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La pensée de midi

Albert Camus
dans la postérité de
la Méditerranée

par JOSÉ LENZINI


Au commencement était la mer. Débordant de ses rives au fil des marées, des vagues de la mémoire ou de l'histoire. L'enfant se moque bien de tout ça…

Le jeudi, dès que le temps (et la grand-mère) le permet, il quitte le logement muet du "quartier pauvre" pour aller à la mer, se "taper" un bain. Situé sur la rue de Lyon, artère bruyante du quartier populaire de Belcourt, l'appartement est exigu.

Cinq personnes y vivent dans trois pièces : la grand-mère, son fils cadet, Mme Catherine Camus, Albert et son frère aîné Lucien. Pas d'eau courante, ni d'électricité, de chauffage ou de radio.

La vie s'immobilise dans l'attente du soir. Cet univers du silence tranche avec l'extérieur, la rue qui grouille en permanence, où se mêlent les cris des enfants, les appels des hommes, le tohu-bohu des charrettes et du tramway.

 

Rue de Lyon

Rue de Lyon, artère centrale
du "quartier pauvre" où Albert
Camus vécut jusqu'à l'âge
de 17 ans. Carte postale. D. R.

L'enfant remonte la rue de Lyon dont le tumulte s'estompe au fur et à mesure qu'il se rapproche du jardin d'Essais. Un grand escalier ouvre sur un autre univers de jungle bien agencée qui dégringole jusqu'à la mer. Vite déshabillé, il se jette à l'eau, tout entier, rythme sa respiration sur celle des vagues, ses mouvements sur ceux des rouleaux que le sable aspire de sa large bouche d'écume.

Albert nage jusqu'aux limites de l'épuisement. Et quand il sort de l'eau c'est pour s'abîmer sur la plage Corps offert au soleil crissant sous chaque grain de sable. Les yeux fermés, aveuglé de lumière ocre, et de sel, il attend dans le bourdonnement de cet autre silence rythmé par le flot, à la manière d'un balancier. Immuable. Inflexible. La mer recommencée sans cesse. Comme pour échapper à "midi le juste".

Ici se joue le drame d'un monde démesuré, à hauteur de sable. Sur les dunes de ses empreintes de pas, des bousiers grimpent poussant une crotte de bique, une boule de détritus. Peinant. S'arc-boutant. Glissant. Progressant. Retombant à nouveau sous une lame de sable.

Reprenant sans cesse leur ascension. Déterminés, les gros insectes noirs et cornus s'en reviennent à l'assaut de la butte, jusqu'à la franchir.

Sisyphe enfant brigande gentiment sous Eole, puis s'endort alors que le balancier de la vague et du temps fait mine de servir Saturne… entre oui et non, dans l'envers et l'endroit, l'exil et le royaume. Le premier encore éloigné de son Eden, son contrepoids.

LE SILENCE DE LA MÈRE

Camus rappellera souvent combien son enfance fut déterminante dans sa vie d'homme, dans son parcours littéraire. Même au plus loin de ses rivages, il n'aura de cesse de retourner à ce monde du silence.

Il y rejoindra le jeune Albert qui parle peu, échange de rares mots avec sa mère, quasiment illettrée, qui a des difficultés d'élocution s'ajoutant à une forme de pudeur courante dans ces milieux modestes.

Miroir fantasque, hydre ou promesse, la mer est là, présente à chaque courbe de la ville enlacée sur ses collines. Elle s'ouvre sur le ciel comme une blessure. Comme cette oppression qui un jour va bloquer la respiration du jeune gardien de but. Il lui faudra désormais vivre au plus près de ce souffle mesuré, précieux.

Après ce "refroidissement" que l'on attribue à une chaleur excessive. Il s'agit, en fait, des premières atteintes de la tuberculose dont Camus souffrira dès l'âge de dix-sept ans et jusqu'au terme de sa vie.

Ce mal qui mesure chaque instant, comme le dernier possible.

En 1932, Camus publie ses premiers articles dans la revue Sud au sein de laquelle Jean Grenier réunit quelques essais de ses meilleurs étudiants.

