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HISTOIRE DE LA RÉVOLUTION DE 1860 EN SICILE.

DE SES CAUSES ET DE SES EFFETS DANS LA RÉVOLUTION GÉNÉRALE DE L'ITALIE
PAR

l'Abbè Paul Bottalla.

ÉDITION ORIGINALE FRANÇAISE

Par M. J. GAVARD.

Ouvre la bouche

Et ne cache pas ce que je ne cache pas moimême.

 (Dante, Paradis, Ch. XXVII. )

TOME PREMIER.

BRUXELLES

H. GOEMAERE, IMPRIMEUR ÉDITEUR

RUE DE LA MONTAGNE, 52.

1861

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Histoire de la révolution de 1860 en Sicile. De ses causes et de ses effets

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Histoire de la révolution de 1860 en Sicile. De ses causes et de ses effets

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Histoire de la révolution de 1860 en Sicile. De ses causes et de ses effets

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CHAPITRE XII. - Débarquement de Garibaldi à Marsala. Bataille de Calatafimi et retraite des napolitains.

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CHAPITRE XIII. - La ville de Palerme et le général Lanza. — Défaites des rebelles. — Entrée de Garibaldi à Palerme.

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CHAPITRE XIV. - Palerme du 27 an 30 mai. — Capitulation et évacuation de la ville parles soldats.

217

CHAPITRE XV. - Propagation de la révolution en Sicile. — Gouvernement dictatorial

234

CHAPITRE XVI. - Les Jésuites de Sicile au temps de la révolution. — Leur cause devant le gouvernement insurrectionnel. — Leur exil.

249

CHAPITRE XVII. - Suite du précédent. — Expulsion des Jésuites de toute la Sicile. — Les Liguoriens.

262

CHAPITRE XVIII. - Changements politiques du gouvernement de Naples. Politique de Cavour.

283

CHAPITRE XIX. - Le dictateur de Sicile et la Farina. — Bataille de Milazzo et convention de Messine. — Issue des négociations de la cour de Naples avec le gouvernement de Turin.

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CHAPITRE XX. - La révolution de Naples et le comte Cavour. — Invasion de Garibaldi dans les Calabres.

321

CHAPITRE XXI. - État de Naples au moment de l'invasion des Calabres. — Protestation et départ de François II. — Entrée de Garibaldi dans la capitale du royaume.

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CHAPITRE XXII. - État religieux et civil des Deux Siciles à l'époque de l'invasion de Garibaldi. — Changements ministériels dans l'île.

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APPENDICES.

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Chapitre XII.
DÉBARQUEMENT DE GARIBALDI A MARSALA. —BATAILLE CALATAFIMI ET RETRAITE DES NAPOLITAINS.

Avant que les deux vaisseaux piémontais touchassent en Sicile, d'autres bâtiments qui, comme nous le disions plus haut, avaient fait partie de l'expédition de Garibaldi, avaient apporté secrètement dans l'île des armes et des munitions de guerre (1). Le 12 mai était le jour destiné au débarquement de Garibaldi et des siens dans le port de Marsala.

Marsala est une ville bâtie sur la plage occidentale de la Sicile, avec un petit port de bas fond, environnée de bastions et de terrasses; mais sans artillerie et sans garnison. La colonne du général Letizia, après la joyeuse et cordiale réception qu'elle y avait rencontrée, avait été rappelée quelques jours avant l'arrivée de Garibaldi. Cependant, comme cité maritime avant un port, Marsala était surveillée par des navires de guerre dont trois avaient à garder la ligne entre Marsala et Mazzara. Mais le II, vers les deux heures de l’après-midi, il entra dans ce port deux vaisseaux de la marine anglaise, l'Intrépide et l'Argus, envoyés par lord Russell, suivant ses explications du 17 mai à la Chambre des Communes, pour protéger les possessions et les factoreries anglaises de cette ville. Mais pourquoi envoyer ces vaisseaux, quand depuis un mois la révolution avait été comprimée, et non au commencement d'avril, quand cette contrée était travaillée par les bandes insurrectionnelles?

Il n'est à présent personne qui doute, malgré la relation de Marrvatt à l'amiral anglais et malgré les déclarations de John Russell, que ces vaisseaux n'avaient d'autre but,

(1) Dépêche de Turin du 14 mai 1860.

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en venant à Marsala, que de favoriser le débarquement des flibustiers et de les sauver d'une surprise, en cas de besoin. Les trois navires napolitains, composés d'unç grande frégate à voiles, d'un bateau à vapeur de guerre et d'un aviso de petite dimension, se trouvaient en ce moment loin du port de Marsala, mais entre cette ville et celle de Mazzara, dans une position d'où ils pouvaient découvrir si quelque bâtiment s'avançait vers l'un ou l'autre de ces deux ports. En attendant, les deux bâtiments de Garibaldi s'étaient arrêtés un peu en arrière des îles de Levanzo, puis en deçà de l'île de Favignana, qui est à égale distance de Trapani et de Marsala. Quand ils virent l'éloignement des vaisseaux napolitains, ou qu'ils en furent avertis, ils chauffèrent à toute vapeur et gagnèrent le port peu après les deux vaisseaux anglais; ils jetèrent l'ancre et arborèrent le drapeau de Savoie (1).

A Marsala, grâce à l'action du consul sarde, tout était parfaitement disposé pour un prompt débarquement de l'expédition garibaldienne. Plus de quarante barques stationnaient dans le port aux ordres de Garibaldi et plusieurs chariots attendaient pour le transport des armes et des provisions de toute sorte. Toutefois, pendant qu'on effectuait avec toute la promptitude possible le débarquement des hommes et du matériel, la frégate napolitaine, avant vu entrer dans le port de Marsala deux bâtiments qui n'avaient pas encore déployé leur pavillon, envoya aussitôt son petit aviso à vapeur pour vérifier la condition des deux navires.

(1) Sur ce point notre récit diffère de celui du ministre Caraffa, mais nous nous sommes assurés de la vérité de notre assertion. On comprend mieux ainsi pourquoi les bâtiments napolitains, avant d'arborer le drapeau rouge, signe de guerre, arborèrent le pavillon sarde.

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Sur la nouvelle que c'était l'expédition de Garibaldi, le second bâtiment de guerre napolitain s'avança à toute vapeur, et un vent favorable permit à la frégate de suivre d'assez près. Mais quand on fut en position de faire feu, la majeure partie des volontaires étaient entrés dans la ville; les autres qui se trouvaient encore sur le bras du môle, s'étendirent en ligne, à une grande distance l'un de l'autre, et, courant tous à la fois vers la ville, ils se mirent en sûreté, eux et leur matériel, derrière l'établissement de la douane. Le bateau à vapeur tira contre eux, mais n'en blessa que deux. Il aurait certainement continué le feu du côté de cette partie de la ville d'où partaient les cris de révolte, poussés par les flibustiers qui s'y étaient réfugiés; mais, parce que des officiers anglais se trouvaient éparpillés çà et là, on dut attendre qu'ils fussent retournés sur leurs vaisseaux. Quand cela eut été fait sur l'ordre de Marrvatt, commandant de l'Intrépide, le bateau à vapeur royal et la frégate, qui l'avait rejoint, recommencèrent le feu: quelques bombes furent lancées dans la direction où retentissaient les cris révolutionnaires. La frégate fit aussi une décharge contre les Garibaldiens qui restaient encore en dehors des portes; mais, vu la nature du terrain, elle ne put atteindre un seul volontaire; les bombes n'endommagèrent qu'une seule maison. Après cela, les trois vaisseaux napolitains capturèrent le Piémont; mais ils ne purent s'emparer du Lombard, parce que les Garibaldiens eux mêmes l'avaient coulé à fond, pour ne pas le laisser tomber entre les mains des royalistes; les efforts de ceux ci, pour le remettre à flot, furent inutiles; ils y travaillèrent ce jour là et le lendemain, puis l'abandonnèrent (1).

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Cependant Garibaldi, aussitôt qu'il eut mis le pied à Marsala, ordonna d'abattre le télégraphe à signaux et de déplacer les machines du télégraphe électrique; mais déjà l'inspecteur de la ville, homme courageux et résolu, avait expédié au gouverneur de Palerme une dépêche annonçant le débarquement de Garibaldi et de ses volontaires. Les Piémontais, entrés dans la ville, en occupèrent les quatre portes, avec défense à qui que ce fût, de sortir ou d'entrer avant de se soumettre aux informations les plus rigoureuses. Cette expédition ne reçut pas des habitants de Marsala l'accueil qu'elle aurait désiré. Au premier cri de: «Vive Victor Emmanuel ! Vive Garibaldi!» les citoyens qui avaient garni les fenêtres et les terrasses pourvoir le spectacle inusité de 800 chemises rouges, disparurent comme frappés de la foudre et se retirèrent dans leurs maisons. Aucune voix ne fit entendre un cri d'applaudissement dans la ville; bien plus, si on en excepte des curieux et une troupe d'enfants de la basse classe, les habitants de Marsala ne se montrèrent pas hors de chez eux et les rues demeurèrent désertes. Garibaldi en fut quelque peu découragé et en vint jusqu'à soupçonner une trahison: il ne voulut pas laisser pendant la nuit ses volontaires s'héberger dans les maisons des particuliers et il les fit camper aux portes de Marsala.

Le soir il demanda au conseil municipal de le reconnaître pour dictateur de Sicile au nom de Victor Emmanuel; mais les membres de la municipalité se cachèrent pour ne pas souscrire à pareille demande, et il n'y en eut qu'un très petit nombre qui cédèrent aux instances et aux menaces des chefs de parti.

(1) Nous tenons ces faits et bien d'autres concernant la Sicile de témoins pour la plupart oculaires et on ne peut plus dignes de foi. V. encore la relation de Caraffa et celle de Marrvatt, communiquées aux chambres par John Russell le 17 mai 1860.

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Le lendemain, avant qu'il fit jour, l'expédition de Garibaldi prit la route de Salemi, suivie de 35 chariots transportant des armes et des approvisionnements de toute espèce. Elle bivouaqua dans le pays de Rampingallo où M. Mistretta les reçut et les traita splendidement; ce dont Garibaldi le récompensa en le nommant gouverneur de Salemi, sa patrie. Le 13, le dictateur se disposa à entrer dans cette ville. Le peuple, soit curiosité, soit enthousiasme, à la vue d'un homme dont il avait entendu raconter des merveilles, courut au devant de lui, précédé des gens du pays et proférant des cris de joie qui relevèrent le courage des volontaires prêts de faiblir. Garibaldi, après son entrée, fut logé dans la maison du marquis Torrealta, excellent citoyen qui ne put toutefois se refuser aux injonctions du syndic; les volontaires prirent leurs logements dans le collège des Jésuites que le syndic avait donné l'ordre d'évacuer ces jours là aux sept Pères qui l'occupaient. Salemi devint alors le centre du rassemblement de toutes les recrues garibaldiennes de cette province; il s'y réunit jusqu'à cinq mille hommes que leur chef arma et disciplina de son mieux. On y monta les six canons sur des affûts construits à la hâte et aussi bien que possible, et l'on disposa toute chose pour un combat que l'on regardait comme inévitable.

Garibaldi, avant de se remettre en marche, proclama et fit reconnaître sa dictature par les municipalités de Marsala et des communes voisines qui s'étaient insurgées à son approche: il voulut ensuite haranguer le clergé de cette ville qui est nombreux et d'une conduite irréprochable. Ces ecclésiastiques, rassemblés dans une salle du collège des Jésuites, se virent donc obligés d'écouter en silence ce chef d'aventure.

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Il leur parla avec force et dans les termes les plus persuasifs qu'il sut trouver, de sa haute mission; il exposa les principes de l'unité italienne, de l'annexion aux autres États de la péninsule, du royaume de Victor Emmanuel, etc.; mais il ne put cacher sa haine invétérée contre l’Église et la papauté; il dit clairement et d'un ton impérieux que leur plus grand ennemi était le pape. Ces paroles inouïes pour de pieux ecclésiastiques, leur firent l'effet de coups de tonnerre partis de l'enfer; ils pàlirent, ils baissèrent les veux et le front et prirent l'attitude qui convenait à leurs sentiments de douleur. Garibaldi comprit qu'il avait été trop loin; il s'efforça de les remettre en meilleure humeur, il leur parla longtemps encore,sans toutefois rétracter ses injures contre la papauté, et il ne fit ainsi qu'aigrir la plaie que ses paroles avaient ouverte dans le cœur d'auditeurs aussi vertueux que dévoués à l’Église.

Garibaldi était sorti des bornes qu'il s'était imposées à lui et aux siens avant d'approcher de la Sicile; car dans les instructions, qu'il avait données aux volontaires avant leur débarquement, il y en avait une ainsi conçue: «Les volontaires prendront les dehors de la religion et de la piété, allant avoir à faire à un peuple de bigots.» Nous devons à la vérité de déclarer que les soldats de Garibaldi n'étaient pas tous de la lie des assassins, surtout ceux de la Sicile et du royaume de Naples qui s'enrôlèrent ensuite sous ses drapeaux. Si tous partageait en ce moment un enthousiasme excessif pour leur condottiere, ils n'étaient pas également contraires aux principes de l'enseignement catholique. Parmi les hommes sans foi ni loi, il y avait des jeunes gens honnêtes et même des catholiques sincères, qui s'étaient laissé entraîner sur les pas de cet aventurier par un sentiment énergique de liberté et de patriotisme;

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tous n'avaient pas encore pesé avec la raison les conséquences de leur résolution. Quand donc ils aperçurent dans leurs chefs le caractère d'impiété qui se cachait sous d'autres noms, quelques uns abandonnèrent l'étendard qu'ils avaient suivi jusqu'à Palerme; d'autres, qui n'eurent pas le courage de la désertion, n'étouffèrent pas dans leur cœur le sens religieux et le manifestèrent plus tard solennellement sur le lit de mort, quand, dégagé des influences d'un corps épuisé et défaillant, leur esprit devenait plus vigoureux, et que, plus accessible à la grâce, il se recueillait dans la grande pensée du salut éternel. En ces moments terribles, en présence de l'éternité qui s'ouvrait devant eux et de la vie qu'ils allaient quitter, que de larmes plusieurs de ces infortunés versèrent sur l'égarement dont ils étaient victimes! Avec quelle effusion de cœur ils confessèrent alors la foi catholique! De quelle voix ferme et courageuse ils jurèrent publiquement de n'avoir jamais voulu trahir cette foi! et quelle édification présida à leur agonie! Les correspondances de Naples confirment tout ce que nous avançons pour accomplir le devoir de véracité et de justice qui incombe à l'historien.

Après deux jours de repos à Salemi, Garibaldi et ses volontaires, augmentés de 5,000 recrues des bandes du pays, prit la route de Calatafimi, pour se porter de là sur Alcamo et ensuite sur Palerme. Or la ville de Calatafimi avait été occupée par les troupes royales, qui s'étaient avancées dans l'intention de couper le chemin à l'ennemi. A peine en effet la dépêche de Marsala et les vaisseaux napolitains eurent-ils porté à Palerme la nouvelle du débarquement de Garibaldi, que le général commandant de cette place ordonna qu'une colonne de 3,000 hommes,

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sous la conduite du général Landi se rendît du côté de Calatafimi pour arrêter ces flibustiers et les mettre en déroute; en même temps on expédia des dépêches au ministère de Naples pour lui demander des renforts qui permissent d'organiser une seconde colonne contre les envahisseurs. Cependant le général Landi, parvenu Calatafimi, envoya un détachement de quatre compagnies «à deux milles de la ville, dans la direction par où les Garibaldiens s'étaient acheminés, et il retint auprès de lui le gros de ses troupes. Calatafimi, petite ville d'environ 9,000 âmes, s'élève entre deux collines, l'une au levant et l'autre au couchant; les Garibaldiens en sortant de Vita avaient abandonné la route provinciale et s'étaient repliés à l'Est, soit pour occuper une position avantageuse contre les royaux, soit pour éviter leur rencontre, en prenant par les montagnes et en se jetant dans la plaine. Mais les compagnies de Landi les attendaient sur la colline et il leur fallut se préparer à l'attaque. Un vallon séparait les combattants; on dut par conséquent commencer le feu avec l'artillerie: les Napolitains descendirent de la hauteur pour charger à la baïonnette les volontaires de Garibaldi; ceux ci, malgré leur bravoure, cédèrent devant la discipline et l'impétuosité qu'ils n'avaient pas supposées aux troupes napolitaines. Ce fut alors que Garibaldi, dans la crainte que le découragement ne s'emparât de ses soldats, se jeta au milieu d'eux, en avançant jusqu'au premier rang et leur criant de sa voix magique: «En avant!» Un des officiers, pour exciter ses compagnons à l'attaque, se mit en avant, le drapeau des chasseurs des Alpes à la main; mais les ennemis le percèrent d'un coup de baïonnette et lui arrachèrent son drapeau qui fut ensuite suspendu dans la place royale de Palerme;

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ils s'emparèrent de deux canons et, continuant leur feu de pelotons, ils reprirent la position de la colline, afin d'attirer les Garibaldiens dans la plaine, de les charger de nouveau et de les mettre en déroute. Mais Garibaldi n'osa pas engager un second combat; Landi, de son côté, défendit à ses troupes de renouveler l'attaque, et le lendemain il fit lever le camp et abandonna Calatafimi.

Quel jugement porterons-nous sur la conduite du général Landi? L'opinion publique l'a qualifié du nom de traître. Ce qu'il va de certain, c'est que les Napolitains s'étaient battus avec une intrépidité et une discipline admirées par leurs ennemis mêmes, qui, alors et depuis, n'ont cessé de rendre hommage à une bravoure inattendue. Il est d'autre part bien certain, de l'aveu même des Garibaldiens, que si Landi avait envoyé sur le lieu du combat une autre compagnie de renfort, ou seulement fait continuer le feu pendant une demi-heure de plus, le corps des volontaires eût été exterminé et détruit. Pourquoi retint-il à Calatafimi le gros de ses troupes et pourquoi n'ordonna-t-il pas de charger les Piémontais, quand ils pliaient en désordre? Pourquoi au lieu de mettre à profit l'élan des soldats napolitains qui avaient fait reculer l'ennemi avec des pertes considérables, les retint-il en dépit de toute tactique? Et pourquoi enfin, la nuit suivante, abandonna-t-il les positions occupées et Calatafimi môme, pour prendre le chemin de Palerme, sans attendre les renforts qui lui avaient été promis, sans faire halte à Alcamo, où certainement il aurait pu résister et recevoir des secours de la capitale? Si ce ne fut pas là une noire trahison, ce fut une indigne lâcheté pour un commandant qui devait mettre sa conduite en harmonie avec la valeur de ses soldats, et ne jamais oublier le serment de fidélité qu'il avait fait à son Souverain.

