a Turin. Tous nos négociants ont énormément gagné cette année, ceux surtout qui font les soies ou les laines. Stallo, par exemple, a peut-être doublé sa fortune. Il en est de même des fabricants de draps et de coton.

Dites-moi si vous désirez que je cherche à céder de nos actions de la Banque, et dans quelles limites. Je puis me tromper, mais je suis convaincu qu'au bout d'un mois nos actions valent 10 p. 0|0.

Ici, l'on croit à la guerre et moi aussi, et je vous dis que je la désire comme un moyen d'en finir. Si nous avons un succès, je ne doute pas qu'on fasse la paix. Si nous sommes battus, le Roi abdiquera et nous payerons les frais de la guerre, et tout sera fini. Des deux manières, il nous en coûtera moins que de rester dans l'état où nous sommes.

J'ai pardonné à Buffa toutes ses erreurs passées, en vertu de sa dernière proclamation, que je trouve adorable (1).

Mon cher, après avoir travaillé deux jours à faire des plans de finances, il faut que j'aille manœuvrer deux heures sur la place d'armes; c'est stupide, mais qu'y faire?

Adieu, mille amitiés.

Camille de Cavour.

(1) Le 18 février, le ministre Buffa, commissaire royal à Gènes, avait publié le décret suivant: «Considérant que le Circolo italiano existant dans cette ville, a toujours manifesté des tendances subversives envers la monarchie constitutionnelle et des sentiments de mépris et d'aversion pour la personne du Roi, — que ce Cercle se qualifiant de manu dataire du peuple, a offensé la majesté du peuple et des lois, par la violence de ses provocations contre les citoyens du parti opposé et que, par sa systématique opposition à l'action du gouvernement, il a troublé la paix publique et excité le désordre, etc., etc. — Le Commissaire, en vertu des pouvoirs extraordinaires dont il est investi, décrète: 1° Le Cercle est fermé. 2° Il ne pourra plus se réunir, ni a dans son local actuel, ni ailleurs, dans la ville. 3° L'autorité de Sùreté publique est chargée de l'exécution de ce Décret. Domenico Buffa». — Comme ce Cercle était le rendez-vous et le centre d'action des principaux chefs du parti avancé, à Gènes, sa fermeture fut suivie de quelques désordres dans la ville, et à la séance du Parlement du 15 février suivant, le député Losio interpella le Ministère au sujet de ce décret de Buffa, qu'il considérait comme contraire à l'article 82 du Statut, garantissant aux citoyens le droit d'association. Après une vive discussion, à laquelle prirent part le ministre de l'intérieur, Sineo, et les députés Brofferio, Rossetti et Cabella, la discussion ayant été déclarée dose, la Chambre passa à l'ordre du jour.

CXCVIII.

9 mars 1849.

Mon cher ami,

Le ministre a réuni, hier au soir, un assez grand nombre de personnes, pour leur communiquer notre projet Entre autres, il y avait votre compatriote, l'avocat Cabella (1), et Mr Cotta. Notre pian d'emprunt a été approuvé à l'unanimité. Plusieurs objections ont été faites au projet d'établir la Banque pour prêter sur dépôts de titres. J'ai faiblement défendu cette partie de notre travail, car je ne me soucie nullement que la Banque ne s'établisse, si ce n'est sur l'instance du gouvernement.

Il faut qu'on nous prie, ou bien que nous ne fassions rien, pour le moment.

Colli a quitté le ministère, parce qu’il n'était pas d'accord avec ses trop belliqueux collègues. L'avocat Deferraris, qui le remplace, est certainement un homme d'un grand talent, mais je doute fort qu'il entende grand-chose à la diplomatie.

La guerre parait donc décidée, mais quand commencera-t-elle? c'est ce qui est encore incertain. Quel qu'en soit le résultat final, je suis convaincu qu'il ne nous sera pas plus funeste que la prolongation de l'état actuel.

Adieu, mille amitiés.

C. de Cavour.

(1) L'avocat César Cabella, député du Collège de Voltri, puis du 4° de Gênes, professeur à l'Université de Gènes, nommé sénateur en 1870. Éminent jurisconsulte A, Gènes, où il jouit d'une grande influence et occupa plusieurs postes éminents, mort le 2 avril 18S8. — Cibella avec Giorgio d'Oria, V. Ricci, Giacomo Balbi, G. B. Cambiaso, Lorenzo Pareto, Michel Federici, G. Canale et l'abbé de S. Matteo, fit partie de la députation envoyée par Gènes, le 5 janvier 1848, pour demander à C. Albert la liberté de la presse et l'institution de la Garde nationale.

CXCIX.

12 mars 1849.

Mon cher ami,

Ricci est un ignorant, qui n'entend goutte en finances. Après avoir passé huit jours à discuter notre pian, après avoir eu l'air de le comprendre, il a fait rédiger, pendant la nuit, un projet qu'il ne nous a pas communiqué, et s'en est allé, tout triomphant, le présenter au Parlement. Ce projet est tout bonnement absurde, j'ai été le trouver de suite pour le lui dire. Le bonhomme m'a avoué qu'il n'avait pas eu le courage de proposer de suite l'emprunt forcé, qu'il avait peur de la Savoie, des avocats, de qui sais-je encore? qu'il voulait essayer de l'emprunt volontaire. Je lui ai dit que l'un ne pouvait réussir qu'à l'aide de l'autre, mais c'était trop tard pour revenir sur ce point.