Trois ans plus tard, il adhère au parti communiste mais n'y restera que quelques mois, "blessé par l'inégalité de situation des Européens et des indigènes".

De grandes divergences entre le Parti communiste français et le Parti populaire algérien (qui prône une indépendance, à terme, de l'Algérie) l'amènent à démissionner.

Ce sera sa seule expérience de militant politique dans un parti. Cet échec le conforte, Les yeux fermés, aveuglé de lumière ocre, et de sel, il attend dans le bourdonnement de cet autre silence rythmé par le flot, à la manière d'un balancier. Immuable. Inflexible.

La mer recommencée sans cesse. Comme pour échapper à "midi le juste". sans doute, dans son idée de militer par le texte et par l'action, par le théâtre, dans un refus des idéologies bien alignées, dans un souci constant de l'autre. Et avec cette prudence, ce refus d'engagement (définitif) que l'on s'empressera chez les gourous
de l'existentialisme de qualifier de refus, de fuite, voire de lâcheté.

Les vagues se brisent et s'en retournent calmées par le sable sur lequel Sisyphe, tel un cloporte, pousse sa pierre.

 

[...]
LA PENSÉE DE MIDI

C'est avec René Char qu'il a découvert réellement la Provence. Celle qui s'abrite des grands froids de l'Alpe et qui, les vents passés, rend au ciel un bleu vif comme un silence sur ses plages d'errance. Dans les années cinquante, Camus voulait acheter une maison proche de L'Isle-sur-la-Sorgue où habitait le géant fraternel dont les mots et la présence faisaient passerelle avec une autre rive.

Dans un premier temps, il avait renoncé à ce projet, faute de moyens. Le prix Nobel lui permit d'acheter la belle et grande maison de Lourmarin, un petit village tapi contre le versant sud du Lubéron.

Depuis son balcon, il découvre l'échine de cette montagne domptée par le vent et sa lumière. Il regarde ces bosses vertes et grises piquées de cyprès et d'oliviers qui lui rappellent la grande plaine de la Mitidja, promesse de la mer toute proche.

Ces paysages peuvent sembler plus proches de ceux évoqués par Giono ou Bosco que ceux chantés dans Noces. En fait, ils en sont un peu le souvenir et le complément des rivages d'enfance. L'autre rive de cette pensée de Midi qui se construit toujours dans le contrepoids de l'histoire en mouvement.

Cette histoire dont il est si difficile d'être le témoin, prétentieux d'en vouloir être l'acteur, et désespérément dérisoire d'en prétendre désigner le futur.

Il ne veut, ne peut choisir face à l'oracle du grand soir. Alger, Palma, Naples ou Lourmarin. C'est encore le "premier soir après tant d'années. La première étoile au-dessus du Lubéron, l'énorme silence, les cyprès dont l'extrémité frissonne au fond de ma fatigue. Pays solennel et austère malgré sa beauté bouleversante." Le voilà dans cette nouvelle autre Méditerranée, dans cette "arrière-histoire" dont parle Char.

Le temps a passé. La mer a uni, désuni, raccordé, déchiré, ses rives ouvertes comme les lèvres d'une plaie douce au soleil et au sel. En cette terre, sous une pierre rapportée de Tipasa, repose Camus, et chaque jour "tombés de la cime du ciel, des flots de soleil rebondissent brutalement sur la campagne autour de nous.

Tout se tait dans le fracas et le Lubéron, là-bas, n'est qu'un énorme bloc de silence que j'écoute sans répit." Lourd comme celui des rivages, des flots et des pierres ivres. En haute terre de cette patrie Méditerranée. Ces paysages du Lubéron sont un peu le souvenir et le complément des rivages d'enfance.

L'autre rive de cette pensée de Midi qui se construit toujours dans le contrepoids de l'histoire en mouvement.

Cette histoire dont il est si difficile d'être le témoin, prétentieux d'en vouloir être l'acteur, et désespérément dérisoire d'en prétendre désigner le futur.


José Lenzini, Lourmarin.
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Il Sud e l'Unità d'Italia (9. La Sicilia)

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