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Le corps du général Landi, malgré le plan de son chef, fut forcé de repousser, à Partinico, une attaque de la part des bandes qui allaient rejoindre les volontaires de Garibaldi. Cette fois encore ses soldats montrèrent un grand courage et une remarquable intrépidité; ils assaillirent avec ardeur ces bandes nombreuses mais indisciplinées, les refoulèrent et les dispersèrent, après leur avoir tué beaucoup de monde. Après quoi, ils marchérent vers Palerme, où ils entrèrent le 17 mai (1). Sur ces entrefaites, débarquait à Castellamare, ville située à 6 milles d'Alcamo et à 16 milles de Calafatimi, un renfort de 2,000 hommes transportés par des vaisseaux de la marine royale; mais, informés que Landi s'était dirigé avec son corps d'armée du côté de Palerme, ces 2,000 hommes reprirent la mer pour retourner dans la capitale. Ainsi manquait, par la faute inexcusable d'un général, le projet de tenir les Garibaldiens en désordre hors des campagnes de Palerme, et de leur ôter toute espérance de pénétrer dans la ville où siégeait le gouvernement. Cependant Garibaldi, après la bataille de Calatafimi, prit possession de cette ville abandonnée par Landi; il rallia ses bandes et en répara les pertes. Des 800 volontaires débarqués à Marsala, deuxcents étaient tomléssur le champ de bataille de Calatafimi, la plupart blessés; ils furent transportés dans la ville de Vita, où l'on établit un hôpital militaire; les morts furent brûlés sur le théâtre même du combat.

(1) Les journaux du mois d'avril 1861, ont annoncé la mort du général Landi. D'après eux, ce serait le chagrin et le dépit qui auraient notablement abrégé ses jours, en voyant que sa trahison de Calatafimi ne lui avait valu de la part de Garibaldi que 12,000 ducats en faux billets de banque.

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Quant aux bandes siciliennes, elles n'avaient éprouvé que des pertes insignifiantes, n’ayant combattu que derrière les lignes des Garibaldiens. Nous ne devons cependant pas dissimuler que la plupart de ces bandes, étant composées de gens accoutumés au meurtre et aux rapines, bien plus qu'à des combats en règle, commirent pendant la mêlée des actes d'inhumanité vraiment lamentables et honteux. Des témoins oculaires nous ont affirmé qu'au plus fort de l'engagement, il y eut parmi ces auxiliaires d'un nouveau genre, des individus assez vils pour tirer par derrière sur les Piémontais, dans l'unique but de les voler; quelques uns même achevèrent les blessés, toujours avec l'intention de les dépouiller à l'aise. On a vu d'infortunés soldats de Garibaldi frappés à coups de poignards et horriblement mutilés par d’affreux scélérats, qui leur arrachaient en même temps ce qu'ils possédaient de plus précieux. Les volontaires s'étant réfugiés ensuite à Calatafimi, plusieurs enfants perdus des bandes insurgées, avec d'autres brigands du voisinage, se jetèrent comme des vautours sur les cadavres qui jonchaient le sol ensanglanté, les dépouillèrent de tout, puis les entassèrent pour les brûler.

Cette fureur sauvage de fouiller les morts de l'expédition piémontaise avait été excitée par le bruit répandu alors en Sicile, que les Garibaldiens portaient de grandes sommes d'argent, provenant des souscriptions que toutes les parties de l'Italie avaient envoyées à Garibaldi avant son départ de Gênes.

Plusieurs diraient que Garibaldi y avait échangé en monnaie d'or 3,000,000 de francs, et qu'il avait distribué cette somme aux chefs de l'expédition, qui en portaient chacun leur part dans une ceinture de cuir.

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Le fait est qu'après la bataille de Calatafimi, un des principaux officiers de Garibaldi étant parmi les morts, celui ci ordonna de rechercher son cadavre et de lui rapporter l'argent qu'on trouverait. Quand il apprit que pas une obole n'avait été retrouvée sur le mort, Garibaldi entra dans une grande fureur, il menaça du plus terrible supplice celui qui aurait commis le vol, fit procéder à de rigoureuses perquisitions, et fouetter les plus suspects des bandes irrégulières; tout fut inutile. L'un d'entre eux cependant avait mis la main sur plusieurs milliers de francs en or, que le défunt portait dans une large ceinture, et assurément ce n'est pas l'heureux voleur qui aura entonné avec le moins d'allégresse l’hymne de la patrie délivrée.

Garibaldi s'arrêta à Calatafimi le 17 mai seulement et décréta de son autorité dictatoriale, la peine de mort contre les voleurs et les assassins; il n'avait qu'un tort, c'était de n'y pas comprendre les affiliés des sociétés secrètes qui doivent, par leur institution, servir la patrie avec le poignard; ces derniers, au lieu du gibet, ne méritent sans doute à ses veux que la gloire d'une apothéose. Au reste, son décret ne reçut pas une entière exécution, même à l'égard des voleurs et des assassins les plus fameux.

Le dictateur remit alors en vigueur tous les arrêtés de 1848, et ordonna entre autres choses, que, suivant la loi du 31 juillet et du 6 août, on incorporât à l’État les biens des Jésuites et des Ligouriens.

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Il n'avait pas encore vu de loin la capitale de l'île, que déjà il avait souci des enfants de S Ignace et de S. Liguori comme si à leur chute se trouvait attachée la résurrection de l'Italie entière. Au fait, rien n'était plus vrai à son point de vue et d'après la manière dont il avait conçu cette régénération.

Le 17 mai le corps expéditionnaire se mit en marche vers Alcamo, où il fut accueilli avec enthousiasme par le chevalier Santanna, qui s'y était mis à la tête de la révolution, et avait formé une bande nombreuse au service du dictateur. Après avoir pris à peine un peu de repos dans cette ville, Garibaldi poursuivit sa marche dans la direction de Partinico et, sans s’arrêter, poussa le même jour jusqu'auprès de Palerme. Le 19, il jugea à propos de rafraîchir ses soldats avant de tenter quelque coup, aussi bien n’aurait-il pu opérer ce jour là; la pluie qui tombait par torrents rendait les chemins impraticables, non seulement à l'artillerie et aux volontaires du Piémont, mais encore aux bandes mêmes du pays.


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Chapitre XIII.
LA VILLE DE PALERME ET LE GÉNÉRAL LANZA. — DÉFAITES DES REBELLES. 
— ENTRÉE DE GARIBALDI A PALERME.

Du jour où se répandit la nouvelle du débarquement de Garibaldi à Marsala, l'aspect de la ville de Palerme devint de plus en plus menaçant. Bien que depuis cette date jusqu'à l'entrée de Garibaldi, on n'y eût fait aucune de ces grandes démonstrations qui avaient eu lieu les jours précédents, la situation des choses empirait de plus en plus par l'attitude fière et mutinée de la population: la révolution était consommée de pensée et de sentiment, et si elle n'avait pas encore éclaté en insurrection patente, c'était le résultat d'une forte compression qui ne pouvait toujours durer.

La misère occasionnée par l'interruption du trafic et du commerce, accroissait sans mesure l'irritation de la multitude; de là une recrudescence d'insultes et d'outrages envers la police et la garnison, qui à leur tour méditaient vengeance contre les injustes provocations du peuple. Telles avaient été les souffrances, les fatigues, les privations, les perplexités et les épreuves des agents de police et des soldats en ces jours de violence, qu'ils étaient devenus comme des spectres; ils suffoquaient d'une rage intérieure contre les auteurs de la révolte et ils ne respiraient dans l'impétuosité du ressentiment que meurtres, pillage et ruines.

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D'ailleurs ils n'en faisaient point mystère au milieu de l'épouvante générale qui régnait alors; ils disaient ouvertement qu'ils détruiraient Palerme, avant de l'abandonner, et lui feraient paver cher tout ce qu'ils y avaient enduré de peines et de douleurs; les discours des officiers plus raisonnables et plus humains n'apaisaient pas leur sauvage irritation; la vengeance seule occupait leurs pensées; c'était la vengeance seule qu'appelaient leurs désirs.

D'autre part le comité insurrectionnel, pour raffermir les esprits des habitants et retremper le courage de la multitude, faisait courir le bruit que Garibaldi viendrait bientôt à Palerme avec des millions de guerriers; que de se montrer seulement il exterminerait les ennemis et que, sans coup férir, il entrerait dans Palerme en triomphateur. Ce comité, qui était alors composé des citoyens les plus considérés et les plus influents de la ville, sous la présidence de M. Casimir Pisani, devenait chaque jour plus actif dans l'organisation de la révolte. S'étant mis en relation intime avec Garibaldi, qui marchait sur Palerme, il ordonnait, au nom du dictateur, que personne n'osât courir aux armes avant son entrée à Palerme; mais qu'en attendant l'on eut soin de tourmenter la police et la troupe au moyen de démonstrations partielles. L'agitation et l'épouvante allaient donc croissant et dans la même mesure s'augmentait la désolation de la ville. Plusieurs fuyaient à la campagne; plusieurs au contraire se retiraient de la campagne dans la ville; chacun, suivant ses ressources, faisait chez soi des approvisionnements pour plusieurs mois, dans la crainte que Palerme ne vint à manquer de vivres.

En ces conjonctures, le prince Castelcicala et le général Salzano avaient pris les mesures les plus opportunes pour repousser un assaut du dehors, autant que pour réprimer au dedans l'insurrection populaire.

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Ils avaient fait murer plusieurs portes de la ville et pourvoir d'artillerie et de défenseurs celles qui étaient le plus exposées à une attaque: dans les principales rues ils avaient établi un cordon militaire et disposé de fortes patrouilles dans les endroits les plus dangereux; enfin ils avaient poussé des avantpostes bien avant dans les campagnes de Palerme pour surveiller les mouvements des bandes et les mettre en déroute. Le général Salzano disposait alors à Palerme et dans son district d'une garnison de 25,000 hommes, d'une excellente artillerie et de provisions de toute nature: nous n'en pensons pas moins que son matériel de guerre était plus incomplet qu'il n'aurait fallu pour opérer un coup décisif contre un ennemi plein d'audace; cependant les moyens de défense que possédait Salzano auraient pu sauver Palerme de l'invasion de Garibaldi et de ses funestes conséquences. Mais l'arrivée du général Lanza et le rappel du prince Castelcicala applanirent les voies à la chute de la place et au triomphe de l'expédition piémontaise.

La trahison, comme nous l'avons dit, avait été inspirée par Cavour et par les sociétés secrètes, à un grand nombre d'officiers des troupes royales de Naples; la trahison, œuvre de plusieurs années, devait tout faciliter aux Garibaldiens; la trahison devait faire disparaître, comme par un coup de baguette et sans combat, une armée de 150,000 hommes; la trahison, accompagnée des plus vils artifices de séduction, d'imposture et d’hypocrisie, devait être l'arme la plus terrible de la révolution; la trahison devait faire de Garibaldi un demi dieu pour les journalistes révolutionnaires et pour le peuple ignorant; mais du moment où ce jeu perfide cessa sur les bords du Volturne, cette divinité de chair et d'os tomba de son piédestal.

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Le général Lanza avait été, après la paix de Villafranca, envoyé en Sicile pour inspecter les forteresses du littoral de l'île; mais l'inspection qu'il en fit contribua peu ou point à l'armement des forts, qui étaient dégarnis de bonne artillerie: les canons de gros calibre qui furent expédiés avec une extrême lenteur dans quelques places de Sicile, demeurèrent plusieurs mois sans affût à l'intérieur des forts; nous ignorons s'ils furent jamais montés avant la révolution. Les réparations nécessaires aux forteresses et les nouveaux ouvrages à y construire, après une série de rapports et de discussions, ne furent point exécutés. Nous n'en rejetons pas toute la faute sur Lanza, parce que la trahison avait de nombreuses ramifications dans les conseils militaires du royaume, où l'on ne décidait que les entreprises ruineuses pour le trésor au profit de quelques individus, tandis qu'on écartait celles qui auraient dû être la défense et le soutien de la monarchie.

La révolution de Sicile commencée, on fit croire à la cour de Naples que le prince Castelcicala n'était pas l'homme qu'il fallait pour tenir les rênes du gouvernement dans des temps si difficiles; que le général Salzano ne devait pas non plus être investi du commandement militaire de toute l'île; qu'il était urgent de les remplacer tous deux par un personnage doué de plus d'autorité que Salzano et de plus d'activité que le prince de Castelcicala. Or le personnage choisi pour servir de ferme appui à la monarchie des Bourbons fut le général Lanza. Chargé d'une aussi importante mission, il fut mandé vers le milieu de mai en

Sicile, d'où l'on rappela le prince de Castelcicala, qui avait donné des preuves manifestes d'une fidélité inaltérable à son souverain, et qui ne laissait pas le moindre doute sur sa ferme volonté de combattre à tout prix la révolution.

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Débarqué le 18 mai à Palerme, Lanza publia une proclamation dans laquelle il annonça au peuple, conformément à ce que le roi François II avait décrété le 15 du même mois: 4° Sa nomination à la lieutenance générale de l'île, avec le titre de commissaire extraordinaire et les pouvoirs de l'alter ego

(plénipotentiaire). 2° L'assurance que l'exercice de son autorité durerait jusqu'à ce que l'ordre public fut rétabli, époque à laquelle Sa Majesté enverrait à Palerme un prince de la famille royale, en qualité de lieutenant général de l'île. 3° Une amnistie complète pour tous les rebelles qui se seraient soumis aux autorités locales.

Celte proclamation fut accueillie froidement par le peuple et tournée en dérision par les chefs de la révolte, qui avaient déclaré que rien ne les contenterait sans la déchéance des Bourbons et l'annexion de la Sicile à la maison de Savoie.

Le nouveau commandant en chef des forces de Palerme adopta un plan bien différent de celui de Castelcicala et de Salzano, un plan évidemment destiné à faciliter un coup de main à l'expédition de Garibaldi. En effet, Lanza concentra à Monreale, ville située à 4 milles de Palerme, quelques bataillons de chasseurs, le meilleur corps de l'armée, sous le commandement du vaillant Bosco; il y ajouta les bataillons bavarois, et garnit tellement d'artillerie et de redoutes cette ville déjà très forte par sa situation, que le tout ensemble en fit une place inexpugnable. De cette façon Palerme restait fermé à l'ouest-sud-ouest et les positions de l'ennemi au Parco, ville distante de 7 millet se trouvaient sérieusement menacées.

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Lanza avait placé un autre corps de troupes près des quartiers des Quatre-Vents, hors de la ville, au nord-ouest; le reste de l'armée était divisé entre le palais royal, Castellamare et le palais des Finances. La force principale de l'armée royale occupait donc la ligne du nord au sud-ouest, et l'espace qui s'étend de là jusqu'à la mer, que gardait la flotte royale, était presque entièrement à découvert; car à la porte de Termini (celle par où les insurrections ont toujours reçu le plus de renforts), il n'y avait qu'une compagnie et deux pièces d'artillerie non couvertes; quelques compagnies avaient bien été postées dans le couvent de S. Antonin, mais en dehors de toute position stratégique; de cette façon l'ennemi battu à gauche par les troupes de Monreale, pouvait tenter sans peine un mouvement de flanc et descendre sur Palerme sans rencontrer d'obstacle. Il ne manqua pas de gens qui aperçurent dès lors la malice des dispositions que prenait Lanza, et plusieurs disaient ouvertement qu'il avait laissé l'entrée libre à Garibaldi. Ajoutons que, sous prétexte de ne pas fournir au peuple des motifs d'irritation, il ordonna au général de fermer tous les corps de garde que le directeur Maniscalco avait ouverts pour la police dans les quartiers les plus dangereux de la ville, et exigea que toutes les forces de la police se réunissent dans l'établissement de l'université de Palerme. En somme, la capitale demeura livrée à elle même et libre de se soulever au premier signal. Ce fut alors que le directeur Maniscalco se retira, abandonnant le timon d'une barque qui naviguait sur les écueils de la perfidie et courait à une perte indubitable.

Pendant que l'on prenait 5 mesures à Palerme, Garibaldi se montrait à Borgetto et dans les alentours de Monreale: de nouveaux volontaires lui étaient arrivés par de nouveaux débarquements pratiqués sur divers points de l'ile, ainsi que des armes, des munitions et de l'argent;

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de nouvelles bandes s'étaient encore formées dans ce pays fécond en hommes rompus à tout désordre: les vaisseaux sardes ne laissaient pas, comme on le pense bien, de leur fournir, pendant la nuit, des armes et des provisions. Garibaldi se croyait donc désormais en état de prendre l'offensive et de se jeter, en manœuvrant par surprise, dans la ville de Palerme. Mais Garibaldi ignorait que Bosco ne s'était point vendu au parti sarcle et mazzinien; et qu'il était d'une noblesse de caractère et d'une générosité à ne pas abaisser son drapeau devant une poignée de flibustiers, aidés de bandes indisciplinées. Bosco, en effet, assaillit les rebelles sur les hauteurs de San Martino, les battit deux fois avec un grand carnage, les poursuivit jusqu'à Partinico, en leur tuant beaucoup de monde, entre autres Rosolino Pilo, envoyé par Mazzini pour soutenir la révolution d'avril. Avant occupé les positions les plus importantes, cette même colonne se prépara à frapper un coup décisif contre le corps principal de l'expédition de Garibaldi. Celui-ci, dans la matinée du 21, concentra au Parco toutes ses forces et fit mine de menacer Monreale, comme s'il voulait s'ouvrir par là un chemin vers la capitale. Mais les troupes royales de Bosco attaquèrent, le 24, ces bandes d'insurgés, les mirent en déroute et les battirent d'une manière si effrayante, que, du propre aveu des Piémontais, Garibaldi ne s'était jamais montré aussi abattu. Les pertes de l'expédition furent cette fois lamentables, leur artillerie fut totalement perdue, leur positions du Parco toutes occupées par les royaux, leurs bandes dispersées pour la plupart et le corps principal serré de près par Bosco, dans la direction de Corleone. Ce combat semblait décisif, et il l'eût été sans la trahison du général en chef.

