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Se ve la cavate col francese vi consigliamo vivamente di leggervi questo libro di Oscar De Poli, Basato principalmente su Colpo d'occhio su le condizioni del reame dalle Due Sicilie nel corso dell'anno 1862 (testo anonimo, attribuito in talune bibliografie a Francesco Durelli, che pubblicheremo entro la fine di dicembre) lo scritto di De Poli narra una sequela impressionante di soprusi e di uccisioni avvenuti nell'ex-Reame delle Due Sicilie.

Grazie al testo di De Poli siamo venuti a conoscenza di altri testi, tra cui l'opera di Enrico Cenni su Napoli che prima o poi pubblicheremo.

Buona Lettura.

Zenone di Elea - 6 dicembre 2009

VICOMTE OSCAR DE POLI
VOYAGE
AU
ROYAUME DE NAPLES
EN 1862

PARIS
1863

(1)

INTRODUCTION
I — Religion............................................... 1
II — Finances............................................25
III — Armée...............................................47
IV - Justice................................................75
V — Prisons..............................................99
VI — Instruction Publique........................131
VII — Presse............................................147
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INTRODUCTION

Il y a dans la vie des peuples des phases terribles comme une expiation; sans doute Dieu ne les permet que pour mieux démontrer l'inanité des projets humains, quand ils ne s'appuient pas sur les éternels principes de la justice et du droit; il semble aussi qu'une nation n'ait de ces heures de larmes et de honte sans résignation que comme la lumière a son ombre, et pour qu'au bout du sentier douloureux, le passé renaisse plus compris, plus aimé, plus fort.

II

Était-il naguère un royaume plus florissant que la noble terre des Deux-Siciles? Où le commerce était-il plus riche et plus recherché? où le souverain était-il plus véritablement populaire? oùs approchait-il mieux, sans escorte; des plus humbles de ses sujets, dans les campagnes comme dans les villes? où la liberté de ceux qui respectaient l'autorité fondamentale était-elle plus large et plus complète? où la vie, enfin, était-elle plus belle, plus calme et plus aimée que sous le ciel napolitain?

Le paysan labourait en chantant, et, comme pour bénir perpétuellement le Dieu qui lui donnait un sol si fertile, il n'oubliait jamais de suspendre à sa charrue un rosaire, ou seulement une petite croix d'argent; dans les villes, la misère était inconnue; partout la propriété était respectée à l'égal de la loi.Si des arrestations avaient lieu, politiques ou autres, la détention préventive était de la plus courte durée, et finalement les tribunaux étaient appelés à juger, à condamner ou absoudre.

On n'avait pas encore édicté l'axiome hypocrite qui consiste, d'une part, à proclamer l'Église libre dans l'État libre, et, de l'autre part, à dépouiller l'Église, à changer les temples en casernes ou en écuries à emprisonner, à exiler les prêtres et les évêques.

Il suffisait, au temps des tyrans, de 70,000 soldats pour assurer l'ordre dans ce royaume de dix millions d'individus.

III

On pratiquait le recrutement, mais avec tant de paternité qu'il y avait toujours des exemptions pour la moitié des inscrits.

La magistrature était honorée, non-seulement par le gouvernement, mais aussi par le peuple, qui tous les deux avaient foi dans ses lumières et dans son intégrité.

Les prisons des Deux-Siciles, qui ont donné lieu à tant de dithyrambes anti-bourbonniens, ou, pour mieux dire, anti-napolitains, les prisons ne continrent jamais, dans un même moment, plus de quatre mille infortunés; encore est-il juste de dire que la majeure partie des prisonniers ne devaient pas leur captivité à des causes politiques. Ils avaient, du moins, une nourriture saine et abondante, et quant aux peines corporelles, ils ne les connaissaient que de nom.

La police, cette police si célébrée, si sabrée par les valets de la révolution, la police était si peu despotique, que les ennemis de la nationalité napolitaine purent préparer au grand jour une usurpation si audacieuse qu'elle paraît incroyable.

L'économie régnait dans l'administration des finances de l'État, à ce point que plusieurs budgets se soldèrent successivement en excédant de recettes, et cependant l'impôt n'était que de onze francs et demi par tête.

IV

La liste civile du roi était plutôt, malgré sa modicité, la bourse de toutes les infortunes, et jamais une calamité n'atteignait l'endroit le plus reculé du royaume sans avoir aussitôt dans le cœur du Roi Bourbon un paternel et généreux écho.On a vu un souverain napolitain soigner de ses propres mains et enrichir l'ouvrier que ses chevaux avaient renversé. On a vu, chaque jour pendant vingt ans, le roi, que les aristocrates démocratiques injuriaient du sobriquet de Bomba, se promener comme le plus simple particulier dans les rues de sa capitale, seul, absolument seul, n'ayant pour tout cortège que le respect et l'amour populaires. Le siège de Gaëte est là pour prouver au peuple napolitain que les nobles et touchantes traditions de sa maison royale sont toujours vivantes dans le cœur du chevaleresque fils de ses princes. Que dire, enfin, pour témoigner de l'alliance intime qui unissait le prince et les sujets? L'histoire parle, ou du moins elle parlera victorieusement, quand la sagesse des peuples aura balayé l'hypocrite ambition des minorités turbulentes, et quand la vérité se fera jour sur les pages coupablement obscurcies d'une époque qui n'a qu'à gagner à la comparaison.

Puisque j'ai prononcé ce mot, comparons donc. Je n'ai certainement pas la' prétention de convaincre ceux qui n'aiment et ne défendent que le camp qui les paye ou les galonne; M. Proudhon leur a déjà dit leur fait;

V

ce que je veux, c'est-établir statistiquement, au point de vue de l'intérêt comme au point de vue de la justice, l'immense supériorité de l'ancien gouvernement sur le gouvernement actuel. Quand les chiffres sont vrais, ils ont une éloquence à nulle autre seconde, éloquence brutale mais victorieuse. Ces chiffres, je m'efforcerai de ne les emprunter qu'aux sources officielles, ou au moins aux organes officieux de la prétendue régénération italienne.

Nous démasquerons les comédiens, et nous dirons le secret de la comédie, ou plutôt les chiffres et les faits le diront pour nous. Si l'on m'accuse de ne pas aimer le piémontisme, je répondrai, comme le fit dernièrement ce diplomate français:

Que voulez-vous? Je viens du royaume de Naples, et je rapporte la maladie du pays: j'abhorre les Piémontais.

On ne pourra me taxer d'exagération dans mes récits navrants, puisque je ne les emprunterai d'ordinaire qu'aux feuilles italianissimes; mais avant d'entrer dans le détail des hontes et des douleurs, qui forment l'histoire quotidienne de l'infortuné royaume des Deux-Siciles depuis l'invasion piémontaise, que l'on me permette au moins d'établir brièvement la comparaison dont j'ai parlé plus haut.

Le roi François II, au début de la guerre annexionniste, quittait sa capitale pour lui épargner les horreurs d'un siège.

VI

Les Piémontais ont brûlé vingt-neuf villes ou villages dans le royaume des Deux-Siciles.

Le commerce n'existe plus que de nom dans les ports; l'industrie semble morte pour longtemps; l'agriculture est ruinée, et si les soldats régénérateurs rencontrent par les champs quelque charrue où pende un rosaire, le laboureur est bâtonné, au nom de l'Italie une et de la liberté de conscience. Le paysan ne chante plus, ou s'il chante, c'est tout bas, l'hymne de la haine et de la vengeance.

Dans les villes, la misère est si grande qu'il n'est pas rare de rencontrer des bandes entières de mendiants, hâves, blêmes, décharnés, couverts de haillons indécents, et demandant la charité avec une insistance voisine de la menace.

Les vols et les assassinats se multiplient chaque jour dans d'effroyables proportions, et souvent, quand le juge intègre sonde ces forfaits pour y trouver la vérité, il reconnaît que le coupable esl un des hommes qui devraient au contraire être les piliers de la loi.A-t-on bien vraiment dévoilé le mystère des poignardeurs de Palerme?Non-seulement la magistrature n'est plus respectée du peuple, alors que des avocassiers tarés en occupent les premières charges, alors que, par intimidation ou par vengeance personnelle, se succèdent les condamnations iniques; mais le gouvernement piémontais lui-même semble estimera leur juste valeur les magistrats parjures à la maison de Bourbon,

VII

parjures à l'indépendance nationale, quand la Gazette officielle du royaume d'Italie enregistre souvent jusqu'à des centaines de destitutions ou de démissions forcées.

De l'aveu des commissaires piémontais, plus de trente mille Napolitains gémissent dans les prisons, coupables d'attachement à leur souverain légitime, sans pain, sans air, ne vivant que dans leurs immondices, demandant en vain des juges, la liberté ou la mort, et n'obtenant presque toujours que la plus hideuse séquestration ou la bastonnade.

On a spolié brutalement et maladroitement l'Église de toutes ses possessions; non-seulement on a ruiné cette protectrice naturelle des pauvres, mais on a été jusqu'à chasser les pauvres de leurs asiles jadis inviolables. On a semé la ruine, la misère, la honte; on a dépouillé en avilissant, en cherchant à éteindre le sens moral et jusqu'au bon sens dans les populations violemment annexées. Il s'est trouvé enfin un député du nouveau royaume libérateur, un Pantaleoni pour s'écrier, en montrant le poing à Naples épuisée d'impôts:

Oh! ils faut qu'ils payent, et nous les fusillerons jusqu'à ce qu'ils aient donné le dernier sou!

C'est la terreur qu'on a inaugurée dans cet infortuné royaume, si cruellement puni de n'avoir pas eu l'énergie de la première heure. Là, comme en Lombardie, les impôts sont de 63 p. 100;

VIII

mais, en dépit de cent vingt mille baïonnettes piémontaises, en dépit de soixante mille mouchards, en dépit des ordres sanguinaires de tels bourreaux déguisés en général ou en préfet, les deux tiers des impositions ne rentrent pas au trésor; l'or se cache, la misère s'accroît, et l'abîme d'un déficit incalculable se creuse journellement sous les pas des conquérants du Nord. Où est le temps où les budgets se soldaient en excédant des recettes? Le royaume des Deux-Siciles, formant les deux tiers du royaume d'Italie, lequel, malgré la spoliation des biens religieux ou royaux, accuse un déficit de deux milliards, - la part de déficit de Naples est donc de huit cent millions de francs, et cela deux années seulement après l'usurpation subalpine. D'incroyables dilapidations, d'énormes dépenses de police secrète, l'entretien d'une armée trop nombreuse au point de vue du chiffre de la population, la solde des épées ou des plumes vendues, telles sont, en peu de mots, les. sources de l' épouvantable situation des finances italiennes; si épouvantable, qu'un ministre même, Minghetti, s'est vu contraint delà définir ainsi en plein Parlement, et qu'elle a fait jeter une sorte de cri d'alarme à l'un de nos plus intelligents diplomates, le marquis de Lisle de Siry, à son retour des provinces méridionales. Comme derniers traits au tableau, qu'il nous suffise de rappeler que le roi d'Italie, de l'aveu de son ministre Pepoli,


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IX

ne put, un jour, trouver cinq cent mille francs sur sa signature, et, enfin, qu'il n'y a pas un mois, la presse nous révélait l'existence de lettres de change de cinq cents à deux mille francs, tirées par le trésor italien sur la maison Rothschild de Paris, à quatre mois de date. Ce serait risible en vérité, si ce n'était navrant 1

Voilà pour les finances; passons à l'armée. Est ce une armée, les légions que commandent des Nunziante, des Judas galonnés et repus, des renégats sans vergogne qui ont mis leur épée dans la boue plutôt que de la briser, des généraux qui déshonoreraient l'honneur même? Les galons et les crachats des Nunziante ne sont pas faits pour apprendre au soldat la bravoure et la fidélité. La conduite des agents subalpins n'a, d'ailleurs, rien que de logique: puisqu'on fusille l'honneur et le respect de la foi jurée, il faut bien qu'on décore le parjure et la honte. Ils souffrent, les nobles officiers sardes, qui, restés inviolablement attachés à la maison de Savoie, se demandent où est la Savoie, où vont leur prince et leur patrie! Ils ont obéi, mais ils déplorent; ils obéissent, mais ils pleurent dans l'ombre quand leur épée s'est inclinée devant les traîtres et les bourreaux!

On a vu des bataillons, par fatigue ou tout autre motif peut-être moins excusable, refuser de marcher contre les insurgés napolitains, et tirer au sort à qui partirait pour les Abruzzes.

X

On a vu des soldats piller les métairies qu'ils devaient protéger contre les prétendus brigands. En une seule année, quinze cent soixante Napolitains désertèrent des rangs piémontais; d'autres, par milliers, cruellement exilés de leur patrie, gémissent dans les forts de l'Italie septentrionale. On a vu un général piémontais, le marquis de Faverges, cravacher un factionnaire, par cette raison qu'il le savait Napolitain. La conscription enfin provoque tant d'enthousiasme parmi la jeunesse annexée, que les trois quarts des recrues passent à Rome, à Malte ou aux réactionnaires armés.

La révolution italienne devait délivrer le pays du joug autrichien. L'Autriche est encore à Venise, plus tranquille que le Piémont n'est à Turin même; mais les princes italiens ne sont plus à Naples, à Modène, ni à Parme; laissant aux Français la tâche de vaincre les Autrichiens, le Piémont n'a bombardé, fusillé, dépouillé, vaincu que des Italiens! Les régénérateurs annexèrent en promettant la liberté, c'est-à-dire toutes les libertés, individuelle, de presse, de conscience, municipales;j'ai dit que les prisons regorgent; j'ai rappelé ces détentions préventives qui durent depuis deux ans, sans que le motif en soit connu des juges mêmes, et qui menacent de ne finir que par le typhus, comme à Potenza et à Palerme; encore, je passe sous silence les interrogatoires sans fin et sans raison, les arrestations arbitraires sur simple dénonciation anonyme,

XI

les perquisition domiciliaires poussées parfois jusqu'au cynisme de l'immoralité, les bastonnades des sbires déguisés, les vols et les meurtres quotidiens. A Lecce, par exemple, sous les tyrans, il suffisait d'un seul commissaire de police, aux appointements de 1,400 francs, pour assurer la tranquillité des citoyens; aujourd'hui, sous le régime libérateur, Lecce a quatre commissaires de police, qui touchent chacun 4,000 fr. par an, et la ville est inhabitable.

Plus j'étendrai cette impartiale comparaison, plus elle fera honneur au gouvernement des Bourbons.

La liberté de la presse n'existe qu'à la condition de paraphraser les ukases piémontistes. Soyez journaliste indépendant, polémiste catholique, soyez napolitain, chaque jour vous amènera une saisie, et puis, si ce moyen légal ne vous décourage pas, des mouchards, le révolver au poing, viendront bâtonner vos compositeurs, briser vos presses, lacérer vos feuilles, détruire vos caractères;heureux serez-vous, si vous sortez sain et sauf des mains des agents régénérateurs, et si, le lendemain, le procureur du roi Victor-Emmanuel ne vous fait emprisonner et condamner à sept ou huit mille francs d'amende et quelques années de galères, pour écrits hostiles aux lois fondamentales du royaume d'Italie. Tel a été le sort des rédacteurs du Napoli, du Monitore, du Contemporaneo, du Difensore, de l'Ingenuo, de l'Eco, de l a Stella del Sud, et de tant d'autres qu'il est superflu de nommer.

XII

N'avons-nous pas vu des gendarmes piémontais river la chaîne et le boulet au pied d'un gentilhomme français, d'un soldat de Crimée, du noble comte de Christen? C'est au bagne, après un semblant de procédure plus ignoble que dérisoire, que le Piémont jette un officier français,naguère, son loyal et courageux adversaire, et cela, sans doute au souvenir des victoires de Magenta et Solferino, qu'on ne nous pardonnera jamais d'avoir remportées pour d'autres.

L'ingratitude est l'indépendance du cœur. C'est la seule indépendance que pratique le piémontisme.

Le piémontisme est protestant d'essence; la loi catholique étant son éternelle condamnation, il ne peut, malgré toutes les belles théories du feu comte Cavour, que lui faire une guerre de vie ou de mort. La liberté du culte catholique, du seul culte reconnu par le Statut, n'est même plus possible avec les théories et les vues du gouvernement subalpin; il n'est pas un prêtre intelligent et de bonne foi qui ait signé l'adresse du commandeur Passaglia, ou il s'est rétracté. Je suis en cela de l'avis de M. Emile de Girardin. Passaglia, c'est encore un renégat qu'on a affublé d'un cordon Il n'y a d'honneurs là-bas que pour le déshonneur. Donc, on abat les croix, on brise les images saintes, on profane les églises, on dépouille les autels, on dépouille les tabernacles, on exile les prêtres, on emprisonne les évêques, et de ces nobles prélats,

XIII

quelques-uns ne pouvant résister à tant d'ignominies et de mauvais traitements, y succombent dans les cachots des libérateurs.

J'ai eu l'honneur de présenter mes respects à Turin, à S. Em. le Cardinal Archevêque de Fermo, emprisonné depuis deux ans, sans jugement, sans interrogatoire, et, au dire du général Fanti, son premier geôlier, par simple mesure de précaution. Ainsi l'on décore les Passaglia et les Prota, pendant qu'on met les vertus sous les verroux. Voilà comment l'Église est libre dans l'État libre!

Quant à la liberté la plus chère au cœur de tout homme, la liberté du sol, de l'autonomie, l'indépendance nationale, que dis-je? la liberté même de la comparaison, n'est point permise au peuple des Deux-Siciles:

Écoute, lui dit-on, non-seulement tu ne dois ni parler, ni te plaindre; mais tu ne dois pas même te souvenir du passé!

On reprochait aux Bourbons de s'étayer sur les lazzaroni; le Piémont les a faits chevaliers de ses saints. On a chanté, sur tous les tons révolutionnaires, la complainte du martyr Poërio, ce masque de fer créé à trois sous la ligne, qui, de son propre aveu, mangeait dans son cachot des petits pois au mois de mars; - ce martyr saugrenu, aujourd'hui vice-président du Parlement italien, doit bien rire quand il y pense; que ces sortes de gens doivent mépriser les hommes et les peuples!

XIV

Mais, est-ce un conte fantastique que le tableau des prisons de Palerme, par exemple, tableau déroulé hier sous les yeux du Parlement, par le député italianissime Crispi? Tant de cris de douleur, tant de sanglots, tant de larmes ne peuvent que toucher bientôt le Dieu des armées et des peuples, le Dieu de justice et de liberté.

Parlerai-je des Fumel et des Fantoni, des bourreaux et des assassins patentés? Parlerai-je des victimes, de ces prétendus brigands, Vendéens des Siciles, qui tiennent haut toujours le drapeau royal de l'indépendance, de ces paysans dont on mure les chaumières si on ne les brûle pas, et qu'on fusille s'ils ont avec eux plus d'une livre de pain? Bourbonnien et fusillé, dans les campagnes, sont deux mots inséparables; pas de procès, pas de jugement, une poignée de balles, et justice est faite. La Commission parlementaire des brigands établit officiellement que près de dix mille Napolitains ont été fusillés par les Piémontais depuis l'annexion. La vieille Europe, qui a tant de larmes pour la Pologne, sera-t-elle toujours marâtre pour l'infortunée patrie du royal héros de Gaëte?

Quand on considère l'effroyable chiffre de ces exécutions sommaires, et qu'on se rappelle que, sous les Bourbons de 1847 à 1861, il n'y eut pas une exécution capitale, pour faits politiques, dans les Deux-Siciles;

XV

quand on rapproche des sauvages proclamations des Fumel, des Cialdini, des Brignone, des Pinelli, des Fantoni, de toute cette bande de lieutenants subalpins, les loyales et paternelles proclamations du roi François II, si débordantes d'honneur et d'amour;quand on compare à la férocité des chasseurs de brigands la proverbiale clémence du roi tant calomnié Ferdinand II, on se demande si le Piémont n'est point pour Naples, comme un autre fléau de Dieu, et si le châtiment ne frappe point ce peuple de dix millions d'âmes, pour avoir méconnu le calme et le bonheur dont il jouissait; mais en même temps, on reprend espoir et confiance: le roi des Huns mourut vaincu.

La Jeune-Italie, ce clan de poignardeurs qui a fait la révolution actuelle, avait mis à prix la tête de Ferdinand II, promettant au régicide la récompense de cent mille ducats. Le Piémont devait payer plus tard à la mère d'Agésilas Milano la dette de la Jeune-Italie.

Ferdinand II n'avait-il pas le droit de sévir? Et cependant, en vrai Bourbon qu'il était, il ne cessa de pardonner et d'amnistier. - A la suite des événements de 1848, le Parlement sicilien avait proclamé audacieusement la déchéance de la maison de Bourbon; vaincus, les représentants ne furent même pas inquiétés par le roi vainqueur; un d'eux, dont le nom m'échappe, le disait, il y a peu de jours encore, au sein du Parlement italien.

XVI

Rappelez-vous, en regard de cette clémente indifférence, le meurtre du noble colonel Anviti et l'infamante condamnation de l'innocent comte de Christen. L'infamie ne retombe, il est vrai, que sur les juges et les bourreaux. Mais les preuves manquent-elles de la générosité chevaleresque du royal père de François II?

Sire, lui disait en 1848, le prince de San-Giacomo, Naples est en insurrection; il y a des barricades partout; j'étais à Paris en 1830; je vois ici la répétition de juillet; Sire, il faut une énergique défense.

Me conseilleriez-vous donc de faire tirer sur le peuple? interrompit Ferdinand II en fronçant les sourcils.... Non, non, c'est impossible! Jamais!

Le général d'Ischitella, présent à cette conversation, s'écria:

- Sire, en ce cas tout est perdu: plus de couronne et plus de roi!

Ferdinand se tourna avec calme et dignité vers le prince en lui disant:

Vous avez entendu, ce sont de cruelles paroles! Oh! je conçoïs que les hommes de guerre veuillent se battre! Mais, autant il est honorable pour un soldat d'exécuter l'ordre qui, en face de l'ennemi, l'appelle au champ de bataille, autant il est affreux pour un roi, parmi les siens en rébellion, de donner le signal des massacres!...

XVII

Est-ce un cœur sanguinaire qui peut dicter d'aussi nobles paroles?

Le lendemain, quand le bruit de la fusillade frappa les oreilles du roi:

Épargnez mes enfants égarés, s'écria-t-il; faites des prisonniers, mais ne tuez pas!

Pendant le combat, les membres du Corps diplomatique s'étaient rendus auprès de Ferdinand II, afin de l'entourer de la force morale qu'ils représentaient. Ils trouvèrent le roi avec ses frères; sa physionomie était altérée mais non abattue. Le duc de Rivas, ambassadeur d'Espagne, parlant au roi, Ferdinand mit la main sur son cœur et répondit de l'accent le plus profondément ému:

Duc de Rivas, le ciel m'est témoin que tout ce qui se passe me déchire l'âme; c'est malgré moi. je vous le jure! Ah! Dieu seul sait combien je souffre!

Après la victoire, le roi donna cours à son inépuisable clémence. Le colonel Longo, déjà pris et gracié dans une première conspiration, avait de nouveau déserté son drapeau. Fait prisonnier en Sicile, il fut condamné à mort par un conseil de guerre. Le ministre de la guerre insistait pour que la sentence fût exécutée; mais Ferdinand commua la peine, en disant:

Vous voudriez faire un exemple; moi, je fais grâce!

Tel était le cœur de ce roi sur lequel les affiliés de la Jeune-Italie ont épuisé le vocabulaire


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XVIII

de leurs injures et de leurs calomnies.

Oui, oui, calomniez: il en reste toujours quelque chose; mais ne croyez-vous donc pas au jugement de Dieu? De quel roi Bomba nous parlez-vous encore! Avez-vous compté les bombes de Gênes, de Gaëte, d'Ancône et de Castellamare? Vous avez eu besoin longtemps de l'état de siège pour garder votre conquête, et le même décret, qui le faisait cesser, confirmait aux préfets et aux généraux leurs pouvoirs exceptionnels. Triste et sanglante comédie, où tout est rouge, depuis le pavé des rues jusqu'aux chemises de vos héros, jusqu'aux fronts de ceux des vôtres qui ont encore du cœur!

Est-ce un Parlement national, que ce groupe de quatre cent cinquante députés nommés par cent mille Italiens sur vingt-cinq millions? Sont-ce les représentants d'une nation, ces coureurs de carnaval, ces paradeurs de corso de gala, qui désertent le Parlement pour la mascarade, à l'heure même où le ministre des finances, déclarant la patrie en danger, avouait un effroyable déficit et proposait un nouvel emprunt de sept cent millions? De quatre cent cinquante, il en vint sept.... les sept sages sans doute. L'Italie n'est-elle donc autre chose qu'un navrant carnaval?

Est-ce un Parlement, un Parlement national, que la Chambre où siègent des renégats et des vendus, des lâches et des meurtriers, Gallenga,

XIX

qui devait assassiner le roi Charles-Albert, Spaventa, l'apostat napolitain, Liborio Romano, «cette rare figure de traître,» et tant d'autres haillons? Est-ce en honorant la lâcheté, la trahison et le régicide, que l'on prétend régénérer les peuples italiens?

Cette monarchie d'hier n'est qu'une constante anarchie; ce volume tout entier est fait pour le démontrer; entre les royalistes napolitains, qui veulent François II, et les héros de la Jeune-Italie qui veulent Mazzini à la tête d'une république, l'unité italienne risque fort, il nous semble, de sombrer demain dans l'un ou dans l'autre abîme. Nous l'avons dit ailleurs: L'Italie s'agite et Mazzini la mène. C'est l'homme de l'idée, de l'idée prêchéepar le meurtre, qui a commencé l'œuvre utopique de la douloureuse unité. Il n'a considéré et ne considère le Piémont que comme un marchepied nécessaire; le Piémont a travaillé pour lui; déjà Mazzini lève audacieusement la tète; il institue, il sacre un État dans l'État, il rompt hautement, lui et les siens, avec la Monarchie; il déclare, dans une de ces lettres sombres et émouvantes qu'il lance de temps à autre comme des bombes d'avertissement, que l'Italie étant infaisable avec la Monarchie, il faut jeter bas la Monarchie et reprendre le sentier douloureux au bout duquel jaillira la régénération glorieuse. On sait ce que Mazzini veut dire: les poignards s'aiguisent!

Le mazzinisme est le cancer de l'avenir; il ronge

XX

intimement l'Italie; il la démoralise, il la gangrène; le mal fait des progrès d'autant plus rapides que les gouvernants semblent aveuglés aussi bien sur le point de départ que sur le but de l'unité. Un jour, un jour qui n'est pas loin peut-être, les hommes qui sauveront la noble terre d'Italie, qui rendront aux peuples foi, respect, amour, indépendance, nationalité, union, ceux qui leur rendront la conscience et la confiance, l'honneur et le bonheur, seront ceux-là même qu'aujourd'hui les Cialdini traquent comme des bêtes fauves, les soldats qui n'auront pas cessé, devant Dieu et devant les hommes, de souffrir et de combattre pour leur religion, pour leur roi, pour leur patrie!

C'est avec intention que je n'ai point encore parlé, dans cette rapide introduction, de ces héroïques et fidèles Napolitains que le Piémont régénérateur qualifie officiellement du titre de brigands.

Étaient-ce des brigands, les Irlandais qui, sur la fin du dernier siècle, tentaient de se soustraire au joug de la Grande-Bretagne? Ëtaient-ce des brigands, nos pères, les Vendéens et les Bretons, qui mouraient en combattant pour leurs foyers et leurs convictions? Sont-ce des brigands ces vaillants Polonais que le nombre n'intimide pas, et qui courent à la victoire ou à la mort?

Non, vous aurez beau multiplier les ukases mensongers et les ordres sanguinaires, vous aurez beau bombarder,

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brûler, murer, fusiller les femmes, les enfants, les vieillards, vous aurez beau perpétuer sous le soleil sicilien la présence de vos cent mille baïonnettes et de -vos soixante mille sbires, vous aurez beau redoubler d'espionnage et de cruauté, vous ne ferez pas que ces dix millions d'habitants courbent humblement la tête sous les fourches subalpines, vous ne ferez pas qu'ils perdent jusqu'au sens de la comparaison, jusqu'au souvenir du calme et de la prospérité passée, et qu'ils oublient enfin le preux fils de leurs rois en faveur de l'ex-duc de Savoie.

Qui donc appelez-vous les brigands? Les soldats de Chiavone, de Pilone, de Cipriani, de Ninco Nanco, de Crocco, de Chiavone et de tant d'autres officiers ou sous-officiers de l'ancienne armée royale napolitaine.

Le Piémont fusille les brigands; il fusille les complices des brigands; il fusille ceux qui sont prévenus d'être suspects de complicité avec les brigands; parfois, il fusille le père pour le fils, ou l'oncle pour le neveu, comme il est arrivé à Bari et à Foggia; il fusille les femmes des brigands, il fusille des pâtres de quinze ans, il fusille les prêtres de Jésus-Christ qui donnent un morceau de pain aux brigands affamés, il fusille les paysans qui ne se font pas dénonciateurs, il fusille les pères des brigands ou des réfractaires, ce qui est synonyme, même quand ils ont plus de soixante-quinze ans, il fusille partout et toujours, sans relâche, sans vergogne, sans pitié,

XXII

et la vie d'une population entière ne dépend que du caprice ou de la mauvaise humeur d'un ivrogne subalpin.

Les gens indifférents ou prévenus n'adressent qu'un reproche à ceux que les héros de l'annexion croient injurier en les traitant de brigands: c'est de rançonner tout ce qui n'est pas royaliste napolitain, et particulièrement tout ce qui tient de près ou de loin au Piémont. Ces honnêtes lecteurs des feuilles piémontistes décorées de vert, apprécient la situation du royaume de Naples, des mêmes yeux que la situation de la France, régie uniformément et sans trouble, sans opposition implacable, sans protestations armées; ils ne se demandent pas ce qu'ils penseraient et ce qu'ils feraient, si demain la France était envahie par des hordes de cosaques et annexée sous je ne sais quel prétexte d'affinité de races, et derrière je ne sais quelle comédie de votation populaire.

Il est beau de combattre pour la pairie, de risquer sa vie pour l'indépendance nationale et de se soustraire au joug infamant de l'étranger. On n'éteint pas les nations avec des décrets, des boulets et des bourreaux: la Pologne le prouve. Le temps qui efface tout n'a pas assez d'un siècle et demi pour effacer dans le cœur d'un noble peuple le sentiment de sa vie et de sa dignité nationales. L'heure de la justice est parfois lente à sonner, mais Dieu permet tôt ou tard qu'elle sonne, surtout quand la protestation ne meurt pas et que des brigands

XXIII

restent l'arme au poing sur le sol qui les a vus naître.

Cette question des brigands mérite d'être approfondie et résolue-; le cadre de cette introduction exige la rapidité; je dois donc dire beaucoup en peu de mots.

Il n'est pas une révolution sociale, pas une révolution politique qui n'ait suscité de plus ou moins violents réactionnaires, soldats loyaux, énergiques, convaincus,et à la fois, comme ombre au tableau, de misérables voleurs de grands chemins qui exploitent la tourmente sociale et ne méritent que le nom de bandits.L'ivraie pousse à côté du meilleur grain, surtout en politique, et les ouragans révolutionnaires suscitent en général plus de turpitudes que de vertus. Mais confondre les voleurs de grands chemins avec les légions royales napolitaines, aussi valeureuses qu'intègres, c'est se faire le complice du piémontisme, l'écho servile de cette ridicule commission parlementaire à qui la peur a dû fermer les yeux.

Les Piémontais, à Sora, ont massacré le père de Chiavone; Chiavone renvoie ses prisonniers sains et saufs. Les Piémontais ont brûlé la chaumière de Pilone; Pilone ne fusille que les Napolitains traîtres à leur patrie et à leur roi. Le frère de Cipriani a été fusillé par les Piémontais; Cipriani renvoie ses prisonniers sans armes, nu-tête, nu-pieds, comme pour leur faire expier ignominieusement le crime de l'invasion et le meurtre de sou frère. - Comparez si vous le voulez, les Chiavone, les Cipriani et les Pilone, aux Pinelli, aux Fantoni et aux Fumel.