Alors, je l'ai engagé à remédier aux défauts les plus saillants de la loi, en la modifiant sur les points suivants:

1° en fixant le nombre des obligations a émettre;

2° en prenant l'engagement de ne plus émettre d'obligations, lorsque le présent emprunt serait entièrement souscrit;

8° à fixer le cours de 700 pour les souscripteurs des 30,000 premières obligations;

4° en déclarant que les bons de l'emprunt volontaire seraient admis, non pas pour le 25 % du second terme, mais pour le quart de la somme totale à payer.

Il m'a promis d'amender sa loi de la sorte. Elle pourra avoir une réussite partielle. Si les événements politiques améliorent notre position, je pense que vous devez souscrire pour 60,000 francs, c'est une somme ronde qui fera bon effet, et qui ne dépasse pas de beaucoup celle qui représente le quadruple de votre souscription à l'emprunt volontaire.

Si vous avez des réclamations à faire valoir sur le trésor, des mandats en souffrance, vous pourriez, avant de souscrire, exiger l'expédition de ces mandats et accepter jusqu'à un certain point, des obligations en payement.

La guerre est décidée. Quelles que puissent être les conséquences politiques, elle ne peut qu'améliorer notre position financière. Si nous devons succomber, c'est au premier choc.

Dans ce cas, nous serons forcés de faire la paix, et quelque somme qu'elle nous coute, elle sera moins ruineuse que l'état actuel. Si nous avons un premier succès, l'issue de la campagne n'est pas douteuse, et vous verrez toute l'Europe s'agiter, de St-Pétersbourg à Madrid, pour nous assurer une paix honorable qui, alors, pourra s'établir sur des bases solides.

J'ai reçu les papiers de votre affaire de Garde nationale (1), je les ai envoyés de suite chez mon avocat, et j'ai pris un rendez-vous avec lui ce matin, pour aviser sur ce qu'il faut faire. Mais je vous avoue que je considère comme impossible d'obtenir un jugement, dans la journée, et quand cela serait, jamais il ne pourrait vous être expédié en temps utile pour empêcher l'exécution de la sentence, qui doit avoir lieu demain.

Je finirai ma lettre chez l'avocat.

L'avocat va s'occuper de suite de votre affaire, et il espère pouvoir vous expédier par la poste l'acte qui constate l'introduction de l'appel; s'il n'était pas prêt pour midi, il vous l'enverrait par la diligence.

Mille amitiés.

C. de C.

(1) Mr E. de la Rue, en sa qualité de citoyen suisse, demandait à être exempté du service de la Garde nationale, dans laquelle on l'avait incorporé.

CC.

16 mars 1849,

Mon cher ami,

J'espère que vous aurez reçu par la diligence, en temps utile, ma lettre et l'acte qui constate l'introduction de l'appel en cassation de la sentence du conseil de discipline.

Il est maintenant urgent que vous adressiez à Mr l'avocat Cassinis (1) votre procuration, qu'il s'est engagé à présenter dans un bref délai.

L'avocat se flatte de gagner votre cause. J'en serais bien aise pour confondre vos insupportables démocrates. J'ai reçu de Londres une note de livres d'agriculture, que le libraire Bidway prétend m'avoir expédiés par votre entremise.

Je me rappelle fort bien que vous m'avez mandé avoir eu avis de cette expédition, mais les livres ne me sont jamais arrivés. Veuillez vérifier s'ils se sont égarés dans quelque coin de vos magasins.

On prétend que l'armistice est dénoncé.

Le Roi est parti cette nuit, accompagné de Scatti et des deux Robilant (2), cortège fort peu démocratique. La brigade de Savoie est partie ce matin pour Verceil, Jaillet eu tète, animée d'un excellent esprit.

Ce qui embarrasse le plus le Ministère et la Chambre, c'est la question financière, ils ne savent où donner de la tète.

(1) L'avocat Jean Baptiste Cassinis, plus tard sénateur et ministre de grâce et justice (1860-61), un des avocats les plus distingués du barreau de Turin. Député de Saluzzola en 1848, puis de Turin, président de la Chambre pendant la VIII Législature, nommé sénateur en 1865, se suicida le 8 décembre 1866. — Les Codes civil, pénal, de commerce et de procédure civile furent son œuvre. La ville de Turin lui a élevé un monument sur la place de la Citadelle.

(2) Aides de camp du Roi. Le 12 mare l'armistice avait été dénoncé, et les hostilités devaient commencer le 20.

Tout le monde crie contre Ricci, dont l'incapacité est reconnue et proclamée par tout le monde. Il sera forcé de sortir du Ministère, je ne sais qui le remplacera. Peut-être le comte Ceppi, ou bien Cabella, ou bien qui sais-je encore?

Je ne suis pas effrayé de la guerre, autant que la plupart des hommes modérés. Je crois qu'elle présente bien des chances en notre faveur et que le véritable danger consiste dans l'engouement que peut produire un premier succès. Si nous savons profiter de la première circonstance favorable qui se présentera, pour traiter une paix honorable le pays peut encore sortir de la crise actuelle, avec honneur et profit.

Je vais passer deux jours à Leri. Je serai de retour dimanche pour monter ma garde, n'ayant pas comme vous d'excuses valables pour être dispensé de cet ennuyeux service.

Adieu, mille amitiés.

C. de Cavour.

















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