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La nouvelle de cette défaite répandue à Palerme, fut un coup de foudre pour les partisans de la révolution; ils s’attachèrent à la démentir, dans l'intérieur de l'île par le moyen de leurs agents, et en d hors par les journaux menteurs de Turin. Le journal de Naples publiait en date du 27 mai: «que les bandes de Garibaldi avaient été entièrement défaites» et c'était la vérité. Plusieurs hommes du contingent sicilien, retournés chez eux après la bataille du Parco, affirmaient sans détour que tout était perdu; un assez grand nombre d'émigrés et même de Piémontais, qui s'étaient enfuis dans la confusion générale, cherchèrent à Marsala et ailleurs les moyens de s'embarquer pour Malte: quant aux soutiens de la révolte dans l'intérieur de l'île, ils pâlissaient d'effroi, et, déposant leur air superbe et menaçant, ils changeaient de ton et de langage. Répétons le encore une fois: C'en était fait de Garibaldi et de son expédition, si le général Lanza avait mis un corps d'observation dans la direction du village des Abati et de Misilmeri, s'il y avait au moins placé des avant-postes ou qu'il eût muré, sinon fortifié, les portes de la partie méridionale de Palerme.

Garibaldi, même avant l'attaque du Parco, avait formé pour lui un corps de plus de 800 hommes, parmi lesquels ses volontaires du Piémont et les deux colonnes du chevalier Santanna d'Alcamo et du chevalier Coppola de Monte di Trapani: son dessein était de se jeter cà l'improviste sur Palerme, pendant que la troupe de Bosco serait occupée à combattre les bandes du Pareo; la déroute de celles-ci ne le fit pas changer de résolution; avant laissé Orsini et le reste de ses bandes battre en retraite vers Corleone, pour attirer les royaux de ce côté, il se sépara secrètement avec ses 800 hommes de son armée en désordre que poursuivait Bosco, et prit la route de Marinco:

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de là tournant sur la droite, il marcha pendant la nuit du 25, dans la direction de Misilmeli. Arrivé là à minuit, il s'y arrêta jusqu'au soir du 26, veille de la Pentecôte, pour faire reposer ses troupes; puis, au milieu des ténèbres, il disposa la marche sans en indiquer le terme; il ordonna toutefois de s'avancer dans le plus rigoureux silence et de ne pas même allumer des cigares en chemin. Il évita les routes battues et fréquentées, traversa les champs, et dès 5 heures du matin, parvint à l'improviste sous les murs de Palerme et en força l'entrée par la porte de Termini. Les quelques soldats qui gardaient cette porte avec deux pièces d'artillerie, résistèrent de leur mieux à une attaque inopinée; mais débordés par le nombre et par l'élan de cette bande, ils se retirèrent dans la direction du Palais royal. Un escadron de cavalerie commandé par Colonna, fut envoyé aussitôt par Lanza pour simuler une résistance quelconque à l'entrée des flibustiers; mais Colonna, à peine arrivé avec son escadron à certaine distance des baïonnettes des Garibaldiens et sans avoir tiré un seul coup de fusil, revint en arrière aussi vite et même plus vite qu'il n'était venu. Après quoi,aucun obstacle n'arrêta plus Garibaldi, qui, déployant une bannière au bruit d'acclamations séditieuses, entra dans la capitale et courut en vainqueur jusqu'au centre de Palerme, où il établit son quartier-général.

En présence de cette simple exposition des faits dont les Palermitains furent spectateurs, nos lecteurs ne pourront s'empêcher de sourire, en relisant les correspondances mensongères de plusieurs journaux anglais, piémontais et français, qui nous parlèrent, dans ce temps,

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de grandes victoires remportées par les Garibaldiens sous les murs de la capitale, de charges à mitraille par lesquelles Orsini, qui ne se trouvait pas là, avec une artillerie déjà tombée entre les mains des Napolitains, fit tourner bride à la cavalerie royale; de monceaux de cadavres qui jonchaient le sol, de l'obstination du combat, etc... toutes choses plus dignes du roman que de l'histoire, mais à l'aide desquelles on voulut faire paraître gigantesque la valeur de Garibaldi, et frapper de stupeur l'imagination des peuples. Par malheur, nous avons vu que ces impostures de charlatans réussirent si bien que non seulement le bas peuple, mais les diplomates et les législateurs s'y sont laissé prendre en grand nombre... Omnes humana patimur.

L'entrée de Garibaldi à Palerme était le signal convenu de l'insurrection du peuple. A peine eut-il pénétré par la porte de Termini, que les cloches de MonteSanto l'annoncèrent à toutes volées, et qu'aussitôt on entendit résonner toutes les autres cloches de la ville, frappées à coups de marteau, à défaut des battants qui avaient été enlevés. A ee bruit qu'on n'avait plus entendu depuis deux mois, tous les points de la capitale retentirent d'acclamations, et de toutes parts on courut aux armes, quoiqu'elles fussent devenues assez rares, après toutes les perquisitions de la police. Dans tous les sens partaient des coups de fusil et surgissaient des hommes armés rejoignant en auxiliaires le corps de Garibaldi. En présence de ces rumeurs, de ces mouvements et de ces menaces de mort, les troupes qui avaient leur quartier à la place Bologna et dans le collège des Jésuites, se retirèrent, conformément aux ordres reçus, dans le Palais-royal, et avec eux les agents de police qui purent les rejoindre en partant de l'Université royale où ils étaient rassemblés.

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Ainsi, en un instant le peuple fut maître de toute la ville, excepté le Palais-royal, le palais des Finances et la citadelle.

Cependant Garibaldi s'établissait dans le Palais prétorial qui se trouve au milieu de Palerme; il y réunissait les chefs de la municipalité, confirmait Crispi dans la charge de secrétaire d’État qui lui avait été conférée à Salemi, lui confiait, ainsi qu'aux membres du comité de Palerme, le gouvernement provisoire de la ville; puis il y proclamait et y faisait accepter sa dictature au nom de Victor Emmanuel. Il haranguait ensuite le peuple du balcon du Palais des Sénateurs; il vantait le courage et la constance des habitants de Palerme, il enflammait leur enthousiasme et les exhortait à de nouveaux sacrifices pour la liberté. Il s'appliquait d'ailleurs à organiser une sorte de milice citoyenne pour la défense de la ville et, par de nouvelles allocutions, il excitait ceux qui en faisaient partie à chasser l'ennemi des lieux qu'il occupait encore; il leur mettait devant les veux l'exemple de ses volontaires et les pressait de suivre les mêmes traces. Les bandes dispersées dans les campagnes du Parco et de la Plaine des Grecs arrivaient peu à peu et il s'en formait de nouvelles pour menacer les troupes du côté des Colli et des quartiers des Quatre Vents. Néanmoins le nombre des envahisseurs armés, surtout ce jour là et le jour suivant, était si petit qu'une armée de 25,000 hommes eût pu aisément les envelopper et les mettre en déroute. Toute la force de Garibaldi consistait dans les 800 hommes avec lesquels il était entré à Palerme, sans artillerie et sans grandes munitions: des groupes de citoyens armés de quelques fusils de chasse, de couteaux et de bâtons n'auraient certainement pas soutenu un feu de pelotons. Si, en ce moment, des bataillons avaient marché du palais royal et de la citadelle pour occuper le palais des sénateurs, la révolution aurait été étouffée dans son germe et Garibaldi aurait trouvé son tombeau à Palerme.

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Mais le général Lanza n'avait pas la volonté de combattre la révolution; c'est pourquoi, docile aux instructions de l'Assemblée Nationale de Turin, il adoptait les moyens qui devaient le plus compromettre le monarque trahi et le rendre odieux aux Siciliens. Il commandait le bombardement de Palerme et donnait de fait toute licence aux troupes aigries qui n'aspiraient dans leur haine féroce qu'à saccager et à piller. Vainement, le général Salzano s'opposa-t-il à la cruelle et inopportune résolution du commandant, et vainement, dans l'impossibilité de vaincre un pareil entêtement, avait-il brisé son épée contre un mur; le drapeau rouge fut hissé sur le palais royal en signe de destruction et d'extermination.

Chapitre XIV.
PALERME DU 11 AU 30 MAI. — CAPITULATION ET ÉVACUATION DE LA VILLE PAR LES SOLDATS.

Sur les 10 heures du matin, le 27 mai, commença avec force le bombardement du château contre Palerme, et il dura, quoique en se ralentissant, jusqu'au 30 du même mois. Les vaisseaux de la flotte royale y prirent part, en lançant une grêle de grenades et de fusées, surtout le long de la rue de Tolède qui aboutit à la place du Palais royal. Il est difficile de décrire l'abattement, la consternation et l'exaspération des Palermitains; les bombes causaient partout d'immenses ravages; plusieurs édifices privés furent détruits ou bouleversés; d'autres furent gravement endommagés. ' Parmi les établissements de plus grande importance, les deux monastères du Cancelliere et de Ste Catherine furent en partie détruits, à raison de leur proximité du Palais des sénateurs, dans la direction duquel des bombes étaient lancées, sans toutefois qu'une seule l'atteignit. La population s’enfuyait à la campagne ou cherchait un abri dans les souterrains et dans les sépultures; la plupart se réfugièrent dans les églises que les troupes napolitaines épargnèrent constamment (1). L'église des Théatins et celle du Gesù, appartenant aux Jésuites, se remplirent surtout et regorgèrent de monde.

(1) La conduite des Piémontais à Ancône et à Gaëte ne se régla point sur de pareils scrupules; on sait, au contraire, que leurs bombes étaient principalement dirigées contre les églises, les hôpitaux et l'habitation de la famille royale. Quelle civilisation!

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Quel spectacle présentaient les saints lieux durant ces jours d'universelle épouvante! Des milliers de personnes de tout âge et de toute condition, des jeunes personnes délicates et des vieillards défaillants, des enfants et des petites filles, des jeunes gens vigoureux et des hommes adultes se trouvaient entassés dans ces sacrés asiles, distribués par familles, couchant la nuit sur le parvis ou sur quelque matelas tiré des maisons particulières. En attendant, une partie d'entre eux avaient perdu leurs propres maisons et par conséquent tout leur avoir; quelques uns s'étaient vu enlever par un feu meurtrier tel ou tel de leur famille, ou l'avaient laissé enseveli au milieu des décombres. Aussi un concert douloureux de plaintes et de regrets résonnait-il sous les voûtes du temple, pendant que l'explosion des bombes et le fracas de l'artillerie en ébranlaient les murailles. Dans les rangs de ces infortunés s'empressaient heureusement les zélés ministres du Seigneur, attentifs à alléger le poids de la profonde affliction qui les accablait et à leur dispenser du mieux qu'ils pouvaient, du pain et d'autres secours en rapport avec leurs besoins. — Toutefois nous devons observer que durant les trois jours du bombardement, il périt peu de monde. Le nombre des victimes ne dépassait pas encore une centaine de personnes: mais il y en avait parmi elles de bien chères et de bien regrettables, dont la fin malheureuse désola des familles entières et laissa dans leur cœur une blessure incurable.

Ce qui néanmoins désola davantage une partie des habitants, ce fut l’incendie et la dévastation à laquelle s'abandonna, ou se laissa pousser sur quelques points, une soldatesque aveugle de fureur et de rage, comme nous l'avons dit, à cause des privations longtemps souffertes et de leur sang répandu.

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Les maisons les plus proches du Palais royal furent saccagées et à moitié détruites; les habitants qui n'avaient pas fui à temps, furent ou massacrés par une garnison exaspérée, ou faits prisonniers et conduits dans le Palais royal. Plus excessifs eussent encore été le massacre, le pillage et d'autres maux de toute sorte,si les officiers de la milice que possédait en ces jours une colère maniaque et sauvage, n'avaient employé tous leurs efforts à la contenir; c'est à leur courageuse opposition que plusieurs furent redevables de la vie, soit pour avoir été arrachés aux baïonnettes qui allaient les percer, soit pour avoir été mis en arrestation et conduits, comme prisonniers au Palais où ils étaient traités de la manière la plus affable et la plus généreuse. Cela est si vrai que, l'armistice étant survenu, ces prisonniers rendus à la liberté ne pouvaient se lasser de louer l'humanité et l'amabilité de leurs bienfaisants médiateurs.

Cependant Garibaldi répartissait ses bandes et ses volontaires en tête de chaque détachement, dans les endroits les plus périlleux de la ville; il envoyait les corps principaux contre le Palais royal, dont la garnison renforcée d'une partie de la colonne de Monreale, montrait une valeur et une fermeté que les volontaires piémontais n'auraient point réussi à déconcerter. Il fit marcher aussi contre le palais des Finances, dont la petite garnison résista avec énergie et ne capitula qu'après la conclusion de l'armistice. Il chargea d'autres bandes de rompre, si c'était possible, les communications entre le Palais royal et le fort de Castellamare. Mais ce fut autour du Palais royal que se livrèrent les plus violents combats.

Des fenêtres, des toits et des terrasses, les Garibaldiens tiraient sur les royaux qui occupaient le palais de l'archevêque et l'hôpital des Prêtres, non moins que sur les bataillons massés sur la place royale.

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Mais la troupe s'efforçait de déloger les insurgés de partout et faisait pleuvoir sur eux une grêle de balles et de projectiles; elle s'emparait ensuite de tous les édifices qui bordaient la ligne de la place royale jusqu'au débouché des rues et de là se battait courageusement. Elle était encore maîtresse de la place de la Cathédrale, de l’Église et de son clocher d'où elle faisait un feu nourri et disputait aux bandes armées l'accès de la place du Palais. Maîtresse aussi de l'ancien hôpital civique, que le prince Filangieri avait transformé en quartier militaire, elle ne permettait pas aux insurgés, vu la difficulté des lieux, de tenter un assaut: enfin l'artillerie qui garnissait les murs et les terrasses, dont le susdit palais royal est entouré du côté de l'Ouest et du Sud, tenait en échec les volontaires qui manquaient totalement de canons. En somme, il paraissait impossible que le Palais royal, lors même qu'il se fût maintenu seulement sur la ligne de défense, pût tomber au pouvoir des envahisseurs, malgré leur confiance présomptueuse et leur forfanterie.

Le 28, les troupes avant abandonné les prisons, les détenus en abattirent les portes et au nombre de 2,000 se répandirent dans la capitale. Garibaldi les mit à réquisition et les envoya en armes sur le lieu du combat: mais ces ouvriers et ces paysans ne tardaient pas à montrer leur peu de vocation pour l'état militaire; leur rôle se bornait presque à brûler de la poudre et à consommer les munitions»

Ni les reproches réitères des volontaires de Garibaldi, ni leur exemple ne parvinrent à inspirer à cette pauvre race d'hommes des sentiments de bravoure dans l'attaque ou dans la résistance.

On ne dut à de semblables auxiliaires que la multiplication croissante de vols impunis, et Palerme en prenait un aspect de désolation qui s'aggravait continuellement.

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Ce jour là cependant le combat devint plus vif et plus ardent parce que les Garibaldiens avaient occupé outre le collège des Jésuites, le monastère des Sept-Anges dont les constructions ferment le carré au milieu duquel se trouvent le parvis et l'édifice de la Cathédrale. Les royaux pointèrent leurs batteries contre ce monastère en tirant à boulets et à mitraille. Les pauvres sœurs tremblantes de peur furent obligées de quitter leur maison devenue un théâtre de guerre, et avec le secours des Jésuites qui leur semblèrent en ce moment des Anges du ciel, ainsi que sous la protection de plusieurs Garibaldiens qui s'y prêtèrent généreusement, elles se réfugièrent dans le collège des Pères de la Compagnie, d'où elles passèrent dans le petit couvent de Giusino. Ce fut vraiment une scène déchirante de tristesse que de voir ces saintes filles traverser, à pareil moment, la voie publique parmi les balles qui sifflaient de tous côtés et au milieu des assassins qui couraient combattre ou voler.. Comment surtout ne pas être touché jusqu'aux larmes à la vue d'une malheureuse paralytique de 80 ans qu'il fallut porter à bras jusqu'à la porte latérale de l'église des Jésuites où plusieurs des Pères s'efforcèrent de la tirer dans un fauteuil jusque dans l'intérieur de leur maison, pour la transporter ensuite sur leurs épaules au monastère de Giusino. Ici nous nous croirions coupables d'injustice, si nous refusions une juste part d'éloges à quelques uns des volontaires de Garibaldi, qui non seulement contribuèrent à sauver la vie à ces religieuses, mais de plus, avec une parfaite obligeance et une rare délicatesse, travaillèrent toute cette journée et la suivante avec plusieurs Jésuites, aidés eux mêmes de quelques étudiants de la Compagnie, pour mettre en sûreté tout ce qu'ils purent de l'argent et du mobilier de ces infortunées, sans crainte de s'exposer aux dangers dont les menaçaient les flammes et la mitraille.

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Vers la fin du jour, le général Lanza voulut donner une nouvelle preuve de sa perfidie. Il ordonna un assaut général contre la ville, par tous les chemins avoisinant le Palais. Au son de la trompette, les bataillons des chasseurs royaux marchèrent sans hésitation avec un feu de peloton si meurtrier et si soutenu, que les bandes volontaires furent de toutes parts écrasées et mises en déroute. Le cri de «sauve qui peut» retentit à travers toutes les rues de Palerme; les royaux descendaient la rue de Tolède sans rencontrer aucun obstacle à leur marche menaçante et ils approchaient de la place Bologna: quelques pas encore et ils investissaient le palais sénatorial; tout faisait penser que ce jour là verrait la révolution anéantie; mais Lanza n'entendait pas faire autre chose qu'une démonstration militaire: la trompette du général commandant arrêtait la marche triomphale des chasseurs et leur imposait une retraite déshonorante. Ces braves s'en retournaient en se rongeant les poings de rage et en criant à la trahison, tandis que des bandes de vils émeutiers les poursuivaient de leurs sifflets et s'attribuaient comme une victoire, ce qui n'était que le résultat de la plus noire perfidie.

Dès le 28, le commodore de la flotte napolitaine fit des démarches auprès de l'amiral Anglais M. Mundy, pour négocier une suspension d'armes et obtenir un sauf conduit à deux généraux Napolitains qui viendraient en conférer avec l'amiral luimême: mais l'amiral n’ayant pas voulu accorder aux deux généraux la permission de traverser la ville jusqu'au port sous la protection du drapeau de l'Angleterre, les négociations furent interrompues et la lutte continua avec plus d'impétuosité et d'acharnement.