XXIV

Quant à la question si délicate des rançons, je ne crois pouvoir mieux la résoudre qu'en rapportant ce passage d'une lettre d'un chef de brigands: «Les Piémontais vous diront que nous sommes des voleurs; la vérité est que nous prenons, à eux et à leurs amis, tout ce que nous pouvons prendre; aux étrangers nous donnons des reçus que nous appelons bons de restauration; aux Napolitains fidèles, comme à tous ceux qui portent quelque passe-port royal en règle, non-seulement nous ne prenons rien, mais nous sommes à leur disposition contre les exactions de la soldatesque piémontaise. Le pays est en guerre, nous sommes en guerre avec les envahisseurs, et en guerre, tout est de bonne prise sur l'ennemi. Les soldats piémontais nous ont dépouillés de tout, de notre capitale, de notre indépendance, de notre personnalité.

Ils ont chassé notre roi, brûlé nos villes, gaspillé nos finances, fusillé nos frères et brutalisé nos filles. Quel citoyen loyal oserait nous blâmer de garder les armes à la main pour l'honneur de notre patrie, et pour dépouiller nos spoliateurs plutôt que d'être à charge aux pays qui nous abritent? Les populations sont toutes à nous, sauf quelques meneurs intéressés, et Dieu aussi est avec nous! Dieu est avec tous les peuples qui ne veulent pas de l'étranger...»

XXV

Je sais le véritable nom de l'auteur de cette lettre si remarquable; oh! ce n'est point un brigand, un misérable voleur, un vulgaire assassin qui peut écrire et parler ainsi. C'est la voix de l'honneur qu'il fait entendre, et celle de la justice. Avec de tels hommes, la résurrection est indubitable.

Comment les Piémontais ont régénéré l'Italie, on vous le dira dans les vingt-neuf villes ou villages qu'ils ont brûlés; mais moi je vous dirai, pour que vous les jugiez sans appel, une de ces histoires si horribles qu'elles paraissent invraisemblables.

Il y a peu de temps, j'ai retrouvé à Venise un jeune Napolitain que j'avais rencontré pour la première fois à Rome. Il a seize ans, une belle et énergique stature, de beaux traits pâles et tristes, un regard sombre et fier.

Comment t'appelles-tu? lui demandai-je avec un intérêt que je ne m'expliquais pas.

- Mariangelo Pergola.

Où es-tu né?

- A Ponte-Landolfo.

Pourquoi n'es-tu pas dans ton pays?

- Ils l'ont brûlé!

Qui?

- Les Piémontais.

Ton père?

- Ils l'ont fusillé.

XXVI

Et ta mère?...

Je vis deux grosses larmes tomber avec un éclair des yeux de l'enfant, et j'entendis rugir un féroce anathème.

Écoutez, me dit Mariangelo, j'ai tué dix-huit Piémontais... je les ai tués dans les Abruzzes... dix-huit! Et savez-vous pourquoi? parce que... dans ma chaumière... sous mes yeux... j'étais attaché au lit... ma mère... ma pauvre mère... ils étaient dix-huit!... elle est morte... j'en ai tué dix-huit!

Savez-vous une scène d'horreur plus émouvante et plus atroce? Comment la malédiction de Dieu ne s'appesantirait-elle pas sur l'idée, quand tels en sont les soldats? Je cite un fait entre mille, un des plus horribles, c'est vrai; mais à lui seul ne suffit-il pas à éclairer l'histoire de l'invasion piémontaise et à stigmatiser sans retour tant de brutalité et tant d'infamie?

Il faut rire au nez du général la Marmora, décrétant qu'il n'y a que quatre cent vingt brigands dans le royaume de Naples; c'est à peine le montant de la bande de Chiavone. 11 faut rire au nez de cette grotesque commission parlementaire qui, renchérissant sur la burlesque assertion du proconsul la Marmora, n'accuse et ne reconnaît l'existence que de cent trente-neuf brigands, - pas un de plus, pas un de moins.

Eh bien! que font donc là-bas vos cent vingt mille baïonnettes, vos gardes nationales mobilisées, vos bandes


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XXVII

de sbires et vos canons rayés? Est-ce que les bras de vos soldats sont las de fusiller, ou ces bras

ont-ils_peur? Allons donc! avouez que vous campez dans les Deux-Siciles, que vous avez escamoté l'annexion, que les populations sont unanimement avec les brigands et maudissent les régénérateurs. Partez, rendez à cette noble terre que vous avez inondée de sang, que vous avez semée de ruines, rendez-lui son honneur, sa nationalité, son indépendance, sa vie; rendez-lui son roi, ce jeune héros à qui le monde a fait de sa défaite un immortel piédestal, rendez-lui ce roi Bourbon dont le cœur a tant d'amour, et la parole tant de loyauté.

Ne dites pas que cette crise est nécessaire et transitoire; non, rien ne peut excuser cet état de choses qui n'a de nom dans aucune langue, cette anarchie prêchée, protégée, constante, cet implacable espionnage, ces arrestations arbitraires, ces interminables détentions préventives, les escalades nocturnes, le scandale d'indécentes perquisitions, l'impudence des dilapidations, le despotisme des interrogatoires, l'infamie des fusillades sans jugement, rien ne peut peut excuser le piémontisme dans le royaume des Deux-Siciles.

Après tant de tyrannie, après tant de violences et de sang répandu, de même qu'autrefois en Europe «le Roi» voulait dire le roi de France, de même, aujourd'hui, du nord au midi du royaume de Naples,

XXVIII

pour les gens des villes et ceux des campagnes, dire «le roi» c'est nommer François II.

Rien pourrait-il mieux peindre la situation, et n'est-ce pas le plus bel éloge que puisse adresser ce peuple infortuné au roi-héros avec lequel il est tombé?

Il est temps de terminer cette introduction déjà si longue, et de dire que tout ce qui va suivre ne sera que le détail et la corroboration des pages qu'on vient de lire; à ceux qui me suivront dans ce voyage politique à travers le royaume des Deux-Siciles, à moins qu'ils ne soient ce qu'a dit M. Proudhon, je prédis qu'ils prendront en haine l'utopie sanguinaire de l'unité italienne, et qu'il grossiront les rangs des champions de l'indépendance napolitaine.

J'ajouterai que je dois la majeure partie de ce travail à une remarquable brochure, qui vient de paraître en Italie: Colpo d'occhio su le condizioni del Reame delle Due-Sicilie nel corso dell'anno 1862. Mais j'ai dû faire également quelques emprunts aux trois œuvres ci-dessous désignées:

De l'état des choses à Naples et en Italie, par M. Jules Gondon.

Le suicide de l'Unité et la Confédération en Italie, par M. le marquis de Palomba.

Le roi de Naples, sa vie, ses actes, sa politique, par par M. Albert de Dalmas, aujourd'hui député au Corps législatif.

Ve Oscar De POLI.

RELIGION

l'Église libre d'une État libre

Si l'on pouvait douter de l'impiété des meneurs unitaristes, de leur haine du catholicisme et de leurs visées sacrilèges, il suffirait de placer, en regard de cet axiome de l'hypocrisie révolutionnaire, l'histoire des persécutions infligées à l'Église par les hauts et bas agents de l'unité italienne;mais un gros volume n'y suffirait pas, et d'ailleurs nous ne devons retracer ici qu'une sorte de tableau synoptique des faits honteux et douloureux qui composent la seule année 1862.

Les révolutionnaires sont les mêmes partout, et l'Église, l'ennemie née de toute fraude et de toute injustice, est partout la première victime de ces étranges régénérateurs.

2

Il semble qu'ils ne veuillent pratiquer à son égard que les lugubres et insensées théories formulées naguère par un des leurs (1):

«Il faut déshonorer le catholicisme! Ce n'est pas assez; il faut l'étouffer dans la boue.»

On les voit déposséder les religieux, souiller et spolier les églises, les changer en écuries, changer les couvents en casernes ou en maisons de joie, mettre le clergé hors du droit commun, emprisonner et détenir sans jugement, exiler, fusiller les prêtres, donner cours, en un mot, à l'assouvissement de leur haine plus absurde encore que farouche, et faire envier aux populations catholiques le joug humiliant des sectaires de Mahomet. Et cependant la religion n'est pas qu'un devoir, elle est un droit; c'est le plus puissant rameau de l'arbre de la liberté, et, quand ce rameau dépérit, la vie se tarit aux sources sociales.

Il est consolant, toutefois, de constater que les persécutions n'ont pu que donner une gloire nouvelle au courageux clergé des Deux-Siciles; car, sauf quelques prêtres d'occasion, futurs chevaliers des Saints Maurice et Lazare, l'unanimité du clergé proteste ouvertement contre l'invasion et la spoliation piémontaises. Fidèles à Dieu et au roi, les pasteurs napolitains méritent l'admiration de la catholicité, et leur noble attitude pèsera sans doute

(1) Edgard Quinci

3

beaucoup dans la balance de celui qui permet les défaites et donne les victoires.

Il va sans dire que cet exposé ne contiendra pas tous les incidents douloureux et tous les crimes anti-religieux de la dernière année; mais nous tâcherons d'y grouper, avec preuves à l'appui, tout ce qui peut éclairer le lecteur impartial.

II

Le député Petruccelli della Gattina, dans la séance du 18 juillet, dit que «de la statistique présentée parle» garde-des-sceaux, il résulte que, sur soixante-cinq évêques des provinces méridionales, cinquante-quatre sont n mis au ban de la loi.»

Le même député, dans la séance du 28 novembre, avec une franchise dont il faut lui savoir gré, déclare «fausse, la politique qui veut faire croire qu'il peut y» avoir une Église libre dans l'État libre: Église et liberté» étant deux lignes parallèles, qui ne peuvent s'unir et» qui se prolongent à l'infini.»

Le député Ferrari, séance du 29 novembre, parle de «ce jeu de mots impossible de Cavour: l'Église» libre dans l'État libre.»

- A deux reprises, l'éminentissime cardinal-archevêque de Naples est brutalement assailli par des agents de police.On sait que son inépuisable charité et son infatigable zèle apostolique lui avaient concilié l'amour du peuple.

4

Les archevêques de Salerne, de Conza. D'Acerenza et de Trani courent les plus graves dangers, dans le sac de leurs palais archiépiscopaux, dont ils sont expulsés par une populace soudoyée. L'évêque de Castellaneta, grièvement blessé, n'échappe à la mort que par miracle.

On incarcère despotiquement et brutalement les archevêques de Reggio, de Sorrente, de Rossant), et les évêques de Capaccio-Vallo, d'Anglona et de Tursi, dont l'innocence et la sainteté sont dans toutes les bouches.

On arrête arbitrairement l'évêque d'Avellino, et on l'envoie entre quatre gendarmes à Turin, où il demeure longtemps prisonnier. Le gouvernement pensant enfin à le mettre en liberté, le trop fameux préfet Nicolas de Luca s'y oppose par cette raison «qu'il a fait appel au» peuple et que le peuple ne veut pas de monseigneur.» Or, le peuple, dont parle ce Nicolas, le peuple consulté n'est rien de plus qu'un misérable trio de défroqués.

- Les journaux indépendants de Naples, à ce propos, font les remarques suivantes: «Quand les municipes napolitains demandent au gouvernement le rappel des évêques, comme il est arrivé dans plusieurs diocèses, le gouvernement répond que les évêques sont parfaitement libres (1). En même temps il donne aux évêques le conseil de ne pas retourner encore dans leur ville épiscopale, pour n'être pas exposés aux hostilités et aux réactions. En attendant, il les regarde comme absents volontairement, et confisque les menses épiscopales; de plus, il excite le zèle de ses receveurs, en leur accordant une prime de trois à vingt pour cent sur tous les revenus épiscopaux qui entrent au trésor.»

5

Rappelons la mort de monseigneur Dominique Ventura, archevêque d'Amalfi, qui avait été éloigné de son diocèse. Au milieu des larmes et des sanglots de la fidèle population d'Amalfi, le corps du saint prélat fut transporté dans sa cathédrale. La cérémonie funèbre fut troublée par des actes assez indignes pour motiver les interpellations de l'honorable sir G. Bowyer au sein du parlement anglais: «L'église fut envahie par la soldatesque, et de nombreux coups de poignard furent donnés au cadavre de l'archevêque d'Amalfi; ce ne furent même pas les seules indignités commises par les troupes.»

Les évêques d'Aquila, de Castellamare, d'Andria, d'Isernia, de Bovino et de Sora, sont violemment expulsés de leurs sièges épiscopaux. Les trois derniers succombent aux mauvais traitements dont ils ont été victimes.

On déporte brutalement les évêques de Sessa et de Teramo. Monseigneur Celcàa, évéque de Patti, est également relégué à Palerme pendant deux années, au bout desquelles on le force à quitter la Sicile et à s'embarquer pour Livourne.

Pour accomplir le devoir de leur saint ministère, les évêques de Nardo et de Lecce protestent publiquement contre les apostasies de quelques-uns de leurs prêtres dévoyés, et envoient au Souverain-Pontife des adresses de dévotion. Le gouvernement y répond en les expulsant de leurs diocèses sous l'escorte de gendarmes piémontais.

- Soixante gendarmes se rendent en grand appareil, au palais épiscopal de Foggia, opèrent l'arrestation de monseigneur Frascolla et l'escortent jusqu'à la prison publique de Foggia, où le saint prélat est confondu avec les voleurs et les assassins. Le 30 septembre, la cour d'assises de Foggia le condamne à deux années de prison et 4,500 francs d'amende.

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L'archevêque d'Otrante et treize prêtres de son diocèse sont condamnés à l'amende. Le chanoine Ciulli est condamné, par la cour d'assises de Foggia, à une année de prison et 2,000 francs d'amende.

- L'évêque d'Euménie, prélat ordinaire d'Altamura et d'Acquaviva, adresse une lettre d'exhortation aux élèves d'un séminaire créé par lui en 1882, et dirigé avec la plus incontestable habileté. Le préfet prend le prétexte de cette lettre pour enlever brusquement à l'évêque la direction du séminaire et la donner au maire (sic).

III

Comme si les conditions du clergé n'étaient pas encore assez douloureuses, comme s'il n'avait pas été abreuvé d'assez d'outrages, le ministre garde-des-sceaux, Conforti, lance contre lui deux circulaires (1), recommandant aux magistrats «de frapper sans hésitation, et avec la plus grande sévérité, tout acte des prêtres ou des évêques se ressentant de tendances politiques contraires aux intentions du gouvernement, et d'encourager par tous les moyens les prêtres rebelles à leurs évêques et infidèles à leurs devoirs envers l'Église.»

Ce n'était pas encore assez. Le même ministre/ vers la fin du mois de juillet, proposait au parlement d'approuver la loi suivante:

ART. 1er. Ne seront pas admis ni reconnus dans le royaume, et ne pourront avoir civilement effet, encore moins être exécutés au dehors,

(1) 10 avril et 3 juillet.


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les décrets des évêques diocésains et de leurs tribunaux portant suspensions ou destitutions d'offices ou de fonctions ecclésiastiques, s'ils n'ont pas été signifiés par écrit et ne contiennent l'exposition des raisons et faits qui y ont donné lieu. Le mode de procédure dit ex informatâ conscientiâ, ou tout autre de même nature, n'est pas admis dans le royaume.

ART. 2. Les susdits décrets devront être motivés par des faits qu'on puisse déduire devant les tribunaux; les évoques communiqueront au tribunal compétent les faits qui ont donné lieu à leur décret, afin que le magistrat séculier prononce sur ces faits mêmes; après quoi, l'évêque pourra procéder à l'application de la peine ecclésiastique, que les lois du royaume reconnaissent de sa compétence. Si le fait était assez grave pour encourir l'immédiate application de la peine ecclésiastique, les évêques pourront la décréter en suite du vote du chapitre de la cathédrale; après quoi ils communiqueront au tribunal compétent les motifs du décret avec Je vote par écrit du chapitre.

ART. 3. La peine prononcée par l'évêque contre un bénéficier n'emportera que la privation de l'office. Pour produire la privation ou suspension du temporel du bénéfice, il faudra un décret du gouvernement, que l'évêque devra obtenir par le moyen du ministère de grâce et justice et des cultes.

ART. 4. L'inobservation dos précédents articles, constituant un conflit entre l'autorisé civile et l'auiorité ecclésiastique, sera déférée au Conseil d'État, aux termes de l'article 19 de la loi du 30 octobre 1852.

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ART. 5. Tous les évêques du royaume devront présenter au ministère de grâce et justice et des cultes, les lettres pastorales, instructions (sic), circulaires, et en général tous les écrits destinés à être publiés dans leurs diocèses ou dans une seule partie des diocèses. Ils ne pourront les publier par voie d'impression ou tonte autre, s'ils n'ont pas d'abord été approuvés par le ministre garde-des-sceaux.

ART. 6. Toute contravention à la précédente disposition sera déférée au tribunal de l'arrondissement, et punie, selon les cas, d'un emprisonnement qui pourra monter à six mois ou d'une amende qui pourra monter à 500 francs.

- Cette loi sauvage est blâmée de la presse révolutionnaire même, qui déclare que c'est mettre l'Église en état de siège. Le Siècle la qualifie de «tyrannique, inadmissible,» et la déclare semblable à la constitution civile du clergé qui produisit en France de si déplorables effets. Le Temps la désapprouve hautement en la discutant avec une louable habileté. «C'est surtout, dans les temps de révolution, dit-il, qu'il importe de respecter les principes de la justice et de la liberté.» Or, ces principes sont violés par cette loi de la façon la plus grossière. L'État, en substituant ses règlements à ceux de l'Église, se rend coupable d'abus d'autorité. Celte loi est une loi de colère, ce n'est pas ainsi qu'on fonde la liberté. Le gouvernement a confondu la liberté d'un parti avec la liberté d'un pays. Un parti est libre, quand il est au pouvoir, et il gouverne à sa manière; mais le pays n'est pas également libre, au contraire. Un peuple n'est libre que lorsqu'il y a dans son sein liberté pour tous, pour l'opposi

tion comme pour le pouvoir, pour les vaincus comme pour les vainqueurs.

9

Il est juste de noter, pour démontrer plus clairement le but du gouvernement unitariste, que M. Conforti, ministre des cultes du royaume, est en même temps grand maître de la franc-maçonnerie italienne.

Le clergé napolitain, en réponse à l'inique projet de loi Conforti, envoie à son archevêque une adresse de protestation, qu'il se déclare prêt à signer de son sang.

Le pape Pie IX appelant à Rome les évêques de la chrétienté, pour la solennité religieuse de la canonisation des martyrs japonais, le ministre des cultes s'empresse de lancer un édit de prohibition (1): «Le gouvernement du roi a délibéré de ne pas accorder de passe-port aux évêques du royaume qui voudront aller à Home pour la solennité de la canonisation des martyrs japonais. Cette délibération a été prise dans le but de soustraire les évêques aux conséquences auxquelles ils pourraient être exposés de la part de leurs diocésains, s'ils entreprenaient un voyage repoussé par l'opinion publique, etc.»

Devrait-i! être permis d'afficher une aussi impudente hypocrisie?

- Les préfets d'Avellino et de Foggia, par des mesures d'une outrageante rigueur, assujettissent le clergé aux plus injustes traitements et à la surveillance de police la plus vexatoire (2).

(1) 27 avril 1862.

(3) Arrêtés en date des 11 et 23 octobre 1862.

- 10

IV

Le gouvernement met à profit la loi qui lui permet d'occuper à volonté les maisons des corporations religieuses dans toutes les provinces du royaume.

La lieutenance-générale de Naples avait déjà dépouillé et supprimé la presque totalité de ces corporations (1). Celte mesure avait cependant été définie, par la presse démocratique même, comme entachée d'inconstitutionnalité.

Pendant la seule année 1861, dans les provinces des Marches et de l'Ombrie, les régénérateurs italiens ont occupé cent vingt-deux monastères, dispersé huit cent soixante-dix-sept religieux, amalgamé dix-sept corporations, dont deux de religieuses et quinze de frères.

Dans le cours de la même année 1861, il a été détruit en tonte l'Italie sept cent vingt-et-un couvents, et dispersé onze mille huit cents moines ou religieuses.

Toujours en 1861, on a mis la main sur les biens de cent quatre collégiales, d'un revenu total de 524,801 fr.

Deux prêtres octogénaires, dom Joseph Gulfo, de Colubraro, fondateur d'un asile d'orphelins, bienfaiteur des pauvres, généralement vénéré,- et l'archiprêtre Claps, d'Avigliano, traîné à pied comme un malfaiteur d'Avigliano à Potenza, c'est-à-dire pendant près de trois lieues, plusieurs fois menacé de mort par les sbires dans ce douloureux trajet, succombent aux souffrances qu'ils enduraient, dans les prisons de Basilicate, alors comblées de détenus. Dans la crainte d'un mouvement populaire, on défend de célébrer leurs funérailles.

(1) Décret du 17 février 1861.

11

L'église principale de Torre del Grcco, malgré la noble résistance du chanoine Noto, est le théâtre d'une mascarade sacrilège. Les italianissimes habillent d'une chemise rouge la statue de la Vierge Immaculée. Ainsi affublée, on la promène en procession par le pays; mais je Vésuve rugit et vomit, Torre del Greco est enseveli sous les laves, et le peuple des campagnes attribue ce désastre au sacrilège garibaldien.

A Calanzaro, on convertit les églises en prisons; on y entasse les prévenus d'être suspects de connivence avec les brigands, et l'on emploie d'odieux moyens pour leur extorquer des révélations; on va jusqu'à leur dire de se confesser et de se préparer à être fusillés. Après une nuit de ces affreuses angoisses, un pharmacien d'Acri est trouvé mort sur les dalles.

- Le chanoine Tipaldi, vicaire capitulaire de Naples, proteste vainement, avec la plus ferme dignité, auprès du préfet La Marrnora, contre la violation de la clôture des monastères de femmes (1); au mois de mars, il est condamné à trois mois de prison et 1,000 francs d'amende, pour mauvais conseils aux jeunes filles du noble pensionnat royal des Miracles, qui ont refusé de chanter le Te Deum en l'honneur du roi d'Italie. On accumule les persécutions officielles, et la peine de treize mois d'exil et de 1,500 francs d'amende est encore fulminée contre Mgr Tipaldi, parce que ces mêmes élèves ont refusé de prêter serment au susdit roi d'Italie.

(1) La plupart des journaux ont rapporté les lettres échangées entre le vicaire et le préfet, 30 janvier, 5 et 7 février.

12

Le curé de Portici, dom Gennaro Formicola, après différentes persécutions arbitraires, le 25 mars, est condamné à quatre mois de prison et 100 livres d'amende, pour avoir refusé de chanter le Te Deum en l'honneur du roi d'Italie. Dom Gennaro est persécuté, d'autre part, pour avoir refusé de baptiser un nouveau-né sous le nom de Garibaldi.

Dom Giuseppe Cocozza, prêchant à Saint-Séverin de Naples, est insulté grossièrement par des étudiants libertins. Le peuple se soulève contre les sacrilèges insulteurs, les chasse de l'église et les poursuit jusqu'à l'Université; un conflit s'engage; les étudiants, plus nombreux, lâchent quelques volées de coups de revolvers, et se barricadent; la population exaspérée veut mettre le feu à l'Université; il y a des blessés et des morts. Le gouvernement, inaugurant de nouveaux principes de justice, emprisonne le prédicateur outragé et lui fait subir une détention préventive de quatre mois (1), après laquelle la cause étant amenée devant les tribunaux, le malheureux prêtre est déclaré innocent.

Sans motifs connus, au commencement de l'année, les gendarmes piémontais arrêtent, enchaînent et emprisonnant le supérieur et plusieurs moines franciscains d'un couvent de Mirabella, province d'Avellino.

- La veille de la visite du roi Victor-Emmanuel au grand hôpital des Incurables de Naples, le 28 avril, ou expulse les chapelains de rétablissement, tous coupables du refus de serment au gouvernement nouveau; de manière que les malades et les moribonds sont privés des consolations et des secours de la religion.

(1) Du 15 mars au 16 juillet.

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Le 26 avril, Dom Antoine Minucci, archi-prêtre de Stignato-Staiti, en Calabre, est condamné à deux ans de prison et 1,500 francs d'amende, pour avoir omis, dans un sermon, de bénir le roi d'Italie. Le même sort était réservé au prêtre Dominique Surace, chapelain de l'église collégiale de Pal mi, en Calabre, arrêté, dans la soirée du samedi saint, pour avoir omis au prône du matin même de bénir le nom de Victor-Emmanuel. D'autres procès s'instruisent contre les confesseurs, qui ont refusé l'absolution aux membres du Cercle national unitaire.

- Les chanoines de l'archevêché de Naples, sur la dénonciation du ministre Conforti, sont condamnés par le Suprême Conseil administratif à la perte d'une année de leur prébende canonicale, pour ne pas s'être trouvés présents quand le roi Victor-Emmanuel visitait la cathédrale. Une commission extraordinaire est nommée pour examiner la conduite des chapelains du trésor de SaintJanvier, accusés de la même absence.

V

Le 25 mai, à Ruvo, dans les Fouilles, la police piémontaise arrête sans motif légal les deux chanoines dom Pietro et dom Paolo Chicco, et les dominicains Dominique Cassuco et Pierre Caputo et le prêtre Raphaël Pellegrini. Conduits dans la prison de Barletta, ils sont maltraités et frappés jusqu'au sang, surtout ce dernier, par des furieux de Corato, sans que leur escorte cherche même à les défendre.

14

Le couvent des Croisés, à Trapani, est envahi par la gendarmerie, qui aurait cependant pu se loger commodément ailleurs; le couvent des Carmes, à Caltagirone, a bientôt le même sort, aussi bien que le célèbre couvent de Saint-Laurent de Naples, d'où l'on expulse le vénérable nonagénaire, Monseigneur Gigli, qui avait renoncé à l'évéché de Muro, pour vivre dans le calme de son ancien cloître.

En Sicile, le gouvernement chasse les religieux des monastères ci-dessous désignés, et s'empare de leurs biens.

A Patti, le couvent de Sainte-Marie-de-Jésus, des Mineurs-Observantins; à Messine, celui de Saint-Jérôme et des Bénédictins du Mont-Cassin; à Mezzojuso de Palerme, celui de Saint-Basile, du rit grec; à Trapani, celui de Saint-Roch; à Nolo, celui de Saint-Antoine; à Ciminna de Palerme, celui de Saint-Dominique; à Corleone, celui de Saint-Augustin; à Termini, celui des Dominicains; dans les Abruzzes, celui de Cicoli; et en Calabre, celui des Mineurs-Conventuels de Gerace.

Les religieux du célèbre sanctuaire de Sainte-Brigitte, à Naples, sont expulsés, et par décret du préfet La Marmora, qui foule aux pieds les droits de l'administration diocésaine, cette église si populaire est mise à la disposition du municipe.

- On supprime le couvent des capucins de Foggia, et l'on en chasse violemment les religieux, malgré les supplications de la population scandalisée de voir les tableaux, le» statues et les objets sacrés arrachés des autels, profanés, jetés sur des charrettes, et l'église mise à la disposition du préfet.

15

Les Augustins de Salerne, ces bienfaiteurs tant aimés, sont également expulsés; mais avant d'ordonner cette inique mesure, le gouvernement prononce le licenciement de la garde nationale, dont il redoutait l'énergique opposition.

Le 21 juin est encore un jour de deuil pour Salerne; le célèbre monastère de Saint-Grégoire, vieux de plus de treize siècles, respecté par les hordes mêmes des Sarrasins, est changé en caserne, et les vieilles religieuses, une trentaine de squelettes humains, sont expulsées de l'asile saint où elles espéraient mourir.

A Teramo, le 12 août, le curé dom Rocco Sabatini est condamné à 17 ans de travaux forcés, comme prévenu d'avoir donné asile aux bandes réactionnaires.

Malgré les défenses de l'évoque d'Aversa, divers officiers militaires et civils s'introduisent dans les monastères de femmes.

A Bari, les religieuses de Sainte-Thérèse refusent d'abandonner leur couvent, et devant cette courageuse fermeté, aussi bien que devant les marques générales de désapprobation populaire, le préfet se voit contraint de retirer son injuste arrêté.

- Un délégué de police et plusieurs de ses agents brisent les portes du couvent de la Croix-de-Lucque, à Naples, s'y introduisent brutalement et, malgré la résistance de l'abbesse et des sœurs, dressent l'inventaire de tout le mobilier, attendu que le gouvernement entend se l'approprier.


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16

Le 21 mai, à Avellino, un juge prend possession du monastère de Sainte-Marie au nom du gouvernement piémontais. Les religieuses protestent contre cette spoliation, d'autant plus injuste qu'elle confisque les dots avancées parleurs familles; l'agent gouvernemental répond froidement qu'il n'agit que par ordre supérieur.

On dépouille les Dominicains de San-Giovaniello et des autres monastères nobles de Naples, et, de plus, on veut les expulser de leurs maisons religieuses.

Nous ne saurions trop louer l'attitude du municipe, représenté par M. Frédéric Persico, qui refuse son assentiment à cette violente infraction de la clôture et donne sa démission en protestant que «de tels ordres du gouvernement sont une violation du domicile de pacifiques citoyennes, déclaré inviolable par le statut constitutionnel, inviolable même si l'on ne veut pas le considérer comme lieu sacré.»

Une nuit de mars, la police piémontaise escalade les murs du couvent de Santa-Maria la Nuova de Naples, parce qu'on hésitait à ouvrir. Il s'agissait de pratiquer une sévère perquisition qui n'amena d'ailleurs aucun résultat.

On arrête à Pastena et l'on enferme dans les prisons de San-Germano les prêtres Antoine Grosso. Philippe Parise et Louis Bartolomucci.

- Le curé de Sainte-Anne est arrêté pour la fermeté qu'il a montrée au chevet de Mgr Michel Caputo, à l'article de la mort. On sait que Mgr Caputo était le seul des évoques catholiques qui eût donné au cœur du Souverainpontife Pie IX la douleur d'une apostasie à déplorer.

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Le 25 septembre, la population de Termoli se soulève contre le gouvernement piémontais à l'occasion du recrutement. Les bersagliers subalpins accourent et n'ont rien de plus pressé que de traîner en prison le curé et le sacristain qui n'avaient pas pris la moindre part au tumulte.

En novembre, on expulse de leur couvent de Naples les religieux exemplaires des Pieux-Ouvriers, ce qui fait perdre à la jeunesse studieuse des professeurs habiles et gratuits, et aux pauvres d'assidus bienfaiteurs.

Le préfet La Marmora, le 28 novembre, chasse du couvent de la Santé les vénérés pères d'Alcantara, en faveur desquels le peuple se révolte. On est obligé, pour assurer l'exécution de la mesure, d'envoyer beaucoup de troupes de ligne, les gardes nationales et les sbires s'étant trouvés impuissants.

Le gouvernement s'est approprié les biens religieux en promettant de servir un revenu à ceux qu'il dépossédait; mais on sait que partout il laisse mourir de faim ses victimes, en ne tenant pas sa promesse; il ne s'empare pas moins de la retraite des religieuses de Sœur-Ursule et du couvent des Augustins de la Madeleine.

- Les religieux de Saint-François-de-Paule sont expulsés de leur maison du quartier Stella, à Naples; les Pères Liguoristes de Tarsia et les Bénédictins de San-Severino ont le même sort.