Le 29, les Garibaldiens qui s'étaient multipliés dans le couvent des Sept-Anges, après un feu des plus vifs sur les royaux, les chargèrent à la baïonnette et les forcèrent d'abandonner la Cathédrale. Mais ils ne la gardèrent que pendant quelques heures; vers le soir, le général Lanza,

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pour ne pas s'opposer au désir des officiers de l’État-major, ordonna une seconde fois l'assaut général contre la ville; les Garibaldiens et leur suite furent de nouveau chassés et honteusement mis en fuite; le découragement et l'effroi gagnèrent de nouveau les rebelles; mais ee succès, qu'une victoire complète était sur le point de couronner, se termina, comme le précédent, par une retraite sans honneur et sans raison. Seulement, cette fois, les troupes en se retirant mirent le feu au couvent des Sept-Anges, et à l'édifice contigu, ainsi qu'au palais du prince Carini, ambassadeur du roi de Naples en Angleterre; c'étaient trois positions d'où les insurgés faisaient beaucoup de mal à la troupe.

Ainsi s'achevait le troisième jour, pendant lequel fut assez restreinte la quantité des bombes lancées sur Palerme. Quand le 4e jour commençait à paraître, le général Lanza écrivit la dépêche suivante au général Garibaldi:

Commandement en chef des forces de terre et de mer en deçà du détroit.

Palerme, 30 mai 1860.

«Général,

«L'amiral anglais m’ayant informé qu'il recevrait volontiers à bord de son vaisseau deux de mes généraux, à l'effet d'y avoir avec vous une conférence dont il serait le médiateur, pourvu que vous leur permettiez de traverser vos lignes, je vous prie de me faire savoir si vous consentez à cette entrevue et de indiquer en ce cas, à quelle heure vous voudrez que l'armistice commence. Il serait convenable que vous fissiez escorter les deux géraux du palais royal à la Quarantaine où ils s'embarqueraient.

«En attendant votre réponse, j'ai l'honneur d'être,

«Lanza.»

A S. E. le général Garibaldi.

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A cette dépêche Garibaldi répondit qu'il acceptait la proposition, que l'armistice commencerait à midi et qu'à 1 heure de relevée l'entrevue pourrait avoir lieu à bord du vaisseau de l'amiral. Puis l'ordre fut donné sur toute la ligne de suspendre le feu, en conservant les positions respectives.

Sur ces entrefaites et avant midi, arrivait à Palerme le général Bosco suivi d'une forte colonne de Napolitains et de Bavarois; il descendait du pont de l'Amirauté et chassait devant lui, comme un vil troupeau, les bandes d'insurgés qui avaient osé tirer sur ses soldats; il entrait avec un irrésistible élan par la porte de Termini, s'avançait en commandant un feu des plus vifs et parvenait à la Fieravecchia. Les volontaires de Garibaldi, sous les ordres du colonel Carini, lui opposèrent vainement une résistance énergique et ne purent arrêter sa marche impétueuse; bon nombre d'entre eux perdirent la vie en combattant et Carini luimême fut grièvement blessé. La nouvelle de cette attaque inattendue répandit le découragement dans la ville, d'autant plus que ce jour là justement les munitions de guerre venaient à manquer aux garibaldiens. Le nom de Bosco était d'ailleurs le nom d'un homme d'honneur, prêt à tout risquer, plein d'élan et de vigueur dans le combat, soldat brave et solide, citoyen généreux et loyal. Le nom de Bosco rappelait la défaite que les rebelles avaient essuyée à Monreale, à San Martino, au Parco, et promettait de nouveaux désastres pour la révolution. Garibaldi comprenait que cet homme seul suffirait pour lui arracher le fruit de ses ruses et des trahisons du commandant militaire de Palerme; il envoya donc prier le général Lanza d'imposer l'armistice à Bosco et d'arrêter sa marche.

— 225 —

Lanza y souscrivit sans peine et envoya au brave colonel l'ordre de respecter la suspension d'armes et de s'arrêter aux positions acquises. Bosco frémit d'indignation 'de se voir ôter du front les lauriers qu'il avait cueillis dans le sang des siens et au péril de sa vie; mais fidèle à la discipline qu'il exigeait rigoureusement de ses soldats, il obéit à l'injonction de son commandant et accepta l'armistice. Le bruit courut alors dans Palerme que Lanza avait eu connaissance préalable de la marche de la colonne de Bosco et de ses projets. S'il en est ainsi, que nos lecteurs jugent ce que signifiait cet armistice demandé par Lanza, quand une de ses plus fortes colonnes, déjà victorieuse, n'était qu'à deux heures de la capitale et que les bandes de Garibaldi manquaient de munitions.

A l'heure après midi le génépi Letizia, député par Lanza, se rendit à bord de l'Annibal où se trouva Garibaldi avec le colonel Tùrr, l'inspecteur général de l'armée insurrectionnelle; à la conférence étaient encore présents l'amiral anglais et les commandants des vaisseaux français et russes. Letizia présenta par écrit les six points suivants à l'acceptation de Garibaldi:

1° Une trêve serait conclue pour durer pendant la période qui plairait aux deux parties belligérantes.

2° Tant que durerait la trêve chacune des parties conserverait ses positions.

3° On permettrait aux convois de blessés qui viendraient du palais royal, comme aux familles des emplovés de traverser la ville pour s'embarquer sur les vaisseaux napolitains.

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4° Les troupes du palais royal et les familles hébergées dans les monastères contigus pourraient se procurer des provisions journalières.

5° La municipalité de Palerme adresserait au roi François II une humble requête où elle exposerait les vrais désirs de la ville.

6° Les troupes établies dans Palerme pourraient librement recevoir leurs provisions du château.

Garibaldi accepta ces propositions, à l'exception du 5e article qui lui paraissait un aveu tacite de la défaite infligée à l'émeute, quand, d'après lui, tous les avantages étaient du côté du peuple. Letizia consentit lâchement et l'armistice fut signé pour 24 heures, puis prolongé pendant les trois jours suivants à la demande du même général napolitain. Le dictateur l'annonça au peuple du haut du balcon du palais pretorial, en disant que des motifs d'humanité lui avaient conseillé d'accorder à l'ennemi une courte suspension d'armes; que pourtant il avait rejeté avee dédain les conditions ignominieuses qu'on voulait imposer à un peuple vainqueur (Garibaldi faisait allusion à l'article 5° proposé par Letizia).

Enfin, il exhortait les Palermitains à se préparer au combat et à s'occuper vivement de construire des barricades. Il nommait h cet effet des commissions d'architectes chargés de diriger les travaux que ferait le peuple. Les barricades devaient s'élever à la distance de 100 pas l'une de l'autre et la garde en être confiée aux citoyens qui habitaient dans chacun de ces intervalles.

— 227 —

De cette façon, toutes les rues de la ville étant dépavées, on procéda à la construction de hauts et solides remparts, qui auraient pu résister au canon. Et cene furent pas seulement les rues principales de la ville que l'on barricada ainsi, mais toutes les rues en général et jusqu'aux moindres ruelles. Palerme devint done alors inaccessible à tout véhicule et à peine un étroit passage resta-t-il ouvert aux piétons sur un des côtés de chacune des barricades.

Conséquemment la colonne de Bosco se trouva complètement prise et enfermée dans un réseau de barricades formidables, de telle sorte que, si le feu avait recommencé, elle eût rencontré des difficultés insurmontables à faire un mouvement quelconque: l'armistice l'avait constituée de fait prisonnière au milieu de ses avantages. Le général Lanza et le général Letizia n'avaient eu aucun égard, dans la convention intervenue, à cette colonne de braves dont les positions conquises à la pointe de l'épée n'auraient jamais dû pouvoir être empirées contre eux; les deux signataires napolitains ne furent pas plus soucieux de toute l'armée royale qui, au cas d'une reprise des hostilités, n'aurait été capable, même de conserver ses lignes, qu'au prix des plus sanglants sacrifices. L'armistice, eût-il été convenable à tous les autres points de vue, exigeait naturellement que les deux parties conservassent leurs positions dans l'état où elles se trouvaient.

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N'avoir pas inséré cette condition dans un article formel, ni même protesté contre l'exécution d'ouvrages qui allaient rendre plus difficile la situation de l'armée royale, fut de la part de Lanza une trahison manifeste; et le but non moins perfide d'une pareille trahison était de justifier la nécessité de la capitulation qu'il souscrivit sans honte et sans pudeur (1).

En effet, le général Letizia, après avoir obtenu de Garibaldi la prolongation de l'armistice, se rendit promptement à Naples, en ambassadeur de Lanza, pour persuader au ministère d'abandonner tout à fait les deux provinces de Palerme et de Trapani, et de concentrer les troupes à Messine, à Milazzo, à Syracuse et à Augusta. Letizia dépeignit au gouvernement le danger de l'armée royale, exagéra les forces de l'ennemi et l'importance des moyens dont il disposait; il tâcha de montrer qu'en ces conditions la stratégie de 1848 était la plus opportune. Le Gouvernement de Naples n'avait pas alors pleine connaissance de l'horrible trame qui s'ourdissait contre son existence; il céda pour prévenir une effusion de sang, qu'il jugeait inutile; pour ne pas exposer Palerme à une aggravation de maux qui serait la conséquence des hostilités prolongées; il céda pour employer ses troupes avec plus de succès en faveur de l'ordre et de la monarchie, si la diplomatie ne parvenait pas à arranger la question de Sicile. Au reste, tout suspects que fussent devenus aux veux du gouvernement les commandants de l'armée de Palerme, il n'était plus temps de prendre de ce côté des mesures efficaces.

(1) Les journaux nous ont appris, dans la suite, que le général Lanza avait reçu de Garibaldi, pour prix de sa trahison, 00,000 ducats, dont 50,000 cependant étaient en faux billets de banque.

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Le général Létizia revenu le 3 juin à Palerme, eut une entrevue avec Garibaldi et conclut avec lui un armistice de trois autres jours, pendant lesquels serait signé l'acte stipulant l'évacuation militaire de la ville et l'embarquement des troupes de Trapani, de Termini et de Palerme. Le 6 en effet, il fut signé par les deux parties une double convention, dont une, qui resta pour lors secrète, concernait l'évacuation des trois faces ci dessus indiquées avec tout le matériel de guerre. En conséquence, le lendemain, les troupes royales abandonnèrent leurs positions du palais royal, de la Fieravecchia et de la porte de Termini. Le palais des Finances avait été consigné à Garibaldi le 1 juin, avec les 5,0003000 de ducats qui s'y trouvaient (22,000,000 de francs); somme considérable, dont 100,000 ducats appartenaient au gouvernement; le reste provenait de dépôts particuliers.

Les deux colonnes entre lesquelles furent partagées les troupes royales, se mirent en marche à dix heures du matin, avec armes et bagages et avec tous les honneurs militaires; l'une où se trouvait le corps d'état-major, prit la direction de la porte Macqueda; l'autre celle de la porte Marina, et toutes deux s'avancèrent vers le mont Pèlerin, au pied du quel elles devaient camper jusqu'à leur départ pour Naples. L'immense matériel qui était accumulé dans la citadelle fut chargé sur des vaisseaux de guerre et l'on détruisit tout ce qui ne pouvait se transporter facilement. Enfin, le 18, les dernières compagnies qui étaient restées de garde au château pendant l'embarquement du matériel et des munitions, montèrent à bord d'un navire, et le même jour eut lieu la consignation du fort et de six nobles prisonniers au colonel Cenni, commandant de la place, député par Garibaldi pour dresser procès-verbal de tout ce qu'il recevait.

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Une foule immense était accourue pour assister au spectacle du départ de la flotte napolitaine, et pour fêter la délivrance des six nobles personnages. Par les barricades de la rue de Tolède abattues en partie, ces derniers furent conduits au milieu des bravos et des fleurs, comme des triomphateurs qui seraient revenus du champ de la victoire.

Les jours qui s'écoulèrent du 30 mai jusqu'au jour de la capitulation et jusqu'au de là du mois de juin, furent souillés de cruautés sauvages qui déshonoreront à jamais la populace de Palerme. Quelques agents de la basse police de cette ville, bien que retenus par leurs supérieurs, avaient, il est vrai, à force d'insolence et d'abus de pouvoir, excité l'indignation populaire. Tel n'était pas cependant le principal motif des fureurs homicides de la populace. Le comité révolutionnaire avait promis le pardon à ces agents sous certaines conditions incompatibles avec leur devoir; mais en les menaçant de mort et d'extermination s'ils persistaient dans l'exercice de leurs fonctions. Voilà pourquoi, lorsque la révolution eut éclaté et que Garibaldi fut entré à Palerme, la majeure partie de ces employés de police se réfugièrent dans les lieux occupés par les troupes; mais quelques uns n'eurent pas le temps de s'enfuir ou n'eurent pas le courage d'abandonner leurs pauvres familles. Ceux là se cachèrent de leur mieux; plus d'un s'ensevelit jusque dans les égouts, pour ne pas tomber entre les mains du peuple. Tant que le bombardement et la mitraille de la garnison maintinrent la ville dans un état d'épouvante, on pensa peu aux sbires; mais à peine les jours de l'armistice eurent-ils paru que la première pensée de la plèbe armée fut de massacrer ces malheureux. On les rechercha donc partout et il leur devint impossible d'échapper longtemps aux regards des nombreux individus altérés de leur sang.

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Quelques uns, à force de perquisitions, de menaces, de promesses et de trahisons étaient découverts dans leurs cachettes les plus obscures, et tirés violemment au dehors. D'autres, après un jeûne de plusieurs jours", sortaient, comme des taupes nocturnes de leurs souterrains, pour se procurer un peu de nourriture; mais bien qu'ils eussent l'apparence et la forme de spectres ambulants, ils ne tardaient pas à être aperçus de ceux qui épiaient leurs traces et avaient soif de leur sang. Tout sentiment humain frémirait à la description de la joie féroce qui enivrait cette lie du bas peuple, chaque fois qu'une nouvelle victime lui arrivait. En proférant les clameurs les plus brutales on traînait cet infortuné comme une bête vile à travers les rues de la cité; il était permis à chacun de l'insulter, de le frapper cruellement, de s'en faire un jouet, de le mutiler d'une façon ignominieuse. Lui, cependant, tremblait de tous ses membres; il implorait pitié et merci, invoquait les motifs les plus touchants, criait, pleurait, adressait au Ciel des plaintes et des lamentations déchirantes; les pierres mêmes en auraient été attendries; mais ces bêtes fauves étaient inaccessibles à toute compassion; aux pleurs et aux angoisses de l'infortuné ils répondaient par des lazzis; transportés d'une joie de cannibales ils l'accablaient de nouveaux coups; ils le déchiraient de nouvelles blessures et lui faisaient, ô horreur indicible! entrer de force dans la bouche les lambeaux des propre chair. Aux derniers moments de sa vie et quand il ne voyait plus rien à attendre, ce malheureux, retrouvant la force convulsive du désespoir, parvenait quelquefois à rompre ses liens, frappait des poings et des pieds ses cruels bourreaux, les mordait aveuglément et se débattait encore, jusqu'à ce que criblé de mille coups et baigné dans son sang, il tombait pour ne plus se relever.

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Mais ces anthropophages, qui dansaient et poussaient des cris de joie en le voyant expirer au milieu de ces tourments, ne laissaient pas en repos son pâle cadavre; on le traînait par les rues en continuant de le frapper et de le percer de coups de poignards; quelquefois on le dépeçait en morceaux; d'autre fois, las de cette boucherie et rassasié de sang, après l'avoir dépouillé de ses habits, on le jetait nu parmi les immondices ou à l'angle d'une rue, avec défense de lui donner la sépulture, tant que la corruption du cadavre n'obligeait pas de le faire disparaître. Voilà de quelle manière furent mis à mort plus d'une centaine d'agents subalternes de la police; et ce n'étaient pas toujours les hommes seulement, mais quelquefois leurs femmes, leurs enfants, leurs mères, sur qui s'exerçait la fureur populaire; avoir appartenu de près ou de loin aux suppliciés passait pour un crime impardonnable et digne de mort.

Que faisait alors le dictateur? Il avait bien décrété que les personnes avant fait partie de l'ancienne police eussent à se présenter aux autorités pour être jugées; mais il ne tint pas la main à l'exécution de cette mesure. Dans les premiers jours, luimême en fit fusiller quelques uns devant la population, après les avoir laissés exposés à ses outrages. Or ces massacres continuèrent sans aucune punition et sans que le gouvernement révolutionnaire eût fait la moindre réclamation contre le mépris de ses ordres, la populace estimant au contraire et jugeant de tels transports à tous égards innocents.

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Cependant l'exemple funeste de la capitale se propageait dans le reste de l'île, où l'on tint à honneur de renouveler les mêmes assassinats. Mais on ne se borna pas même aux personnes qui avaient appartenu à la police, on n'épargna pas davantage plusieurs employés du gouvernement passé que la populace désignait publiquement et poignardait à son aise; les vengeances privées, sous prétexte de ressentiment politique, s'étendirent d'une manière prodigieuse et la cause d'honnêtes et paisibles citoyens fut confondue avec celle des sbires les plus abhorrés. Le gouvernement fit mettre alors en arrestation quantité de Siciliens que le peuple avait voués à la mort; plusieurs s'enfuirent de l'île pour se préserver, eux et leurs familles.

En résumé, l'évacuation de Palerme inaugura dans la Sicile l'époque des meurtres et de l'émigration.

Chapitre XV.
PROPAGATION DE I. A RÉVOLUTION EN SICILE. — GOUVERNEMENT DICTATORIAL.

Le débarquement de Garibaldi en Sicile fut le signal d'une révolte générale. Les villes par lesquelles il passait dans l'intérieur de l'île, soit domination du parti révolutionnaire, soit crainte de ce chef de guérillas, soit terreur des bandes qui accouraient de partout se joindre à lui, déployaient le drapeau tricolore et reconnaissaient la dictature qu'il proclamait. Ainsi s'insurgea toute la province de Palerme, sans en excepter la ville même de Termini, qui, malgré le voisinage des troupes Napolitaines, leva l'étendard de la révolte, constitua son gouvernement provisoire et ouvrit ses portes aux insurgés pour se mettre en défense contre les royaux. Dans cette ville cependant, à part quelques coups de fusil échangés, aucune collision n'eut lieu entre la troupe et le peuple. Et, après la capitulation signée à Palerme, la garnison, s'embarquant pour Naples, évacua le fort dont les habitants prirent aussitôt possession et qui fut démoli de fond en comble.

Dans la province de Trapani, Mazzara fut la première ville qui se souleva; mais son insurrection n'eut pas d'autre importance que d'avoir obligé les Jésuites à quitter leur humble demeure, parce que leur avant demandé de fortes sommes, avec promesse de garantie, on n'avait pas obtenu d'eux de réponse satisfaisante. Marsala, après le débarquement de Garibaldi, était restée fidèle au gouvernement, soit dans la persuasion qu'une poignée de 800 volontaires ne tiendrait pas longtemps contre une garnison de 25,000 hommes qui résidait à Palerme,

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soit dans la crainte d'une visite des vaisseaux Napolitains et de leurs bombes que les oreilles du peuple préféraient ne plus entendre. Les chefs de la ville avaient fait des démarches pour avoir deux compagnies de troupes royales, qui protégeassent Marsala contre les projets des hommes de désordre' et contre les menaces des bandes de paysans; mais leur demande n'avait pas été couronnée de succès; la garde civique était résolue h défendre elle même l'ordre public, en attendant que le sort de l'île se fût décidé à Palerme. Toutefois Marsala ne manquait pas de meneurs disposés à se mettre à la tête d'un mouvement insurrectionnel. Ceux ci organisèrent dans une des fabriques de la ville des démonstrations séditieuses, qui du 21 au 23 mai allèrent toujours croissant en force et en nombre; et même dans l'une de ces démonstrations les ouvriers de tous les établissements Anglais avant pris fait et cause pour le peuple, la garde civique jugea inutile des  opposer. Les voleurs eux mêmes voulurent faire leur démonstration; ils prétendirent même qu'on leur livrât le collège des Jésuites pour le piller; mais les principaux citoyens se hâtèrent d'organiser une force publique capable de réduire à l'impuissance les desseins des gens pervers qui pullulaient de toutes parts.

Tant que la nouvelle positive de l'entrée de Garibaldi à Palerme n'y fut pas arrivée, la ville était dans une extrême agitation; lorsque ensuite les fuyards de la bataille du Parco y vinrent annoncer l'entière défaite du corps de Garibaldi,

Marsala en fut atterrée et le consul Piémontais luimême ne put s'empêcher de montrer du découragement et de la honte. Enfin, aux derniers jours du mois de mai, rassurés sur l'issue de la révolution de Palerme, les Marsalais ne s'inquiétèrent plus que pour organiser l'armement des bandes et marcher contre la garnison de Trapani.

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Une frégate piémontaise (ou, suivant d'autres, une frégate anglaise) qui se trouvait à l'ancre dans ce port, déposa sur la plage deux canons que le consul sarde montra à la population comme avant été enterrés à cet endroit depuis la révolution de 4848. Ces pièces d'artillerie une fois montées, on résolut l'expédition de Trapani. Le 1er juin, Henri Fardella vint dans ce port avec 40 volontaires Italiens, portant une quantité de fusils et de provisions de guerre; il enrôla le plus de gens qu'il put à Marsala et dans les villes voisines et les envoya, avec ses volontaires, au secours de Garibaldi. Pour lui, demeuré à Marsala, il racolait des hommes pour l'expédition de Trapani; mais la capitulation delà troupe de Palerme rendit ce renfort inutile. La garnison du fort de Trapani fut embarquée sur des bâtiments de la marine royale avec tout le matériel de guerre, et Fardella put faire son entrée triomphale à Trapani, sans avoir tiré un seul coup de fusil. De cette manière, toute la province de Trapani embrassait la cause de la révolution et se soumettait à la dictature de Garibaldi.

Dans les provinces de Girgenti et de Caltanissetta, durant tout le temps que le prince Castelcicala demeura à Palerme, et à l'exception de quelque petite bourgade à peine visible, la révolte ne se déclara nulle part. Mille hommes tenaient garnison à Girgenti et autant à Caltanissetta, sans compter une colonne de 2,000 hommes, campés à Canicatti qui est un point central entre les deux villes. Mais aussitôt que le général Lanza eut pris le commandement militaire de Sicile, le corps de Girgenti et de Canicatti reçut l'ordre de se réunir à celui de Caltanissetta et de marcher, sous les ordres d'Afan de Riviera par la route de Caltagirone, dans la direction de Catane.

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Le départ des royaux de Girgenti fit dresser l'étendard de l'insurrection, quelque peu nombreux qu'en fussent les partisans dans cette province. Ils l'étaient moins encore dans la province de Caltanissetta, et surtout dans la ville de ce nom, qui est une des plus attachées aux Bourbons, dont la munificence l'a comblée d'innombrables bienfaits pendant les 40 dernières années. Néanmoins les sociétés secrètes en avaient fait depuis longtemps leur point de mire et étaient parvenues à y répandre les maximes du désordre. Toutefois la majeure partie de la population et particulièrement le clergé n'avaient pas compris la logique révolutionnaire et s'étaient défendus des artifices de la séduction. C'est pourquoi, le 28 mai, après le départ des royaux, le peuple de Caltanissetta, se voyant dans la nécessité d'arborer l'étendard tricolore pour ne pas être exposé aux outrages des bandes armées, institua un comité sous la présidence du baron Morillo, homme de principes libéraux, mais honnête et modéré, et repoussa cette poignée de jeunes écervelés qui prétendaient la gouverner.

Mais avant l'adhésion des provinces de Girgenti et de Caltanissetta au gouvernement de Garibaldi, celle de Noto et surtout le district de Modica avaient proclamé sa dictature. La nouvelle du débarquement des Garibaldiens avait mis la ville de Modica dans la plus grande agitation. Le chevalier François Giardina, après avoir tenu plusieurs séances des personnages les plus influents de son parti, prit la résolution d'arborer la bannière tricolore. Cependant la famille Leva qui, dans la personne de l'abbé de ce nom, avait figuré dans toutes les révolutions de Sicile et avait aspiré, suivant l'opinion générale, à l'autocratie de son pays, s’appuyait sur plusieurs autres familles, telles que les Muccio et les Rizzone, pour s'opposer à la motion de Giardina qu'elle jugeait prématurée: c'était une affaire de clocher et une question d'influences rivales.

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D'autre part, la ville de Noto, chef lieu de cette province, bien qu'elle se fût soulevée pour désarmer la police, était rentrée dans l'ordre, et les autorités légitimes avaient repris les rênes de l'administration. Mais Giardina, malgré l'opposition du parti Leva, malgré l'apparente tranquillité de la ville de Noto, assuma sur lui la responsabilité du fait: le 17 mai, il arbora les couleurs italiennes, se constitua chef de la force publique et s'adjugea par le vœu des siens, le gouvernement du pays. Il est incontestable que Giardina, jeune homme doué des meilleures qualités, se montra digne de ses fonctions pendant le peu de temps qu'il les remplit; il organisa la force publique, fit respecter son autorité, délivra le pays des maux de l'anarchie et y maintînt le bon ordre avec une activité et un désintéressement qui surpassait toute attente.

Aussitôt l'insurrection de Modica connue, toutes les villes du district envoyèrent des commissions pour donner à Giardina leur vœu d'adhésion et reconnaître son autorité. Ce fut même le motif qui, peu de jours après, fit éclater une émeute à Noto, dont les habitants, par crainte de voir Modica leur enlever le titre de cheflieu de province, s'empressèrent de se déclarer en faveur du parti qui prenait le dessus en Sicile. Et cependant,là encore, la faction des exaltés dut céder aux honnêtes gens, et l'ordre public y fut maintenu par la garde nationale, grâce à l'influence des marquis Canicorao et Castelluccio et du docteur Sofia, mis à la tête du comité de gouvernement. Mais l'insurrection de Modica acquit plus d'importance, soit à raison du télégraphe sousmarin qui la mettait en communication directe avec Malte, à un moment où toutes les communications étaient interceptées, soit à raison du voisinage du petit port de Papallo qui n'est situé qu'à quelques lieues de l'île de Malte.

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C'est pourquoi les agents de Malte, avant leurs relations ouvertes avec le gouvernement de Modica, cette dernière ville devint un centre important pour la révolution sicilienne, tant que Palerme ne fut pas évacuée et que les communications postales ne furent pas rétablies. Jalouse du coup de main qui avait si bien réussi à Giardina, la famille Leva voulut en recueillir les fruits, et ressaisir le pouvoir qui lui avait échappé. Elle fit donc des démarches auprès de Giardina, proposa la formation d'un comité et l'élection d'un président muni des pouvoirs ordinaires. Giardina ne se refusa pas à la proposition, désireux qu'il était de réunir en une seule volonté les deux partis les plus influents de la ville, et de mieux assurer la tranquillité publique. Mais qu'arriva-t-il? Les personnes choisies pour membres du comité furent les proches parents ou les amis de Leva; on élut ensuite pour président l'abbé, qui était un vieillard de 73 ans; et le chevalier Giardina éliminé par cette manœuvre, l'autorité y perdit sa force et le pays sa sécurité. Tels furent dans la suite les manèges infinis de cette famille à Palerme, que, malgré la désignation faite par Garibaldi du chevalier Giardina, comme gouverneur du district de Modiea, le baron Leva réussit à se faire investir de cette charge, trop lourde cependant pour ses épaules.

Ce fut en ces conjonctures que quelques émigrés siciliens, de résidence à Malte, et avec eux quelques volontaires d'Italie, s'étant donné un chef pour les conduire au combat, se rendirent à Modica devenue un centre d'organisation militaire. Ce chef était M. Fabrizii, Modenais, émigré républicain et inculpé de complicité d'homicides politiques.

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Il avait combattu à Rome pour la république de Mazzini; après quoi, avant débarqué, non sans peine, à Malte avec d'autres républicains, il y demeura à la disposition de la secte mazzinienne. Un premier groupe de cette expédition arrivé à Modica par Papallo, y avait été précédé de plusieurs officiers piémontais, qui s'y étaient acheminés par Palerme. Il s'y arrêta pour attendre des renforts. En effet, le corps principal de l'expédition devait arriver sur deux bâtiments, l'un américain et l'autre sarde, chargés tous deux d'une quantité d'armes et de munitions de guerre. Tout avait été préparé dans le but de recevoir et de loger ces troupes, quand arriva la nouvelle que le Fulminante, bateau à vapeur de la marine royale, avait capturé les deux navires et les avait conduits à Gaëte. Ce fut un cuisant chagrin pour ce novau d'expédition, qui fut contraint de rester neuf jours en inaction, jusqu'à ce qu'on eût expédié de Malte d'autres armes et d'autres munitions. Enfin le 11 juin les soldats de Fabrizii, au nombre de 22, se mirent en mouvement pour Noto, d'où ils se dirigèrent sur Catane, en recrutant sur la route de nouveaux volontaires, qu'il ne leur avait pas été possible de se procurer dans le district et dans la ville de Modica. Aussitôt que Fabrizii s'était mis en marche sur Catane, cette ville avait arboré le drapeau de la révolte. Depuis le moment où le roi François eut fait à Catane les généreuses concessions que nous avons dites, le parti révolutionnaire comprit bien que sans la faveur du peuple il n'avait pas à risquer un coup de feu contre les troupes royales: il se transféra donc dans les villes de Lentini et de Mascalucia dans le dessein de fomenter la révolte; il constitua dans la première un comité insurrectionnel, présidé par le chevalier Jacques Gravina et expédia des adresses dans toute la province de Catane et dans celle de Noto pour obtenir des hommes et des armes.

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Effectivement il vint de par là une foule d'individus généralement méprisables ou réduits à la dernière misère. Les uns étaient alléchés par l'espérance du butin; les autres étaient envoyés par des comités qui voulaient purger leur ville de cette lie d'hommes fort dangereuse en des temps aussi critiques. Ainsi se formèrent les bandes que commandèrent MM. Polet, Frédéric Gravina et Caudullo. Ces deux derniers venaient d'être libérés des prisons par l'intendant de cette province, à qui ils avaient promis sur l'honneur de ne pas conspirer contre l'autorité du gouvernement. Leur fidélité à la parole donnée consistait à commander des bandes armées contre le gouvernement même. Mais les mots de bonne foi et d'honneur, ont été proscrits du code de la révolution.

Le 31 mai, ces bandes sortant de Mascalucia, au nombre de 500, assaillirent la garnison de Catane, qui se composait alors de plus de mille hommes. Le feu le plus vif dura pendant cinq heures entières au dedans delà ville, et les pertes furent considérables de part et d'autre; mais la population resta étrangère au combat. A la fin, les bandes durent céder à la supériorité du nombre et à la bravoure de la troupe; elles furent délogées de partout et obligées de prendre la fuite. La lutte terminée, la ville reprit son aspect habituel; et le soir même du combat l'arrivée de la colonne du général Afan de Riviera consolidait de plus en plus la tranquillité publique et menaçait d'avortement toute nouvelle tentative des bandes indisciplinées.

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C'est alors, le 3 juin, qu'un vaisseau napolitain apporta au général Clary, commandant de la place, une dépêche, lui enjoignant d'évacuer Catane, de se transporter avec 4000 de ses soldats à Messine, pour commander cette forteresse, et d'embarquer le reste des troupes pour les Calabres. Ce résultat était dû à la capitulation de Palerme et aux menées du général Letizia auprès de la cour de Naples.

Les royaux s'étant mis en marche avec tout le matériel de guerre, le parti révolutionnaire resta maître de la ville, arbora l'étendard aux trois couleurs, donna la chasse et infligea mille mauvais traitements aux sbires et à toute personne suspecte de trop de dévouement envers les Bourbons. Enfin Catane fut de gré ou de force entièrement soumise à l'autorité du dictateur. Un peu plus tard, la nomination du chevalier Vincent Tedeschi à la place de gouverneur de la cité et du district, rendit plus de vigueur à la force publique et retint le pays dans des voies d'ordre et de régularité.

Ainsi les troupes royales ne conservaient que Messine et Milazzo dans la province de Messine, Syracuse et Agosta dans la province de Noto.

Garibaldi cependant, après avoir signé la capitulation et l'évacuation de Palerme, s'appliqua à réorganiser l'île civilement et militairement. Il créa des gouverneurs pour tous les districts de la Sicile et remplaça par des questeurs les anciens inspecteurs de police. A Palerme, il donna plus d'extension à la questure et l'investit de tous les pouvoirs ordinaires de la police: mais, l'exercice de pareils droits avant été confié à des hommes de la révolution, devint la cause funeste de maux lamentables, qui furent commis au nom du bien de la patrie.

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L'espionnage, jusqu'alors secret et déshonorant, devint public et glorieux; les calomnies les plus méprisables contre les citoyens honnêtes et paisibles obtinrent plus de créance que leur justification. En conséquence, plusieurs personnes dignes d'égard et de considération, furent souvent ou exilées ou emprisonnées ou dépouillées de leurs emplois, pour avoir improuvé les nouvelles mesures du gouvernement; un mot proféré par elles ou inventé à leur charge, suffisait; tandis qu'en même temps les mauvais citoyens couvrant leurs délits de vivats et de bravos en l'honneur de la révolution et du dictateur, se reposaient tranquillement sous le patronage des nouveaux gouvernants, jouissaient de leur confiance et étaient gratifiés de récompenses publiques. Ainsi commençait un état de terrorisme et d'épouvantable anarchie.

Le premier ministère institué par Garibaldi était composé de Pisani, Crispi, Orsini et du chanoine Ugdulena. Comme sur ces entrefaites arrivait à Palerme le marquis Torrearsa qui, en 1848, avait été président de la chambre des communes en Sicile, le dictateur le nomma à la présidence du ministère; mais il n'y resta que peu de temps; et voici pourquoi. Le parti annexionniste de Palerme avant fait parvenir par la municipalité une adresse à Garibaldi, pour lui demander la convocation d'une assemblée nationale, qui prononçât la déchéance des Bourbons et l'annexion de la Sicile à la maison de Savoie, le dictateur répondit sans mystère que le moment de proclamer l'annexion n'était pas encore venu; que le devoir du peuple dans ces circonstances était de s'armer et de combattre jusqu'à l'entière délivrance de la Sicile. Ce programme de Garibaldi indisposa le ministére Torrearsa, et tous ceux qui en faisaient partie donnèrent leur démission.

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Crispí n'était pas, il est vrai, pour l'annexion immédiate; mais toutes les convenances l'obligeaient à ne pas se séparer de ses collègues; il ne laissa point pour cela de gouverner l'île comme auparavant: nommé secrétaire du dictateur, il continua d'être son conseil et son interprète, et au fond l'administrateur réel de la Sicile entière.

Le nouveau ministère avait lnterdonato aux affaires étrangères, Daita à l'intérieur, Digiovanni aux finances, Orsini à la guerre, Laloggia à l'instruction publique, le prêtre Lanza aux affaires ecclésiastiques et Laporta au département de la sécurité publique. La Gazette de Turin, organe des émigrés siciliens, donna une notice exacte des nouveaux ministres de Garibaldi; elle dit d'Interdonato qu'il avait été député de la Chambre de 1848 et membre de la commission qui vint offrir la couronne au fils de Charles Albert; elle représenta avec raison Daita comme un homme d'un beau caractère, libéral modéré et écrivain de talent; elle qualifia Laloggia d'habile médecin, d'écrivain facile et de parleur éloquent, actif et ami de la liberté pour des fins à lui personnelles; elle loua dans Digiovanni son intelligence, sa probité supérieure à tout éloge et son habileté de financier aussi honnête qu'éclairé. Orsini était assez connu pour un officier courageux et instruit de l'ancienne armée de Ferdinand II, qui avant passé, en 1848, du côté de la révolution, fortifia Catane et Palerme contre les forces du roi. Lanza luimême avait à Palerme une réputation de régularité dans ses mœurs et de libéralisme dans ses principes. Laporta seul n'était pas connu en Sicile avant 1860; mais des journaux étrangers tirèrent des correspondances de Sicile de quoi vanter son mérite et son aptitude aux fonctions qui lui étaient dévolues.

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On y disait que le 4 avril il avait armé une bande avec laquelle il marchait en frappant de fortes contributions les villes par lesquelles il passait; qu'il avait traité Ventimiglia, sa patrie, en pays conquis; mais qu'à l'approche des troupes royales il avait fui à toutes jambes, et laissé à la tête de sa bande un certain Meli, assassin renommé, qui poursuivit les exploits de Laporta, levant des impôts, saccageant et massacrant au besoin, sans plus de scrupule qu'un scélérat qu'il était. Arrêté pour tant de crimes, Meli fut délivré et comblé de bienfaits par Laporta, qui avait trouvé, luimême, la récompense de sa bravoure et de son patriotisme dans le ministère de la sécurité publique.