VI

Dans la matinée du H novembre, un détachement de fantassins, de gendarmes et d'agents de police forcent la porte du monastère de La Piété, à Palerm, et, malgré la défense de l'archevêque, s'y livrent,

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en compagnie d'architectes, à une longue perlustration. Les religieuses épouvantées se réfugient en pleurant dans le chœur. L'indignation populaire stigmatise cet acte de violence inutile. Le Précurseur de Palerme ne trouve pas assez de mots pour le blâmer et le maudire: «Le peuple sicilien est dévot, et des actes qui troublent les consciences ne sont pas justifiables tant qu'ils ne sont pas absolument nécessaires. L'homme le moins porté aux choses de religion ne pourra approuver un procédé aussi inhumain contre de pauvres femmes, élevées loin du monde dans la pratique des vertus chrétiennes, et étrangères à toutes les choses du dehors.»

Au mois de juin, trois cents femmes du peuple, armées de couteaux et de bâtons, envahissent l'église de Modica, en Sicile, où prêchait un Passaglia, et l'en chassent à coups de bâton.

Les journaux même de Turin (1) censurent l'administration de la Caisse ecclésiastique, pour les innombrables abus de ses employés, sa déplorable gestion pécuniaire, et pour avoir réduit les moines et les religieuses à une pension de huit sous par jour, qui n'a pas seulement été payée depuis deux ans. Le Piémont a supprimé les ordres mendiants; est-ce logique, et n'a-t-il pas réduit à la mendicité tous les ordres religieux?

- En plein Parlement (2), le député Benedetto Musolino définit ainsi le programme officiel de la ligne de conduite du gouvernement envers les ecclésiastiques:

(1) Voir la Discussione du 30 décembre.

(2) Dans une des séances du mois de Juin.

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«Nous ne donnerons pas d'autre liberté à l'Église que celle que nous accordons aux vaudois et aux mahométans; quant à lui donner l'indépendance, jamais! L'indépendance du clergé est une hérésie politique: le pape n'y peut prétendre...»

Malgré tant de menaces, d'injures, de persécutions latentes ou patentes, un grand nombre de prêtres rétractent la signature qu'ils ont apposée au bas de la misérable adresse du commandeur Passaglia, déclarant que leur bonne foi a été surprise et protestant de vouloir rester profondément unis en tout point avec l'immortel Pie IX, pape et roi. D'autres prêtres protestent publiquement, par la voie des journaux indépendants, contre l'abus qu'on a fait de leurs noms, déclarant fausse et mensongère la signature qu'on a apposée pour eux sous celle du Passaglia. Ces faux unitaristes forment une des page» les plus instructives de l'histoire italianissime.

- Le préfet de Catane, se moquant des défenses épiscopales, nomme les prêtres qui devront prêcher dans les églises, pendant le carême. De plus, il organise une sorte d'adresse au Pape, pour l'engager à reconnaître Victor-Emmanuel comme roi d'Italie, et a l'audace de la faire présenter à la signature du vicaire capitulaire Gaetan Asmundi. Celui-ci refusant de la signer, le préfet lui décerne un charivari nocturne. Ce n'est pas tout: des sbires installent un bureau sur la place publique; tout prêtre qui passe reçoit l'injonction de signer l'adresse préfectorale, et celui qui s'y refuse est accablés d'outrages par ces fidèles serviteurs de la révolution piémontiste,

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Le ministre de l'instruction publique lance deux circulaires (1) formulant «la crainte que l'enseignement dans les séminaires ne soit pas conforme à l'esprit actuel du gouvernement, et soit plutôt contraire à l'unité italienne.» Le ministre les place donc sous la surveillance de la police (sic), leur appliquant les articles 59, 60 et 61 du décret de la lieutenance générale (2) concernant l'instruction secondaire à la charge de l'État.

On expulse en masse les chapelains de l'Hôtel des Pauvres, et antres maisons de bienfaisance, pour avoir refusé de prêter serment selon la formule de Turin, et on les remplace par des Passaglias.

Les organes officiels, cherchant à déraciner du cœur des séminaristes le sentiment religieux, proclament que «tant de piété est superflue; la messe quotidienne est inutile, et la messe dominicale est tout ce qu'il faut; on doit ne se confesser que fort rarement, et s'affranchir des préjugés cléricaux.»

Un journal ministériel de Turin, suivant le mot d'ordre supérieur, demande qu'on ne fasse pas entendre la messe aux soldats le dimanche, comme on le fait déjà pour les collégiens. Au grand principe de l'Église libre dans l'État libre, dit-il, nous avons ajouté cet autre principe: L'armée libre dans l'Église libre.

- Malgré la Constitution, qui ne reconnaît dans l'État que la religion catholique, on ouvre à Naples un temple protestant. La cérémonie d'inauguration se fait dans le plus grand secret, de peur d'un soulèvement populaire.

(1) 5 septembre et 2 octobre. (3. 10 février 1861.

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A ce propos, le journalisme napolitain s'exprime en ces termes: «Ce n'est pas le protestantisme qui nous menace; ne meurt-il pas dans cette Allemagne même qui lui donna le jour? Ce qui nous menace, c'est l'athéisme tout pur, dont le gouvernement nouveau favorise l'introduction à Naples; c'est le ver rongeur de la funeste indifférence. Voilà les deux gigantesques ennemis de la religion nationale!»

Le comte Ponza de San Martino, un des derniers proconsuls piémontais à Naples, affirme à la commission parlementaire d'enquête sur le brigandage que «les vexations du gouvernement piémontais contre l'Église produisent principalement la réaction, les Napolitains étant foncièrement catholiques et ne voulant qu'un gouvernement catholique.» Précieux aveu! Le piémontisme étant l'antithèse du catholicisme, la conclusion est toute simple: Jamais Naples n'acceptera le joug subalpin.

- Le président du conseil des ministres déclare au parlement (1) qu'un prêtre vient d'être condamné à six mois de prison pour manifestation séditieuse. La manifestation séditieuse c'était une quête pour le denier de saint Pierre.

VII

Le baron Ricasoli, président du conseil des ministres, prononce au parlement (2) le discours suivant: «Messieurs, je ne suis pas habitué à cacher mes opinions. Eh bien! je vous dirai franchement: la question de Rome est résolue.

(1) Séance du 17 janvier.

(2) Séance du 15 janvier.

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Oui, messieurs, la solution de la question ne dépend plus que d'une cause surnaturelle (sic), et qui, très-probablement, à l'heure où je vous parle, existe. Il faut en rendre grâce à la raison et à la civilisation. Vous ne me comprenez pas, messieurs? eh bien! je suis net: dans peu de temps, il n'y aura plus ni roi-pape, ni pape-roi.»

M. Garibaldi adresse de Gênes (1), aux prêtres italiens, une lettre dont nous extrayons ce qui suit: n Je ne vous parlerai pas de vos fautes. Quand je m'adresse aux multitudes, je leur cite les paroles de l'Évangile: «Que celui qui est exempt de fautes jette la première pierre.» La conséquence concorde aussi avec vous autres, si vous le voulez, mais faites le bien. Jusqu'à présent vous avez fait le mal. Vous avez fait de Rome un repaire de bêtes féroces.... Je suis convaincu, malheureusement trop convaincu, que vous ne pouvez arracher les cardinaux à la perdition; mais si vous le pouvez, faites-le.... Que le prêtre italien fasse tonner de la chaire les saintes paroles du rédempteur de la patrie, et de la réprobation pour l'enfer du Vatican....»

Une société ouvrière écrit à M. Garibaldi (2): « Général, vous qui, champion ardent de la liberté, avez toujours disposé de la victoire (?), vous devez, par la force du droit dont l'Italie vous a confié la défense, faire cesser la honte et empêcher qu'à l'ombre du Colisée le Prêtre-Brigand, protégé par l'étranger, puisse aiguiser son couteau

(1) 12 mars.

(2) Au mois d'avril. Société de Soncino,

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Les évêques protestent contre la circulaire Conforti, qui leur interdit le voyage de Rome. Le député Nicotera (1) demande au parlement de répondre à cet exposé si calme et si digne avec des baïonnettes, et non avec des mots.

Fumel fait fusiller un prêtre de Bari, prévenu d'être suspect de complicité avec les bandes royalistes (2).

- Nous pourrions étendre longuement encore cet aperçu des douleurs du clergé des Deux-Siciles; mais n'en avons-nous pas dit assez pour dessiller les yeux des hommes de bonne volonté qui pensent que la révolution piémontaise n'en veut qu'à la royauté temporelle de Rome, et que l'unité n'est pas le masque de l'anti-catholicisme? En regard de tant de hontes, de sacrilèges, de turpitudes, de confiscations, qu'il nous suffise de rappeler la noble protestation de S. M. le roi François H contre le décret piémontais d'expropriation et confiscation des biens religieux. Inébranlable champion de la justice et du droit, le royal vaincu de Gaëte demeure plus grand que son vainqueur, et trouve pour tous ses infortunés sujets des accents qui ne peuvent venir que d'un cœur paternel! Aussi n'est-ce que pour lui que montent toutes les prières.


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FINANCES

Le gouvernement piémontais se conduit a Naples comme ce parasite qui, étant invité a un repas fraternel, en emporte les couverts.

DUC DE MADDALONI.

I.

Est-il besoin de redire une fois de plus que les finances italiennes sont épuisées, à ce point que le mot de banqueroute est dans tous les esprits? Le Piémont a ruiné tout ce qu'il a touché, au contraire du fabuleux Midas, qui pourtant avait des oreilles d'âne; mais en aucun pays plus que dans l'infortuné royaume des Deux-Siciles, il n'a pillé, gaspillé, dilapidé, avec «ne impudence jusqu'alors inconnue.

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On nous montre officiellement un déficit de deux milliards, et cependant où ont passé ces centaines de millions, les épargnes des États annexés, les patrimoines des princes dépossédés, les biens de l'Église et des corporations religieuses, ces impôts augmentés sans mesure, ces contributions volontaires, ces dons extorqués, ces emprunts sans fin renouvelés? Où tant de richesses se sont-elles englouties, et quel est le secret de cet effroyable déficit, qu'on n'avoua qu'à la dernière extrémité?

Le secret en est sans doute dans ces fortunes nées d'hier, si rapides, si étonnantes, qu'on trouve entre les mains d'hommes naguère portant la besace. C'était, il est vrai, la besace révolutionnaire. II fait bon, en Italie, par le temps qui court, de renier tout ce qu'on croit et qu'on aime, pour s'affubler de tricolore et prendre part à la curée. La curée en attendant la banqueroute, telle est la situation exacte des finances italiennes.

Qu'on me permette d'emprunter quelques passages à l'ardente philippique d'un député napolitain, le duc de Maddaloni-Proto, dont j'ai déjà eu l'occasion d'écrire le nom. Les paroles de l'honorable député éclaireront la vérité mieux que je ne le saurais faire:

«Qu'ont fait les hommes d'État du Piémont et les partisans qui se sont formés au milieu de nous? Ils ont corrompu tout ce qui restait de morale; ils ont brisé et dissipé les fortunes et les richesses amassées depuis des siècles; ils ont ravi à ce peuple ses lois, son pain et son honneur; ils lui auraient ravi même son Dieu, s'il était donné à une puissance humaine de lutter contre Dieu. Ils ont ensanglanté tous les coins du royaume, luttant contre une insurrection qu'ils ont rendue très-craelle, et qu'un gouvernement issu du suffrage populaire devrait prendre moins en horreur.

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Le gouvernement pigmentais enlève de la Banque l'argent des particuliers, et prodigue le denier public à l'avidité de ses sycophantes.... il laisse gouverner les provinces par des hommes de parti ou par de féroces voleurs; il emprisonne, il exile, il jette dans la misère la plus affreuse, non-seulement les amis et les serviteurs du gouvernement passé, honnêtes ou non, et plus particulièrement s'ils sont honnêtes, mais aussi leurs parents les plus éloignés, ceux-là mêmes qui n'en portent que le nom.... Que vous dirai-je quant aux finances? En 1860, le royaume de Naples payait une armée de cent mille hommes (1), une marine qui était comptée parmi les meilleures de second ordre, une liste civile et une représentation à l'étranger, et ces quatre branches constituaient une dépense annuelle de 16,203,628 ducats. Aujourd'hui que ces provinces n'ont plus à payer ni armée, ni flotte, ni diplomatie, leurs revenus ne suffisent pas aux dépenses des autres branches du service public! Les revenus du royaume étaient comptés dans le budget de 1860 pour la somme de 30,135,442 ducats.... Ce fait est bien le miroir où se reproduit l'œuvre dévergondée des hommes préposés à la chose publique, et, dans cette dilapidation du trésor napolitain, qui ne reconnaîtrait la véritable cause de nos malheurs? Cette ruine de la fortune publique a-t-elle enrichi le peuple? A-t-il du pain, du travail, nécessité suprême de l'humanité? Des familles entières demandent l'aumône; le commerce est presque anéanti; les ateliers privés se ferment, ne pouvant résister à une concurrence subite et inopportune,

(1) Ce chiffre nous semble exagéré.

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à l'abolition des tarifs protecteurs et à des réformes imprudentes; nous ne voyons en fait de travaux publics que la lente construction de quelque ligne de chemin de fer, ou la pose de la première pierre d'ouvrages que l'on ne fait jamais. En attendant, on fait tout venir du Piémont, jusqu'aux boîtes de la poste et aux papiers pour les administrations publiques. H n'y a pas une seule affaire où un honnête homme pourrait gagner quelques ducats, que l'on n'appelle un Piémontais pour la lui livrer. C'est aux marchands piémontais qu'on donne les fournitures des troupes et des administrations, ou du moins les plus lucratives On nous envoie des ouvriers piémontais même pour la construction des chemins de fer, et on leur donne insolemment le double de ce qu'on paie aux Napolitains. Les portefaix de la douane et les geôliers nous viennent aussi du Piémont.... C'est là une vraie invasion; ce n'est ni une union, ni une annexion. C'est vouloir épuiser notre pays comme un pays conquis!...»

Il serait difficile d'ajouter quelque chose à ces éloquents extraits. Celui qui parle est Napolitain. 11 s'était laissé aller au mirage de l'unité; il vit appliquer le principe et ce fut dans un frémissement de regret et de douleur qu'il jeta ce courageux et patriotique anathème à la face du parlement italien (1).

«On ne gouverne pas avec la vérité!» s'est écrié l'un des champions de la triste unité. La flagrante évidence des faits a cependant arraché de précieux aveux au parlement et à la presse, officielle ou officieuse; le ministère même a publié parfois de douloureuses vérités,

(1) Voir la Gazelle de France des 10, 11 et 12 janvier 1862.

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- tant il est vrai que la voix de la justice s'entend malgré tous les bâillons et toutes les dissimulations hypocrites. Nous allons donc profiter de ces diverses révélations.

II.

Le ministre des finances, Quintino Sella, déclare au parlement (1) que le royaume d'Italie dépense neuf cent millions par an et r,'a que quatre cent millions de revenus.

Un journal de Turin, l'Opinione (2), émet à ce propos les observations suivantes: «Le ministre Sella a exposé la situation des finances dans toute sa gravité; il nous a dévoilé un gouffre qui menace de nous engloutir, le gouffre du déficit, qui va s'élargissant d'année en année, bien qu'en 1860-61 l'on ait eu recours au crédit public, avec des emprunts directs ou l'aliénation du reste de la rente des nouvelles provinces; en un mot, la dette publique s'est accrue en deux années de 925 millions, montant ainsi à six milliards.»

L'intérêt de la dette publique coûte annuellement au royaume d'Italie 308 millions, somme énorme, mais destinée à grandir encore à Ja suite du nouvel emprunt de sept cents millions qu'on nous annonce.

- Alors que le déficit de 1862 est d'environ cinq cent millions, la Gazette officielle (3) publie l'autorisation provisoire de nouvelles dépenses montant à la somme de vingt-huit millions.

(1) Séance du 7 juin.

(2) Numéro 159.

(3) 10 novembre.

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Les revenus figurent au budget de 1863, pour 614 millions, et les dépenses pour 936. On y remarque 53 millions d'augmentation pour solde des employés publics; 197 millions d'augmentation pour l'armée; une augmentation enfin pour maintenir les prisonniers qui, d'après les données officielles, étaient plus de trente-deux mille en février 1862, attendant vainement qu'on les mît en jugement.

Le député Scialoja est envoyé en France pour faire de l'argent. Il offre pour cinq cent millions à des banquiers de Paris les propriétés domaniales du royaume, évaluées à huit cent millions par le financier Bastogi.

La Gazette du peuple, de Turin, dit à ce propos que «l'Italie occupe le cinquième rang parmi les grands États européens par le chiffre de son budget passif qui monte à 974,347,398 francs. Quant au revenu, l'Italie ne vient qu'après la Turquie, réputée pour être désormais réduite à une pleine et inévitable ruine.»

- Dans la discussion du budget (1), parlant de l'administration des deniers publics dans les provinces méridionales, le député Ricciardi cite l'exemple du général La Marmora: «Je ne parle pas des appointements qu'il touche comme préfet; je n'ai jamais pu à ce sujet obtenir de réponses précises; mais, outre sa solde de général, il a par an cent vingt mille francs pour frais de représentation, c'est-à-dire pour donner quelques dîners ou quelques bals. Puis, comme le général est homme de guerre, non homme politique et administratif, il a besoin d'un personnage qui fasse réellement le préfet; tel est le rôle de M. Visone, qui reçoit pour cela vingt huit mille francs par an.

(1) Séances parlementaires îles 27, 38 et 29 juin.

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Mais comme M. Visone n'est pas du pays, et n'en connaît ni les hommes ni les choses, il lui faut une sorte d'ange gardien napolitain, et c'est le rôle de M. de Nava, qui reçoit six mille francs par an; de façon qu'on dépense annuellement cent cinquante-quatre mille francs pour l'administration de la seule ville de Naples; de plus, La Marmora ne se trouvant pas assez largement traité au palais de la Foresteria, prend l'autre palais voisin qui rapporte à l'État cent cinquante mille francs par an. Nous dépensons donc annuellement une somme de trois cent quatre mille francs pour le seul préfet de Naples.»

Le journal piémontais le Diritto publie les lignes suivantes: «La façon dont vivent les autorités qui de Turin vont gouverner Naples révolte le sens moral de ce peuple. Je ne vous parlerai pas de La Marmora qui s'est approprié tout le palais et les magnifiques jardins du prince de Salerne. Je ne vous parlerai pas de l'amiral Tolosano qui habite le splendide hôtel du prince de Capoue. Mais je vous dirai que, dernièrement encore, on a payé vingt mille francs de meubles à M. Schmit.»

- On présente au parlement (1) de nouveaux projets tendait au gaspillage des deniers publics en dépenses presque inutiles: deux millions pour rédiger la carte topographique des provinces méridionales, qui en possèdent déjà de parfaitement exactes; deux millions six cent mille francs pour supplément de dépenses à l'exposition de Florence; un million pour concourir à celle de Londres;

(1) Février 1861.

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un autre million pour magasins de matériel de guerre; vingt-trois millions quatre cent quatre-vingt-quatorze mille cinq cents francs pour augmenter (1) le nombre des fusils de la garde nationale.

L'emprunt de cinq cent millions étant quasi dissipé, le ministre des finances, au commencement de 1862, à la surprise générale, propose à la chambre d'étendre à cent millions de francs l'émission des bons du Trésor, quoique peu de jours auparavant, dans l'exercice provisoire du budget, elle n'eût approuvé qu'une émission de cinquante millions (2).

Le ministère Rattazzi passe pour avoir conclu un excellent marché avec la direction du journal français *** (3), auquel on payera annuellement soixante mille francs, tout en lui prenant mille abonnements à soixante-dix francs, ce qui fait le chiffre rond de cent trente mille francs.

On assure que le commandeur Rattazzi, dans son dernier voyage à Paris a pris quatre mille abonnements qu'il a payés comptant, au journal ***, ce qui fait une somme d'environ deux cent cinquante mille francs.

III

Le seul ministère de l'intérieur compte cinq cent soixante-neuf employés en expectative, c'est-à-dire attendant qu'on les emploie,

(1) Augmentation qui n'a pour ainsi dire existé que sur le papier.

(2) L' Opinione, journal de Turin, 10 avril.

(3) On comprendra les raisons qui nous dictent ces trois étoiles.


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mais qui n'en coûtent pas moins au budget près de quatre cent mille francs par an (1). Ce qui semblera incroyable, mais n'est, bêlas! que trop vrai, c'est que, dans le budget du ministère des finances de 1863, il figure cinq mille trois cent soixante-six employés en expectative. A Turin, les employés du ministère de la guerre sont au nombre de huit cents.

- Dans les budgets de 1863 présentés à la chambre, entre autres dépenses extraordinaires on trouve les sommes suivantes inscrites pour «solde des employés en expectative, en disponibilité ou hors cadre»:

Ministère des finances 3,300,000

Ministère de grâce et justice 1,154,316

Ministère des affaires étrangères 100,000

Ministère de l'instruction publique 200,000

Ministère de l'intérieur 1,000,000

Ministère des travaux publics 326,000

Ministère de la guerre 1,286,790

Ministère de la marine 179,500

Ministère de l'agriculture et du commerce 197,273

Total: 8,344,684 fr.

- Le municipe de Naples vote cent mille francs pour fêter l'arrivée de Victor-Emmanuel; vingt mille francs sont affectés pour la seule construction du pavillon royal sur le quai de débarquement (2); un seul buste un plâtre de l'empereur Napoléon III, coûte seize cents francs.

Notons en passant plusieurs autres gaspillages du municipe napolitain: quatre mille neuf cents francs

(1) Gazette du Peuple, 40 avril.

(2) Gazette de Milan.

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pour l'érection d'une chapelle au Champ-de-Mars à l'occasion de la bénédiction des drapeaux de la garde nationale; mille neuf cents francs pour les travaux du Foro-Carolino dans les fêtes du 14 et 19 mars;quatre mille sept cents francs pour faire chanter un Te Deum d'anniversaire dans l'église Saint-Vincent-de-Paul; Trente-cinq mille cinq cents francs pour l'anniversaire de l'entrée de M. Garibaldi; trois cent cinquante francs pour l'arrosement d'un jour dans une seule-rue; six mille francs au syndic de Naples pour préparer par anticipation dans l'été de 1862 des fêtes en l'honneur de l'arrivée de Garibaldi, qui en somme n'est pas venu; six mille francs pour deux cent vingt urinoirs dix mille deux cents francs pour deux maigres embellissements à la villa nationale.

Le comité de Palerme, comme on le sait, comité révolutionnaire et secret, déplore ces scandaleux gaspillages dans une proclamation en date du 21 septembre (1), et parle en ces termes au peuple sicilien: «Dès que l'état de siège nous fut imposé, la solde des officiers fut doublée comme s'ils étaient entrés en Vénétie; le seul général Brignone toucha 4,000 francs d'entrée en campagne, et voilà pourquoi lui et les siens ont tant intérêt à prolonger l'état de siège le plus qu'il sera possible.»

Le poète Prati, pour une poésie écrite à l'occasion du mariage de la princesse Pie, reçoit une gratification de 30,000 francs.

- Il faut lire le rapport (2) de M. Sacchi pour sonder

(1) La Discussione, journal de Turin des 4 et 13 octobre. (2) Secrétariat générai des finances napolitaines, p. 16.

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l'abus qui s'est fait des finances napolitaines laissées par les Bourbons dans un si florissant état: «Le numéraire de la Banque de Naples qui, au 27 août 1860, était de 77,265,180 francs, au 27 septembre, c'est-à-dire après la proclamation de la dictature, était réduit à 31,600,460 francs, et du 2 avril suivant, c'est-à-dire après la venue du roi Victor-Emmanuel, à vingt-quatre millions.»

Malgré la capitulation de Gaëte, malgré les protestations réitérées du Conseil fédéral suisse, le Piémont refuse obstinément de payer l'arriéré de leur pension aux familles des soldats suisses qui, depuis tant d'années, étaient au service du royaume des Deux-Siciles, et qui se trouvent réduits à la plus profonde misère (1).

Le ministère de Turin prend six millions de francs à la caisse de la Banque de Naples; à la suite de cet acte odieux d'arbitraire, le directeur offre sa démission.

Le ministère, sous le prétexte de hûter la fabrication de la monnaie d'argent à Turin, fait enlever les dépôts métalliques existant à la Monnaie de Naples, représentant une valeur de plusieurs millions. La fraude est d'autant plus évidente que trente-deux balanciers sont inoccupés à la Monnaie de Naples où l'on pouvait frapper les pièces en moins de temps qu'à la Monnaie de Turin. Toutes récriminations des Napolitains à cet égard demeurent sans résultat.

La presse de toute nuance (2) est unanime à rapporter les actes de péculat qu'on va lire: pour se rémunérer de ses souffrances politiques passées, le ministre

(1) Journal de Francfort.

(2) La Nazione, de Florence; le Popolo d'Italia; l'Opinione, de Turin, n° 87,etc.

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Conforti (1) s'accorde une somme de près de 300,000 fr. prise sur les deniers de l'État;M. Scialoia, pour les mêmes raisons, accorde à son père près de 75,000 fr.; MM. de Cesare et Ferrigni reçoivent 165,000 fr.; M. Farini qui voulait mourir pauvre et qui mourra fou, 45,000 fr. par mois; le romancier Alexandre Dumas, rédacteur en chef du journal napolitain l'Indipendente, l'énorme somme de 1,600,000 fr. Que donnera-t-on un jour à la pauvre Italie pour tant de honte et tant de souffrances politiques!

Ce matin, il a été enregistré un mandat de plus d'un million de francs, signé du ministre des Finances, en faveur de l'ex-président du conseil Rattazzi, pour dépenses secrètes de basse police (2).

Le 24 décembre 1861, la lieutenance-générale de Naples fait afficher le décret qui soumet les provinces napolitaines au payement du décime de guerre, à partir du 1er janvier 1862. Ce nouvel impôt s'étend à toutes les brandies de la richesse publique et atteint jusqu'aux professions libérales; il pèse sur la propriété foncière, sur les personnes, sur l'industrie, le commerce, le crédit mobilier, les boissons, l'enregistrement, le timbre, les hypothèques, les recettes des chemins de fer, les droits de

(1) Ce fait honteux a donné lieu, dans les journaux, à de scandaleuses polémiques.

(2) Celle noie a été publiée parla plupart des journaux italiens, au commencement du mois de décembre.

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douane, etc. Les avocats, les médecins, les architectes, personne n'en est exempt (1).

Un journal de Naples (-2) a publié un article énergique sur ce qu'il appelle la Babel administrative d'Italie. Un autre s'écrie: «L'Italie n'est pas faite, mais défaite; Naples et le royaume ne sont pas unis au Piémont, mais absorbés et dévorés par lui.»

La lieutenance-générale de Naples décrète une mesure inquisitoriale si odieuse qu'elle paraît incroyable: les négociants ont été invités à déclarer par écrit la quantité des diverses monnaies d'or, d'argent et de cuivre qu'ils possèdent dans leurs caisses particulières. Le prétexte de cette tyrannique investigation est un prétendu projet de réforme monétaire (3).

- Le Piémont va jusqu'à raffiner l'impôt; le ministère propose au parlement de taxer diverses concessions du gouvernement: le titre de prince à cinquante mille francs, celui de duc à quarante mille; trente mille pour un marquis; vingt mille pour un comte; vicomte, quinze mille; baron, dix mille; pour une addition au nom patronymique, mille francs; mille francs pour les écussons des municipes, et cinq cents pour ceux des particuliers; la moitié du revenu des bénéfices ecclésiastiques et des chapellenies; cent francs pour port de décoration étrangère; de cent à neuf cents francs pour la concession de foires ou marchés, selon le nombre des habitants; trois pour cent sur les pensions viagères des employés civils,

(1) Un impôt de quelques centimes mis sur les fruits par un vice-roi espagnol amena la révolution de Masaniello.

(2) Le Popolo d'ltalia, décembre 1861.

(3) Mars 1862.

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militaires et de leurs veuves; de vingt-cinq à mille francs pour l'approbation des sociétés commerciales, selon leur capital; cent francs pour la confirmation de grades universitaires pris à l'étranger ou pour autoriser un étranger à exercer une profession dans le royaume; cent francs pour être naturalisé; cinquante francs enfin pour la dispense matrimoniale au degré prohibé.

Quelques députés présentent le projet de loi «de faire payer une taxe de cinq centimes pour toute personne entrant dans les théâtres de comédie ou de chant, manèges, gymnases, bals et cirques (1).»

La nouvelle taxe sur l'enregistrement et le timbre produit à Naples la plus grave agitation; le public proteste par des démonstrations menaçantes; la garde nationale accourt, mais le tumulte ne fait que grandir de jour en jour, non-seulement à Naples, mais encore dans les provinces, et de pressants télégrammes se succèdent à ce sujet au ministère de l'intérieur de Turin (2).

L'indignation produite par la nouvelle taxe devient si vive en Sicile que le peuple parcourt les rues de Palerme en poussant des cris de menace. Le gouvernement, intimidé, obéit aux vœux des Siciliens et remet à des temps plus favorables le recouvrement du malencontreux impôt. Heureux Siciliens! car les Napolitains n'en étaient point quittes pour si peu: on doubla chez eux le nombre des soldats et des canons; il fallut payer.

- De nombreuses pétitions au parlement de Turin décèlent l'irritation que produisent ces tyranniques impôts, et amènent d'importantes discussions.

(1) Séance du 17 janvier.

(2) Le Nomade, journal napolitain, numéro du 2 juin.

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Le député Mancini (1) en profite pour exposer le tableau comparatif des-dits impôts sous le gouvernement bourbonien et sous le gouvernement piémontais:

Sotto il governo Borbonico Sotto il governo Piemontese

1. Tasse fiscali su gli atti civili, e contratti lire 2,703,750 18,000,000

2. idem su gli atti giudiziari " 799,000 2,800,000

3. idem su le successioni " nulla 6,000,000

4. idem sul registro, e bollo " 2,863,000 10,800,000

5. idem, so gli atti amministrativi " nulla 884,600

Totale

" 6,365,760 38,434,000

Le député Mancini présente ces autres observations: «Autrefois, avec les lois antérieures en vigueur dans les provinces méridionales, on payait six millions de francs d'enregistrement et de timbre; aujourd'hui, avec les nouvelles lois, les mêmes taxes, c'est effrayant à dire, montent environ à trente-neuf millions. Ainsi, en un instant, elles se sont augmentées de presque sept fois plus.»

Le député Ricciardi (2) affirme «que l'odieuse loi nouvelle sur l'enregistrement et le timbre, au lieu d'augmenter les ressources du Trésor, n'a apporté qu'une diminution de 33 millions.»

- Le ministère envoie de Turin à tous les préfets napolitains des circulaires secrètes, leur insinuant de faire promptement rédiger des délibérations municipales en faveur des nouvelles taxes. Le gouvernement cherche ainsi, comme d'habitude, à tromper l'opinion sur les véritables tendances et les véritables désirs des populations.

(1) Séance parlementaire du 21 juillet.

(2) Séance parlementaire du 15 decembre.

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En dépit du déplorable état de nos finances, le gouvernement propose d'élever à 18 millions de francs la liste civile du roi, qu'une loi de 1860, avant les annexions, fuait à 10,950,000 fr.

Le député napolitain Ricciardi (1).s'oppose en ces termes à cette énorme augmentation: «Alors que nous sommes si chargés d'impôts, je ne crois pas convenable d'accorder au roi cette augmentation; c'est pour ce la que je loue la commission parlementaire qui a repoussé l'article proposé par une très-grande inadvertance du ministère, avec lequel on entendait grever le Trésor de huit cent mille francs de dépenses faites pour le voyage du roi à Naples.»

On parle de mettre un impôt nouveau sur les chats, les perroquets et autres oiseaux de luxe, les pianos, les photographies et les balcons.

Il serait oiseux d'ajouter des commentaires aux faits qu'on vient de lire, ils parlent avec assez d'éloquence; mais en forme de conclusion que l'on me permette de reproduire un important document (2) adressé de Turin à M. Fould, par le marquis de Lisle de Siry, rapport daté du 5 janvier 1863, et ne concernant que la situation des finances du royaume d'Italie.