Pour Garibaldi, son principal souci alors était l'organisation de ses troupes. Bertani sollicitait de Gênes l'envoi de nouveaux renforts en hommes, en armes et en argent. Afin de les mettre à l'abri des vaisseaux napolitains qui continuaient encore leur croisière, il avait établi entre Palerme et Gênes une ligne de bateaux à vapeur qui, portant le pavillon sarde, n'étaient pas inquiétés par les vaisseaux napolitains et amenaient à Garibaldi les moyens de détruire la monarchie des Bourbons.

Le 18 juin, l'expédition du colonel Medici avait débarqué, partie à S. Vito, partie à Castellamare, et le 21 elle fit son entrée à Palerme. D'autres volontaires avaient encore mis pied à Marsala, à Papallo, à Terranova et sur d'autres points de l'île; de telle sorte que l'armée de Garibaldi avait pris assez d'accroissement, mais pas autant toutefois qu'il désirait pour exécuter ses plans. Aussi faisait-il partout, et au dehors comme au dedans de la Sicile, encourager les enrôlements de volontaires, qu'ils fussent d'ailleurs Allemands, ou Français, ou Polonais, ou Hongrois; peu lui importait leur nationalité; ils n'en constituaient pas moins, pensait Garibaldi, l'armée de la liberté et de l'indépendance italienne, et n'en devaient pas moins dire à l'Europe que l'Italie voulait être libre.

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Il congédia et licencia les bandes des paysans et des montagnards qui, rétifs à toute discipline militaire, s'abandonnaient au vol, au pillage et à l'assassinat. Il avait ensuite l'intention de décréter une levée de 300,000 hommes, pour faire la guerre en Italie sans avoir besoin de l'armée piémontaise; mais les conseils d'Orsini lui persuadèrent de n'appeler sous les drapeaux que 40,000 hommes, levée plus raisonnable, qui cependant ne fut jamais effectuée. Car par suite de ce décret, comme de celui qui excluait des emplois tous ceux qui avaient servi les Bourbons, l'île se remplissait de rumeurs et de mouvements réactionnaires. Le mécontentement alla si loin, que Garibaldi se vit forcé de tempérer la loi relative aux emplois, qui put sembler rétractée de fait, sinon de droit; il différa de même l'exécution de la levée assez longtemps pour que chacun comprît que le dictateur n'y tiendrait pas la main, avant expérimenté mainte fois la répugnance inflexible et menaçante du peuple sur ce point (1). On se borna à presser de plus belle les enrôlements des volontaires; dans le but d'allécher le courage par la cupidité, Garibaldi eut l'air de vouloir rétablir en Sicile l'ancienne loi agraire, en promettant une partie des fonds domaniaux à distribuer entre ceux qui auraient combattu pour la patrie. Il employa ensuite tous les expédients pour se procurer l'argent que la guerre lui rendait si nécessaire, non seulement en vue de paver la solde à ses troupes et de les pourvoir d'habits et de munitions,

(1) Pour faciliter l'exécution de son décret, Garibaldi avait expédié des colonnes de ses volontaires à travers la Sicile, fait adresser par le ministre Ugdulena aux évêques l'ordre de prêcher en faveur des enrôlements. Tout fut inutile et l'irritation populaire ne se calma pas.

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mais surtout à l'effet de récompenser les traîtres de l'armée napolitaine, qui devaient lui ouvrir la route de Naples, sans lui faire brûler sa poudre (1). Aussi, dons volontaires et obligatoires, contributions imposées surtout aux monastères et aux couvents, taxes prélevées sur les fonds ecclésiastiques des chapitres,appropriation des legs destinés aux chapellenies qui n'avaient pas encore élection, et des rentes appartenant aux établissements de piété ou de charité publique; tout fut mis en œuvre pour accumuler de l'or. Les sommes recueillies à cette époque, ajoutées à celles qui provenaient du gouvernement de Turin et des sociétés italiennes et étrangères, s'élevèrent à un chiffre énorme et furent toutes consommées par Garibaldi pour la fin que nous avons dite; ce qui donna lieu dans la suite aux récriminations a mères du parti cavourien, qui faisait mine de ne pas comprendre que ces sommes avaient été l'arme la plus puissante de Garibaldi, celle avec laquelle il avait désarmé et fait tomber des forteresses dont ses troupes n'eussent pu facilement venir à bout. Cavour cependant aura eu l'occasion de s'édifier là dessus dans les campagnes de Cialdini sur le Garigliano, où celui ci parvint à acheté un colonel avec son détachement pour la somme de 35,000 ducats!!! (2).

Garibaldi, pour se concilier affliction du peuple, abolit l'impôt sur la mouture; mais il ordonna la rigoureuse perception des autres contributions, que le peuple se refusait à paver dans l'intérieur de l'île.

(1) Garibaldi, pour engager un des colonels royaux a déserter son drapeau, pava un ducat par tète tous les soldats de sa colonne, et dans une proportion croissante tous les officiers. Combien plus ne dut pas lui coûter la trahison des généraux, des commandants de vaisseaux ou de forteresses, des agents diplomatiques, et des autres hauts fonctionnaires du gouvernement qui favorisèrent la révolution.

(2) Ce fait est attesté par plusieurs correspondances des officiers et des aumôniers de l'armée napolitaine.

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A cet effet, il expédia dans quelques provinces plusieurs bataillons, chargés d'opérer au besoin par la force le recouvrement des impôts. Mais avant d'entreprendre de nouvelles expéditions, il fit de nombreuses promotions parmi ses volontaires; il créa généraux les colonels Tiïrr, Bixio, Sirtori, Medici et Carini; il en éleva une douzaine au grade de colonels, et quantité d'autres à des grades inférieurs: il déclara de plus à tous les officiers, qu'il leur donnerait la moitié de la solde que recevaient dans le grade correspondant les officiers de Sardaigne. Puis il envoya du côté de Messine la colonne de Medici, avec mission de surveiller les mouvements des royaux et de les empêcher d'avancer. En même temps il ordonna aux autres corps de rejoindre les troupes de Medici, après avoir parcouru en divers sens les provinces de Sicile, afin de leur souffler le feu de la révolution qui, dès le principe, semblait très languissant et menaçait de s'éteindre.

Toutefois le dictateur, avant de se consacrer à ces grandes affaires d'État, jugea qu'il lui importait d'exterminer les Jésuites de Sicile, à défaut de quoi il croyait impossible d'accomplir ses projets impies. Nos lecteurs ne nous sauront pas mauvais gré de consacrer quelques pages de notre histoire à cet épisode important de la révolution sicilienne.

Chapitre XVI.
LES JÉSUITES DE SICILE AU TEMPS DE LA RÉVOLUTION. — LEUR CAUSE DEVANT 
LE GOUVERNEMENT INSURRECTIONNEL. — LEUR EXIL.


La Compagnie de Jésus en Sicile, se trouvait au commencement de 1860 en pleine prospérité; elle nourrissait de plus en plus la douce espérance de voir élargir la sphère de son action religieuse et littéraire, surtout en faveur de la jeunesse sicilienne. Les collèges et les pensionnats des Jésuites avaient atteint tout leur développement et répondaient, on ne peut mieux, par l'application et la piété des élèves au zèle et au dévouement des Pères qui les dirigaient. D'autres collèges et d'autres pensionnats étaient sur le point de s'élever dans les grandes villes de la Sicile, pour être confiés à leurs soins. Le nombre des jeunes gens qui sollicitaient l'habit de la Compagnie devenait si grand qu'il eût nécessité pour cette année 1860, l'ouverture d'un second noviciat. Quant à l'estime dont jouissaient les Jésuites dans le pays, elle était à son comble, et la confiance qu'on avait dans leur ministère ne laissait rien à désirer, eu égard surtout au malheur des temps et à l'hostilité que rencontraient les maximes et les enseignements de l'Evangile. Aussi un grand nombre d'entre eux se flattèrent jusqu'aux approches de l'invasion de Garibaldi, qu'il serait difficile en ces circonstances de déchaîner sur leurs têtes l'épouvantable orage qui se préparait.

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Dès les premiers bruits de révolte qui se répandirent en Sicile, les Pères de la Compagnie, fidèles à leur vocation, n'épousèrent aucun parti et continuèrent à vaquer, comme de coutume, cà leurs fonctions; celles ci en effet sont indépendantes de telle ou telle forme de gouvernement et même la liberté les favorise, quand ce n'est pas un mot perfide dont le despotisme cherche à couvrir ses monstruosités. Us comprenaient cependant que la révolution, ourdie au sein des sociétés secrètes, recelait en elle même les éléments les plus irréligieux et ils ne pouvaient se dissimuler que les premiers coups portés le seraient contre leur ordre. Mais, fermes d'esprit et de cœur, ils n'abandonnèrent pas lâchement le poste que la Providence leur avait assigné, pas plus qu'ils ne se souillèrent par des adulations et des prostrations; et, lorsque la tempête éclata, elle les surprit occupés à leurs devoirs habituels.

Une fois Palerme en insurrection, il s'en était suivi, comme nous l'avons dit, une affreuse misère dans le peuple, l'état de siège augmentait de jour en jour la cherté des vivres; on manquait des choses les plus nécessaires à la vie; le pain même était mal conditionné et d'un prix si exorbitant que les pauvres gens avaient peine à s'en procurer. C'est pourquoi les Jésuites qui, par ordre du gouvernement, avaient, avant la révolution, dû ouvrir deux fours dans leurs maisons, résolurent d'y faire fabriquer à leurs frais, pendant tout ce temps de disette, du pain de bonne qualité qui serait vendu à moitié du prix courant, afin qu'au moins les plus malheureux eussent du pain à manger. — On ne saurait imaginer la foule qui journellement se portait à ces fours; c'est au point que la force publique dut intervenir pour empêcher des désordres.

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Les Jésuites n'oublièrent pas non plus d'étendre leur main bienfaisante à d'honorables familles tombées alors dans le dénuement, et de les sauver de la honte et de la faim. Lorsque ensuite les bandes de pillards armés eurent saccagé et détruit grand nombre de maisons dans les campagnes de Palerme, ils mirent leurs maisons de campagne à la disposition de plusieurs centaines d'infortunés qui fuyaient devant l'incendie et la destruction. Garibaldi entré à Palerme et le bombardement de la ville commencé, il n'y avait pas de pauvre ou d'affamé, môme dans les classes aisées, qui ne courut à leurs maisons et n'y trouvât pitié et secours. Et comme le nombre de ceux qui les assiégeaient pour avoir du pain et des aumônes croissait démesurément, les Jésuites durent retrancher une part de leur ordinaire, et le firent volontiers. Les plus grands dangers ne les effrayèrent pas, quand il s'agissait de secourir leurs semblables. Au milieu des bombes et de la mitraille, il couraient sauver les religieuses des Sept-Anges elles conduire en lieu sûr; et, non contents de cela, ils voulurent sauver le plus possible de ce que contenait leur monastère déjà enveloppé par les flammes et menacé d'une immense cohue de voleurs. C'était un spectacle attendrissant que de voir s’employer à cette œuvre difficile, non seulement les jeunes étudiants de la Compagnie, mais encore des Pères vénérables chargés d'années et d'infirmités. C'était merveille de les voir, parmi une grêle de balles et au milieu des flammes, emporter des chambres de ces pauvres sœurs celui ci un matelas, celui là du linge, un troisième les vases sacrés, un quatrième l'argenterie d'église; chacun, enfin, quelque meuble de la maison, les voir, dis-je, avec ces fardeaux sur les épaules, traverser la voie publique, aller vite les déposer dans le couvent de Giusino ou ailleurs, et revenir en toute hâte recommencer le même sauvetage jusqu'à une heure avancée de la nuit.

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Et, comme si cela n'eût pas suffi, à peine l'armistice eut il pris cours, que quelques uns d'entre eux se dévouèrent à conduire dans une de leurs maisons de campagne, située à une demi lieue de Palerme, ces religieuses [épouvantées qui avaient perdu leur asile, et celles du monastère de Giusino qui était en danger; ils hébergèrent ces pauvres filles et les pourvurent de leur mieux de tout ce qui leur était nécessaire, grâce au concours des Pères Capucins, dont la charité fut alors au dessus de tout éloge. La même maison fut ouverte à toutes les familles de la ville qui y cherchèrent refuge et soutien dans la pénurie générale, et le nombre s'en éleva ces jours là à 150. Qui aurait deviné alors que peu de jours après, les régénérateurs de la Sicile tonneraient, dans des phrases ampoulées, contre le froid et insensible égoïsme des Jésuites.

Mais ceux ci ne bornèrent pas leur sollicitude à soulager des misères corporelles. Quand, le 14 avril, quelques rebelles pris les armes à la main, furent condamnés au dernier supplice, les Jésuites ne refusèrent pas de s'associer aux excellents Pères de S. Camille de Lellis pour donner à ces malheureux, en d'aussi tristes extrémités, les secours et les consolations de la religion. Ce qui n'empêcha pas les journaux révolutionnaires, en louant avec raison les Pères de S1 Camille, d'omettre à dessein les Jésuites, en qui pourtant les suppliciés avaient mis leur confiance. Lorsque ensuite le gouvernement de Garibaldi les somma d’ouvrir dans leurs maisons un hôpital pour les blessés, les Pères saisirent avec bonheur cette occasion pour être utiles aux âmes de tant de malheureux, qui avaient sacrifié leur vie en combattant pour une cause dont ils ignoraient le but suprême.

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Néanmoins, et tandis qu'ils prodiguaient les actes de bienfaisance en faveur du prochain, les Jésuites étaient bien persuadés que la révolution, conduite par Garibaldi, ne les épargnerait point, malgré les démonstrations de respect que, soit bonté de cœur, soit raffinement d’hypocrisie, le parti insurrectionnel leur donnait encore. Avant même l'entrée de Garibaldi à Palerme, le comité central de cette ville avait déclaré leur existence incompatible avec le nouveau gouvernement de la maison de Savoie; sauf cependant cette réserve qu'en leur faisant annoncer secrètement la prochaine dispersion de leur ordre, il les avait gratifiés des promesses les plus splendides. Mais ce n'était là qu'un leurre, et les Jésuites savaient à quoi s'en tenir, avant sous les veux le récit de ce qui était arrivé à leurs frères de Lombardie et des Romagnes. C'est pourquoi aussitôt la nouvelle du débarquement de Garibaldi à Marsala, leur Provincial, après avoir fait rendre à leurs familles respectives les jeunes élèves du pensionnat de Palerme, s'était soigneusement occupé à préparer le départ de tous les étudiants de la Compagnie, pour les distribue dans les provinces étrangères, où ils pourraient continuer tranquillement leurs études. Malheureusement, par le concours de diverses circonstances, leur départ fut d'abord différé, puis tout à fait suspendu. Bientôt après, le Journal officiel de la révolution leur fit de ce projet inexécuté un chef d'accusation et n'hésita pas à le qualifier de crime de lèse-patrie. Les hypocrites!

Ils décidaient dans leurs ténébreux conciliabules de prendre les Jésuites pour point de mire de leurs coups les plus funestes, et ceux ci étaient coupables d'avoir voulu y soustraire leurs jeunes gens, quand tout leur faisait un devoir impérieux de les sauver et de les protéger!

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Cependant Garibaldi, du moment où il avait touché la terre de Sicile, avait pensé à purger l'île entière des Jésuites. Aussi depuis Calatafimi même, outre qu'il avait remis en vigueur les décrets de 1848, il ordonna par un décret spécial l'exécution de la loi du 5 août qui incorporait à l’État les biens des Jésuites et simultanément ceux des Liguoriens. Il n'ordonnait pas cependant leur dispersion, conformément aux articles de ce décret, parce qu'il voulait porter contre eux une sentence plus cruelle encore. S'étant rendu maître de Palerme, ses subalternes commencèrent à les soumettre aux plus violentes vexations. Sans parler des façons d'agir rudes et grossières dont usèrent envers eux les inspecteurs Piémontais qui régissaient l'hôpital des blessés dans leur maison, il ne manqua pas de gens, même parmi les membres du nouveau gouvernement, qui prirent à lâche d'affliger leur cœur et d'aigrir leurs souffrances. 11 n'y avait pas de jour où les supérieurs ne reçussent d'office l'ordre, tantôt de préparer des logements, dont ils ne disposaient pas, tantôt d'apprêter des lits, des matelas et du linge qu'ils n'avaient pas; tantôt de dresser la table pour une bande d'assassins qui devaient dévorer le pain destiné aux pauvres. Ces injonctions, qu'on eût dit souvent écrites par des écoliers élevés d'un bond au pouvoir administratif, étaient signifiées aux Jésuites du ton de commandement le plus acerbe et accompagnées quelquefois d'outrages révoltants.

De pareils ordres, «n ae multipliant chaque jour, devenaient chaque jour plus difficiles à exécuter, surtout depuis que les Pères et les étudiants du collège s'étaient réunis dans la maison professe qui, tout endommagée qu'elle était par les bombes, était plus éloignée du lieu principal du combat.

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Mais les raisons, les plus incontestables et les preuves de fait ne valaient rien pour persuader le gouvernement de la révolution de ne pas exiger l'impossible; et les Jésuites n'en recueillaient que des injures et de mauvais traitements qu'il leur fallait souffrir avec patience.

Par là le gouvernement garibaldien entendait les forcer à abandonner leurs maisons de guerre lasse, afin de pouvoir les frapper ainsi à la sourdine sans se compromettre aux veux du peuple, qui professait pour eux une très grande estime. Trompé sur les effets de cette tactique contre les Jésuites, le même gouvernement fit publier dans le Journal officiel le décret signé par le dictateur à Calatafimi, s'empara des fonds de la Compagnie, séquestra les biens qu'elle possédait, mit les scellés sur ses bibliothèques, sur son musée et sur son cabinet de physique, et alla jusqu'à empêcher quelques Pères de retourner dans les chambres qu'ils occupaient au collège. Les Jésuites comprirent alors clairement que leur suppression était imminente; ils demandèrent donc aux représentants du gouvernement, que, si les décrets de Calatafimi relativement à l'occupation de leurs biens et de leur collège signifiaient leur dispersion totale, on leur accordât le temps convenable pour prendre des mesures en conséquence, et qu'en outre on usât envers eux des égards mentionnés dans la loi de 1848. Cette demande n'obtint aucune réponse. Le gouvernement de la révolution' avait décidé d'expulser les Jésuites de l'île; mais il n'osait leur donner le coup de grâce,pns avoir préparé les sentiments de la population. Les agents du parti se mirent donc à exciter contre eux la colère du peuple; pour y réussir, on s'efforça de ternir leur réputation, on les calomnia de la façon la plus violente, on les représenta à la multitude comme les égoïstes les plus cruels,

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comme les violateurs du secret des consciences, comme les soutiens les plus acharnés des Bourbons, comme les ennemis par excellence du gouvernement libéral qui devait s'inaugurer dans l'île, comme les membres d'une secte qui n'avait d'autre but que de disséminer les chaînes de la tyrannie. La populace ignorante avalait à pleine bouche les instructions de ces nouveaux docteurs hypocrisie et de mensonge, et les répétait, en s'émerveillant de ce qu'enfin la révolution eût fait briller à ses regards un tel rayon de lumière et Veut initiée à des choses inconnues. Dès lors, le bas peuple commença à suspecter les Jésuites, sans cependant les croire aussi monstrueux qu'on les leur dépeignait.

Le gouvernement de Garibaldi reculait encore devant un décret d'exil formel et authentique. Il en avait toutefois soumis le projet ci ses ministres, et, nonobstant l'opposition de quelques uns, entraîné surtout par l'influence de Crispi, il avait approuvé la résolution. —Mais on la tenait encore secrète, et l'on poursuivait contre les Jésuites,d'une manière de plus en plus solennelle, le même système de vexations au moyen desquelles on pensait les réduire à demander l'exil comme une grâce. Du reste, afin de prévenir tout mouvement populaire en leur faveur, on répandit le bruit que tous les partisans des Jésuites seraient réputés sorti et confondus avec la masse des sbires. Celte menace était effrayante alors pour les honnêtes gens qui avaient sous les veux l'affreux massacre des employés de la police.

Quand on eut ainsi terrifié une partie de la population et trompé l'autre, en calomniant les Jésuites, le 12 juin, à 2 heures après minuit, une escouade d'hommes armés et des gardes de la questure,

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sous la conduite d'un des principaux membres de celle ci, se présentèrent à la porte de la maison professe de Palerme et, la trouvant fermée, comme de coutume, l'enfoncèrent sans délai; puis, ils se répandirent dans les corridors en réveillant du bruit de leurs pas et du cliquetis de leurs armes, les religieux qui demandaient au repos les forces corporelles dont ils avaient besoin pour supporter leurs épreuves. Le chef de cette bande se fit conduire au Provincial, lui demanda les passeports, qui lui furent remis, et déclara tous les Jésuites du couvent en état d'arrestation. On plaça des sentinelles à tous les angles des corridors, au bas de tous les escaliers, à toutes les portes de la communauté et de l’Église; et l'on interdit aux religieux de sortir de leurs chambres, pour quelque raison que ce fut; on leur défendit pareillement de se mettre aux fenêtres et de communiquer l'un avec l'autre. Tels étaient, disaiton, les ordres reçus. Ainsi se passa cette journée entière. Le soir, un des Pères, avant obtenu des gardes, movennant 370 francs, la liberté de ses mouvements, se présenta le lendemain à la questure pour demander la délivrance de ses frères emprisonnés sans aucun motif. Tous les questeurs s'excusèrent sur leur ignorance du fait qui était connu de tout Palerme et au delà; et lui accordèrent, pour chaque Jésuite, la permission de s'en retourner dans sa propre famille. Mais, tandis que ces religieux se disposaient à quitter leur maison, et comme déjà quelques uns d'entre eux, plus expéditifs,s'étaient arrachés aux mains (tes assassins qui 1«gardaient, un nouvel arrêté replongeait les Jésuites de Palerme dans la condition des jours précédents; des vexations de tout genre recommencèrent à être exercées contre eux par les voleurs qui les dépouillaient en même temps de tout ce qu'ils avaient.

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A peine leur permit-on ce jour là et les deux suivants de prendre quelque nourriture, non pas toutefois avant que leurs gardiens eussent saccagé le réfectoire et dévoré le repas destiné aux Pères, pour emporter ensuite la vaisselle et les couverts.

Dans l'espace de ces trois jours, les Pères qui avaient réussi à s'échapper, faisaient les démarches les plus actives pour obtenir la liberté des autres Jésuites qui, du reste, n'étaient accusés d'aucun crime; mais c'était sans résultat. Enfin, le quatrième jour, le ministère de Crispi, qui avait été l'auteur de tout, annonça au père Romano, le décret d'exil irrévocable porté contre tous les Jésuites de Sicile. Puis, sous la promesse formelle qu'après avoir fait les consignations voulues, ils pourraient bientôt quitter l'île, ils obtinrent l'autorisation de sortir de la maison professe. Ensuite, en les menaçant d'incarcération, on exigea d'eux des notes où fussent indiqués les noms, l'âge, la patrie, le grade de tous les Jésuites de Sicile. Le 28 eut lieu la consignation légale entre les mains d'une commission dont faisaient partie trois excellents citoyens, savoir MM. Nicolas Musmeri, Michel Santi et Farina; après quoi, les Jésuites en aussi grand nombre qu'il leur fut possible, s'embarquèrent avec le Provincial sur un bâtiment de guerre français qui les transporta gratis jusqu'à Naples, d'où ils se rendirent sur l'Hermus à Civita-Vecchia, pour passer de là à Rome. — D'autres expéditions de jeunes scholastiques, de pères et de frères coadjuteurs avaient précédé le père Provincial dans la capitale du catholicisme, pour se disséminer ensuite sur tous les points, du inonde civilisé, comme d'éloquents monuments du despotisme d'une révolution immorale et impie.

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Certes, les étrangers eurent raison de s'étonner qu'un gouvernement qui surgissait pour abolir les vexations du gouvernement bourbonnien, qui déclamait contre les arrestations arbitraires, les condamnations sans jugement, les persécutions sans délit, les spoliations par injustice, les exils par vengeance; qu'un gouvernement qui portait l'étendard de la liberté civile, politique et religieuse et proclamait le règne du droit et de la vérité sous le roi galant-homme, inaugurât son régime ultralibéral en violant à la fois contre les Jésuites, les lois de la justice, de la religion et de l'humanité, et après les avoir dépouillés de tout ce qu'ils possédaient en meubles ou en immeubles, osât les arracher à leurs familles, les proscrire du sol natal, les obligeât à un voyage long et difficile sans les pourvoir d'aucune ressource, les condamnât à vivre d'aumônes en terre étrangère ou à périr de misère, n’ayant préalablement été ni accusés ni défendus, n’ayant subi aucune formalité de procédure devant un tribunal quelconque. On ne sera pas moins surpris de penser qu'il ne fût tenu compte ni de l'âge, ni du mérite, ni des infirmités qu'un grand nombre avaient puisées dans leurs fatigues excessives, ni de la condition de leurs familles, ni de la généreuse bienfaisance qu'ils avaient pratiquée au temps delà révolution de Palerme; leur expulsion s'effectua avec un acharnement de rage qu'il serait impossible de comprendre sans tenir pour certain ce que nous avons dit au VIIIe chapitre de ce livre. Mais des actes de cette nature nous confirment toujours davantage dans la persuasion du caractère tyrannique et oppressif de la révolution italienne.

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Cependant, pour couvrir la malice de ses intentions et voiler d’hypocrisie la criante injustice de cette mesure, le gouvernement de Garibaldi et de Crispi eut recours à des lieux communs qui ne pourraient faire illusion qu'à des esprits insensés ou aveuglés par le mal. Qu'on lise en effet, le décret d'exil qui, sous la date du 17 juin 1860, fut publié dans le journal officiel de Palerme, du 22 juin.

«Le dictateur,

«Considérant que les Jésuites et les Liguoriens, pendant la malheureuse période de l'occupation bourbonienne, ont été les soutiens les plus actifs du despotisme;

«En vertu des pouvoirs à lui conférés, décrète:

«Les Congrégations de réguliers actuellement existantes en Sicile sous les différents noms de Compagnie et Maisons de Jésus et du Saint-Rédempteur sont dissoutes. Les individus qui en font partie sont bannis du territoire de l'île.

«Leurs propriétés restent incorporées aux domaines de l’État.»

Garibaldi.

Crispi.

Le mystère d'iniquité se produisait au grand jour. La vraie raison de l'exil fulminé contre les membres de la Compagnie de Jésus en Sicile, celle qui fit prévaloir dans le conseil le plan d'expulsion déjà résolu avant par Garibaldi et par Crispi, fut précisément, comme l'a déclaré un des auteurs de la révolution, le désir d'éloigner l'obstacle le plus puissant à la propagation du protestantisme en Italie.

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C'est pour cela qu'on leur adjoignit pour compagnons d'exil les enfants de S. Liguori, qui, fidèles à leur ministère de missionnaires du peuple, auraient continué, par la prédication zélée des vérités éternelles et par la sainteté de leur vie, d'élever une forte digue contre le torrent de l'erreur et de maintenir partout vivante la flamme du catholicisme.

La publication du décret ne contenta pas encore la rage anti-jésuitique qui fermentait dans le cœur des révolutionnaires. Le chapitre suivant en donnera un nouvel aperçu.


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Chapitre XVII.
SUITE DU PRÉCÉDENT. — EXPULSION DES JÉSUITES DE TOUTE LA SICILE. — LES LIGUORIEXS.

Le décret de proscription porté par Garibaldi contre les Jésuites de Sicile ne tarda pas à être lu sur le continent italien. Un Jésuite belge, le P. Auguste Lambelin, qui avait été attaché au Collegio Massimo

de Palerme depuis 1856, se trouvait en ce moment à Naples. Dès qu'il eut connaissance du décret par lequel Garibaldi confisquait tous les biens de 13 Compagnie en Sicile et condamnait impitoyablement les Pères à s'exiler, il se rendit aussitôt auprès du vice-amiral Barbier de Tinan, commandant en chef de l'escadre française en rade de Naples, lui exposa la situation pénible des Jésuites de Sicile,et obtint de lui l'autorisation de s'embarquer sur un bâtiment de guerre français, qui partait pour Palerme, et d'annoncer à ses confrères qu'un passage gratuit leur était accordé sur un bâtiment quelconque de l'escadre. Le noble vice-amiral écrivit, en outre,à M. le contre-amiral Jehenne, qui stationnait dans les eaux de Palerme en qualité de commandant en sous-ordre détaché en Sicile, pour le prier de prendre les religieux sous sa protection, de faciliter leur embarquement et de ne pas souffrir qu'ils fussent l'objet d'injustes vexations delà part du gouvernement révolutionnaire.

Ce fut donc sous l'égide de la protection de la France et sous la généreuse et loyale conduite des officiers de cette magnanime et catholique nation, que furent embarqués,

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comme nous le disions, à bord d'un bâtiment de guerre français, plusieurs des Pères qui avaient déjà terminé leurs propres affaires; et c'est sur des navires du même pavillon que se disposaient à partir ceux qui demeuraient à Palerme ou qui arrivaient des collèges de l’Île.

Cependant, élevé au ministère delà sécurité publique, le sieur Laporta, avec ce beau naturel que nous avons dépeint, crut ne pouvoir faire une chose plus propre à lui concilier l'estime et l'affection de Garibaldi et de Crispi, qu'en ouvrant la plus outrageuse persécution contre les Jésuites. Sachant donc qu'il y avait encore des Jésuites en Sicile, faute d'avoir pu jusqu'alors mettre ordre à leurs intérêts domestiques, ou trouver prêt le bâtiment français qui devait les transporter à Naples, il fit afficher le 4 juillet sur les murs de Palerme et sans aucun avis préalable, un arrêté ministériel rédigé dans le style le plus incendiaire et notifiant à tous les Jésuites ce qui suit: à savoir que, si dans le délai de 48 heures, ils n'étaient pas partis, ils seraient mis hors la loi et abandonnés à la fureur du peuple, comme perturbateurs de l'ordre public. Or, depuis que le décret de Garibaldi avait imprimé sur le nom des Jésuites, le stigmate de bourboniens, cet arrêté les mettait de pair avec les sbires et les signalait aux meurtres d'une plèbe devenue sauvage et cannibale. Heureusement, le contre-amiral Jehenne, informé du fait, s'enflamma d'une généreuse indignation contre pareille inhumanité et conseilla au P. Lambelin de demander sans crainte une audience de Garibaldi, et de lui exposer franchement toutes les conjonctures. Il promit en même temps au Père de lui donner une lettre pour le dictateur.

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Deux semaines auparavant, Garibaldi avait visité le contre-amiral, à bord du vaisseau le Donawerth, et cette visite de pure cérémonie paraît avoir été courtoise. On dit que le condottiere promit à M. Jehenne de lui être agréable s'il en trouvait l'occasion. Confiant donc dans cette parole qu'il n'avait nullement provoquée, Al. Jehenne écrivit au dictateur, non pas tant comme amiral français, que comme catholique désireux de venir en aide à l'infortune. Il le pria de vouloir accorder un moment d'audience au R. P. Lambelin, Belge de nation, qui avait à demander pour lui et pour ses confrères Jésuites, expulsés de la Sicile, une prolongation de séjour dans l'île, afin de pouvoir terminer leurs affaires et attendre l'occasion de s'embarquer pour Naples, où ils désiraient se retirer. La lettre annonçait à Garibaldi que, à défaut de bâtiments du commerce, M. Jehenne était autorisé par M. le vice-amiral, commandant en chef l'escadre française alors à Naples, à accorder passage pour cette ville aux Pères Jésuites expulsés de la Sicile sur un des bâtiments de l’État qui recevrait cette destination; mais que, n'en avant pas de disponible en ce moment-là, c'était pour que les religieux, dont il était question, pussent attendre, sans être inquiétés, le moment de leur embarquement, qu'il avait voulu lui adresser quelques lignes en leur faveur. De plus, le dictateur ne pouvait ignorer que l'ordonnance du ministre, affichée la veille, n'accordait aux Pères que 48 heures pour quitter l'île. Dans l'impossibilité absolue où ils étaient de se conformer à ce décret, le contre-amiral demandait à Garibaldi, en faveur du P. Lambelin, réfugié momentanément à bord du vaisseau le Donawerth et qui s'était adressé au contre-amiral pour lui venir en aide dans cette pénible circonstance, grâce qu'il sollicitait, puisque c’était une question toute d'humanité.

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Le P. Lambelin, introduit en présence de Garibaldi, et lui avant présenté la lettre du contre-amiral, exposa nettement de quoi il s'agissait. Il fit remarquer au dictateur, que si les Pères Jésuites n'avaient pas obéi jusque-là au décret du 17 juin, c'est qu'ils avaient été dans l'impossibilité de le faire: le gouvernement qui les proscrivait avait confisqué tous leurs biens et ne leur avait pas donné ni indiqué le moyen de pourvoir à leur départ; que cependant le ministre délia sûreté publique, dans une ordonnance incendiaire, affichée sur tous les murs de Palerme, pressait leur départ au point de ne leur laisser que 48 heures pour se soustraire par l'exil à la fureur brutale d'une plèbe que le même ministre avait excitée contre eux; qu'au reste, ne pouvant plus vivre heureux en Sicile sous le nouveau régime, les Pères Jésuites désiraient s'expatrier le plus tôt possible. — Garibaldi écoutait avec attention et même avec un certain intérêt. Sa réponse fut qu'il connaissait le décret du 17 juin, par lequel il avait été obligé de prononcer l'éloignement des Jésuites, comme contraires au mouvement italien; que cependant son intention n'était pas de les presser tant, qu'ils pouvaient prendre à loisir leurs arrangements et attendre le moment favorable pour s'embarquer; que d'ailleurs il n'avait aucune connaissance de l'ordonnance ministérielle en question. — Le P. Lambelin la soumit au dictateur qui, lecture faite, ajouta qu'il allait immédiatement écrire au ministre, pour lui dire de veiller à la sûreté personnelle des Jésuites et de leur laisser tout le temps nécessaire pour prendre les dispositions qu'exigeait le départ. Sur la demande qui lui fut faite de donner avis au peuple de ses résolutions il promit qu'il ordonnerait au ministre de promulguer sa volonté, et il répondit ensuite dans le même sens au contre-amiral.

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En conséquence de cette entrevue, le Journal officiel publia le lendemain un article, où après de vils et infâmes outrages contre les Jésuites, il était dit, en forme de conclusion, que, malgré tous les torts des Pères, le gouvernement avait voulu donner une preuve de ces sentiments de modération et de générosité, qu'il avait pris pour règle de sa conduite; que par conséquent le dictateur avant reçu la demande de la part de l'amiral français et au nom du P. Lambelin, Belge, d'accorder une prorogation aux exilés jusqu'à l'arrivée d'un bâtiment destiné à les transporter à Naples, avait, consenti volontiers et communiqué aux autorités compétentes les dispositions relatives à cet égard (1).

Bientôt cependant les ministérielles de Laporta à la questure de Palerme commencèrent à pleuvoir de plus belle sur les Jésuites, uniquement dans le but de les tourmenter et de les forcer, puisque les vaisseaux de transport manquaient, à renouveler le miracle de Moïse dans la mer Rouge. Des instructions du môme goût étaient données par Laporta aux gouverneurs des provinces, et on leur en imposait la rigoureuse exécution. Mais, grâce à la bonté d'un des employés de la questure de Palerme ainsi qu'à la prudence et à la modération de la plupart des gouverneurs, les vœux du ministre furent méconnus. Quant à lui, il n'oublia pas d'user envers les Jésuites de tous les procédés possibles d'inhumanité. De 308 Jésuites qui se trouvaient en Sicile, plusieurs, on le pense bien, étaient infirmes, plusieurs tellement accablés par les ans et par les travaux de leur ministère,

(1) V. Giornale officiale di Sicilia duo juillet 1860. — Nous avons extrait la plupart des détails rapportés plus haut d'un intéressant article publié dans la Collection des précis historiques, 1 sept. 1860, Bruxelles page 427.