«De l'ensemble des documents officiels que j'ai eu l'honneur de vous exposer dans ma Note d'hier, il résulte que l'Italie, d'après ses propres calculs, se trouvera, à la flnde l'exercice courant, en présence d'un découvert d'environ 800 millions de francs, et que les dépenses de 1862 ne s'élèveront pas à moins de 900 million?

(1) Séance parlementaire du 2 août.

(2) Extrait de l'Europe, journal de Francfort.


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L'évaluation des recettes effectives étant de 525 millions, et les dépenses du ministère des finances s'élevant à elles seules à 375 millions, il en résulte qu'il ne restera que 150 millions pour faire face à toutes les autres charges de l'État.

» Ces chiffres pourraient encore être discutés; mais par excès d'impartialité, je les ai acceptés comme vrais, me bornant seulement à rectifier ceux qui étaient manifestement faux.

» L'Italie ne pouvant pas se permettre le luxe d'une politique que ne comporte pas sa fortune, il faudrait pour prévenir le mal, qu'elle changeât radicalement de système; mais, comme elle n'en fera rien, il convient que, dès à présent, nous cherchions à sauvegarder nos intérêts beaucoup trop engagé? déjà dans ses affaires.

» M. de Sartiges, conformément à vos instructions particulières, a engagé le gouvernement italien à réorganiser son administration financière, en faisant rendre à l'impôt tout ce qu'il peut donner, et en réduisant son armée et sa marine de manière à obtenir un à-peu-près, d'équilibre budgétaire.

» La réponse fut pleine de promesses sur le premier point et absolument négative sur le second.

» On accepte, en paroles, que des fonctionnaires habiles soient détachés de nos différents services pour aider à la réorganisation financière; mais, en fait, on se gardera bien de profiter de votre offre. Ou aime à se persuader ici que les employés italiens en remontreraient de beaucoup aux nôtres.

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» Il n'est d'ailleurs pas nécessaire d'encourager le gouvernement à l'endroit de cette réorganisation, dont il comprend toute l'importance. L'uniformité de régime a été établie sur tous les points où cela était praticable. Il a la bonne volonté d'accroître les impôts existants et d'en créer de nouveaux; mais, ce que le parlement accorde souvent sans marchander, les populations rurales le rejettent sans récriminer. Elles se contentent de ne pas payer, et le gouvernement doit subir cette silencieuse opposition; car il est convaincu que, s'il les pressurait trop, leur apathie politique se changerait aussitôt en hostilité.

» Et d'ailleurs, quels sacrifices peut-on exiger de populations dont le salaire journalier moyen est de 60 centimes et même de 40 et 35 centimes, comme cela existe dans certaines localités du royaume de Naples?

» Cela pourra changer avec le temps; mais les hommes les plus éclairés, tout en faisant des vœux pour l'accomplissement futur de la richesse publique, pensent que, de longtemps encore, il ne faut pas espérer un accroissement notable du revenu.

» La situation peut se résumer en peu de mots: Impossibilité d'accroître le revenu dans le présent. Pas d'économies. Continuation d'une politique à outrance qui mènera droit à la ruine.

» La catastrophe est facile à prévoir. Elle pourra être retardée par des emprunts ou d'autres combinaisons d'une moralité au moins douteuse, qui, du reste, ne semblent pas effrayer ces gens-ci, puisque M. Sella, en se préoccupant de tirer 55 millions de l'impôt sur le revenu, y cherchait plus encore à se créer des bases pour les emprunts forcés de l'avenir.

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» Espérons que M. Minghetti, moins capable, sera plus scrupuleux.

» Quels sont, d'ailleurs, les moyens d'éviter les emprunts?

» En dehors de l'émission épuisée des bons du Trésor, n'y en a pas d'autres que la vente des chemins de fer de l'État, dont on espère obtenir 150 millions, et celle des biens nationaux, dont le revenu est évalué à 12 millions et demi.

» Cela suffira à peine aux dépenses de 1862.

» On parle aussi de vendre les biens de la Caisse ecclésiastique, ceux de main-morte et des communes. Mais si la vente des biens nationaux profite tout entière au Trésor, il n'en sera pas de même de la vente de ceux-ci. Elle ne pourra se faire qu'à un titre onéreux, c'est-à-dire en appliquant de nouvelles renies aux possesseurs de ces biens. On grèverait de la sorte l'avenir au profit du présent, et la catastrophe, ainsi retardée, n'en retomberait que plus lourde.

» Et quelles seraient d'ailleurs les Compagnies foncières assez osées pour aborder une pareille entreprise? L'exemple de l'Espagne et du Portugal n'est-il pas là pour nous laisser entrevoir les résultats probables* d'une semblable opération?

» Quoi qu'il en soit, bonne ou mauvaise, cette combinaison nécessiterait une avance considérable de fonds, et c'est sur la place de Paris que l'on compte, soit directement, soit indirectement, pour se les procurer.

» On parle tout haut de former des cadres, de se préparer contre l'Autriche, de créer une puissante marine, et on se flatte tout bas qu'un jour l'Italie avec ses quatre cent mille soldats, pourra s'imposer comme médiatrice armée,

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sinon comme arbitre, à la première rupture entre les grandes puissances. Ce sont là des rêves de cerveaux malades, mais les folles idées peuvent conduire aux folles actions, et les hallucinations malsaines sont moins à craindre ailleurs qu'ici, ou les populations ont du bon sens, mais en même temps une profonde indifférence pour tout ce qui ne touche pas ostensiblement à leurs intérêts matériels.

» Il serait outrecuidant, monsieur le Ministre, de vouloir vous signaler les dangers d'une pareille situation; permettez-moi cependant d'en dire quelques mots.

» Avant les annexions, les fonds du royaume de Naples étaient tellement élevés que les petits capitaux français ne les recherchaient même pas. Les fonds piémontais, émis dans de sages proportions, étaient également d'une circulation restreinte. Mais, à partir de l'emprunt Bastogi, notamment, les fonds italiens furent tellement recherchés en France, en raison de leur "bas prix, que je n'hésite pas à dire qu'au moins les huit dixièmes de cet emprunt sont entre les mains de nos nationaux.

» Le prix des petites coupures indique assez dans quelles mains elles se trouvent placées.

» Si la situation doit aboutir infailliblement à une liquidation désastreuse, que nous ne pouvons prévenir, tâchons du moins qu'elle ne retombe pas tout entière à notre charge.

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Les gros capitaux savent se défendre; mais il n'en est pas de même des petits, dont l'État a la tutelle; et il conviendrait, je crois, comme mesure efficace, que Je gouvernement de l'Empereur fermât dorénavant les marchés français à toutes les valeurs italiennes, tant de ses Compagnies de chemins de fer que de ses Compagnies foncières et de ses emprunts, dont un, quoi qu'eu dise M. Minghetti, me paraît imminent.»

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-

ARMÉE

Tout Italien est un héros à son heure!

Joseph Garibaldi.

I

On a le tort grave de croire que ce qu'on est convenu d'appeler l'armée italienne soit animé des mêmes sentiments de fidélité et de loyauté que l'ancienne armée piémontaise. Avant qu'un dualisme déplorable, et dont tous les effets ne se sont pas encore produits, n'eût éclaté entre le drapeau de la maison de Savoie et le drapeau des chemises rouges, l'armée piémontaise peu nombreuse, mais fortement disciplinée, pouvait prétendre en Europe à l'un des premiers rangs dans l'honneur.

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A la suite de brutales annexions opérés par une soldatesque cosmopolite, on a vu de plus en plus s'éclipser l'élément national et s'oblitérer dans l'armée les vieux principes qui l'illustraient naguère. On fomenta la trahison, on l'encensa, on la récompensa, on la couvrit de broderies et de crachats; aux épées vendues on noua des dragonnes d'honneur; on déguisa sous les dorures l'ignobilité des traîtres et des renégats. Le soldat croit bien faire en suivant l'exemple du chef que le roi lui donne. Si ce chef est un Nunziante, que surnagera-t-il du serment de fidélité inviolable, à l'heure où la guerre sera franchement déclarée entre les monarchistes unitaires et les héritiers de la Jeune-Italie? Ce n'est pas une armée, ces cohortes commandées par Judas ou par un bourreau, habituées à piller comme à fusiller, rongées intimement par la funeste et puissante camorra, et devant lesquelles l'argent piémontais forçait les consciences et les portes, comme pour entacher d'infamie jusqu'à la victoire même. Vous avez semé la désertion et le parjure, croyez-vous recueillir l'honneur et la fidélité? Parce que vous avez rencontré des porte-épaulettes infâmes, traîtres à leur roi et à leur patrie, croyez-vous avoir tué dans un peuple de dix millions d'âmes le sentiment national, et je dirai plus, le sens commun?

Sous prétexte d'apporter la liberté, il n'y a pas un impôt que le Piémont n'ait doublé, triplé, décuplé; l'impôt du sang même, cette négation première de la liberté individuelle, est plus despotique que jamais, et renouvelle annuellement dans la partie robuste des populations la

haine de l'invasion étrangère et du douloureux piémontisme.

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Ainsi, sous les tyrans, le recrutement ne dépassait jamais le chiffre de dix-huit mille hommes; sous le règne des libérateurs il dépasse trente-six mille. Sous les tyrans, l'exemption du service militaire coûtait environ mille francs; sous les libérateurs, elle en coûte trois mille. Sons les tyrans, les lauréats universitaires et les fils uniques étaient exemptés de la conscription; sous les libérateurs, la réquisition n'a pas d'exception.

Enfin, que sont donc venus apporter les Piémontais à ceux qu'ils prétendaient régénérer? l'éloge de la trahison, la vénération du déshonneur, de fabuleux impôts, la faim, la ruine, des massacres, des incendies, l'anarchie et, comme couronnement du nouvel édifice politique et social, un statut informe, plus informe encore quand il se compare au Code napolitain.

On a créé des gardes nationales, on les a créées de force en les affublant du harnais turinois; aussi ne se passe-t-il de jour sans que la Gazette officielle n'enregistre des licenciements de gardes nationales napolitaines, ou que les feuilles indépendantes nous donnent le détail de quelque fraternel banquet entre gardes-nationaux et brigands. Et cependant il s'est trouvé un ministre de l'intérieur pour oser écrire, dans une véhémente circulaire au sujet des désertions militaires, ces mots qui peuvent offrir la juste appréciation du ballotage anarchique où vague le royaume d'Italie: «Les gardes nationales, avec leur actif concours, ont à surveiller l'armée régulière.»

Je ne nierai pas qu'il n'existe dans le royaume de Naples quelques gardes nationales convaincues de la super excellence du régime piémontais,

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ou du moins chez lesquelles la majorité est enchantée d'être annexée et de porter le plumet sarde; mais toute révolution produit plus d'imbéciles que de traîtres; à Naples comme à Moscou, à New-York comme à Pékin, l'humanité aime le changement; mais combien j'en ai vu là-bas, de ces pauvres diables illusionnés d'un jour ou d'un an, revenus du piémontisme, de ses œuvres et de ses pompes, et demandant pardon à Dieu et aux hommes d'avoir coopéré au meurtre de quelques paysans ou de quelques brigands '

Eh bien! en regard de cette armée d'annexion dont l'avant-garde était la lie des rebuts européens, je veux placer le tableau de cette armée royale napolitaine, non vaiucue, mais trahie, qui, deux ans après l'écroulement de Gaëte, tient encore le drapeau blanc planté sur les montagnes, combat et meurt pour l'indépendance nationale, pour la souveraineté nationale, pour ce jeune roi qui, calme et pur au-dessus de tant d'orages et de hontes, personnifie en Italie la foi, la vaillance, l'honneur!

La presse piémontiste a raconté souvent avec d'enthousiastes accents la fusion fraternelle de l'ancienne armée royale napolitaine avec les cohortes subalpines. Au sein du sénat piémontais (1), le général della Rovere, ministre de la guerre, interpellé sur l'ancienne armée napolitaine, a formulé cet aveu presque naïf: «De cette ancienne armée, quatre-vingt mille soldats ont refusé de servir sous les drapeaux du roi Victor-Emmanuel.» C'est le chiffre total des soldats napolitains à l'époque de l'irruption piémontaise.

Et maintenant il ne me reste qu'à fustiger les misérables

(1) Séance du 1" février 1862.


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renégats, usuriers changeant de cocarde, acteurs au prologue de la sanglante comédie du Nord, Brennus impudents qu'on vit mettre leurs épées dans la balance et les vendre au poids des écus.

Ils allèrent jusqu'à oser se plaindre un jour au parlement piémontais (1) de n'avoir pas été traités convenablement dans l'opération de fusion des deux armées napolitaine et sarde. A ce propos, le député Nicotera prit la parole et déclara que ces parjures s'étaient vendus à l'avance au comité révolutionnaire de Basilicate. Un autre député, le général Cugia, révéla: «Que les réclamants avaient eu assez peu de modestie pour s'arroger de leur propre autorité un avancement de trois grades; ainsi les sergents s'étaient faits capitaines, de même que les capitaines s'étaient faits colonels; et de plus ces hommes aussi lâches que traîtres n'avaient jamais pris part à aucun combat.»

II

Les paysans évitent de donner des renseignements ou les donnent faux aux troupes piémontaises qui font la chasse aux brigands. Tout dernièrement encore dans les bois de Santa-Croce di Magliano, une compagnie entière commandée par le capitaine Rota est tombée et a péri dans l'embuscade où l'avaient amenée les faux rapports des paysans.

- Au mois d'août, un officier, un fourrier et deux caporaux piémontais partis de Palerme

(1) Séance du 27 mars 1861.

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en voiture essuient près de Termini une décharge de mousqueterie qui tue l'un et blesse grièvement les autres (1).

Deux officiers piémontais allant de Bari à Naples, aux environs du Val-de-Bovino, sont faits prisonniers par un détachement de réactionnaires et fusillés sur-le-champ (2).

Près de Lucera, le détachement piémontais commandé par le capitaine Richard, est entouré et massacré par un détachement napolitain (3).

Le 14 décembre, entre Castellamare et Agerola, on trouve deux gendarmes assassinés.

- Ou lit dans la Stampa (4), de Turin, au sujet des pouvoirs arbitraires déférés à l'autorité militaire dans les provinces napolitaines: «Le soldat n'écoute d'autre code que le sien; il ne lui vient pas à l'esprit qu'en dehors de son code il en soit d'autres également sacrés et plus précieux à l'intérêt social. Dites-lui qu'un tel est un coquin, il vous répondra: Pourquoi vous appesantir sur ce drôle? fusillez-le, il n'en sera plus question. Nous savions trop bien tous les malheurs que devait attirer sur les provinces napolitaines la prépotence souveraine du soldat. Nous les avons annoncés, mais nos amis n'en ont pas soufflé mot au parlement, soit par charité patriotique, soit parce qu'il ne servirait à rien d'en parler.»

(t) Gazzetta del Popolo.

(2) Gazzetta di Napoli, 28 mars.

(3) Il Pungolo, 26 mars.

(4) 29 décembre.

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Lettre d'un soldat piémontais détaché dan les provinces napolitaines (1): «Nous nous trouvons dans le royaume des Deux-Siciles sur le même pied que les Autrichiens à Novare en mai 1859, tant nous sommes odieux aux habitants qui nous dénoncent à l'autorité à propos de rien. Ainsi le ministère vient de destituer de cette manière un excellent capitaine; le seul bataillon du 47e de ligne, dans l'Abruzze extérieure, a vu porter quinze réclamations contre ses officiers, que l'on hait et qui risquent ainsi non-seulement leur vie, mais encore leur position sociale. En résumé, ces barbares ne veulent pas être Italiens, et n'ont pas honte de répéter à qui veut l'entendre, et à nous-mêmes, qu'ils voudraient être encore Napolitains comme devant.»

Les journaux indépendants des Deux-Siciles reprochent aux militaires piémontais leur dureté systématique, leur insupportable orgueil et leurs airs de conquérants, qui leur ont valu d'être odieux à tous; on les exile et on les isole, et l'on a vu jusqu'à des jeunes filles du plus humble rang refuser d'épouser des officiers par haine des destructeurs de leur patrie.

Des derniers jours de 1861 au mois de mars 1862, quatre mille six cent trente-trois déserteurs Italiens sont passés en Vénétie, tandis que dans la même période de temps le Piémont ne reçut que cent vingt-un déserteurs autrichiens.

- Le baron Ricasoli, président du conseil des ministres, trouve le courage de dire dans une circulaire diplomatique (2): «Une nombreuse levée est ordonnée dans

(1) Cette lettre a été publiée par la plupart des journaux.

(2) 3 janvier 1862.

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les provinces méridionales, et aussitôt les recrues s'empressent d'accourir avec enthousiasme sons la bannière italienne.» Nous savons bien qu'en Italie on croit ne pouvoir gouverner sans mentir; mais le mensonge même a des bornes à son audace. Les faits qui suivent réfutent d'eux-mêmes la circulaire du baron Ricasoli.

A Castellamare de Stabia, on choisit un jour de fête pour les opérations de la levée. Toutes les recrues avaient pris la fuite, moins deux (1). A Pausilippe, près de Naples, de cinquante-trois inscrits les gendarmes ne parviennent à en arrêter que deux. Les autres ont disparu. A Bénévent, où sous le tyrannique gouvernement pontifical on ne savait ce que c'était que le recrutement, le i \ janvier, jour du tirage au sort, il ne se présente pas un seul conscrit (2). Dans les îles Eoliennes, qui, sous le despotisme des Bourbons avaient toujours été% exemptes du recrutement, il ne se présente également pas un conscrit, le jour du tirage au sort.

- Le major Caimi, à la tête d'un cent de gendarmes, du 21" bataillon de bersaglieri et de plusieurs compagnies du 31e de ligne, est envoyé dans les îles Eoliennes pour faire la chasse aux réfractaires. Ses troupes cernent inopinément et successivement les villages de Lipari, Stromboli, Alicuri, Folicuri, Panaria et des Salines; on empoigne les réfractaires qu'on parvient à découvrir, et on les envoie sous escorte, attachés comme des malfaiteurs, au 5e dépôt, à Messine (3).

(1) Le journal le Veritiera, U janvier.

(2) Le Veritiera, 15 janvier.

(3) Journal officiel de Sicile, mars 1862.

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Des troubles fort graves éclatent à Castellamare del Golfo, en Sicile, le 1er janvier, à l'occasion du recrutement. Le peuple prend les armes, s'insurge et parcourt le pays en criant: A bas la levée! mort aux Piémontais! vive la République! On menace de mort le chef de la sûreté publique, son fils et le syndic de la ville. Les gendarmes et le juge de paix sont chassés à coups de fusil. Le commandant de la garde nationale et sa fille sont massacrés, on met le feu aux maisons des piémontistes, et à toutes les administrations publiques. Un détachement de cavalerie accourt d'Alcamo; le commandant Varvaro et sept de ses hommes perdent la vie dans le combat. Le Piémont a peur, peur que l'insurrection ne s'étende, et résout d'écraser Castellamare. Attaquée par terre et par mer la ville se défend vaillamment avec deux obusiers, et cause aux assaillants des pertes sensibles; mais un bombardement régulier la force à capituler. L'infanterie piémontaise opère son débarquement, fusille sur la plage vingt-sept individus dont on ne savait pas même les noms, et vingt-sept insurgés sont envoyés au bagne; quant au noyau de l'insurrection,'il s'est jeté dans les montagnes (1).

L'Opinione, organe semi-officiel de Turin, publie (2) une correspondance de Palerme qui affirme que «l'insurrection de Castellamare mérite d'attirer toute l'attention du gouvernement et du pays, parce qu'elle avait des ramifications sur tout le littoral de la Sicile.»

- Le député Crispi interpelle le ministère (3) sur les faits tragiques de Castellamare:

(1) Le Diritto, journal de Turin, 5 janvier.

(2) 13 janvier.

(3) }1 janvier.

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«Ces faits ont une importance plus grande que ne le peuvent faire croire les réticences de la Gazette officielle, les autorités locales en ayant été informées vingt jours à l'avance... Le mécontentement en Sicile est très-grave, surtout contre le recrutement.»

Le député d'Ondes-Reggio (1) censure gravement «le massacre instantané des individus qu'on a fusillés sans aucune forme de jugement ou de légalité,» et s'élève contre cet acte de barbarie frappant des citoyens «qui, de plus, pouvaient être innocents.»

- Un grand nombre de Siciliens s'enfuient à Malte; dans la dernière semaine du mois d'octobre, il en arrive jusqu'à soixante; un seul jour en vit débarquer vingt-six. Tous ces hommes fuient le recrutement piémontais (2). o L'ordre de recrutement a irrité la Sicile; pour y échapper, les recrues se jettent dans les montagnes ou émigrent; à Malte il en arrive journellement un grand nombre (3).» «Quarante conscrits de Lecce, se rendant au conseil général de recrutement siègeant à Bari, arrivés à Mola, prennent la fuite et s'embarquent secrètement pour la Dalmatie, où ils arrivent après une traversée de deux jours et sont bien accueillis parles autorités civiles (4).» A Monte-di-Procida, près de Naples, l'annonce du recrutement produit un soulèvement; le syndic est maltraité, et le peuple incendie la maison d'un pharmacien piémontiste.

(1) 18 janvier.

(2) Le journal le Malta-Times, novembre 1862.

(3) Le journal la Stampa napolitana, 22 novembre.

(4) Le journal L' Osservatore napolitano, 15 mai.

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III

Au sein du Parlement même (1), les députés Pace, Ricciardi et Minervini rendirent justice au paternel système de recrutement pratiqué sous les Bourbons «qui avait donné une armée de bons soldats, système paternel, économique, efficace plus que partout ailleurs, bien supérieur au système nouveau introduit par le Piémont, qui est dispendieux et d'origine allemande.»

Les feuilles napolitaines s'élèvent unanimement contre le mode indigne et inusité dont le gouvernement opère la levée. Les recrues sont escortées par des gendarmes, qui les conduisent publiquement par les villes, les mains liées comme des malfaiteurs (2).

Les conscrits de Castelbuono, en Sicile, dirigés sur Cefala, vers la fin de décembre, désertent tous en route. «En Sicile, au premier appel de la dernière levée, plus de la moitié des inscrits se sont rendus contumaces (3). Le journal le Precursore annonce que, «dans la nuit du 31 décembre, trente-six réfractaires se sont évadés du lazaret de Palerme et se sont enfuis par mer.

- Un journal ministériel (4) laisse échapper l'aveu suivant: «En Capitanate, la topographie du pays est favorable aux manœuvres; la température y est douce, et les propriétaires peu résolus à combattre la réaction:

(1) Séances des 14 juin et 11 juillet 1861.

(2) Voir les journaux des Deux-Siciles des mois de novembre et décembre.

(3) Il Carriere siciliano, feuille ministérielle.

(4) Le National, décembre 1861

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telles sont les causes qui font que le brigandage se maintient victorieux par l'augmentation quotidienne des bandes, qui se multiplient par l'adjonction de nombreux réfractaires. Les opérations de la levée sont sans résultat pour le recrutement de l'armée; car, de trente-six mille hommes demandés, quatre cents soldats ont pu à peine être dirigés sur Gênes par le vapeur le Volturno.»

A Parco, le peuple envahit la mairie, déchire les listes des conscrits et brise les écussons aux armes de Savoie.

Aucune des communes du district de Patti ne fournit le contingent demandé. A Tortorici, sur cent vingt-huit jeunes gens tombés au sort, cent vingt-quatre ont manqué à l'appel. A Castellamare del Golfo, quand le conseil de recrutement put fonctionner, après le bombardement de la ville, il ne se présenta, en fait de conscrits, à trois exceptions près, que tous les bossus, borgnes, boiteux, manchots, estropiés, aveugles, sourds-muets, etc., de la classe de 1842. Sur la fin de l'année, des troupes bloquent les communes d'Aderno, Paterno et Biancavilla, jusqu'à ce qu'on ait procédé à l'arrestation des conscrits; aucun habitant ne put sortir de la commune tant que dura l'opération.

- Les conscrits sont transportés en Piémont d'une manière si barbare et si inhumaine que, dans la traversée de Naples à Gênes, sur le pyroscaphe Général Garibaldi, il en meurt deux de froid, et environ deux cents autres sont débarqués dans un déplorable état (1).

(1) Ce fait a été relaté par tous les journaux italiens.


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Une circulaire secrète du ministère de la guerre (1) recommande aux commandants de corps d'exercer la plus active surveillance, non-seulement pour réprimer, mais encore pour prévenir les désertions, dont le nombre s'accroît scandaleusement tous les jours.

Huit soldats napolitains, du 15e régiment de ligne, désertent de Saluces, au commencement du mois de janvier. Dans la soirée du 2 janvier, vingt-six soldats napolitains, appartenant au 56" de ligne, désertent du dépôt de Fano. Quatorze soldats sont jugés par le tribunal militaire de Turin, devant lequel ils comparaissent sous l'inculpation de désertion avec complot. Ils faisaient partie des quatre-vingts et quelques Napolitains qui désertèrent ensemble de Savigliano, le 20 novembre 1861 (2). Vers la fin du mois de février, neuf soldats de la garnison de Crémone désertent (3). Dans la première quinzaine de mars, cinquante et un déserteurs abandonnent le 8" de ligne, qui n'était déjà plus que l'ombre d'un régiment. En mars, arrestation de vingt-neuf déserteurs napolitains, appartenant au régiment Royal-Piémont, en garnison à Cremone (4). En avril, treize Napolitains désertent de Casalmaggiore (5). A la fin du même mois, on découvre un complot de désertion formé par des recrues, sur lesquelles on saisit des poignards (6).

(1) Janvier 1862.

(2) Gazzette de Turin, janvier 1862

(3) Carriere cremonese, 1er mars.

(4) Le journal II Pungolo, 18 avril.

(5) Carriere cremonese, 20 avril.

(6) Le journal la Politiea del Popolo, de Milan, 27 avril.

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En un seul jour, cent soixante-treize soldats désertent de Castellamare de Naples (1). Non-seulement les soldats, mais encore les conscrits désertent en grand nombre, au dire du Diritto, journal de Turin (2); ainsi, le 25 mars, il en est déserté huit du quartier San-Potito, à Naples, et, du quartier de Sainte-Lucie de Caserte, plus de deux cents, qui ont pris le chemin des montagnes avec armes et bagages.

- On écrit de Momo, province de Novare, que les désertions continuent à être très-fréquentes. Le 25 avril encore, sept déserteurs à cheval ont été arrêtés par les gendarmes piémontais (3). Seize soldats du 9e de ligne désertent de Monza et passent en Suisse; ils sont tous napolitains (4). Le 29 avril, le général commandant la division de Modène eut vent d'un vaste complot de désertion tramé par d'anciens soldats de l'armée royale napolitaine. Cinq hommes du 59e de ligne et deux bersaillers furent mis aux fers. Le soir même, les gendarmes purent opérer l'arrestation des déserteurs (a). Dans l'arrondissement de Montepulciano et à Colle, on arrête un certain nombre de déserteurs. A San Quirico, les gendarmes arrêtent un militaire sicilien, qui avait déserté de Gênes (6). Cinq déserteurs napolitains entrent à Milan, escortés par la garde nationale de Rossano (7).Dans la nuit du 18 mai, sur la grande route du Tiglio, près Vico Pisano, dix déserteurs napolitains,

(1) Le journal l'Epoca, 25 avril.

(2) 31 mars.

(3) L'Opinione, journal de Turin, 28 avril.

(4) Gazette de Milan, 30 avril.

(5) Gazette de Modène, 30 avril.

(6) Le journal II Fora, 18 mai.

(7) Le journal Il Lombardo, de Milan, 21 mai.

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de la garnison de Lucques, sont arrêtés par les gendarmes (1).

Dans la nuit du 23 juin, un grand nombre de soldats napolitains désertent des quartiers militaires de Naples (2). Un journal libéral de Naples, la Patria, du 1er juillet, déplorant l'esprit de désertion qui infeste l'armée, rapporte que 19 nouveaux déserteurs, du 36e de ligne, se sont enfuis de Campobasso. La Gazette de Milan annonce que la garde nationale de Sabbio vient d'arrêter onze déserteurs de la garnison de Crema, dont un seul est milanais, et les dix autres, napolitains, et que, le 8 août, les gendarmes ont ramené à Gênes 50 déserteurs. Douze napolitains désertent du fort de Fenestrelle, dans la soirée du -10 octobre (3). Une demicompagnie d'infanterie piémontaise, composée presque entièrement de napolitains, déserte et passe en Suis?e avec un officier et un gendarme (4). Le journal L'Echo dell'Alpi Cozie, du 15 octobre, contient les lignes suivantes: «Dans la soirée du 8 courant, onze soldats des chasseurs ont déserté du fort de Fenestrelle. La semaine dernière, deux sous-officiers ont déserté de l'école de cavalerie. Un soldat du même corps avait déserté quelques jours plus tôt. Le dimanche, 12, deux soldats ont déserté du dépôt de Pignerol et gagné la frontière française.»

- Les désertions prennent une telle extension que la Gazette du peuple même (5) ne peut s'empêcher de s'écrier:

(1) Carrière delle Marche, 20 mai.

(2) L'Epoca, 24 juin.

(3) Gazette de Milan.

(4) Gazelle de Cotre, 19 octobre.

(5) 23 avril.

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«Les désertions ont lieu non-seulement parmi les soldats napolitains, comme on le di-ait d'abord, mais aussi parmi ceux des autres provinces, et malheureusement trop parmi les Vénitiens mêmes.» A la date du 6 mai, le même journal ajoutait: «Il est inutile de le dissimuler, la plaie des désertions prend les proportions d'un véritable péril.» La Gazette du peuple portait de là pour proposer une loi spéciale contre les fauteurs de désertions, oubliant que c'est à ces sortes de gens que le Piémont doit l'usurpation de Naples et des duchés.

- Vers la fin de l'année, L' Indipendente, organe de M. Alexandre Dumas, la Discussions, et autres feuilles piémontistes, se déclarent heureux de pouvoir dire que les désertions sont réduites de 120 à 25 ou 30 par semaine.

IV

Le 17 février, un soulèvement éclate parmi les soldats dans la forteresse de Fenestrelle. Un grand nombre de gendarmes et d'agents de police s'empressent d'accourir, pendant que la garde nationale prend les armes. Les soldats napolitains sont rigoureusement fouillés, et l'on trouve sur eux les portraits de LL. MM. le roi et la reine des Deux-Siciles.

Toutes les nuit*, des rixes sanglantes éclatent entre les garibaldiens et les officiers piémontais; les hôpitaux sont encombrés de blessés (1).

- Le 6 janvier, jour des Rois, un soldat napolitain crie dans les rues de Milan: Vive Bourbon! vive François II!

(1) Le Moniteur de Naples, 17 février.

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et ne cesse de le crier malgré les brutalités dont l'accablent les soudards piémontistes.

Vers la fin du mois d'avril, on découvre un grave complot militaire réactionnaire, dont s'entretiennent tous les journaux de Milan; les soldats napolitains casernés à l'hôpital Saint-Ambroise et au grand monastère voulaient provoquer l'insubordination parmi leurs compagnons d'armes. Le général Durando, le colonel de la gendarmerie et plusieurs officiers d'état-major accoururent au milieu de la nuit et firent arrêter quarante des meneurs. Dans le tumulte, un sergent avait été tué (1).

Dans la soirée du 23 février, un caporal piémontais du 13e de ligne en garnison à Milan, caserné à Saint-Philippe, assassine son fourrier pour lui voler les fonds de la compagnie (2).

Dans les prisons de Crémone, peuplées de déserteurs napolitains, une révolte éclate et ne fait que leur attirer de nouvelles rigueurs. On fouille leurs effets et l'on y trouve des portraits de S. M. le roi François II, avec l'épigraphe: roi d'Italie I (3)

Le 13 juillet, à Turin, une rixe éclate entre des artilleurs et des soldats du 47° de ligne; trois des combattants sont grièvement blessés. Le même jour, quatre duels politiques entre soldats ont lieu dans Turin et font deux morts.

- Le 9 juillet, à Naples, des militaires dégainent et se

(1) Le journal la Lombardîa, 28 avril.

(2) Le Pungolo, journal de Milan, 24 février.

(3) Le Carriere çremonese, 16 octobre.

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sabrent dans la rue en criant: Vive la République! (1)

Le 10 août, un capitaine de l'armée piémontaise se présente chez le député Crispi et promet de déserter de son régiment et de rejoindre Gàribaldi, le tout moyennant finances (2).

- Le ministre de la guerre adresse aux chefs de corps une circulaire secrète leur enjoignant de surveiller les soldats sous leurs ordres et d'empêcher que la camorra n'y fasse de plus dangereux progrès (3). A Turin, le 17 août, dix soldats piémontais sont pris en flagrant délit de complot camorriste, sont arrêtés, enchaînés, mis au pilori avec l'écriteau «Camorriste» et envoyés ensuite aux compagnies de discipline. Le 19 du même mois, un ordre du jour du major-général Boyl donne des instructions sévères pour purger l'armée do la race des camorristes. On sait ce que le royaume d'Italie entend par celte qualification: c'est à cette franc-maçonnerie de la trahison et du pillage, conspirant contre l'ordre légitime, que le Piémont doit la rapidité de son succès dans l'infortuné royaume des Deux-Siciles. Une fois l'annexion conclue, on voulut mettre un frein aux débordements des camorristes, mais en vain; alors on les traqua comme des bêtes fauves, parce qu'ils semaient la désertion dans l'armée piémontaise, comme naguère dans l'armée napolitaine; on en fit d'énormes razzias et on alla jusqu'à les déporter. On profita même de la circonstance pour traiter sur le même pied, et sous le prétexte de camorra, les pauvres soldats napolitains qu'on suspectait de n'avoir pas oublié l'héroïsme du roi de Gaëte.

(1) Le journal L' Osservatore napolitano, numéro 48.

(2) Lettre de M. Crispi. Voir le Diritto du 2 septembre,

(3) Octobre 1862

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Le 9 décembre, on met en jugement le soldat calabrais Pantaléon Serviddio, du 15e bataillon des bersaillers, accusé du crime de lèse-majesté pour avoir jeté ses armes à terre avec rage en revenant de la manœuvre, et avoir crié à plusieurs reprises: Maudite soit l'âme de Victor-Emmanuel! on nous traite comme des chiens et des chevaux, périsse l'Italie! maudits bersaillers, etc.

Le 14 décembre, à Manfredonia, dans les Fouilles, le sergent de marine Spina assassine M. de Franciscis, capitaine du port.

Les journaux de Gênes racontent qu'un soldat napolitain avait déserté et s'était retiré dans sa famille, à Garofali de Roccamonflna, près de Gaète, ou il vivait tranquillement et sans nuire à personne; on le découvre, on le traîne sur la place de Roccamonfina et on le fusille incontinent; sa mère accourait pour demander pitié, on la garrotte et on la jette en prison.

- Le député de Cesare (1) parle de l'état déplorable des troupes employées dans les provinces méridionales, des marches forcées qu'on en exige journellement, des maladies qui les déciment, des trop sévères punitions qui les frappent, des pertes que leur font subir les batailles réactionnaires, et en donne l'exemple suivant: «En Capitanate, il y a trois régiments, dont un de cavalerie qui n'a pas plus de soixante-dix chevaux; les deux régiments d'infanterie, dont, selon les lois et règlements militaires, les compagnies devraient être de quatre-vingts à cent vingt hommes,

(1) Séance parlementaire du 22 novembre.

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ne sont au contraire formés que de compagnies de quarante-cinq à cinquante hommes. Or, on sait que dans les provinces méridionales les troupes sont sur le pied de guerre, et l'excessive diminution de leur effectif ne peut être l'effet d'une organisation vicieuse, mais bien des pertes essuyées.»

La Monarchie nationale, journal de Turin (1), contient une observation curieuse à plus d'un égard: «Convenons que notre code militaire est dicté pour une armée qui fut un modèle de discipline et d'honneur militaire; mais au milieu des circonstances exceptionnelles dans lesquelles nous nous trouvons, il ne peut plus avoir aucune efficacité.

Ne sachant plus sur qui rejeter la faute des désertions quotidiennes, le gouvernement et le parlement s'en prennent au clergé, et créent contre lui une nouvelle loi qui punit sévèrement les déserteurs et leurs complices, mais frappe surtout les ecclésiastiques.

Peu de lois sauraient être plus sévères, plus arbitraires, plus partiales et violer plus essentiellement le principe législatif de l'égalité devant la justice et dans le châti^ ment. Le 2 juillet le député Massari propose l'amendement suivant: «En tout cas, quand la provocation à la désertion provient de ministres des cultes, la peine est augmentée pour eux de deux degrés supérieurs à celle qui punit la désertion.» L'article 9 du projet de loi était ainsi conçu: «Seront déférées à la juridiction militaire les personnes même étrangères à l'armée qui auront provoqué, conseillé ou favorisé d'une manière quel conque le crime de désertion,

(1) 24 avril.


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ou qui auront donné assistance, abri ou asile à des déserteurs.» Les députés Crispi et d'Ondès-Reggio s'opposent énergiquement à l'adoption de l'article précédent, démontrant qu'il est évidemment contraire au droit de tout citoyen de n'être pas privé de sou juge naturel, et qu'il détruit un des principes fondamentaux de toute liberté. Le député Brofferio (1), proclame qu'il viole les principes de la justice et de l'humanité, et demande au ministre Pepoli qui est en face de lui: «Auriez-vous le cœur de fermer votre porte à un pauvre déserteur jeune, brisé par la lassitude, la faim, la fièvre, qui vous demanderait asile pour une seule nuit? Non certainement. Eh bien, le lendemain, en vertu de l'article 9 de la présente loi, le ministre Pepoli serait déféré au tribunal militaire Je ne voterai jamais une loi aussi injuste et aussi scélérate que celle-ci, et si la chambre vote cet article, un jour comme Pilate devant le Juste, elle voudra s'en laver les mains, mais elle les trouvera teintes du sang de beaucoup d'innocents.» Injuste et scélérate! ainsi un Brofferio a défini cette loi. De quatre cent cinquante députés, il n'en est venu que deux cent dix-huit; cent quatre-vingt-quatre votent pour, trente-trois contre, et un des députés italiens trouve plus commode de s'abstenir.

V

Nous avons vu un ministre de l'intérieur déclarer que le rôle des gardes nationales est de surveiller activement l'armée régulière.

(1) Séance du 3 juillet.

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L'Italie redoute-t-elle donc toujours les prétoriens, mais n'est-ce pas bien le cas de rappeler la spirituelle interrogation du poète: «Quis custodet ipsos custodes?» La Gazette officielle ne cesse d'enregistrer des décrets de licenciement des gardes nationales, et les feuilles italianissimes ont fréquemment l'indiscrétion de nous révéler que ces mesures sont la conséquence d'un refus de marcher contre les brigands. Il suffit de parcourir ces journaux, du mois d'avril 1862 au mois de mars 1863, pour être édifié sur les sentiments unitaristes qui animent ces gardiens des défenseurs de la patrie.

A Tramutola, en Basilicate, des mains inconnues ravissent un enfant de l'opulente maison Falvella, et l'enfant n'est rendu qu'après une rançon de quarante mille francs. Les recherches judiciaires font découvrir enfin les auteurs de ce grave attentat, qui ne sont autres que le maire et le capitaine de la garde nationale de la commune voisine de Buonabitacolo!

Dans la soirée du 7 septembre, le lieutenant de la garde nationale de Fragneto-Monforte, principauté de Bénévent, M. François Jannelli, est tué à coups de fusil par ses hommes au moment où il sortait du poste.

Le 29 décembre, dans la rue Saint-Nicolas de Caserti, à Naples, l'avocat Sébastien de Nicolaïs est tué d'un coup de fusil que lui tire à l'improviste un garde national. La balle fait deux victimes encore, un chevrier et une chèvre qui passaient dans le voisinage.

- Plusieurs charretiers, sur la route de Girgenti, sont assaillis et massacrés par quatre soldats à cheval qui leur volent une somme de quinze cents francs,

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et puis se rendent chez le juge le plus rapproché, et dénoncent ce quadruple crime en en chargeant des auteurs inconnus; mais la providence voulut que la justice ne tardât pas à découvrir les vrais coupables (1).

«Voleurs de terre et de mer 1 entre le cap San Gallo et le cap San-Vito, nous avons les pirates; chaque jour les barques sont assaillies et dévalisées; ensuite les malfaiteurs descendent à terre pour y faire orgie et fraternisent avec nos soldats (2).»

Le 28 avril, un officier de garde nationale est lapidé a la croix Santa-Maria di Gesu par des chevriers qui l'accusent d'espionnage piémontiste (3).

A Peschici, deux gardes nationaux en uniforme sont surpris chez un pauvre horloger en flagrant délit de vol d'une montre. L'autorité municipale s'empresse d'étouffer cette scandaleuse affaire.

Le 2 juin, la lieutenance générale de Naples a vent d'une conspiration importante et s'empresse de dissoudre une des légions de la garde nationale.

- Le 20 mai, une imposante manifestation anti-piémontaise se produit à Naples dans la rue de Tolède; quelques patrouilles de garde nationale tentent de la dissoudre avec de brutales menaces. Trois jours après, les officiers, sous-officiers et soldats de la garde nationale font circuler une protestation fort vive contre ces blâmables procédés et contre tout acte d'arbitraire tendant à dissoudre les manifestations populaires.

(1) Le journal la Campana della Gancia

(2) Journal le Precurtore, 28 avril.

(3) Le journal le Carrière siciliano, 30 avril.

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Du 1er août 1862 au 1er avril 1863, trois cent douze gardes nationales ont été licenciées.

Dans le quartier des Granili, à Naples, un soldat piémontais, Trocchio, d'Asti, étant en état d'ivresse, reçoit quelques reproches da lieutenant Scarlini; Trocchio, se jetant sur lui, le mord au visage et lui arrache avec les dents la moitié de la joue, et l'oreille gauche.

Le 29 octobre, dans la rue de Chiaio, une des plus fréquentées de Naples, en plein jour, un capitaine de la garde nationale tue un de ses collègues.

«Dans la garde nationale sont compris les scélérats autrefois surveillés comme voleurs sous le gouvernement déchu (1).»

Les gardes nationales et les municipes de Solmona, de Castana de Sicile, de Caivano, d'Âfragola, du Nomero, d'Arenella, près Naples, de Pimonte, province de Salerne, et des centaines d'autres sont dissous pour intelligences avec les brigands.

Au mois d'octobre, la garde nationale de Foggia est dissoute avec ordre de consigner, dans les quarante-huit heures, ses armes et ses munitions. Les mêmes ordres sont envoyés conjointement dans diverses villes et communes. Plusieurs maires et plusieurs commandants de garde nationale sont mis en prison, prévenus de mettre peu de zèle dans la chasse aux brigands, et suspects d'entente avec eux.

- Un soir du mois de mars, le poste de garde nationale de la commune de Paterno met en pièces la statue de Victor-Emmanuel, celle de Garibaldi et le drapeau piémontais.

(1) Le Crivello journal d'Avellino n. 12.

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Dans la nuit du 4 novembre, un détachement de la garde nationale de Cardito, sous les ordres du lieutenant Joseph Castaldo, se rencontre et engage un combat meurtrier avec un autre détachement de la même garde nationale, commandé par le caporal François Nicola.

«Dans la matinée du 12 mars, environ cinq cents gardes nationaux sont arrivés en armes à Foggia jusqu'aux portes de la caserne des gendarmes en poussant les cris de: Mort aux Piémontais! à bas les gendarmes! Les assaillants étaient sur le point de commencer le feu, quand le commandant de place Materazzo et le capitaine Antoine Cubeddu s'élancèrent impétueusement au devant des révoltés, et firent tant, qu'ils retardèrent l'assaut de ces forcenés jusqu'à l'arrivée des troupes régulières qui les dispersa après en avoir arrêté bon nombre, entre autres le chef de la bande (1).

La garde nationale de la commune de Cerva est dissoute comme obéissant aux ordres du chef de brigands Muraca, leur compatriote.

Le chef de brigands Lo Zambro réunit sous ses ordres les bandes du Gargano et celles de Dragonara, et marche sur Arricena où il trouve le drapeau blanc arboré et la population en fête. Arricena est une ville de neuf mille âmes: les réactionnaires fraternisent avec la garde nationale.

- On nous écrit d'Avellino, en date du 22 mai: «Ce matin le préfet partira avec trois cents hommes pour Ariano.

(I) Gazzetta del Popolo, mars 1862.

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La raison de ce départ inattendu est le triste événement de Campo-Reale, où, par la lâcheté de quelques gardes nationaux mobiles, un peleton de brigands a pu massacrer quatre gendarmes. Nous demandons ce que font les dix mille hommes échelonnés entre Ariano et la Capitanate, s'il ne peuvent réussir à détruire quelques centaines de brigands (1).»

On nous écrit de Naples, en date du 1er juin: «La dissolution de la 4e légion de la garde nationale s'est opérée aux cris frénétiques de: Vive François H! à bas le Piémont! vive Garibaldi! dehors l'étranger!»

En plein jour, à Partinico, sur la place publique, M. Paola est assassiné. Les gardes nationaux et leur chef, quoique témoins du crime, ne s'inquiétèrent que d'emporter le cadavre (2).

On trouvera dans un chapitre ultérieur (3) une proclamation du général comte Mazé de la Roche, établissant, mieux que je ne le saurais faire, de quelle façon les soldats piémontais entendent protéger les campagnes et les fermes.

- Le Vésuve menaçait la ville de Torre del Greco, et les habitants s'étaient empressés de l'abandonner. Quelques compagnies de soldats avaient été envoyées pour garder la ville en l'absence des habitants. Quand ces derniers revinrent, ils trouvèrent les maisons entièrement dévalisées par les soldats de la régénération. Deux cent douze de ces misérables furent mis en prison;

(1) Popolo d'Italia, 23 mai.

(2) Campana della Gancia, mai 1862.

(3) Au chapitre des Lieutenants subalpini.

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mais le gouvernement ne persévéra pas dans les poursuites, répétant sa coupable indulgence envers les troupes qui étaient revenues des Abruzzes et de la Terre de Labour chargées d'argenterie, de bijoux et de riches tentures qu'ils vendirent ostensiblement dans Naples à vil prix.

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JUSTICE

... Nom avons des juges à Berlin.

I

C'est Dieu qui fera justice un jour, justice de tant de douleurs et de hontes! Le peuple s'aide, Dieu l'aidera! Les juges iniques, les bourreaux féroces reprendront le chemin de leur patrie maudite, et le calme heureux renaîtra pour ce royaume si cruellement éprouvé, si cruellement puni.

Qu'on nous permette de tracer un tableau succinct des procédés employés par les justiciers subalpins envers le peuple conquis des Deux-Siciles.

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Il suffît d'être suspect ou odieux au dernier des mouchards, il suffît d'une dénonciation anonyme, il suffît de déplaire à quelque traîneur de sabre ou à quelque valet de sous-préfet, pour qu'aussitôt l'on subisse de violentes perquisitions domiciliaires, où le vol a souvent part, et qu'on vous jette préventivement en prison, sans qu'il soit possible de prévoir quand vous en sortirez. Dans les prisons il n'y a ni registre d'écrou, ni parfois même un seul geôlier qui connaisse vos noms et qualités, encore moins le motif de votre détention. Épuisé par la faim, rongé de vermine, respirant un air méphitique, couchant suivie sol semé d'immondices, vous n'êtes bientôt plus que le spectre de vous-même; mais souvenez-vous que les régénérateurs interdisent jusqu'à la plainte, et la calment avec le bâton.

On parle de la Pologne et du knout; Naples et la bastonata viendront à l'ordre du jour.

Enfin, après deux ans de détention préventive, si Dieu vous a prêté vie, les prisons n'étant plus assez vastes pour contenir les prisonniers de chaque jour, et d'ailleurs les piémontiseurs vous supposant suffisamment refroidi, on s'occupe de vous mettre en jugement. Mais encore faut-il qu'on sache quel fut votre délit ou votre crime; on le cherche sans le trouver, on vous le demande, comment le sauriez-vous? On vous offre la liberté au prix du silence; acceptez-la sans demander des juges et une réparation; car les juges ne répareraient l'erreur qu'en vous condamnant.

Vous suppose-t-on quelque peu favorable à la maison de Bourbon, ne fût-ce que par voie de comparaison,


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des sbires vous impliquent dans quelque conspiration imaginaire, déposent contre vous, hurlent et injurient dans l'enceinte du tribunal quand vous tentez de vous disculper, et terrorisent la conscience des débiles magistrats. Avant l'audience, vos juges ont reçu des lettres anonymes les menaçant de mort s'ils vous acquittent; pendant l'audience, ils reçoivent des ordres signés du lieutenant-général commandant, et apportés par un aide-de-camp, qui entre, le tricorne en tête, tout botté et tout éperonné, jusque dans le prétoire.

Lisez plutôt la relation du procès de M. le comte de Christen et de son noble ami Achille Caracciolo,

On est-elle donc la justice? Si elle n'est pas dans les prisons, si elle n'est pas dans la conscience des magistrats, si elle n'est pas dans le sanctuaire des lois, oh est-elle enfin? Dans ces fusillades peut-être, ces horribles massacres, ces meurtres dont on ne sauve même pas les apparences, sans forme de procès, sans défense, sans jugement.... C'est navrant! Comparez, comparez toujours: L'Europe civilisée s'émouvait, s'indignait de voir le gouvernement légitime retenir en prison des conspirateurs assassins, fils de la Jeune-Italie et frères du Milano.... Mais a-t-elle dépensé toute son indignation contre les justes répressions du passé, qu'elle se taise en face des fusillades sans jugement qui déshonorent le Piémont à Naples? Condamne-t-elle les juges naturels pour absoudre et protéger les bourreaux de rencontre? Ajoutons enfin qu'après la répression du soulèvement du 15 mai 1848 et la défaite de l'invasion de Sapri, en 1857, le gouvernement napolitain soumit tous les prisonniers à la juridiction ordinaire établie par les lois,

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et commua toutes les condamnations à mort, répugnant à verser le sang pour des crimes politiques.

Il est pourtant impossible de comparer le passé et le présent, sans condamner l'administration piémontaise. La vérité est souvent arrachée aux complices mêmes de l'anti-nationale annexion. Je n'en veux pour preuves que les paroles prononcées par le député Nicotera dans la séance parlementaire du 25 novembre: «Naples reconnaissait quelque chose de bon dans le gouvernement bourbonnien, et savez-vous ce qu'elle reconnaissait de bon? C'est que la propriété et la vie étaient garanties. Mais l'administration d'aujourd'hui, parmi tant de maux dont elle a chargé les provinces méridionales, n'a pas seulement eu la force de garantir la propriété et la vie.» Un officier garibaldien, il n'y a pas longtemps encore, se pendait à Naples, ne laissant que ces mots pour expliquer son suicide: «Je me suis battu pour détruire des abus; je me détruis pour n'en pas voir de plus grands.»

II

Dans la province de Naples, une des vingt-trois provinces du royaume des Deux-Siciles, la statistique criminelle de l'année 1861 atteignait le chiffre de quatre mille trois cents meurtres ou tentatives de meurtres. Sous les Bourbons, ce chiffre était cinq fois moins élevé.

- Le député sicilien Crispi (1) rapporte qu'à Palerme, du commencement de mars an milieu de mai,

(1) Séance du 28 juin.

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il s'est commis 262 crimes, et, qu'à l'exception de 87, les auteurs en sont restés inconnus. Du 1" juin au 15 octobre, dans le district de Palerme, il s'est commis 6,745 crimes (1).

Dans le cours du mois d'octobre 1862, 160 méfaits des plus graves se sont commis dans Naples, et 98 homicides en vingt jours (2).

La ville d'Avellino, près Naples, est désolée par des vols audacieux qui ne reculent pas devant le sacrilège (3). A ce propos, la presse du pays insinue que la sûreté publique est aux mains de gens incapables ou complices des ribauds. Le Crivello déclare que «le gouvernement n'observe pas la justice, et rapporte différents actes de prévarication de la magistrature judiciaire qui a favorisé les coupables moyennant finances. Le même journal ajoute que «le gouvernement piémontais, à l'inertie du gouvernement passé, joint le vice d'incapacité et de despotisme.»

Dans la nuit du 26 janvier, le feu éclate à l'hôtel des postes de Naples, dans les bureaux de la conservation des hypothèques, dont la destruction eût anéanti les titres de nombreuses fortunes. Le sinistre est attribué à la malveillance.

- A la même époque, on falsifie des billets de banque, des actes de l'autorité, des congés militaires, des actes de l'état civil, des timbres, des actes notariés, etc.

(1) La Discussione, 10 novembre.

(2) Le journal L' Indipendente, 16 novembre.

(3) Le journal le Crivello, numéro 12.

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Il existe une véritable fabrique de falsificateurs sous la direction d'Henri Igli et d'Eugène Pani, autrefois condamnés aux galères sous le gouvernement des Bourbons et admis depuis l'annexion dans les hautes sphères du gouvernement subalpin,qui ne peut cependant faire moins que d'emprisonner ses deux amis.

Aux portes de la préfecture de police, à Naples, des malfaiteurs percent le mur de deux magasins et les mettent au pillage (1). La police ne parvient pas à découvrir les coupables.

Le nombre des attentats s'accroît à ce point que le journal la Democrazia (2) s'en exprime comme il suit: «Il ne s'écoule pas de nuit qui ne soit marquée par des vols, des agressions à main armée, des blessures et des homicides; chaque matin l'on entend parler de portes enfoncées, de murs percés, de boutiques pillées, de maisons dévalisées, d'attentats de toute sorte contre les personnes et les propriétés. Vivons-nous dans un pays sauvage ou dans une ville civilisée, alors que, dès la nuit, regagnant nos demeures, nous devons soupçonner un ennemi dans toul individu qui vient à notre rencontre ou qui nous suit! Dans les petites rues désertes, il faut avoir à la main le poignard ou le revolver pour n'être pas attaqué, volé, assommé: en somme, il n'y a plus de sécurité pour nos jours et pour nos biens.»

- Avec une audace incroyable, des voleurs dévalisent le magasin d'orfèvrerie du sieur Kiecer, non loin du palais du général La Marmora. Les malfaiteurs avaient à la porte

(1) Fin mars 1861

(2) Journal de Naples, 3 avril.

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de leur victime une charrelle qu'ils chargeaient de tout leur butin. Ils sont encore à découvrir.

«Les voleurs, qui repullulent à Naples dans de très grandes proportions, ont entièrement dévalisé sans le moindre respect la maison du député Mancini (1).»

La multiplicité des crimes jointe à la décadence de toute moralité administrative ne peut étonner, quand on sait à quelles gens sont confiés les hauts postes de la sûreté publique à Naples. On se souvient de qui nous fut envoyé de Turin avec pleins pouvoirs en qualité d'inspecteur général et organisateur de la police: c'était ce Philippe Curletti, complice de Luigi Gerbasi, convaincu de vol et d'assassinat et exécuté à Turin, le 14 janvier 1862.

La sécurité existe si peu, même sur les routes les plus voisines de Naples, qu'il fallut faire parcourir par deux bataillons le court trajet de la capitale au Vésuve, lorsque les princes de Prusse et d'Angleterre allèrent visiter le volcan. On prête à ce sujet le propos suivant au prince royal de Prusse. «Je vins à Naples sous le feu roi Ferdinand; il me donna deux gentilshommes de sa suite pour m'accompagner au volcan; le général la Marmora me donne deux bataillons: la comparaison n'est pas flatteuse.»

- «A Marsala, près de la porte de Trapani, nous avons vu de nos propres yeux le chef de la sûreté publique bâtonner un citoyen qui voulait reprendre des mains d'un voleur le manteau qu'on venait de lui dérober, ce qui permit au larron de s'esquiver (2).»

(1) Le journal l' Indipendente, 16 octobre.

(2) Les journaux Il Popolo, de Naples, Il Tribuno, de Turin 2 janvier.

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On comprend qu'il nous soit impossible de relater tous les meurtres ou toutes les tentatives de meurtre dont les journaux de chaque jour nous offrent le récit; ce que nous tenons seulement à établir, c'est la complicité, par indifférence ou par profit, des agents de la sûreté publique. Dans la soirée du 15 avril, à trois pas du poste de ces agenls, un chapelier est assassiné après une longue lutte. Des passants le trouvèrent baigné dans son sang après être accourus à ses cris; mais la sûreté publique n'interrompit pas son sommeil pour si peu (1).

Le député Bruno s'élève contre l'anarchie administrative et contre l'épouvantable accroissement des crimes en Sicile, et donne lecture à la Chambre (2) d'une dépêche qu'il vient de recevoir: «Ici, les vols, les agressions, les homicides se commettent jour et nuit; le commerce est intercepté; des bandes armées parcourent et agitent les campagnes, etc.»

Le 24 septembre, on écrit de Palerme au Diritto de Turin: «Notre situation ne peut se prolonger: La sûreté publique, qu'on prétendait assurée, est dans de pires conditions qu'autrefois; ce sont des rixes, des homicides, des vols et des bandes armées, mais tels qu'on ne vit jamais rien de semblable sous le gouvernement déchu... On redoute encore plus les vengeances particulières que les lois exceptionnelles et les baïonnettes du gouvernement.»

- Dans la piana de' Colli, en six semaines, on a cent vingt homicides à déplorer. Un sieur Onofrio Napoli, par

(1) Le journal le Precursore, de Palerme.

(2) Séance parlementaire du 5 août.

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vengeance personnelle, vit raser ses arbres, incendier sa maison, égorger ses troupeaux, assassiner sa mère et ses deux flls; lui-même n'échappa que par miracle à la mort. Les auteurs de ces atrocités sont toujours inconnus.

III

L'indignation est générale à Palerme contre l'acte d'arbitraire dont, le 18 décembre, a été victime la paisible famille de Pietro Ruisi. Une bande de gendarmes et d'agents de police défoncèrent les portes de la maison, envahirent l'intérieur, injuriant, pillant, menaçant de mort quiconque parlait de protester, et finalement emmenèrent en prison M. Ruisi et deux de ses locataires. Le lendemain le directeur de la police les remit en liberté, disant que ses agents s'étaient trompés.

Les agents de la police de Castrovillari (Calabre), n'ayant pas louché leurs appointements, se révoltent, le 12 mars, et refusent de continuer leur service. La Questure les fait tous emprisonner par la troupe régulière.

Les représentants de la force publique, soit par faiblesse, soit par connivence, n'inspirent plus aucun respect. Un des jours du mois de novembre, trois malheureux paysans que les gendarmes conduisaient aux prisons de Catanzaro, sont arrachés à leurs gardes et massacrés sur place par le peuple qui les prenait pour des assassins.

- Paroles du député Nicotera (1): «Le préfet n'ayant pu arrêter le maire de Canicatti

(1) Séance parlementaire du 25 novembre.

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qu'on supposait passé à Garibaldi, fit arrêter son père, bien qu'il fût âgé de soixante-quatorze ans.»

On lit dans la plupart des journaux napolitains sous la date du 8 décembre: «Le mois dernier, dans les rues de Naples, mendiait une malheureuse femme en haillons, au visage amaigri, accompagnée de six malheureux petits enfants dont le plus âgé n'avait pas sept ans; c'était la veuve et les fils de Pasquale Bugito, d'Afragola (1), barbarement fusillé sans aucune forme de jugement, sans avoir été pris les armes à la^main, sans avoir fait jamais partie d'aucune bande. Nous avons voulu prendre d'exactes informations pour savoir la vérité; voici ce que nous avons vérifié: Bugito ne trouvant plus à exercer le métier de domestique se fit commissionnaire, et souvent il se rendait à Bénévent pour y porter un peu de tabac. Une fois, au delà de Canalles, apercevant la troupe, il se cacha derrière des planches où on le trouva. Les raisons qu'il donna avec l'indication de sa demeure furent inutiles; en vain demanda-t-il d'être traduit en jugement: dix balles l'étendirent sans vie... Il laissait une femme enceinte et six enfants en bas âge.»

Les journaux napolitains du 6 décembre rapportent l'horrible fait que voici:

«Un chef de police en voulait à l'honneur d'une chaste fille d'un village de la province de Cosenza; celle-ci repoussant d'injurieux, ses propositions, le chef de police la fait arrêter ainsi que son vieux père qui l'adjurait de garder l'honneur, et les fait fusiller tous les deux à quelques pas de leur habitation, comme complices des brigands.»

(1) Gros bourg presque aux portes de Naples.


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Dans les Abruzzes, un pauvre curé de campagne faillit être fusillé pour avoir racheté quelque bétail que les brigands venaient de mettre en réquisition. Il en fut quitte pour quarante jours de carcere dura à Aquila.

Sur les soixante-dix mille pétitions présentées au roi de Sardaigne, lors de son voyage à Naples, cinquante-cinq mille portaient ce seul mot pour épigraphe:

Justice!

«La police ti'ayant pas procédé à l'arrestation des frères Speciale, de Baglieria, accusés de l'assassinat de Puglisi, un d'entre eux a été tué. L'action de la loi fait complétement défaut (1).»

«Dimanche, aux Quatre-Cantons, c'est-à-dire à l'endroit le plus central et le plus fréquenté de Palerme, M. Mariano Diaz a été poignardé au bras d'un de ses amis (2).»

«La nouvelle loi sur l'enregistrement, dont on avait déjà dit qu'elle serait trop onéreuse pour ces provinces, a produit de l'agitation parmi nos propriétaires. Les réactionnaires profitent de cette agitation, et il y à quelques jours une lettre ainsi conçue a été adressée aux avocats et aux magistrats de la ville:

«Monsieur,

» Vous êtes prié de vouloir bien vous abstenir d'aller» aux tribunaux dès le premier jour de la mise à exécution de la nouvelle loi

(1) Campana della Gancia, mai 1861.

(2) Precursore, mai 1862.

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» sur l'enregistrement, car pour chaque magistrat, avocat ou huissier, un assassin sera destiné.»

» La camorra des avocats.»

Il existe donc une camorra des avocats, et elle ne peut être composée que de réactionnaire? La police devrait les chercher et les punir. Ceci pour les camorristi. Quant à la cause de l'agitation, nous rappelons que si le gouvernement avait voulu écouter les conseils de la presse de l'opposition, aujourd'hui les choses n'en seraient pas là. La nouvelle loi doit être exécutée lundi 2 juin. Nous savons que plusieurs avocats n'iront pas au Palais de Justice, et qu'ils se réuniront lundi pour rédiger une protestation contre la nouvelle loi (1).»

IV

On blâme généralement M. de Monale, préfet de Palerme, qui, depuis son arrivée de Turin, c'est-à-dire depuis quatre mois, n'a pas accordé un regard aux prisons de la ville, où gémissent environ deux mille individus, couchant sur la terre, rongés de vermine, la plupart prisonniers par simple mesure de prévention. Un d'eux, depuis deux ans, n'a pas vu la lumière du jour et n'a pu voir la face d'un juge; il ignore même la cause de son arrestation. M. de Monale n'a pas le temps de penser à tant d'infortunés, pas plus qu'aux enfants trouvés, qui, dans leur hospice, meurent par centaines. Le préfet subalpin a bien d'autres soucis en tête;

(1] Le Popolo d'Italia, 21 mai.

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il passe les heures à banqueter joyeusement, non avec des fonctionnaires publics, des diplomates, des étrangers de distinction ou des citoyens de mérite, mais avec les actrices du théâtre Bellini (1).

On pousse jusqu'à la rage la manie des arrestations violentes; la presse est unanime à reconnaître que «les provinces de Naples sont régies par la loi de la terreur. D «Ces jours derniers, nous avons vu conduire dans les prisons centrales un grand nombre de familles et de correspondants des brigands, heureux, dans leur malheur, que Fumel n'ait pas tout fusillé (2)!»

«On continue sur une grande échelle les razzias de camorristes, d'enrôleurs, de complices et d'amis des brigands; rien que dans les provinces, le chiffre des arrestations dépasse quatre mille; dans un seul jour, quarante-six de ces individus ont été arrêtés dans la petite commune d'Alfano, sous-préfecture de Vallo (3).»

A Vasto, dans les Abruzzes, pendant l'état de siège, on incarcère soixante personnes, sur le sort desquelles le pouvoir militaire décide à son caprice, sans se préoccuper le moindrement de l'autorité judiciaire (4).

- Cinq cents réactionnaires sont entassés avec leurs chefs dans les prisons de Chieti; le gouvernement, redoutant une évasion,

(1) Déclaration de Michel-Ange Cammineci, fournisseur des prison) de Palerme.

(2) Il Calabrese, journal de Cosenza, 23 octobre.

(3) L'Italie, journal de Turin, 25 octobre.

(4) La Stampa, journal de Turin, 4 décembre.

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décrète leur envoi dans les bagnes de Pescara, sans attendre le jugement, qu'il trouve trop lent à venir (1).

A Brindisi, dans les Fouilles, le fort de mer est rempli des habitants les plus distingués de la province, et surtout de prêtres arrêtés par ordre du préfet Gemelli ou de l'autorité militaire.

A Avellino, les prisons regorgent; ce sont des centaines de vieillards, de femmes, d'enfants: trois générations de parents des brigands emprisonnés pour le seul et unique crime de parenté (2).

- Les journaux de Naples appellent l'attention du gouvernement sur le mode brutal avec lequel on transporte les détenus, et rapportent le fait suivant: «Au commencement de novembre, dans la rue Montoliveto, le public fut témoin d'un barbare spectacle: Un soldat à cheval traînait derrière lui un individu qui avait les menottes et un collier de fer auquel était attachée une corde que le cavalier tenait en main. Peu de jours après, dans la même rue, passaient des charrettes de déserteurs et autres prisonniers, parmi lesquels on remarquait deux religieuses du Sacré-Cœur. Les moribonds meule sont portés en prison, et parfois ils meurent pendant le trajet. On a été jusqu'à fouiller les maisons des agonisants. A Cosenza, les hommes les plus respectables ont été mis en prison et traînés d'un pays dans l'autre. La sécurité et la garantie des lois n'existent plus; il ne suffit pas d'être honnête et d'avoir la conscience pure pour échapper aux dénonciations anonymes.»

(1) L'indipendente, 3 septembre.

(2) Le journal la Democrazia, 13 décembre.

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La lenteur que mettent les cours d'assises à juger les détenus est particulièrement cause de l'encombrement des prisons. A Salerne, dix-huit cents détenus devaient être jugés dans le courant de l'année. Combien l'ont été? Quatre-vingt-dix-huit.

Le député Ricciardi, déplorant l'arbitraire qui régit les provinces méridionales, s'écrie: «Je veux être sûr qu'en sortant du Parlement je ne serai pas arrêté par un gendarme et conduit abusivement en prison.» Dans la séance parlementaire du la décembre, le même député prononce ces remarquables paroles: «La dernière fois que je vous entretins de la misérable situation des provinces méridionales, le 27 juin, l'honorable ministre Conforti taxa d'exagération le chiffre de quinze mille prisonniers affirmé par moi. Eh bien, Messieurs, j'ai acquis la conviction qu'au lieu d'exagérer, je suis resté en deçà de la vérité. Nos prisons sont pleines, et souvent pleines d'innocents En un mot, la liberté et la vie des citoyens tiennent au caprice d'un capitaine, d'un lieutenant, d'un sergent, d'un caporal. Il faut rappeler de Naples le proconsul militaire La Marmora, dont la mission est une insulte à la civilisation, une insulte à la première cité d'Italie.»

- Le député de Cesare s'écrie: «Un nombre infini de détenus gisent dans les prisons sans aucune imputation clairement établie, victimes de dénonciations vagues, soupçonnés d'être partisans des brigands, sans que l'autorité ait aucune donnée qui prouve leur culpabilité.» Le député Massari signale avec effroi l'abus des arrestations opérées sur des dénonciations anonymes, et raconte qu'à Bari, il faillit être emprisonné comme suspect d'être peu favorable à l'ordre de choses actuel.

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Le député Ferrari demande qui se trouvera en sûreté si le gouvernement a acquis le droit de sonder jusqu'au cœur des citoyens (1).

Le député Ferrari (2) parle de citoyens arrêtés par mesure de «police, déclarés innocents par les juges, et cependant retenus en prison de par l'état de siège qui dure toujours, bien qu'il soit abrogé sur le papier.»

- Une circulaire ministérielle du garde-des-sceaux, signée du directeur ministériel Robecci et adressée de Turin à tous les collèges judiciaires des provinces méridionales, «enjoint aux procureurs généraux, en ce qui concerne beaucoup de coupables, et principalement les coupables politiques, avant de les mettre en liberté, de consulter la police, à laquelle on accorde la suprématie sur le pouvoir judiciaire et toute faculté de détention.»

V

Extrait d'une lettre du député napolitain Ricciardi, adressée au président du conseil des ministres, Rattazzi, et publiée par la Nuova Europa, journal de Florence: «Les choses en sont venues à ce point dans cette partie de l'Italie (royaume des Deux-Siciles), que le plus grand nombre n'a pas foi dans la durée du nouveau gouvernement, qui, je ne craindrais pas de l'affirmer, y est généralement abhorré. J'ajoute que la justice et la loi y sont de vains noms,

(1) Séance parlementaire du 15 décembre.

(2) Séance parlementaire du 22 novembre.

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la magistrature ne faisant son devoir une très-imparfaitement, et, dans tous les lieux infestés par le brigandage, la vie des citoyens dépendant du caprice de l'autorité militaire, dont les excès sont à faire frémir. Depuis un an, des milliers de personnes ont été passées par les armes sans jugement d'aucune sorte, et sur l'ordre d'un simple capitaine ou d'un lieutenant; c'est ainsi qu'ont péri misérablement un grand nombre d'innocents. Je pourrais vous en citer d'horribles exemples en rappelant les dates, les noms et les lieux, n

Un décret en date du 6 avril, dit d'épuration de la magistrature des provinces méridionales, destitue en masse cent cinquante magistrats. «Malheur à ce gouvernement si, pour se maintenir, il croit nécessaire une telle hécatombe d'administrateurs de la justice... Et pourtant aujourd'hui la corruption parmi les juges est telle que, pour cent ducats, on peut obtenir l'acquittement d'un prisonnier, à moins qu'il ne soit trop fameux, et, pour la même somme, une favorable sentence dans un procès, et aussi un excellent emploi (1).»

- Il paraît à Naples, au mois de novembre, une critique fort appréciée de la nouvelle organisation judiciaire, que l'on déclare «fausse, grandement inférieure à l'ancienne et quatre fois plus coûteuse. On a si malheureusement remplacé les magistrats éliminés par le décret d'épuration, que, de l'aveu des avocats et des clients, les plus habiles et les plus honorables parmi les magistrats qui composent actuellement les tribunaux, à peu d'exceptions près, sont ceux qu'a épargnés le fameux décret.

(1) La Stampa, journal de Turin.

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Nous avons souvent entendu dire que, dans les procès politiques, les anciens tribunaux faisaient preuve de plus d'indépendance que les nouveaux.»

Le gouvernement né se fait faute de peser sur les décisions de la magistrature; ainsi il ordonne à la cour de cassation de Naples, au mois d'août, de déclarer incompétents les tribunaux de Calabre pour juger les rebelles d'Aspromonte.

Le député Nicotera prononce ces paroles instructives dans la séance parlementaire du 25 novembre: «Le gouvernement bourbonnien voulait maintenir une certaine apparence de légalité et de respect de la magistrature. Il n'y a pas d'exemple que les tribunaux aient reçu directement et ouvertement, sans aucun égard, l'ordre dejuger dans un sens plutôt que dans l'autre. Cet exemple, messieurs, le ministère de Turin nous le doane avec son télégramme à la cour suprême de Naples.»

Si l'on veut une idée des mesures arbitraires pratiquées par le gouvernement régénérateur, il suffit de lire la Gazette officielle du royaume d'Italie du 4 novembre: «Le 12 octobre, plusieurs commerçants de la province de Salerne furent dévalisés par huit malandrins de la commune de Senerchia; le gouvernement a forcé le maire et la garde nationale à indemniser les victimes.»

- Au commencement du mois d'avril, peu de jours avant l'arrivée du roi Victor-Emmanuel, le préfet de police de Naples donne sa démission; mais en trois mois il avait fait exécuter quinze cent onze visites domiciliaires. La presse officieuse même s'alarme de ce despotique état do choses, et le Nomade, entre autres journaux, conseille au gouvernement d'ouvrir les yeux «sur cette plaie sociale qu'à Naples on nomme sûreté publique.»


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Le député Crispi déclare que la Constitution est indignement foulée aux pieds par l'état de siège, la suppression de la liberté de la presse et les ordres du jour de certains généraux, bien plus horribles que ceux des généraux bourbonniens, puisqu'ils contiennent des menaces de fusillade sommaire (1).

«Après onze mois et huit jours d'emprisonnement illégal et sans procès, M. Dominique Majetta a été mis en liberté. Il avait été arrêté comme bourbonnien, tandis qu'il n'est en réalité qu'an notaire de Rotondo (2).»

M. del Giudice, préfet de la Capitanate, adresse cette lettre à M. Raphaël Conforti, ministre de la police à Naples:

«Monsieur le Ministre,

» Par sa lettre ministérielle du 19 courant, Votre Excellence m'ordonne de retenir en prison à la disposition du ministère, les détenus politiques, même après la déclaration de leur innocence rendue par les tribunaux. Tant que je serai à la direction des affaires de cette province, je n'obéirai pas à une pareille disposition.»

Foggia, 20 octobre 1861.»

- On écrit de Naples, 5 avril, au Messager du Midi: «Un vol d'une grande audace s'est accompli hier a Naples; des malfaiteurs se sont rendus en plein jour au domicile d'un prêtre fort riche,

(1) Séance parlementaire du 20 novembre.

(2) Il Difensore, journal de Naples, 13 mars.

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lui déclarant qu'ils appartenaient à la police secrète et qu'ils avaient ordre de faire chez lui une perquisition politique. La sœur, le frère et le domestique du prêtre furent bâillonnés et garrottés, et le prêtre lui-même fut enfermé dans un cabinet noir. Les voleurs prirent de l'argenterie et des objets précieux pour une valeur de douze mille ducats et se retirèrent sans être inquiétés.»

On lit dans un journal de Naples (1): « Au nom de l'humanité, nous prions le gouvernement de prendre en pitié les individus entassés dans les prisons de Castel-Capuano, et qui gémissent depuis un an sans procès d'aucune sorte. S'ils sont coupables, qu'on les juge au plus tôt, ou au moins qu'on les fasse interroger par le magistrat. S'ils sont innocents, pourquoi prolonger une situation qui est une atteinte aux droits de l'humanité?»

- A propos de l'épuration de la magistrature napolitaine, M. Ratazzi, président du conseil des ministres, prononce au parlement les paroles suivantes (2): «Quant aux réformes qui ont été opérées dans la magistrature, elles l'ont été autant que possible avec justice; mais si quelque injustice a été commise, ce qui ne peut certainement pas être affirmé, ces injustices sont excusables, car les modifications ont porté sur un nombre de plus de quinze cents magistrats, et ont dû être terminées en six jours de temps. Ces réformes ne pouvaient pas, d'ailleurs, être retardées; il y avait six mois que l'administration judiciaire ne fonctionnait plus dans les provinces napolitaines, et il était plus qu'urgent de mettre fin à un état de choses qui ne pouvait continuer sans les plus graves inconvénients.

(1) Le Difensore, avril 1863.

(2) Séance extraordinaire du 10 avril.

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Il m'a semblé, ajoute M. le président du conseil, qu'il valait mieux risquer de commettre quelques injustices qui pourront être réparées, que de retarder encore l'exécution de ces réformes.»

VI

Extrait de la motion d'enquête parlementaire présentée par le député de Casoria, duc de Maddaloni-Proto, le 20 novembre 1861.

«Qu'elle est donc belle, cette unification d'un pays crucifié sur un lit de douleur, étouffé dans une mer de sang! Et voilà pourtant le crime qu'ont consommé les hommes qui nous gouvernent; ces hommes enlèvent à nos populations jusqu'aux douces illusions de la liberté, et leur font voir comment un régime constitutionnel peut devenir synonyme de despotique; comment, à l'ombre d'un drapeau tricolore, on peut violer impunément le domicile, le secret des lettres, la liberté personnelle et jusqu'aux formes de la justice; comment on peut retenir longtemps en prison et sans jugement les prévenus, les faire exécuter sans procédure, par la simple volonté d'un caporal, sur un soupçon, ou par la délation d'un scélérat Le corpus juris napolitain, surtout dans les lois pénales et dans celles de procédure pénale, est, d'après l'avis de tous les jurisconsultes de l'Europe, bien supérieur à celui des Etats-Sardes.

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Changer ce qui est bon pour ce qui est médiocre peut paraître une belle chose aux yeux des ministres piémontais, mais ne sera jamais jugé une chose prudente et opportune par ces hommes d'État qui veulent examiner d'une manière réfléchie les maux et les nécessités de l'unification d'une province. n

En regard de tant de procédés odieux et de barbares traitements par lesquels on se leurre peut-être de piémontiser les Deux-Siciles, nous croyons devoir placer un extrait de la proclamation adressée à son peuple par le roi Ferdinand II, le jour de son avènement au trône:

«Considérant qu'il ne peut y avoir dans le monde aucune société bien ordonnée sans une juste et impartiale administration de la justice, ce sera le second objet sur lequel nous tournerons notre ardente sollicitude. Nous voulons que nos tribunaux soient autant de sanctuaires qui ne puissent jamais être profanés par les intrigues, les protections injustes, ni par aucun égard ou intérêt humain. Aux yeux de la loi, tous nos sujets sont égaux, et nous ferons en sorte que la justice soit impartialement rendue à tous (1).»

Et pour mettre le dernier trait à ce parallèle dégradant pour le piémontisme et les calomniateurs des Bourbons, j'emprunte à M. Jules Gondon les révélations qui suivent (2):

«On peut donc affirmer, sans craindre d'être démenti, qu'il n'y a pas, dans le royaume de Naples, une seule personne retenue en prison après un acquittement définitif de la cour devant laquelle elle a comparu.

(1) Albert de Dalmas, le Roi de Naples, page 14.

(2) De l'étal des choses à Naples et en Italie, lettres à un membre du parlement britannique, pages 99 et 100.

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» En étendant même mes investigations jusqu'à la Sicile, sur laquelle se sont repliés les dénonciateurs du gouvernement napolitain, dans l'espoir d'y trouver les prisonniers qu'on leur a démontré n'avoir jamais existé dans les États de Naples, j'ai appris les faits suivants:

» Au 1er avril 1852, il y avait, dans les prisons de l'île, soixante-cinq détenus appartenant à la catégorie dont je m'occupe, qui étaient ainsi répartis: à Palerme, vingt-trois; à Messine, trente; à Catane, deux; à Girgenti, deux; à Noto, six; à Caltanizetta, deux. Je puis ajouter qu'à la même époque les autres catégories de prisonniers politiques (pour toute l'île) donnaient un total de soixante et un, y compris ceux qui avaient été condamnés et ceux qui devaient être jugés. En additionnant ces chiffres, nous avons seulement cent vingt-six prisonniers politiques, comprenant toutes les catégories de détenus.

» La haute police napolitaine elle-même n'use qu'avec une extrême réserve des facultés dont la police jouit dans tous les pays de l'Europe; car, le 1er mars 1852, il n'y avait à Naples que quatre personnes en prison par mesure de haute police.

» Ces quelques chiffres, recueillis sur les lieux mêmes, après les investigations les plus minutieuses, montrent à quoi se réduisent les exagérations qui ont couru le monde sur l'arbitraire qui préside, dans les États napolitains, aux actes de la magistrature.»

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PRISONS

…..........................................

Silvio Pellico.

I

Je ne saurais mieux dédier ce douloureux chapitre qu'an très-honorable M. Gladstone, à, l'homme qui, faisant en politique les commissions de la vindicative Angleterre, a trouvé tant de chaleureux accents pour des prisons fantastiques et des martyrs d'occasion.

Je dis que M. Gladstone ne fut rien que le commissionnaire des rancunes anglaises. Il suffit, pour l'établi^ de relire une page de l'histoire des Deux-Siciles sous le règne patriotique de Ferdinand II, page qui démontre à l'évidence que la race des marchands n'est pas moins irritable que celle des poètes.

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Nous tiendrons compte, d'ailleurs, en temps et lieu, au très-honorable commissionnaire de son poème dantesque, sinon pédantesque, sur les prisons napolitaines.

La Sicile possède d'immenses richesses souterraines. Son sol est percé de nombreuses solfatares, qui donnent naissance à un commerce important avec l'Europe. Lorsqu'on découvrit ces solfatares, l'argent manquait pour leur exploitation. Des Anglais vinrent s'établir dans l'ile, et peu à peu accaparèrent le monopole du commerce des soufres, sans solliciter ni obtenir aucune autorisation du gouvernement des Deux-Siciles. En 1838, une société française traita avec le gouvernement de Naples et s'engagea à acheter tous les ans le soufre produit par les solfatares de la Sicile. L'Angleterre, quoiqu'elle n'eût aucun droit, protesta contre ce traité, qui, prétendait-elle, était une violation flagrante des traités de 1816, et devait porter préjudice aux exploitants anglais établis en Sicile, et fit dépendre la ratification du traité de commerce que le gouvernement de Naples voulait conclure avec elle de la résiliation du traité passé avec la société française. Le roi Ferdinand, porté par les intérêts commerciaux de son royaume à se ménager l'alliance de l'Angleterre, proposa à la compagnie française de rompre le contrat moyennant de larges indemnités; mais l'impatience du cabinet britannique lui fit brusquer les négociations. Il somma le gouvernement napolitain, en lui adressant des menaces de guerre, de rompre immédiatement le contrat des soufres, et d'accorder des indemnités pécuniaires aux Anglais, qui, selon lui, avaient éprouvé des préjudices par la conclusion du traité.

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Le roi ne céda pas, et sa réponse fut empreinte d'une grande dignité.

«Le traité de 1816, dit Sa Majesté, n'est évidemment pas violé par le contrat des soufres. Au lieu d'avoir éprouvé des dommages, les sujets anglais ont réalisé des bénéfices considérables. J'ai donc pour moi Dieu et la justice, et j'ai plus de confiance dans LA FORCE DU DROIT QUE DANS LE DROIT DE LA FORCE.»

Immédiatement après avoir fait cette réponse, le roi donna des ordres pour armer les côtes de Sicile, et y envoya des troupes. L'Angleterre, peu soucieuse de sa réputation, n'a jamais trahi ses intérêts, lors même qu'elle a dû sacrifier sa dignité pour les soutenir. Elle rassembla une forte escadre dans le golfe de Naples et s'empara de quelques navires de commerce siciliens. La lutte ainsi entamée semblait devoir prendre des proportions plus grandes, lorsque le roi Louis-Philippe fit offrir la médiation de la France. Le roi Ferdinand l'accepta le 20 avril 1840, et l'Angleterre l'accepta quelques jours après. Les négociations amenèrent l'arrangement du différend que le roi de Naples accepta par déférence pour le médiateur, mais il ne modifia pas ses premières résolutions, qui consistaient à rompre le contrat en indemnisant la compagnie française et un petit nombre d'industriels anglais établis en Sicile. C'est ce qui fut fait. Ainsi que le roi l'avait pensé, la force du droit l'emporta sur le droit de la force, et l'Angleterre dut abaisser ses injustes et violentes prétentions devant la ferme et noble conduite de Ferdinand (1).

(1) Albert de Dalmas, le Roi de Naples, p. 35, 36 et 37.


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Comprend-on maintenant quels sentiments haineux dictèrent les odieuses philippiques du très-honorable Gladstone et les observations approbatives de son complice Palmerston! Le roi Ferdinand II était Bourbon; tout Bourbon est Français; Ferdinand ne l'oubliait pas et savait concilier avec l'amour de la patrie, l'amour du berceau de sa royale maison. Il favorisait la France contre l'Angleterre: faut-il s'étonner après cela des injures et des calomnies des Gladstone et des mercenaires démocratiques qui, pour de l'or, jetteraient de la boue sur les plus fermes champions de la France même.

Je dédie à M. Gladstone ce chapitre des prisons piémontaises, bien sûr qu'il va trouver pour la vérité des accents encore plus énergiques et plus virulents qu'autrefois pour la peinture de chimériques horreurs;et pour lui prouver ma bonne foi, je tiens à lui donner acte de la sienne et à reproduire ces lignes curieuses où il revient humblement sur ses assertions premières:

«Je n'ai rien appris confirmant l'assertion par moi rapportée comme probable que Settembrini avait été torturé. Je crois donc de mon devoir de la retirer.

» J'avais commis une grave erreur en disant qu'il avait été condamné aux doubles fers pour la vie. Les fers ne font pas partie de l'ergastolo, qu'il a dû subir par suite de la commutation de la première peine.

» J'ai dit que six juges avaient été révoqués à Reggio pour avoir acquitté des prisonniers politiques. C'est une erreur: trois d'entre eux ont été seulement changés de poste.

» J'ai dit que dix-sept malades avaient été massacrés à Procida, lors de la révolte de cette prison. Je crois aussi que c'est une erreur.

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» J'ai prétendu que certains prisonniers, acquittés dans le procès de L' Unita, italiana, étaient encore en prison. Cette assertion pourrait faire croire qu'ils ont été retenus en prison un temps considérable après leur acquittement, ce qui est inexact (1).»

II

Les journaux ont établi qu'à la fin de 1861 les prisons du royaume des Deux-Siciles contenaient quarante-sept mille sept cents individus, et que quinze mille six cent soixante-cinq autres avaient été fusillés. Nous croyons ce dernier chiffre exagéré d'environ un tiers; mais quant à celui des prisonniers, nous le tenons pour vrai et certain. Pour les seules provinces de la Terre de Labour, de Salerne et de Naples, trois provinces sur vingt-trois, la fourniture des prisons a établi officiellement qu'il s'y trouvait détenues vingt-deux mille sept cents personnes. A ce compte, le total ci-dessus indiqué serait plutôt au dessous de la vérité.

- Le député Ricciardi déclare (2) que le roi Victor Emmanuel, au mois d'avril 1862, reçut à Naples, en vingt-cinq jours, plus de soixante-dix mille suppliques, et que, dans les seules prisons de la ville de Naples, languissent seize mille citoyens. Quelques députés faisant des signes de dénégation, M. Ricciardi réplique: «Le nombre des gens enfermés comme suspects de bourbonnisme est d'environ seize mille.

(1) Examination, p. 10.

(2) Séance parlementaire, du 17 juin.

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Et qu'on ne me dise pas non, parce que je ne suis pas un homme léger, et que, quand je dis une chose, je la dis parce que j'en suis certain. Je possède l'état des détenus politiques dans les diverses provinces; rien qu'en Basilicate, ils sont douze cents; le plus grand nombre ont été arrêtés illégalement, quelques-uns même sur les plus légers indices.»

Le marquis de Normanby appelle l'attention de la Chambre des lords (1) sur le traitement infligé à tant de malheureux prisonniers. «On sait, ajoute-t-il, que, sur la population de huit millions d'individus que contient le royaume de Naples, vingt-cinq mille à peine prirent part au vote d'annexion; et voilà seize mille personnes jetées en prison parce qu'elles résistent à la volonté du peuple, représenté par ces vingt-cinq mille.» Déjà, dans une séance précédente (2), le marquis de Normanby avait parlé des restrictions arbitraires introduites par les Piémontais dans les prisons napolitaines, défendant aux détenus de recevoir les visites de leurs parents et même de conférer avec leurs défenseurs. Ces mesures arbitraires donnèrent lieu à une solennelle protestation signée des soixante premiers avocats du barreau napolitain contre «les abus et les illégalités administratives dans le traitement des prisonniers.»

- Au mois de novembre 1862, dans les prisons de Palerme, deux mille individus sont enfermés sous la prévention d'être suspects de bourbonnisme. Le préfet ayant en vue d'autres arrestations, demande l'autorisation de convertir en prisons les couvents des Franciscains et des Capucins, les anciens locaux n'étant plus suffisants.

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Un détenu est assassiné dans une des prisons de Palerme, et son frère est grièvement blessé; les camorristes, qui étaient les coupables, forcent le blessé à se déclarer fratricide, ce qu'il fait devant l'autorité sous le coup de menaces de mort; mais la vérité se découvre providentiellement.

Dans la prison de la Vicaria de Naples, le fameux camorriste Antonio Lubrano est tué pendant la nuit par ses propres complices. Voici ce que disait de cet homme, à la date du 10 octobre, un journal de Turin (1): «Quand le roi Victor-Emmanuel vint pour la première fois à Naples, Lubrano fut un de ceux qui s'attelèrent au carrosse royal pour le conduire au palais; fort de ce service rendu à la cause, comme il disait, il se présenta à la police et dit qu'on ne pouvait plus l'emprisonner pour ses antécédents, consistant en plusieurs homicides, puisqu'il avait eu l'honneur de se tenir aux côtés de Sa Majesté et d'en toucher la voiture.»

Les journaux siciliens déclament contre la mauvaise qualité du pain fourni aux prisonniers de Palerme, qui, ne pouvant pas le manger, en forment une sorte de tabac qu'ils montrent aux curieux qui les visitent.

- Quatre cents individus ont été envoyés en prison dans le cours de "année par la police de Palerme, qui ignore jusqu'à leurs noms, si bien que, pour les savoir, on s'est vu contraint de s'adresser au procureur du roi et au directeur des prisons, qui ne les connaissaient pas tous.

(1) Gazzetta di Torino.

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On lit dans un journal de Naples(l): t Les justes plaintes des détenus ne cessent pas depuis huit ou dix mois qu'ils sont enfermés sans procès, sans espoir, sans décision aucune sur leur sort. Il n'y a que les mauvais traitements qu'on ne leur ménage pas.»

La discipline intérieure des prisons est nulle; les geôliers sont sans courage et sans force, et souvent même on les trouve complices des tumultes, des meurtres et des évasions. Le journal le Pungolo annonce l'évasion de six cents galériens du bagne de Brindisi. Six cents!

«Les agents de la sûreté publique arrêtent des malfaiteurs, et, quelques jours après, les juges les mettent en liberté. Le crime est presque sûr de l'impunité, et des milliers de condamnés évadés ou amnistiés parcourent les rues de Palerme en groupes nombreux, se pavanant dans leurs vestes de galériens, et riant au n-ez des agents de la force publique (2).»

Un très-grave désordre se produit dans les prisons de Castelcapuano, à Naples; la sentinelle décharge son fusil contre un prisonnier en contravention; ce fait est suivi d'une révolte de tous les détenus; les guichetiers s'interposent en vain, plusieurs d'entre eux sont blessés et l'un y laisse la vie (3).

- Plusieurs journaux déplorent les monstruosités que, dans quelques prisons, les détenus robustes coin mettent contre les plus faibles.

(1) Gazzetta di Napoli, fin décembre.

(2) Le Diritto, journal de Turin, n. 93.

(2) Le journal il Pungolo, 28 novembre.

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Il y a là des jeunes gens sans aucune expérience que la prison pervertit Mais jetons

un voile sur ces horreurs (1).

Dans un ordre du jour confidentiel que l'on trouvera au chapitre des Lieutenants subalpins, le général comte Mazé de la Roche confesse ouvertement que «les prisons sont pleines d'innocents.»

- Le garde-des-sceaux Pisanelli (2) avoue que, dans les prisons de Naples, gisent, depuis deux ans, quatre mariniers, sans qu'on sache encore par quel tribunal ils doivent être jugés.»

III

Dans le but de fermer la plaie du paupérisme, la police de Naples emprisonne sans pitié toute sorte de mendiants, qu'elle oublie parfois dans les cachots, de sorte qu'un malheureux du nom de Luigi Creolla, arrêté le 15 janvier, incarcéré et oublié pendant plusieurs jours, fut trouvé mort de faim dans sa prison.

Le journal le Popolo d'Italia du 21 janvier, rapportant ce fait si douloureux, en fait mieux ressortir l'horreur en rapportant que le préfet de police de Naples, Santaniello, touche annuellement 50,000 francs pour le soulagement de la mendicité.

- Dans la nuit du H au 12 juillet, quarante-quatre galériens s'évadent du bagne de Granatello.

(1) Colpo d'Occhio, p. 72.

(2) Séance parlementaire du 12 décembre.

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Trente détenus, dans la soirée du 30 septembre, s'échappent de la prison de Castelcapuano, à Naples, et trois condamnés pour crime qualifié, des prisons d'Aquila, dans la nuit du 17 au \S du même mois.

Dans la soirée du 9 décembre, huit condamnés pour crimes qualifiés s'évadent des prisons de Naples, entre autres le fameux Raphaël Pepoli, ancien galérien, coupable de treize homicides. A ce propos, un journal écrit ce qui suit (1): «Notre pauvre pays est destiné à posséder un triste privilège. Il n'y a pas d'exemple dans l'histoire d'un malheur aussi persistant dans la garde des prisonniers.»

Le 27 décembre, cent trente-sept galériens s'évadent des prisons de Girgenti, en Sicile, avec tout leur bagage. Cette évasion se produit le jour même où l'administration se défiant des anciens gardes-chiourmes siciliens les avait remplacés par des Piémontais.

Le Movimento de Gênes publie la lettre d'un détenu de San-Stefano, près Gaëte; en voici un extrait: «La chaîne qui nous serre la taille et le pied est attachée aux murs de nos chambres, qui rappellent les fosses de l'Enfer de Dante. Traités comme les plus abjects malfaiteurs, sais-tu ce qui nous réconforte? l'espoir que, dans ces derniers jours de l'année, quelque cœur généreux aura pitié de nos douleurs.»

- «J'ai vu gisants sur la terre vingt-deux jeunes gens presque nus, condamnés comme déserteurs, couverts de plaies et de vermine, pendant que six cents vestes de laine appartenant au gouvernement, sont la pâture des vers dans un magasin de la prison.

(1) Le Pungolo, 10 décembre.


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Dans une autre chambre verrouillée gémissent beaucoup de malheureux à moitié ou tout à fait nus, qui n'en sont pas sortis depuis quatre mois. On vante le système cellulaire, mais on n'en pratique que les rigueurs; on supprime les deux heures de promenade par jour et l'on défend de fumer; l'herbe croît dans les cours, ou les employés s'en font des jardins. Treize cents autres prisonniers ne sont guère mieux traités; il y a quelques jours, aux. barreaux extérieurs de la prison, on voyait se suspendre une foule de femmes portant dans leurs bras des enfants, demandant des nouvelles de leur mari, de leurs frères, de leur père, de leurs fils, ne les voyant pas depuis des mois entiers, et ne sachant pas s'ils sont morts ou vivants. Le sous-directeur de la prison disait à une sentinelle: «Éloignez ces femmes à coups de crosse de fusil.» Alors je vis le soldat passer l'arme à un de ses compagnons, eu disant: «Je ne sais pas me servir d'un fusil contre de malheureuses femmes et contre des créatures à la mamelle.» Je pleurais en embrassant ce brave jeune homme qui pleurait aussi. Le détenu qui soupire est mis au pain et à l'eau. Je suis prêta témoigner de ce que j'ai dit devant qui que ce soit (1).»

- Le guichetier Luigi Prialia profite de la détention d'un nommé Camille Ganci pour lui voler un petit bien estimé deux mille cinq cents francs, et ravir sa femme avec violence (2).

(1) Déclaration de Michel-Ange Cammineci chargé officiellement de la fourniture des vivres des prisons de Palerme, publiée par la plupart des journaux siciliens.

(2) Idem.

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La déclaration du fournisseur Cammineci impressionne profondément le pays. Le député Crispi visite les prisons et en sort attéré (1).

On emprisonne en Italie depuis la cime des Alpes jusqu'au bout de la Sicile; les prisons regorgent; la honte me force à n'en pas dire plus (2)!

On nous écrit de Catanzaro: «Nos prisons regorgent; les prisonniers n'ont pas de lits, point de paille, pas même de couvertures; aussi deux cent quatre-vingts d'entre eux sont-ils atteints du typhus. Il en meurt journellement beaucoup, et les autorités ne pensent pas à soulager le sort de tant de malheureux (3).»

A Foggia, les anciennes prisons n'étant plus suffisantes vu le grand nombre des prisonniers cellulaires, on les place dans des corridors fermés hermétiquement avec des planches, si bien que les mauvaises conditions de l'atmosphère font craindre le développement du typhus.

Dans les prisons de Palerme, les détenus sont soumis à toutes les vexations et à toutes les extorsions; ils n'obtiennent ni papier, ni livres, ni encriers, ni sucre, ni café, ni vin, ni tabac, à moins de donner de grosses sommes aux geôliers (4).

- Les régénérateurs vont plus loin; ce n'est pas encore assez de tortures, il faut raffiner le châtiment inique. Le gouvernement piémontais traite avec le Portugal de la cession d'une île lointaine de l'Océan,

(1) Le Precursore, journal de Palerme.

(2) La Patrie, de Paris, octobre 1862.

(3) Le Diritto, journal de Turin, 8 avril.

(4) Aspromonte, journal de Palerme, 18 décembre.

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dans laquelle il projette de déporter en masse la majeure partie de ses prisonniers politiques. Cette nouvelle produit dans le public un sentiment d'horreur tel, que le gouvernement se voit forcé d'abandonner son odieux projet, et de démentir qu'il y ait jamais pensé.

- «...Les députés Fabrizi, Mordiniet Calvini ont été arrêtés d'une manière monstrueusement inconstitutionnelle et renfermés au Château de l'Œuf, sans que notre pacha, le général la Marmora, ait jamais voulu concéder à aucun de nous la permission de les visiter; tandis que moi, pendant huit mois que j'ai passés au fort Saint-Elme (1834-1835), sous le sceptre de Ferdinand II, et au temps du célèbre del Carretto, n'étant pas député, j'eus la faculté, quoique prévenu de conspiration, de voir souvent mes parents et mes amis. Et puisque j'ai parlé du gouvernement bourbonnien, je rappellerai que le roi Ferdinand, vainqueur du soulèvement du 15 mai 1848, n'osa faire arrêter aucun des députés parmi lesquels j'avais l'honneur de me trouver, quoique un comité révolutionnaire ait été élu dans le sein de la chambre, et que plusieurs députés eussent ouvertement conspiré contre la puissance royale. Les arrestations des députés ne commencèrent qu'après le 14 mai 1849, jour de la dissolution de la chambre. Elle était donc réservée au gouvernement du roi d'Italie, à son ministère, la gloire de faire ce que Ferdinand II n'osa pas en 1848 (1)!»

(1) Lettre du député Riccianli, en date du 23 septembre, publiée par le Movimento, journal de Gênes.

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IV

A Palerme, quelques jours après le retrait de l'état de siège, un homme est jeté en prison pour avoir tenu des propos contraires au gouvernement (1).

L'état de siège a restreint le libre transit, multiplié les perquisitions, les saisies de lettres, les arrestations, les déportations d'une province dans l'autre; la rigueur a été poussée jusqu'à la cruauté; les femmes ne pouvaient parler à leur mari prisonnier qu'en présence de deux gardiens, et les vivres qui venaient du dehors étaient d'abord hachés par les geôliers. Or les détenus n'étaient coupables que d'être suspects de connivence avec les brigands (2).

- Mademoiselle Francesca Patrella, fille d'un ancien capitaine de vaisseau, uniquement occupée de bonnes œuvres de tout genre, et se consacrant surtout à la visite des malades, est arrêtée à la suite dela saisie d'une lettre dans laquelle elle envoyait de l'argent à son confesseur; elle lui donnait en même temps note des différentes sommes qu'elle avait reçues pour les pauvres. Le gouvernement y voit une souscription en faveur des brigands, et fait enfermer mademoiselle Patrella dans une prison habituée à ne recevoir que les femmes les plus dégradées. En vain tous ses parents et son père lui-même demandent la permission de la voir, et rien ne peut faire prévoir le terme de cette abominable incarcération.

(1) Le Precursore, journal de Palerme, 10 décembre.

(2) Colpo d'Occhio, p. 140.

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On écrit de Campo-Basso, province de Molise: «Le typhus le plus meurtrier s'est déclaré dans les prisons où sont enfermés d'innombrables suspects. Les détenus n'ont pour lit qu'un peu de paille disséminée sur le sol. L'épidémie commence à envahir la ville.»

Dans les derniers jours du mois de février, le Siècle, organe de M. Havin, publiait les lignes suivantes:

«... Nous n'avions pas besoin de ce nouvel exemple pour être convaincus que les cléricaux ne sauraient parler de l'Italie sans qu'il n'y ait à en rabattre les trois quarts sur leurs discours. Les récits des feuilles bourbonniennes sur la situation des prisons de Naples et sur les traitements infligés aux prisonniers leur ont valu de nombreux démentis, etc.»

Le 25 février, M. Crispi, député italianissime, prononçait au parlement un discours qui semblait être une réfutation immédiate de l'incrédulité de M. Havin, et dont nous extrayons ce qui suit:

«... Dans ces derniers temps, il plut une nuée de directeurs et sous-directeurs des prisons dans les provinces méridionales. A Girgenti, à Teramo et à Lecce, vous savez commentées directeurs ont gardé leurs prisonniers. De quelle façon se fait le service des prisons, comment on traite la nombreuse et malheureuse famille qui y est enfermée; je vous le décrirai très-brièvement, ayant visité en personne les prisons centrales de Palerme. Pendant les vacances parlementaires, j'entendis parler du mauvais traitement que subissaient les détenus, je m'en émus et je voulus aller voir ces infortunés de mes propres yeux. Je trouvai les condamnés confondus avec les détenus sous prévention ou par mesure de police; je constatai l'absence des registres donnant des renseignements sur eux.

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Sans lit, sans lumière la nuit, ils avaient la misère dans tout son luxe. J'ai vu le sol des corridors, dans lesquels l'ordure était tellement invétérée, qu'il était impossible de reconnaître s'il était de briques ou de pierres.» Au troisième étage de la première section de ces prisons, pendant que je les visitais, tout d'un coup, du sein d'une masse d'hommes entassés confusément, sortit un individu qui n'avait plus forme humaine, nu, couvert d'ordures, les cheveux hérissés, les yeux en larmes, à jeun depuis plusieurs jours, gémissant pour les mauvais traitements qu'on lui avait fait souffrir. Le sous-directeur qui me suivait, interdit à cette vue, ne sut me répondre autre chose, sinon que cette scène avait été apostée là et machinée de façon à faire impression sur mon esprit. Mais il oubliait que la scène eût été impossible si ces malheureux n'avaient pas été maltraités, et que la faute tout entière en retombait sur lui.... Et pourtant, messieurs, cette branche du service public, coûte 2,821,100 fr.! A vous de tirer les conséquences (1)!»

A Potenza, cent quatre-vingt-deux prisonniers meurent du typhus dans l'espace de douze jours.

- Nous avons eu plusieurs fois déjà l'occasion de citer la Déclaration de M. Michel-Ange Cammîneci, fournisseur des prisons de Palerme. Ce document, daté du 5 janvier, mérite l'attention de tous les gens de cœur, de tous les hommes impartiaux et charitables, qui savent compatir à la souffrance, en quelque parti qu'ils la trouvent.

(1) Gazette officielle du royaume d'Italie, séance du 25 février 1861, feuille 1043 , p. 4055, colonnes une et deux.

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Le fournisseur des prisons siciliennes s'adresse «au roi Victor-Emmanuel, au parlement et aux ministres.»

«...Le Spielberg pâlit en comparaison! Invité par mon noble ami, le sous-préfet de la province de Palerme, à me charger du service et de la nourriture des prisons judiciaires de la ville, depuis le 1er janvier 1863 jusqu'à ce qu'il fût possible de passer un contrat de fournitures, j'ai accepté par sentiment d'humanité ce genre d'occupation, qui est tout à fait en dehors de mes habitudes.

» En me portant dans ce lieu, j'ai vu, chose incroyable, mais vraie! que Silvio Pellico et Maroncetti étaient dans un palais doré en comparaison de cette prison et de l'état de ces malheureux que la loi seule devrait avoir le droit de punir.

» Les chefs de cette direction sont N... et H..., hommes qu'on serait loin de croire originaires de la douce Toscane. Le bras droit des directeurs, d'abord pick-pocket, puis geôlier sous le maudit régime bourbonnien, persécuté par la colère du peuple, puis déporté à Ustique, en est revenu pour être nommé sous-chef des prisons... Ayant en son pouvoir ces hommes qui l'ont persécuté, qu'on s'imagine, s'il est possible, les tortures que cette hyène fait souffrir à ces malheureux!... J'en vis pâlir un excellent jeune homme, fils du directeur de la police, et j'entendis M. Solera, de Brescia, chef du secrétariat de la police, s'écrier: «Je n'ai jamais rien vu de pareil en Autriche!»

» Puisque j'appartiens au parti qui seul devrait exister, celui de l'unité de l'Italie, j'attends prompte justice de l'intelligence supérieure du commissaire du roi, et si le directeur doit éprouver du dommage par suite de cette révélation, comme il est père de six enfants,


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j'offre de l'indemniser de ce qu'il perdra, jusqu'à ce qu'il soit employé avec des honoraires correspondants. J'en dis autant pour le sous-directeur... Mais je ne puis pas transiger avec l'humanité souffrante.

» Les treize cents prisonniers ont, eux aussi, plusieurs milliers d'enfants innocents; là, on meurt tous les jours de privations et de misère. Sons le héros Victor-Emmanuel II, en plein 1863, cela ne devrait pas arriver dans la libre Italie.»

Une telle déclaration, faite et signée par un partisan du Piémont, serait amoindrie par les commentaires.

V

Nous croyons être agréable à nos lecteurs en plaçant ici sous leurs yeux le journal du comte de Christen, Quinze jours au bagne. Il y a plus d'éloquence vraie dans ces notes courantes tracées par la victime même, que dans un volume de dissertations.

«Je n'ai pas songé à écrire des notes sur les tribulations que j'ai souffertes depuis mon incarcération à Naples. C'est un tort; j'aurais pu raconter bien des choses navrantes dont j'ai été le témoin quand je n'en étais pas le patient. Arrêté à Naples par la police piémontaise, le 17 septembre 18<M, parce que j'avais eu l'imprudence de me munir d'un passe-port étranger, détenu préventivement onze mois, condamné sans témoignage, abandonné de mes protecteurs naturels, voilà un an et demi que je suis privé de ma liberté; et si l'arrêt de mes juges est exécuté, dix autres années se passeront,'avant qu'il me soit donné de revoir la France, ma famille et mes amis.

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» Que de faits j'aurais pu et dû même enregistrer, pour mieux faire connaître quelle sorte de libérateurs sont ceux qui ont peuplé les cachots du royaume des Deux-Siciles! Je regrette j que la pensée ne me soit pas venue plus tôt d'écrire un journal de ce qui se passe sous mes yeux et de ce qui me concerne.

» Je veux du moins tracer un récit des incidents qui ont accompagné ma translation de Santa-Maria-Apparente aux bagnes de Pouzzoles et de Nasida, mon séjour parmi les galériens et mon retour au fort Saint-Elme. Je n'ai pas la prétention de poser eu martyr: les honnêtes gens n'ont pas besoin de recourir au charlatanisme. Ce que je vais écrire est pour mes amis, et rien ne m'assure même que ces lignes puissent leur parvenir.»

Jeudi, 18 janvier.

«Le gardien chef de la prison de Santa-Maria-Apparente est venu nous réveiller et nous faire lever; il nous a avertis que les gendarmes nous attendaient pour nous conduire au bague. J'ai demandé à voir le consul de France; cette joie m'a été refusée; j'ai fait observer que l'élève consul, M. de Bellègue, avait prévenu que, dans le cas de notre départ, il désirait être informé d'avance; on m'a répondu que le consul français et la France n'avaient rien à voir dans cette affaire.

» MM. Caracciolo, de Luca et moi sommes descendus dans la salle d'attente où nous avons trouvé un maréchal-des-logis de gendarmerie qui nous a lié les mains avec des menottes. Il nous a serrés tellement, que le sang sortait de nos poignets.

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» Il nous a conduits à pied et liés tous les trois sur la route de Pouzzoles. A une certaine distance, le marechaldes-logis nous a permis de prendre une voiture à nos frais, et il nous a fait accompagner par des gendarmes à cheval. Quand nous avons traversé le village de Fuorigrotta, la population s'est pressée sur notre passage et nous a témoigné des marques de sympathie. A la sortie du village, l'escorte a été renforcée de deux autres gendarmes, et, de distance en distance, la route était gardée par des vedettes à cheval, ce qui n'empêchait pas les paysans de nous saluer.

» Arrivés à Pouzzoles, on nous a fait entrer dans la cour du bagne. Un galérien a apporté trois immenses chaînes, en nous disant que nous devions nous faire ferrer. M. Carracciolo passa le premier, puis mois, ensuite de Luca. On nous a rivé des chaînes pesant 80 livres chacune. Dans le ferrement, de Luca a failli avoir le pied brisé par un coup de marteau qui a porté à faux.

» Nous avons été dépouillés de tous nos vêtements, fouillés d'une manière ignoble (réglementaire, du reste), et conduits dans les cellules placées au dernier étage du bagne.»

Vendredi, 16 janvier,

«Nous avons une nuit affreuse.

» Le comptable nous a fait descendre ce matin, individuellement, pour procéder à la toilette. J'ai été appelé le premier. On m'a coupé les moustaches, on m'a fait endosser complétement lé costume des galériens, qui se compose d'une veste et d'un bonnet rouges,

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d'un pantalon et d'une capote couleur chocolat. On a procédé de même pour Caracciolo et de Luca.

» Dans ce moment, est arrivé le père de M. Caracciolo: sa vue nous a causé une forte impression; M. Caracciolo père n'a pu retenir ses larmes, et nous avons avec peine comprimé les nôtres. Après une demi-heure, M. Caracciolo a dû s'en aller, et nous avons été ramenés à nos cellules.»

Samedi, 17 janvier.

«Cinq heures du matin, les gardiens sont venus nous prendre, en nous disant que c'était pour nous conduire au bagne de Nisida; on m'a déferré, puis on m'a referré à la même chaîne que Caracciolo. Pendant l'opération, qui se faisait à la clarté d'une mauvaise lampe, j'ai failli avoir la jambe cassée. De Luca a été aussi attaché à notre chaîne, ce qui triple le poids de nos fers.

» Nous avons demandé une voiture à nos frais, ce qu'on nous a refusé. Nous avons donc fait la route de Pouzzoles à Nisida à pied, enchaînés; l'anneau rivé à nos jambes nous blessait cruellement. Aux Bagnoli, nous nous sommes embarqués pour l'Ile. En mettant le pied à Nisida, nous avons rencontré une couvée de galériens allant au travail; ils nous ont appelés «frères, amis, camarades, etc.» Ces mots ont fait pâlir Caracciolo.

» Dans l'établissement des forçats, des sous-officiers nous ont accordé une salle séparée des voleurs et dus assassins. Des marques de sympathie nous sont données par les employés du bagne, mais à leurs risques et périls, car les autorités ont recommandé beaucoup de sévérité à notre égard.

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Nous restons enchaînés deux à deux, Caracciolo et moi liés à une chaîne de 50 livres; de Luca a été ferré avec un Calabrais, appelé Callarico, condamné pour crime de réaction.»

«Dimanche, 18 janvier.

«Ce matin, à sept heures, on nous fait descendre dans la cour où est bâtie la chapelle; nous avons entendu la messe, mêlés avec tous les pensionnaires du bagne, qui sont au nombre de neuf cents. Nous avons appris que, depuis notre arrivée, le commandant avait reçu l'ordre de doubler les postes.

» On a immatriculé nos personnes; je porte le n° 16,658, M. Caracciolo 16,657, et de Luca 16,659. Ainsi, dans les seuls bagnes des provinces napolitaines, la Sicile non comprise, il y a près de dix-sept mille galériens. Les sous-officiers gardiens, dont plusieurs ont servi sous mes ordres dans les Abruzzes, m'ont raconté qu'on avait reçu l'ordre, à Pouzzoles, où est la direction générale, de se tenir prêt à vêtir quinze mille autres condamnés pour réaction. Je ne saurais trop faire remarquer que les bagnes de la Sicile ne sont pas compris dans cette statistique. Si on ajoute à ces chiffres celui de trente mille individus emprisonnés sans procès, sans compter ceux qui sont détenus après condamnation, dans les maisons de réclusion, de relégation, etc., nous aurons un bilan qui honorera le régime des libérateurs.»

Lundi, 19 janvier.

«Tous les galériens viennent à tour de rôle nous voir dans notre chambre;

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mais ils ne nous adressent aucune insulte; au contraire, ils se montrent très-respectueux et affectés de notre position. Vraiment, c'est à croire que ces gens-là ont plus de sentiments que ceux qui nous ont envoyés ici.

» A quatre heures du soir, nous avons reçu la visite de lord Lennox. En nous apercevant, il a reculé comme épouvanté. Après quelques hésitations, il s'est approché de nous et s'est efforcé de trouver des paroles de consolation. Lord Lennox m'a exprimé son étonnement de ce que le consulat français avait permis que je fusse ainsi traité. Je lui ai répondu: Je suis légitimiste...

» Lord Lennox m'a dit que M. Bishop, qui se trouve dans les mêmes conditions légales, ou plutôt illégales, que moi, ne serait certainement pas traité de celte façon, que l'Angleterre ne le permettrait jamais. L'agent de police qui accompagnait Sa Seigneurie la voyant très-émue, s'est empressé de lui rappeler qu'il se faisait tard et qu'il était temps de se retirer.»

Mardi, 20 janvier.

» A dix heures, Caracciolo a été appelé à l'audience. Comme c'est mon inséparable compagnon de chaîne, je suis forcément descendu'avec lui. Nous avons trouvé ses deux jeunes sœurs et son père, qui, en le voyant, ont fondu en larmes. Nous avons cherché à les consoler, et nous nous sommes efforcés de garder le sourire sur les lèvres, pendant que nous avions la mort dans l'âme.

» J'ai appris par le père de Caracciolo que plusieurs Napolitains influens étaient allés au consulat français pour prévenir M. Solanges-Baudin de mon transfert à Nisida et le prier de s'occuper un pou de son compatriote.

….....................................................................................

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» Après être resté avec nous une demi-heure, M. Caracciolo père s'est retiré avec ses filles, et nous avons été conduits dans une autre chambre plus aérée faisant face à la mer, faveur que nous avons due aux employés seuls, agissant en dehors de leurs instructions.

» A trois heures, on nous a prévenus de l'arrivée de deux attachés au consulat de France; je suis descendu avec mon compagnon de chaîne. J'ai trouvé dans la cour M. de Bellègue, excellent jeune homme; il était avec un autre employé du consulat que je ne connais pas. M. de Bellègue paraissait très-ému de notre affreuse position...

» J'ai rappelé à M. de Bellègue qu'à Santa-Maria-Apparente se trouvait un Anglais, sir James Bishop, détenu dans les mêmes conditions que moi. Malgré l'inimitié personnelle existant entre lui et son consul, ce dernier a interposé ses bons offices, et le gouvernement de Turin a dû faire meubler la chambre du prisonnier et le traiter avec toute la considération possible. Le consul anglais a bien su empêcher que M. Bishop fût mis au bagne...

» Vraiment, je n'ai pas de chance; je suis bien l'homme le moins protégé du monde. Déjà, lorsque huit cents hommes de ma colonne étaient revenus à Naples au mois de mars 1861, garantis, je crois, par une convention passée entre la France et le ministre Cavour, ils n'en avaient ni plus ni moins, à leur débarquement à Naples, été jetés dans les prisons, où ils gémissent encore.

» M. de Bellègue m'a donné l'assurance qu'il ferait tout ce qui dépendrait de lui pour m'aider à sortir le pins promptement possible de cette position.

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Son compagnon nous a offert des livres, des journaux, etc., que nous n'avons pas acceptés, cela nous étant défendu. Ces messieurs se sont retirés passablement impressionnés. Caracciolo et moi, nous avons été ramenés à notre cellule.»

Mercredi, 21 janvier.

«Il est arrivé un groupe do dix-sept garibaldiens pris à Aspromonte. Ils viennent du bagne de San-Stefano.

» Deux Calabrais ont demandé à nous voir; ce sont deux anciens sous-officiers, dont l'un, sergent dans la garde royale, a été au siège de Gaëte. Ils sont condamnés à dix ans de travaux forcés comme réactionnaires.»

Jeudi, 2Î janvier.

«On donne l'ordre de ferrer tous les réactionnaires deux à deux; les voleurs et les assassins sont déferrés et mis à la petite chaîne.

» A quatre heures du soir, le lieutenant-colonel Zaccari, commandant les bagnes, est arrivé à Nisida. 11 a visité notre chambre et a ordonné de nous déferrer, en nous laissant seulement un anneau du poids de quatre livres environ. De Luca est mis à la petite chaîne, et Callarico est renvoyé dans une autre chambre.»

Vendredi, 23 janvier.

«On a diminué encore notre ferrure; on nous met aux pieds de petits anneaux qui ne pèsent qu'une livre.


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» On a enterré, à dix heures, un vieux galérien mort hier.

» A midi, de Luca a eu le bonheur de pouvoir embrasser des parents de sa femme.»

Samedi, 21 janvier.

«A trois heures du soir, nous avons entendu des salves d'artillerie; ce sont deux frégates portant le drapeau royal piémontais au grand mât; nous apprenons que la duchesse de Gênes est à bord.

» A six heures, nous avons eu la visite d'un médecin de Civitella-Roveto, M. Louis Rabusi, condamné à vingt ans de galères pour avoir donné du pain aux réactionnaires. Il nous a entretenus longtemps sur le malheureux état des Abruzzes.»

Dimanche, 25 janvier.

«Notre nuit a été bien pénible, nous avons été tous les trois malades.

» Nous sommes descendus dans la cour pour assistera la messe, après laquelle nous sommes remontés dans notre chambre.

» Le commandant du bagne, M. Testa, m'a apporté une lettre de la famille Stone, lettre qui m'a fait le plus grand plaisir. 11 nous a autorisés en même temps à correspondre avec nos parents, et nous a permis l'usage des livres. Une demi-heure après, il est revenu et adonné des ordres pour faire blanchir notre chambre.

» A une heure, le commandant est encore revenu, et celte fois pour nous apprendre qu'il a reçu un ordre du général La Marmora,

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lui enjoignant de nous déferrer et de retirer tous nos vêtements de galériens, car nous devons être transférés dans une forteresse de la capitale, où on nous permettra de porter des habits bourgeois.»

Lundi, 26 janvier

«A huit heures du matin, un sous-officier nous a annoncé que les gendarmes chargés de nous transporter étaient en bas. Nous sommes descendus à la chambre du sergent-major, où nous avons trouvé le même maréchaldes-logis et les mêmes gendarmes qui nous avaient accompagnés à Pouzzoles. Le maréchal-des-logis nous a prévenus que l'autorité militaire avait envoyé un fourgon d'ambulance pour nous transporter avec plus de sûreté à Naples. Nous nous sommes embarqués pour la terre ferme par une très-mauvaise mer. Eu arrivant aux Bagnoli, nous sommes montés dans le fourgon, où les gendarmes et le maréchal-des-logis ont aussi pris place.

» Arrivés à Naples, près de la prison de Santa-Maria Apparente, on nous a fait descendre, et, après nous avoir attaché et cadenassé solidement les mains, on nous a conduits au fort Saint-EIme.

» Nous sommes relégués dans une horrible cellule, ignoblement sale, froide comme une glacière. Après plusieurs heures d'attente, le commandant du fort s'est décidé à nous donner trois mauvaises chaises, une table et trois grabats; nous nous sommes couchés immédiatement, transis de froid.

» Notre cachot est disposé de façon à nous intercepter toute vue extérieure, et nous ne pouvons respirer l'air.»

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Mardi, 27 janvier.

«Nous nous sommes levés avec un froid cuisant. Il est onze heures, et personne n'est venu aérer notre cellule; nous manquons d'eau et de tous les ustensiles nécessaires.

» A onze heures et demie, on- vient voir si nous ne sommes pas encore évadés; nous nous plaignons de l'état d'abandon dans lequel on nous laisse; on nous répond qu'il n'y a pas d'ordre nous concernant, et que si nous avons eu des lits, c'est le capitaine qui a pris sur lui de nous les procurer. Quelques minutes après, le capitaine s'est présenté pour nous répéter la même chose: une lettre confidentielle lai enjoint d'attendre des instructions; cependant il a pris sur lui de nous accorder un vase de nuit.

» A deux heures et demie, le froid nous a obligés à nous réfugier sur notre infecte paillasse. A trois heures, on ouvre notre cellule, et nous voyons arriver M. de Bellègue, accompagné de la même personne qui déjà une fois était venue me voir au bagne de Nisida (je crois l'ancien correspondant du Journal des Débats). Ces messieurs m'ont témoigné beaucoup d'amitié et m'ont demandé à s'assurer du traitement que nous recevions dans notre nouvelle prison. Nous avons répondu que présentement nous nous trouvons beaucoup plus mal qu'au bagne, qu'on nous a défendu de respirer un peu d'air, de lire, d'écrire, etc., etc. A Nisida, nous avions au moins l'air frais de temps en temps, et ici la prison est une ancienne cage à lapins, dont l'humidité ne tarderait pas à nous faire tomber malades. Ces messieurs nous ont engagés à prendre patience.

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M. de Bellègue m'a montré une dépêche télégraphique de M. de Sartiges, ainsi conçue: « Sa Majesté commue la peine de dix ans de galères de M. de Christen en dix ans de détention dans une forteresse.»

» Quelle magnanimité! Quelle commutation de peine! J'ai prié ces messieurs de dire à l'ambassadeur de France à Turin de bien se garder, dans notre intérêt, de demander d'autres grâces à Victor-Emmanuel, de crainte qu'une seconde commutation ne nous fasse jeter dans quelque oubliette. Ces messieurs nous ont offert de nouveau leurs services; nous n'avons pu accepter leurs livres, par suite de la prohibition qui nous en est faite. Veuillez, ai-je dit à M. de Bellègue, raconter au consul de France l'état dans lequel vous m'avez trouvé, la stupide brutalité avec laquelle on nous traite; qu'il nous obtienne, s'il est possible, la permission de respirer l'air une demi-heure chaque jour.

» Ces messieurs se sont retirés en nous promettant de revenir et de faire tout ce qui dépendrait d'eux pour adoucir notre sort. J'allais oublier de dire qu'à leur entrée un lieutenant piémontais, au nom de son chef, les avait engagés à parler italien. Pendant toute la visite, un autre lieutenant est resté présent, faisant le.... (1).»

VI

En 1839, le gouvernement français envoya en Italie M. Cerlfbeer, inspecteur général des prisons, avec mission de visiter les établissements pénitentiaires des divers États,

(1) Le mot ne s'écrit pas et se devine.

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et de consigner ses impressions dans un rapport au ministre de l'intérieur. Ce rapport est essentiellement favorable aux anciens gouvernements italiens et détruit l'échafaudage d'impudentes calomnies que l'Angleterre n'a cessé d'élever contre les prisons de Naples et de Rome: «Les peines que l'on inflige aux détenus pour les infractions aux règlements sont: l'isolement, la privation d'une partie de la nourriture pendant un temps proportionné au délit. Dans les cas graves, on inflige des peines corporelles; mais ces punitions deviennent de plus en plus rares... Dans quelques maisons où le travail est établi, on prive aussi de travail le détenu que l'on veut punir. Du reste, les prétendues tortures auxquelles on a souvent dit que les détenus étaient soumis dans les prisons d'Italie n'existent pat; les règlements s'y opposent formellement, et les précautions prises par l'autorité les rendent IMPOSSIBLES (1).»

M. Jules Gondon déclare que c'était à Naples qu'on trouvait quelques-unes des plus belles prisons de l'Italie, sous le triple rapport de la construction; de la position et des règlements (2).

M. Cerfbeer dit encore:

«Quant à la propreté, elle ne laisse rien à désirer non plus. Chaque année, comme cela se pratique au reste dans presque toutes les prisons d'Italie, on blanchit les cellules et les corridors; et il est interdit, sous de fortes peines, de salir les murailles...

(1) Rapport à M. le comte de Montalivet, ministre secrétaire d'État de l'intérieur, par M. Cerfbeer, p. 65.

(2) De fêtai dei choses à Naples, etc., p. 107.

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» La nourriture et les vêtements sont suffisants, et je crois que, sous ce rapport, les diverses administrations de l'Italie, conciliant l'économie avec la charité, ont parfaitement saisi le point précis où cessent les droits de l'humanité et où commencent les devoirs de la justice (1). *

L'honorable Gladstone a déjà rétracté, comme on l'a vu au début de ce chapitre, une partie de ses assertions calomnieuses à l'égard des prisons napolitaines; un jour, espérons-le, cette rétractation sera suivie d'une éclatante réparation. Ce jour-là, M. Gladstone écrira un parallèle entre les anciennes prisons napolitaines et les prisons piémontaises.

Ce sera la réhabilitation des tyrans!

(1) Rapport nu comte de Montalivet, etc., p. 37.

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INSTRUCTION PUBLIQUE

Instruire, c'est rendre meilleur.

I

Les Piémontais étaient descendus à Naples sons le prétexte de régénérer; aussi l'instruction publique devait-elle avoir sa part de douleurs dans le bouleversement et les réformes révolutionnaires.

Rien ne saurait se comparer mieux à l'impudence subalpine que la folle présomption dont ils font montre dans tout ce qu'ils prétendent régénérer. Comprend-on que Turin, cette villa d'hier, sans illustration, sans passé, sans gloire,

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ose dicter ton tes ses lois à la vieille et fière Parthénope et que, malgré sa proverbiale ignorance, elle puisse blâmer et détruire le système d'instruction qui l'a dotée de tant de savants universellement estimés?

Il nous suffira de quelques pages, de l'exposé des faits les plus saillants qui dénotent ù Turin la haine de tout ce qui lient à Naples pour édifier le lecteur sur la loyauté, l'intelligence et le libéralisme piémontais. Mais qu'on nous permette avant que nous entrions dans le détail de ces faits, de citer quelques lignes de la Motion d'enquête de M. le duc de Maddaloni-Proto, et de noter qu'elles ont d'autant plus de poids que l'auteur ne semble pas bourbonnien:

«Ce furent les piémontiseurs qui désorganisèrent l'université napolitaine, car les universités se composent de professeurs et ceux-ci ont été tous destitués pour faire place à des hommes, lesquels, excepté l'illustre Robert Savarese et je ne sais plus quel autre, sont tous des hommes de parti et non des hommes de science.

» Ce furent les piémontiseurs qui affranchirent l'enseignement public de la surveillance nécessaire de l'épiscopat; ils chassèrent de l'université napolitaine la faculté de théologie, sans laquelle il n'y a point d'université, et qui est adoptée par les doctrines protestantes ou schismatiques de toutes les religions et de toutes les sectes Hélas! c'était l'université de Naples, l'école de saint Thomas d'Aquin et de Pico, qui devait la première se faire athée en Europe, et c'étaient des hommes de notre pays qui étaient destinés à donner ce grand scandale au monde civilisé.

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» Sans doute, l'enseignement supérieur n'était pas florissant sons les Bourbons, et cependant on ne donnait les chaires qu'aux hommes d'un mérite incontestable. On y comptait un Galupi, un Lanza, un Flanti, un Bernard Quaranta, un Macedonio Melloni!

» Ce dernier, surtout, quoique exilé de Parme, et ayant la réputation de libéral avancé, fut appelé ici, chargé de plusieurs affaires politiques, et pourtant il était recommandé au gouvernement bourbonnien par François Arago, très-ardent républicain. L'enseignement secondaire n'en va pas mieux: sept lycées sont en pleine dissolution, parce qu'on en a confié la direction à des hommes incapables, souvent même ignorants et immoraux.

» Quant à l'instruction élémentaire, elle n'a pas fait un seul pas. Presque toutes les communes manquent d'écoles, malgré le grand nombre d'inspecteurs, de sous-inspecteurs, d'organisateurs et de bedeaux, tous choisis parmi les piémontiseurs, et dont plusieurs sont même venus du Piémont. Ce furent les hommes du gouvernement piémontais qui donnèrent le scandale nouveau de dissoudre la célèbre Académie napolitaine des sciences et d'archéologie, et qui laissèrent abolir l'Institut des Beaux-Arts par un décret de la lieutenance. La passion politique les a inspirés, et ils peuvent se vanter d'avoir dépassé en cela la gloire des Del Carretto, des Peccheneda, des Mazza et des Ajossa, qui ne conseillèrent jamais d'expulser de la réunion des savants les hommes d'opinions opposées au régime absolu, tels que Borrelli, Capocci et Bozzelli. Il est même à remarquer que ce dernier fut nommé membre de l'Académie au moment où il revenait de l'exil, et quand il était encore surveillé par la police.


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On s'indigna de voir enlever i Capocci la direction de l'observatoire astronomique après la révolution de 1848; on disait à Naples et ailleurs: «Qu'est-ce que la politique a à faire avec l'astronomie?» Et cependant ce gouvernement craintif de la réaction permettait à Capocci de liquider sa pension de justice, et lui substituait de Gasparis, qui n'était certes pas inférieur à Capocci.

» Mais je ne veux pas établir ici la comparaison entre les hommes et les actes du gouvernement bourbonnien et ceux du nôtre; je la ferai ailleurs, s'il le faut; je vous prie seulement de remarquer que le budget du ministère de l'instruction publique montait, à Naples, sous les Bourbons, à 1,619,730 francs; que, depuis la Révolution, il monte à 2,326,156 francs, et que, malgré l'augmentation de 706,426 francs, l'instruction publique non-seulement y dépérit, mais y meurt.»

C'est un témoin oculaire qui parle, un unitariste d'un jour en qui la désillusion suscite la plus sanglante indignation. Combien d'autres hommes, éblouis un instant par le mirage de l'unité italienne, désillusionnés comme le noble député de Casoria, n'ont pas le courage de répudier hautement l'idée mensongère qui a jeté le deuil sur leur patrie!...

Mais passons aux faits.

II

L'université de Naples, à laquelle est affectée une somme de 702,591 fr., compte soixante-six professeurs et n'a plus que deux élèves inscrits.

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L'université de Messine, 148,125 fr., trente-sept professeurs, soixante-quatre élèves.

Les universités de Catane, de Palerme, sont également tombées dans une lamentable décadence; chaque jour, depuis l'invasion piémontaise, il s'opère un plus grand vide d'élèves dans ces centres intellectuels naguère si florissants. En revanche, le nombre des professeurs et le chiffre des dépenses ne cessent de s'accroître. Quand le gouvernement piémontais ne sait quel emploi donner à un unitariste affamé, il le nomme professeur dans une des universités napolitaines.

Dans les lycées de Sicile, les scandales deviennent tels que le secours des gendarmes devient nécessaire pour expulser quelques lycéens révoltés (1).

- La situation de l'instruction publique est ainsi décrite par un journal napolitain (2): «Notre université royale est aujourd'hui un sujet de sarcasme et de dérision, comme autrefois elle fut pour le pays un sujet d'illustration et d'espérance pour nos pères qui tenaient à laisser des descendants remarquables par leur science et leur moralité. L'université compte soixante professeurs; les deux tiers ont des noms inconnus, ou plutôt connus seulement du gouvernement de Turin, non par leur mérite mais par les pressantes recommandations d'amis politiques. A Naples, où dans tous les temps l'on cultiva passionnément le droit pénal, où le droit romain forma toujours l'une des plus incessantes et des plus heureuses études de la jeunesse, la faculté de droit languit, repousse, dépérit.

(1) L'Ordine, journal de Caltagirone, 2 mai.

(2) Le Popolo d'Italia, 29 novembre, n. 216.

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Ce qu'il y a de plus déplorable, c'est de voir professer des hommes qui, si par hasard il entre quelque lettré qui les écoute, rougissent et perdent le 01 de la pensée et la parole... Comment se sont faits les concours et quel en a été le résultat? Le ministère, se moquant des examinateurs et des examinés, a donné la chaire d'examen au professeur à qui le public pensait le moins, mais qui sut faire son chemin sans concours. Quand une chaire reste vide parce que le titulaire est élu député, alors, ou la jeunesse studieuse est privée d'enseignement parce qu'on conserve ce poste pour le cher député, ou on le remplace par un suppléant tel, qu'il est bientôt le sujet des caricatures et le jouet de la population. C'est une ronde d'enfer que notre université, et malheur au professeur qui possède un mérite réel et reconnu. La coalition des intrus se forme soudain contre lui; on l'exclut de toutes les académies; on lui destine un enseignement que ne suit pas la jeunesse, déjà fatiguée ou occupée à d'autres cours. Si nous voulions dévoiler toutes les plaies de notre université, plusieurs numéros de ce journal ne suffiraient pas. Que dire du collège Victor-Emmanuel? des directeurs sans force morale, renouvelés mensuellement comme des garçons d'auberge, des professeurs nommés sans discernement, entrant aujourd'hui et sortant demain, n'est-ce pas la meilleure preuve que le système d'instruction satisfait peu les parents? Où sont les écoles polytechniques, les écoles des arts et métiers, les écoles pour les adultes des deux sexes, les crèches publiques? Nous n'en entendons plus parler, et depuis trois ans nous ne voyons rien s'organiser définitivement.»

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Le collège de Maddaloni comptait autrefois cent pensionnaires; il n'y en a plus que deux pour lesquels l'État entretient quatorze ou quinze professeurs. Ces deux malheureux jeunes gens sont impitoyablement forcés d'assister à tous les cour» et d'entendre tous les professeurs à tour de rôle pour que le proviseur ait le droit de dire que le collège est en plein exercice.

On reconnaît à Naples que les piémontiseurs, en interdisant l'enseignement privé, si libre et si prospère sous les Bourbons, ont mis des entraves à la liberté de la pensée au nom de la liberté politique. Qu'ont-ils fait encore? Ils ont supprimé la faculté de théologie et introduit dans la catholique université de Naples des professeurs qui enseignent des doctrines protestantes. Il semble qu'on veuille inculquer le scepticisme à la jeunesse. 11 eût été plus logique alors de destituer tous les professeurs catholiques et de faire de l'université une chaire d'athéisme (1).

- Le député napolitain Mandoi-Albanese affirme «que dans l'Université de Naples les deux tiers des professeurs perçoivent leurs honoraires mensuels et ne donnent aucune leçon.» Il cite un conseiller de la lieutenance sur lequel il a personnellement pris des informations et peut certifier qu'il est dans le cas précité. Le même député ajoute qu'il connaît des professeurs qui cumulent jusqu'à six chaires diverses, séparément rétribuées; quatre autres professeurs, en dépit des termes de la loi, ont été nommés sans concours. Comme on voulait employer un favori, on mit en retraite, en lui confirmant la totalité de ses honoraires,

(1) Colpo d'Occhio, p. 93.

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le professeur titulaire de mathématiques nommé depuis quatre mois à peine; ainsi le budget s'est chargé d'appointements doubles, puisqu'il paye intégralement et le retraité et le favori, qui, d'ailleurs, ne se contentant pas d'une chaire qui lui rapportait 250 fr. par mois, en a obtenu deux autres en trois mois (1).

«Il y a des projets d'écoles normales, des projets de réforme de tel ou tel règlement universitaire, des circulaires académiques à celui-ci ou à celui-là, mais, hélas I messieurs, je ne vois pas qu'on fasse ce qu'on devrait faire, et le peuple est plus ignorant qu'autrefois (2).»

M. Scavia, envoyé de Turin à Naples comme organisateur des maîtrises, a su fort bien faire ses affaires, en imposant l'usage de ses livres à tous les collèges, écoles et maisons de son ressort. C'est ainsi qu'un autre professeur, récemment nommé chevalier des Saints-Maurice et Lazare, et qui pèse lourdement d'ailleurs sur l'université de Naples, envoie dans toutes les provinces d'énormes ballots d'un ouvrage de lui et gagne une fortune à l'aide du poste qu'il occupe (3).

De fréquentes agitations se produisent à Naples parmi les étudiants irrités des abus que nous venons de signaler; ils font circuler de vives protestations contre les professeurs Pisanelli, Piria, Thommasi, Imbriani, de Luca, qui ne donnent jamais de leçons, et contre le veuvage de la chaire de droit international.

(1) Séance parlementaire du 27 janvier.

(2) Le député napolitain Lazzaro, séance parlementaire du 2 1 janvier.

(3) Le Diritto do Turin, 22 janvier.

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- La matinée du 12 mars est signalée par une imposante démonstration des étudiants de l'université de Palerme. Ils parcourent les rues un drapeau en tête, portant au chapeau de' menaçantes inscriptions et poussant les cris de: «A bas les professeurs ineptes! à bas la loi Casatti! les chaires vides au concours! à bas le recteur!» En passant devant la maison du recteur, les étudiants en brisent les vitres à coups de pierre. Le gouvernement ordonne la fermeture provisoire de l'université.

III

Le ministre de l'instruction publique propose la création, à l'université royale, d'une chaire de l'histoire de la prostitution; la Gazette officielle en publie le règlement et dans le même temps, les feuilles officieuses annoncent l'apparition prochaine d'une Histoire de la Prostitution chez tous les peuples du monde, depuis l'antiquité la plus reculée jusqu'à nos jours, et en recommandent vivement l'achat.

Un journal napolitain (1) parlant des établissements publics de bienfaisance dit que l'enseignement y est déplorable, que les professeurs, mesquinement rétribués ne font leur service qu'avec répugnance, et que d'ailleurs ils ne peuvent certainement, ne fût-ce que pour cette dernière raison, être les meilleurs professeurs du monde.

- Les maitresses de l'institution des Miracles et de Saint-Marcellin, refusant de prêter serinent au gouvernement subalpin,

(1) Le Popolo d'Italia, 5 mai,

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le 7 janvier, sont brutalement expulsées par vingt gendarmes. Un des membres du conseil de direction, le chevalier Ferdinand Cenni, indigné du mauvais traitement infligé à ces respectables femmes, donne sa démission le jour même.

Le 14 janvier, fête du roi Victor-Emmanuel, les élèves de l'institut des Miracles et de Saint-Marcellin refusant d'aller à l'église chanter le Te Deum et entonnent au contraire dans leurs salles des hymnes en l'honneur du roi François II. Interpellé sur ce fait par le député Mandoi-Albanese (1 ), le ministre Mancini répond que les 28 élèves rebelles et réactionnaires, comme filles de bourbonniens, ont été punies et renvoyées à leurs parents.

- Ces mesures de rigueur n'intimident pas les autres élèves; au mois d'octobre, elles se révoltent contre leurs nouvelles institutrices piémontaises et refusent de leur obéir.

Au commencement du mois de janvier, les étudiants de Naples font une grande manifestation contre les professeurs piémontais qui ont remplacé ceux qu'on accusait d'être bourbonniens. On crie: «A bas les ignorants! à bas les ânes! à la porte, le directeur de l'instruction!» Le directeur en question n'est autre que le trop fameux Settembrini, martyr à trois sous la ligne, homme d'une ineptie proverbiale et d'une suffisance plus grande encore. Tels sont les hommes à qui les régénérateurs confient la direction suprême de l'instruction publique.

- Si l'on pouvait douter de l'esprit qui, grâce à l'aveuglement, à l'incurie ou à la complicité de nos gouvernants, travaille et envahit l'université napolitaine,

(1) Séance parlementaire du 18 mars.


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il suffirait de jeter les yeux sur la lettre suivante, adressée de Londres, le 3 mai, par l'agitateur Joseph Mazzini à l'association universitaire de Naples:

«Mes frères,

» J'ai reçu par l'entremise du général Hang votre lettre du 15 mars. La nomination dont la jeunesse de l'Université de Naples a bien voulu m'honorer (1), je accepte avec reconnaissance. Elle est un témoignage d'affection qui me dédommage complétement des basses accusations et de l'ingratitude; elle est la promesse d'une vie italienne qui doit naître et qui soulage mon âme fatiguée et découragée par les misères du temps présent.

» En effet, moi qui me rends bien compte du peu que j'ai fait, je ne puis nullement recevoir comme un éloge l'adresse des étudiants de Naples. Je l'accepte plutôt avec le frémissement de l'espérance qui agitait mes jeunes années; je l'accepte comme une garantie de la communauté de nos idées, comme un gage de l'homogénéité de nos pensées et de la volonté qu'ils ont de consacrer leur esprit, leurs bras et leur cœur à changer la pensée en action.

» Au moment où personne ne comprenait les hautes destinées de l'Italie, où les uns mendiaient une fraction de liberté dans les antichambres des puissants de la terre, où d'autresceux-là même qui nous gouvernent aujourd'hui organisaient des ligues de rois et des transactions de toute espèce, afin d'obtenir en s'humiliant quelque réforme administrative ou municipale, à ce moment même je pensais que notre patrie

(1) Président honoraire de l'association.

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se lèverait un jour comme un géant et qu'elle atteindrait, avec la démarche du Neptune d'Homère, un idéal jusqu'à présent inconnu à toutes les autres nations. Je pensais que le peuple, dont deux fois la vie fut la vie du monde, écouterait dans son tombeau fermé depuis plus de trois siècles, la voix de son passé, et qu'au jour ou il briserait la pierre qui scelle ce tombeau, il renaîtrait aune troisième vie qui ajouterait une nouvelle grandeur à celle des deux périodes précédentes.

» Je voyais bien un vide immense en Europe, où il n'y a ni foi, ni croyances communes, et où manquent par conséquent l'initiative, le culte du devoir, les principes solennels de la morale, les grandes idées et l'action puissante en faveur des classes qui produisent davantage, et qui pourtant senties plus pauvres. Ce spectacle me faisait penser que l'Italie, renaissant pour sauver l'Europe, aurait dit, de» les premiers battements de sa nouvelle vie, à elle-même et aux autres: Je vais remplir ce vide!

» Je pensais aussi que Dieu, que l'histoire, que les conditions de l'Italie devaient lui imposer une double mission: celle d'expliquer à l'Europe le dogme sacré de l'inviolabilité de la pensée et de la liberté de conscience, en substituant la foi dans l'humanité, interprète de la loi de Dieu, à ce mensonge d'autorité individuelle et despotique qu'on nomme la papauté; et l'autre, de proclamer devant l'Europe entière le grand principe de l'inviolabilité de la vie des peuples et des nationalités (1), en substituant la volonté de chaque famille européenne

(1) Cet mots sont pour le moins maladroits en face de: Napolitains.

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à l'arbitraire des traités et des prétendus droits de telle ou telle autre famille royale. Rome et Venise étaient et sont toujours pour moi. non-seulement deux lambeaux du sol italien, mais aussi deux grandes idées, dont la conquête doit assurer à l'Italie la primauté morale de toute une époque.

» Les pygmées qui se moquent, comme tous ceux qui ne comprennent pas, des grandes idées; qui font de l'Italie une colonie de la France impériale; qui n'osent pas dire publiquement à l'Europe un mot de protestation solennelle contre l'occupation de Bome par l'étranger; qui ne savent demander au pape l'abdication de son pouvoir temporel qu'en se prosternant en hypocrites devant une autorité spirituelle qui depuis plus de quatre siècles n'est plus qu'un mensonge, et où l'humanité a cessé de puiser sa vie; qui n'osent pas ouvrir en Vénétie la guerre d'émancipation de tous les peuples; qui, avec un homme tel que Garibaldi, avec un parti brave et prodigue de sacrifices comme le parti d'action, avec un peuple comme les Italiens, ne sont pas capables de parler et d'agir avec dignité; qui soumettent les émigrés de Rome et de Venise aux lois des suspects de Louis-Philippe; qui accordent au peuple le droit de voter pour proclamer un roi, et qui le lui reprennent dès qu'il s'agit de la vie sociale et politique de la nation; qui vous refusent Garibaldi parce qu'ils tremblent de votre enthousiasme, et qui me ferment les portes de la patrie parce qu'ils ont peur de la colère impériale; ces hommes, dis-je, ne seront jamais à la hauteur des deux missions que j'ai mentionnées.

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» Cependant elles s'accompliront malgré eux, qui

croyaient tous que l'unité était une utopie impossible à réaliser; mais elles s'accompliront par l'action du peuple et par la vôtre.

» J'espère en vous et dans le peuple. Il est impossible que votre âme, connaissant les destinées qui attendent l'Italie, ne s'enorgueillisse un jour; il est impossible que la conscience de la force de vingt-deux millions d'hommes, et des devoirs qu'elle vous impose, ne parvienne pas à soulever votre cœur; il est impossible qu'une parole libre et digne de la patrie, de son illustre passé et de l'avenir, ne sorte un jour toute puissante de vos lèvres pour condamner le langage diplomatique, tremblant et hypocrite de la coterie qui gouverne aujourd'hui. Vous aimez réellement et fortement l'Italie, et vous ne souffrirez pas qu'elle soit profanée dès le jour de sa naissance par les lâches hésitations des nations qui se meurent.

» Unissez-vous étroitement et activement à la jeunesse de toutes les Universités italiennes; fraternisez avec les associations ouvrières; enchaînez-vous, pour tout ce qui concerne les devoirs généraux de tous les Italiens, à l'Association d'émancipation, dont le centre est à Gênes; contribuez, autant que vous pourrez, à fonder la Caisse centrale d'émancipation; apprenez le maniement des armes; armez-vous et organisez-vous militairement; affirmez toujours votre droit sur Rome; proclamez, au nom de Venise, la nécessité de la guerre contre l'empire d'Autriche; honorez notre patrie et vous-mêmes par la franchise immuable et intrépide de la parole, par la haine du mensonge et de toute transaction entre la vérité et l'erreur; et n'oubliez jamais que la moralité et le courage civil font les grandes nations.

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» Veuillez dire tout cela de ma part aux étudiants de Naples, et dites-leur en même temps que sur le chemin de l'unité, de l'indépendance, de la liberté, de la fraternité active des peuples, de la vérité, de l'honneur et de la dignité de l'Italie, ils m'auront avec eux tant que je vivrai.

» Tout à vous.»

Cette lettre fait rire et pitié; c'est grotesque et navrant. Voilà donc les régénérateurs de la noble terre des Deux-Siciles: un ramas d'assassins et de béotiens. Mais empressons-nous de dire que cette association universitaire de Naples, qui met à sa tête ce héros du régicide, ne représente heureusement qu'une infime et misérable minorité. La jeunesse de Naples ne veut pas de l'unité, qu'elle s'appelle Mazzini ou Turin; elle est nationale, c'est-à-dire napolitaine, et elle brise les vitres des ignorants suppôts du piémontisme.

Partout où la jeunesse proteste, les idées d'honneur et de patrie ne sont pas mortes!

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PRESSE

Nul n'aura d'esprit que nous et nos amis.

I

La liberté de la presse, à Naples, n'est qu'un leurre, comme toutes les libertés que le Piémont prétend y avoir inaugurées. Les feuilles gouvernementales ont le droit de tout dire, tout ce qui encense le ministre qui les solde; elles ont droit d'injure et de calomnie; mais les organes catholiques sont loin de jouir d'excessives prérogatives: on intimide leurs imprimeurs, on les menace, on les ruine, on bâtonne leurs rédacteurs, on met au ruisseau les caractères typographiques et dans la boue le tirage de chaque jour; on pousse la brutalité jusqu'au cynisme,

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jusqu'à ce que, ruinés ou estropiés par les sbires, les écrivains indépendants soient réduits au silence.

La presse de tous les pays et de tous les partis a été unanime à flétrir avec indignation les odieux traitements infligés, il n'y a pas bien longtemps encore, aux rédacteurs de certaines feuilles napolitaines.

On veut faire l'unité et la parfaire; elle n'existe même pas dans la justice. Des journaux de Naples sont poursuivis et condamnés pour avoir reproduit des articles publiés originairement par des journaux de Milan ou de Gênes, sans que la magistrature de ces villes s'en fût inquiétée.

La presse gouvernementale a sa part dans le déficit de deux milliards que révèle l'exposé financier de M. Minghetti; à peu d'exceptions près, exceptions connues, les journaux de l'unité piémontiste sont tous subventionnés largement, et l'enthousiasme stipendié de leurs rédacteurs vomit quotidiennement l'irréligion et le mensonge.

Il semble qu'on ne s'arme d'une plume, là-bas, que pour être député... ou vendu

La liberté de la presse n'existe donc pas, puisqu'elle n'existe que pour une fraction de la presse, la fraction servile. Nous avons vu jusqu'à vingt-neuf saisies de journaux indépendants en moins de dix jours; une seule feuille catholique, en deux ans, a dû subir environ vingt-cinq saisies, c'est-à-dire plus d'une par mois. En un mot, toutes les rigueurs des justiciers et des sbires sont pour ceux qui ne trouvent pas que tout soit pour le mieux dans le royaume des Deux-Siciles.

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Il suffit d'un mot d'apparence hostile à l'unité italienne sous le sceptre du chef de la maison de Savoie, pour que le gérant soit décrété de prise de corps, emprisonné, mis au pain et à l'eau, jugé et condamné à deux ans de prison et 7,000 fr. d'amende. Ça été le sort du gérant de l'Eco.

D'ailleurs, si l'on veut se rendre compte de la situation de la presse en Italie, il ne faut que lire la circulaire adressée dernièrement, par M. Peruzzi, ministre de l'intérieur, aux préfets du royaume.

«Turin, 21 janvier 1863.

» Monsieur le préfet,

* Plusieurs circonstances révèlent l'existence d'un accord évident entre les adversaires de l'unité italienne, notamment ceux qui sont étrangers à notre pays, dans le but d'activer avec une ardeur extraordinaire une propagande dans le sens fédératif, en s'adressant aux sentiments municipaux et en exploitant toutes les occasions d'un mécontentement passager, conséquence naturelle des transformations politiques et du défaut d'organisation nationale dans les diverses branches de l'administration, défaut auquel le ministère et le parlement se proposent de porter un prompt remède.

» Cette propagande, inaugurée et énergiquement favorisée par le parti qui a pour organe, à Paris, le journal la France, a établi à Naples et à Florence des journaux qui portent précisément les noms de ces deux ex-capitales. Ces journaux, ainsi que d'autres, se rencontrent, dans les points essentiels de leur polémique,


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avec les journaux cléricaux et avec certains organes du parti d'action pour combattre l'unité que ces derniers, comme, par exemple, la Nuova Europa de Florence, déclarent ouvertement incompatible avec la monarchie constitutionnelle.

» Ces excès ne sauraient être tolérés sans amener la déchéance de l'autorité morale du gouvernement, qui doit se montrer toujours l'adversaire énergique et constant de toute idée contraire à l'unité, sans faire naître des défiances au sein du grand parti national, sans s'exposer aux intolérables excès du genre de ceux dont le journal Napoli a donné récemment le signal.

» C'est pourquoi le soussigné, tout en jugeant convenable de laisser la plus grande liberté de discussion, regarde comme indispensable, sous le rapport indiqué tout à l'heure, une surveillance active et une répression énergique et constante, dans les limites de la loi, à l'égard de celte portion de la presse qui cherche à combattre l'unité et la monarchie constitutionnelle de la dynastie de Savoie, et à amoindrir la foi dans l'accomplissement des destinées de la nation, conformément au vœu du parlement. Le soussigné est convaincu qu'en agissant ainsi contre les journaux de n'importe quelle couleur, il obtiendra l'assentiment de l'opinion publique.

» Quoique la tâche de la surveillance et de la répression soit confiée par la loi spécialement à l'autorité judiciaire, néanmoins l'autorité politique ne doit pas rester entièrement inactive; il importe au contraire que l'une et l'autre se prêtent un appui mutuel, chacune dans la sphère de ses attributions.

» Dans ce but, le soussigné invite MM. les préfets à porter leur attention sur les excès de la presse dont il est question et à s'empresser

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de faire les communications officieuses aux représentants du ministère public chaque fois qu'ils verront dans ces excès les éléments nécessaires d'une poursuite.

» Grâce à ces dispositions, qui seront communiquées par le garde-des-sceaux aux fonctionnaires du ministère public, le soussigné espère que la surveillance et la répression seront promptes et efficaces, et attend un accusé de réception de la présente circulaire.

» Le ministre, U. Peruzzi. »

Il résulte de ce document, ainsi que l'a fait observer un publiciste distingué:

1° Que le ministre piémontais établit diverses catégories de journaux, c'est-à-dire diverses catégories de citoyens, envers lesquels l'autorité doit user de mesures différentes, et partant violer la loi qui est une;

2° Qu'au lieu de blâmer, ne fût-ce que pour la forme, les excès commis contre la liberté de la presse, notamment contre le journal Napoli pillé, dévasté, le ministère renchérit encore sur le journal officiel de Naples qui avait osé approuver ces violences scandaleuses;

3° Que le ministre autorise et prescrit même des immixtions de l'autorité politique dans les attributions exclusives de l'autorité judiciaire.

En un mot, cette circulaire de M. Peruzzi est une raillerie des lois.

Qu'on se rappelle enfin que le Piémont ne s'est fait le coryphée de la révolution italienne, n'est entré sans déclaration de guerre chez ses voisins, et ne les a dépouillés que sous le prétexte hypocrite de permettre aux populations d'exprimer librement leurs vœux! C'était le premier acte de la comédie.

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La comédie ayant réussi, le Piémont a jeté le masque, et i! interdit aujourd'hui ce qu'il prônait hier: la libre expression des vœux des citoyens. L'Italie ne saurait être longtemps dupe de ce grossier manége; on ne tire pas des coups de fusil aux idées, mais on les traque, on les bâillonne, on essaie de les étouffer..,. L'idée de nationalité ne s'étouffe jamais, et quand, à bout de compression, elle s'éveille, c'est elle alors qui tire des coups de fusil, et triomphe.

II

Las de saisir et de condamner sans cesse, le gouvernement adopte des moyens plus expéditifs et plus sûrs. Un ramas de sbires saccage successivement les typographies et les bureaux des journaux dont les noms suivent (1):

L'Aurore.

L'Araldo.

L'Alba.

La Croix Rouge.

Le Courrier du Midi.

Le Catholique.

L'Equateur.

L'Expérience.

Le Flavio Gioia.

La Gazette du Midi.

(1) Colpo d'Occhio, page 58

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La Semaine.

L'Etoile de Naplcs.

La Presse méridionale.

La Tragi-comédie.

L'Unité catholique.

Napoli, et plusieurs autres feuilles dont les noms nous échappent.

Le 7 avril, une tourbe de policiers envahit l'imprimerie du journal l'Etoile du Sud, dont les rédacteurs étaient prévenus, depuis la veille même, du sort qu'on lui réservait. Conduits et dirigés par un loueur de chaises, Biaise Turchi, capitaine de la garde nationale, ces misérables mettent l'imprimerie à sac. L'imprimeur envoie quérir les gardes de sûreté, qui accourent et s'empressent de se retirer sur un signe d'intelligence du chef des malfaiteurs.

On lit dans le Tribuno, journal de Turin, du 21 avril: «Une réunion de jeunes gens a décidé à l'unanimité de détruire à Naples toutes les typographies des journaux conservateurs. Alors que cette décision du parlement de la place publique est annoncée, et qu'elle a eu déjà son commencement d'exécution, les typographes qui ne s'y soumettront pas n'auront pas le droit de se plaindre.» Voilà ce qu'on peut appeler l'impudence du despotisme populacier!

Le journal le Correspondant paraît, pour la première fois, le 27 janvier; à son seizième numéro, il a déjà subi sept saisies; de plus, le procureur général le met en police correctionnelle pour retard d'une heure dans l'envoi des épreuves, et le fait condamner à 250 fr. d'amende et aux dépens.

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Le gérant, quoique à moitié paralytique, est arrêté et tenu en prison pendant six jours. Le directeur du journal reçoit à deux reprises des menaces de mort et est journellement insulté dans les rues par des agents de police.

Le journal L' Osservatore napolitano, dirigé par un Français, M. du Barry, imprimé par un Français, M. Pélard, géré par un Espagnol, à la suite de brutales menaces et de vexations de toute sorte, pour échapper à la destruction générale qui attend les organes conservateurs, se voit contraint de se réfugier sous la protection du gouvernement français.

Le journal Il Cattolico est plusieurs fois saisi. Il a ordre, sous peine de suppression, d'envoyer chaque jour au chef de la police de Naples l'épreuve du journal deux heures avant le tirage.

Le journal libéral le Nomade, dans la matinée du 16 octobre, en l'absence des rédacteurs et des employés, est envahi par des agents de police, qui forcent les portes, les bureaux et les étagères pour procéder à la saisie d'un numéro déjà ancien.

Le général Topputi, commandant de la garde nationale de Naples, écrit, le 2 février, au procureur général près la cour criminelle «pour lui recommander de redoubler de sévérité à l'égard des journaux de l'opposition.»

- Le marquis de Normanby dit à la Chambre des lords (1) que, «malgré toutes ces persécutions, de nouveaux journaux paraissent chaque jour et sont lus par le public avec la plus grande avidité; la conduite sans foi ni loi

(1) Séance du 17 mars.

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des Piémontais ne se limite d'ailleurs pas aux seuls États napolitains et à l'Italie, mais elle s'étend encore plus loin.»

La Gazelle de Naples, journal officiel, se lamente de ce que, «dans la capitale des provinces napolitaines, autour des boutiques des marchands de journaux, on ne voit la foule se presser que pour acheter les feuilles cléricales et réactionnaires.» Cet aveu officiel mérite de n'être pas oublié.

On persécute la presse indépendante, mais on achète celle qui est à vendre. La Gazelle officielle, de Turin, reçoit 20,000 francs par an; la Gazelle de Modène, 15,000; la Gazelle de Naples, 22,000, etc. La presse étrangère même est largement, beaucoup plus largement salariée; on cite tel journal français qui aurait reçu jusqu'à 240,000 francs par an pour soutenir la politique piémontaise. C'est à faire rougir de honte tous ceux qui, en France, ont l'honneur d'être journalistes.

Dans une lettre publiée par le Diritto du 23 octobre, le député Ricciardi blâme amèrement le gouvernement d'avoir traité la presse comme une esclave pendant tout l'état de siège; on allait jusqu'à intercepter les journaux étrangers! M. Ricciardi écrivit au ministre de l'intérieur et se plaignit de cet état de choses; le ministre répondit que c le devoir du gouvernement de Turin était de s'en rapporter au jugement de l'autorité napolitaine.»

- Un journal italianissime de Palerme publie (1) un long article intitulé: Guerre aux bourbonniens. L'article se termine par une sorte de défi sauvage à la liberté et à la civilisation:

(1) Au commencement du mois de janvier.

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«Guerre donc aux bourbonniens! Oui, faisons-leur une guerre sans merci, tant qu'un seul d'entre eux souillera de sa présence le sol de notre pays. Alerte! alerte! ayons sans cesse les yeux sur eux, et, s'il le faut, qu'ils soient tous le point de mire de nos fusils!»

- Le député Nicotera dénonce au parlement (1) l'horrible fait que voici: «A Noto, un jeune écrivain de talent, Mariano-Salvo La Rosa, directeur du Democratico, pour avoir écrit un article contre le préfet, fut arrêté et jeté dans un cachot si affreux que, quelques jours après, on l'y trouva mort.»

(1) Séance du 26 novembre.




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