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qu'il devait sembler cruel de les contraindre à un voyage en terre étrangère, sans les pourvoir des secours indispensables. On avait donc député le docteur Sanfilippo, médecin de cœur et de talent, pour présenter un rapport sur les Jésuites jugés incapables des fatigues du voyage. Sanfilippo s'acquitta de cette tâche d'une manière conforme aux sentiments de la justice et de l'humanité, Mais le rapport médical déplut à Laporta, qui eut l'audace d'accuser cet honnête homme de s'être laissé corrompre par les Jésuites. Il délégua donc deux autres médecins dignes de son estime, qui satisfirent pleinement ses désirs. Ces deux docteurs insultèrent, au lieu de les examiner, les personnes qu'on leur présenta, se moquèrent de leurs souffrances et prétendirent même qu'un vénérable Père de 84 ans, qui tombait de vieillesse et d'affaiblissement, partît pour l'exil!! A la nouvelle de ce nouveau genre de vexations, grand nombre de vieillards et d'infirmes aimèrent mieux affronter les peines et les souffrances de l'exil que de se soumettre aux sarcasmes et aux dérisions de ces esprits voltairiens, et d'attendre une grâce du brigand de Ventimiglia.

Cependant ces mesures d'infernale persécution ne profitèrent pas à Laporta. Garibaldi ordonna son arrestation, comme voleur du trésor public, et Laporta ne dut luimême son salut qu'à la fuite. Sangiorgi qui le remplaça au ministère de la sûreté publique, quoique parent d'un Jésuite, inaugura sa carrière ministérielle par une circulaire contre les Jésuites et imita Laporta dans son aveugle hostilité, contre quelques vieillards et infirmes, parmi les quels il y en avait de si affaiblis qu'ils moururent avant la fin de l'année 1860.

Pour ce qui regarde les collèges du reste de l'île, les Jésuites n'eurent généralement à souffrir que du fait même de leur départ.

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L'affection du peuple, plus libre de la pression garibaldienne, eut moins de peine à se manifester en leur faveur; et d'un autre côté, plusieurs des gouverneurs de province étaient des hommes compatissants et modérés, qui ne prirent point à tâche d'aggraver pour d'innocents proscrits une loi de fer. Nous signalerons en particulier sous ce rapport les marquis Castelluccio et Canicarao à Noto, le comte Grignani à Marsala, M. Mistretta à Salemi, le baron Morillo à Caltanissetta, et encore le chevalier Tedeschi à Catane, tous gens de bien qui épargnèrent aux Jésuites les cruels traitements dont ils furent l'objet à Palerme. C'est ainsi que parmi les larmes et les regrets des populations, furent supprimées 14 maisons de Jésuites. La Sicile, bien qu'enveloppée d'une atmosphère de révolution, ne put les voir ainsi expulsés sans être émue d'attendrissement.

Dans plus d'une ville, où les Jésuites n'étaient, connus que par les exercices d'une mission, leur départ eut l'air d'un triomphe; toute la population se porta sur la plage ou garnit les fenêtres, les balcons et les terrasses des chemins par lesquels les Pères s'avançaient; on agitait des mouchoirs, on poussait des vivats en leur honneur; la foule leur faisait un cortège innombrable et ne se retirait du rivage de la mer qu'après avoir perdu de vue le bâtiment qui les emportait. Mais le spectacle le plus touchant fut celui du renvoi de leurs élèves, qui avaient trouvé dans les Pères Jésuites les vrais représentants de leurs parents affectionnés et dévoués. Pour quelques uns, qui refusaient de s'éloigner à l'heure du danger, il fallut employer la force. Un d'entre eux, jeune homme orné des plus belles qualités et issu de noble race, répondit à l'invitation qu'on lui faisait de rentrer dans sa famille, que personne ne lui persuaderait d'abandonner les Pères au milieu des persécutions et des épreuves;

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qu'il se revêtirait plutôt de l'habit de la Compagnie pour partager leurs périls et qu'il les suivrait jusqu'au bout du monde. Et telle fut l'abondance de ses larmes, que les supérieurs de la province durent se faire violence à eux mêmes pour ne pas céder aux touchantes supplications de cet admirable enfant. A Catane, tout effort de persuasion fut inutile pour déterminer certains élèves du pensionnat, ouvert à peine depuis une année, à quitter cet établissement avec leurs compagnons. Leurs parents jugèrent superflu de les presser davantage, et ces jeunes amis demeurèrent aux côtés des Pères afin de les consoler jusqu'aux derniers instants de leur départ.

Les agents du parti ultralibéral, disséminés dans toute l'ile, ne pouvaient le méconnaître; les marques d'attachement données en ces circonstances aux Jésuites étaient de nature à prendre dans quelques localités des proportions qui compromettraient l'estime et le respect du peuple à l'égard des actes du dictateur. C'est pourquoi, imitant la conduite du gouvernement garibaldien de Palerme, ils manœuvrèrent d'une façon merveilleuse pour intimider les amis des Jésuites, et ils y réussirent en partie, jusqu'au point de les forcer, pendant ces jours là, à se tenir enfermés chez eux. Cet art de violence, propre au libéralisme moderne d'Italie, fut employé surtout à Catane, dans cette noble et généreuse cité dont les sentiments favorables aux Jésuites avaient reçu une si franche et si  lumineuse confirmation, qu'il n'y avait pas moyen de les révoquer en doute.

Mais, tandis que dans les villes principales de la Sicile, Palerme excepté, les représentants du gouvernement insurrectionnel, par sentiment de modération et par égard pour la population, se montraient bienveillants avec les Jésuites condamnés à l'exil, il n'en était pas ainsi delà ville de Módica.

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Módica, cheflieu de district dans la province de Noto, avait été autrefois capitale du comté de ce nom. En raison de sa situation qui en faisait deux villes tout à fait distinctes, elle avait, depuis plusieurs années, obtenu un second collège de la Compagnie. Toutefois ses préjugés, ses occupations, principalement agricoles, y avaient fait négliger, à cette époque, l'instruction qui avait produit autrefois chez elle des noms illustres. Peuplée de 35,000 âmes, c'était à peine si elle fournissait 300 jeunes gens aux collèges soit des Jésuites, soit des autres maîtres d'enseignement privé. Bien que ses habitants se distinguent par leur intelligence, et qu'il n'y manque pas un certain nombre (assez restreint, je l'avoue,) de personnes cultivées et instruites, plusieurs nobles du pays lisent mal et écrivent plus mal encore; on en compte même parmi ces derniers qui, comme au temps de Charlemagne, ne savent pas signer. Or, afin de donner une impulsion à la culture littéraire de ce district, les Jésuites avaient, depuis un certain temps, formé le dessein d'y fonder un grand pensionnat, où se réuniraient les enfants des plus riches et plus nobles propriétaires de cette contrée: c'était le moyen de semer dans les principales familles l'amour des lettres et de le propager ensuite dans les classes inférieures de la société et d'en faire la base de la civilisation du pays. Mais l'état de trouble, où l'Italie s'est trouvéidepuis mailles années, n'avait p»s permis aux Jésuites de réaliser leur plan. Ils n'avaient pourtant pas laissé d'entreprendre de tels travaux pour le bien de cette population, que toute l'estime des habitants de Modica leur était acquise et qu'on les aimait là d'une façon toute particulière. —

Après que la révolution eut éclaté, les Jésuites continuèrent d'exercer leur ministère et les habitants de Modica continuèrent de les estimer et de les aimer.

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Et même dans les premiers jours du soulèvement,comme certain jeune homme osait proposer leur expulsion, chacun l'en blâma et plusieurs ajoutèrent la menace à l'improbation: bien plus, le chevalier Giardina, qui gouvernait alors ce pays, envoya son propre père les assurer, qu'ils n'avaient rien à craindre ni de leur part, ni de la part du peuple. De semblables assurances leur furent données par le chevalier Arena et palle baron Calamenzano, à qui se trouvait alors confiée la sécurité intérieure et extérieure du pays. Que ces déclarations aient été sincères, nous ne l'affirmerons pas: mais nous sommes persuadés qu'elles n'amenèrent point les Jésuites à douter que la révolution, dont le chef était Garibaldi, ne leur préparât une ruine totale. Néanmoins, ils n'auraient pu, en aucune façon, imaginer la violence et la barbarie qui, après tant d'assurances, seraient employées contre eux.

Le parti Leva avant prévalu, comme nous l'avons dit, les choses changèrent d'aspect à Modica; on y commença à parler d'une prochaine dissolution des Jésuites et l'on vit sortir de terre des calomniateurs et des ennemis de leur nom et de leur réputation. Les émigrés et les volontaires d'Italie attisèrent ce feu qui couvait sous la cendre; et finalement l’arrivée de Fabrizi. et les encouragements que Crispi envoyait de Palerme,firent naître et formuler un grand projet contre les Jésuites, projet dont l'exécution, en l'absence du gouverneur qu'on attendait alors, réussit au président du comité.

Dans une ville où la révolution n'avait aucun obstacle à vaincre, toutes les sollicitudes du gouvernement provisoire tournèrent à la persécution des Jésuites; on eût dit qu'il s'agissait de prendre d'assaut une citadelle ou de livrer une grande bataille à un puissant ennemi.

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Les faits qui eurent lieu en ces conjonctures pourraient fournir la matière d'un agréable roman. Nous en dirons quelque chose pour alléger à nos lecteurs la gravité de notre histoire.

Le président du comité de Modica commettait l'exécution de ses desseins au chef de la sécurité intérieure du pays, lequel, oubliant les faveurs reçues des Jésuites et proclamées autrefois par luimême, obéissait, par faiblesse de caractère, à l'humiliante mission dont il était chargé. Il eut bientôt l'occasion d'ouvrir contre les Pères les plus mesquines hostilités. Informé par un de ses agents que le recteur du collège supérieur des Jésuites, dans la crainte d'être volé, avait fait partir deux ou trois coffres tout pleins des trésors de la maison, il jugea le moment venu de commencer l'attaque. Il se rendit donc, le 11 juin, avec tout le cortège d'une parade, au lieu où se trouvaient les trois coffres et, après y avoir apposé les scellés, il les fit porter triomphalement au Comité, absolument comme on ferait d'un corps d'armée prisonnier de guerre. Cette action parut à tout le monde bien ridicule; mais on comprit d'ailleurs que ce pouvait être là un prélude à des impostures ou à quelque chose de pis encore. C'est pourquoi les Jésuites se présentèrent chez le chef de la sécurité pour lui soumettre quelques observations sur la solennité qu'on avait voulu donner à un fait insignifiant. Il leur fut répondu que la saisie des coffres n'avait pas pour but d'y surprendre de l'argent ou des meubles leur appartenant (ce qui était le seul vrai motif); mais seulement d'examiner s'il n'y aurait pas des correspondances avec la police de Sicile. Les Jésuites répliquèrent franchement que lui, chef de la sécurité, agissait contre sa persuasion et sa conscience; que dans toutes les archives de la police sicilienne,

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tombées entre les mains de la révolution, pas un seul écrit ne s'était trouvé qui eût pu de ce côté ternir l'honneur de la Compagnie; qu'il était assez étrange de supposer que les Jésuites, s'ils avaient eu de pareilles correspondances, eussent voulu maintenant les emporter avec eux, au lieu de les brûler. Ils protestèrent enfin que, possédant les clefs des trois coffres, et se trouvant sous le coup d'un outrageux soupçon, ils devraient à tout prix assister à l'ouverture et à l'examen de ces mêmes coffres. A quoi ce monsieur répondit qu'on ne leur refuserait pas cet acte de justice. Mais, le soir même, il fit envelopper les maisons des Jésuites par des hommes armés, avec ordre d'en garder toutes les issues. A l'aube du jour suivant, cette bande,composée en grande partie d'assassins, envahit leur maison, leur défendit de sortir et interdit absolument et sans exception d'entrer, soit dans le collège, soit dans l'église. Les Jésuites ne se déconcertèrent point; ils protestèrent hautement de vive voix et par écrit contre ces procédés d'inqualifiable violence et ils ne cédèrent qu'à la force.

Cependant, en séance du Comité, on brisa la serrure des coffres et on en retira une somme de mille écus que les Pères avaient eu la simplicité d'y mettre; on vola de même la meilleure partie des objets qui se trouvaient là, livres, linges, images, etc. Puis, comme si le corps du délit eût été ainsi constaté au point de n'avoir plus besoin d'autres preuves, on décréta contre les communautés des deux maisons des Jésuites à Modica, la dispersion et l'exil.

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Les Pères devaient partir (extraregnare, aller régner au dehors) dans les 48 heures, non seulement de la ville, à laquelle se limitait le pouvoir du Comité, mais de l'île entière; telles avaient été les suggestions de Fabrizi et les instructions de Crispi. Cette sentence écrite par M. Muccio dans le style ampoulé de la révolution et signée par le président du Comité, fut portée le même jour aux supérieurs des deux maisons, auxquels il fut enjoint de consigner à l'instant tout ce qu'ils possédaient. La secrète pensée des conspirateurs, après avoir dépouillé les Jésuites de toutes choses, jusqu'à leur linge et à leurs papiers, était de les mettre cette nuit même dans les voitures préparées à cet effet, de les conduire sous escorte à Zallo, et de les jeter dans une barque amarrée en cet endroit depuis plusieurs jours, qui les transporterait, sous la foi du serment, à l'île de Malte et les déposerait sur la plage. Mais ce cruel projet étant venu à transpirer, plusieurs honnêtes citoyens de Modica et des membres mêmes de la famille Leva, s'y opposèrent de toute leur force, comme à un procédé ignominieux pour leur pays. Le président et ses complices durent y renoncer, d'autant plus que dans la même journée le peuple avait donné aux Jésuites des preuves manifestes de la faveur qu'ils avaient su se concilier.

En effet, comme il était arrivé qu'un des frères de la communauté avait sonné par erreur la cloche du collège inférieur à une heure inaccoutumée, la population soupçonnant que les envahisseurs armés du collège tourmentaient les Pères, se porta en masse aux portes de cette maison et prit un aspect si menaçant que les gardes, perdant la tète de confusion, coururent prier les Pères d'aller immédiatement aux portes d'entrée pour calmer les appréhensions et la colère de la foule.

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C'était de ce même peuple que, le même jour encore, Muccio écrivait dans le décret d'exil des Jésuites «que la crainte d'un soulèvement populaire contre «les Jésuites décidait le Comité à les expulser, sans délai.» Quelle hypocrisie éhontée! Mais c'est ici la vertu sociale d'une révolution antisociale, s'il en fut jamais.

Dès lors, on se relâcha un peu des rigueurs de l'étroite prison qui avait été infligée aux Pères; mais on ne cessa pas complètement les vexations. Les délégués du comité employèrent tant de fourberies, tant d'outrages, tant de bassesses et d'injustices, ils menacèrent si fort d'incarcération et même d'assassinat, que le recteur du collège, n'en pouvant plus, leur remit tout l'argent qu'il avait en réserve pour les besoins de ses religieux proscrits. Non content de cela, comme s'il eut dépouillé toute pudeur, le comité publia par la ville les manifestes les plus honteux avec menace de prison et de plus grands maux à quiconque ne restituerait pas entre les mains de l'autorité publique tout objet, livres, linges, meubles, reçus des Jésuites à titre de dépôt. On alla jusqu'à menacer d'incendie les maisons de quelques familles, si elles ne livraient pas tout ce que les Pères y avaient conservé: le domicile fut violé indignement, les plus sévères perquisitions furent faites, dans les endroits les plus cachés et les plus intimes, chez des personnes honorables et considérées; et cela par les ordres d'individus qui, depuis, ne cessèrent de crier contre les visites domiciliaires de la police des Bourbons. —Ces faits sont d'une nature si avilissante que nous croyons de notre devoir d'historien de taire le nom de leurs auteurs, pour ne pas les exposer au mépris public. Les membres de la Compagnie n'obtinrent qu'à grand peine d'emporter le peu d'effets et de papiers strictement nécessaires à chacun: encore les eût-on au moins laissés partir en paix!

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La vie des Pères du collège inférieur fut mise à vil prix. Un sicaire les attendait à un mille de Modica et, sur la voie publique, en plein jour, par la portière de la voiture qui venait justement et traîtreusement de ralentir le pas, on fit contre eux une décharge d'armes à feu dans une direction telle que sans l'aide de la Providence un des Pères aurait dû être frappé à mort et tous les autres blessés. Plus loin ils étaient de nouveau assaillis par une bande d'assassins armés de pistolets à balles forcées, et nous ne pouvons dire ce qui serait arrivé aux proscrits, si le conducteur de la Diligence postale, qui les précédait, ne les avait défendus des coups de ces scélérats, au moyen d'un fusil arraché à un voyageur, et si, avec un courage vraiment héroïque, il n'eût pas mis la bande en fuite. Ici encore nous croyons ne devoir pas nommer les mandataires de ces bâches guet-apens, au sujet desquels nous avons des documents certains et détaillés. Nous dirons seulement que, revenus à Modica, ces héros de grand chemin se glorifièrent publiquement de leur noble entreprise; et que cependant, malgré les réclamations et les menaces du peuple ameuté, les autorités révolutionnaires n'en inquiétèrent pas un seul. Bien différente fut la conduite du marquis Castelluccio, gouverneur de Noto, et du marquis Canicarao, chef de la force publique dans le même district; à peine ces deux personnages eurent-ils connaissance des tristes événements qui venaient de se passer, qu'ils se mirent en quête des Pères arrivés à Noto et ordonnèrent l'arrestation du cocher, complice manifeste des assassins; ils séquestrèrent la voiture et introduisirent un procès régulier sur le fait. En outre, dans la même nuit ils expédièrent un détachement armé à Modica, pour escorter les Pères qui devaient partir le lendemain.

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C'était justice que de procéder ainsi; nous n'en devons pas moins signaler au lecteur la droiture et le louable empressement que ces deux hommes de bien mirent alors au service de la justice. Les Jésuites de l'autre collège furent conduits au Pozzallo, par ordre du Comité modicain, avec un cortège de parade destiné à effacer, s'il était possible, la tache ignominieuse du jour précédent. Cependant on leur avait fait défendre d'emporter aucun argent, sous la menace d'être fouillés avant leur embarquement. En conséquence, après un jour de jeûne, n'avant pas eu de quoi se procurer quelque nourriture, pas plus que leurs gardiens ne les en avaient pourvus, ils mirent pied dans une barque, où ils durent implorer la charité des matelots pour ranimer leurs forces affaiblies.

Voilà des faits qui caractérisent les maximes vraiment libérales de la moderne révolution, qui a renié jusqu'au dernier sentiment d'humanité. Malte servit d'asile à une grande partie des Jésuites exiles de Sicile; Malte, pays libre mais catholique, imitant le généreux exemple de son évêque, qui n'épargna rien en faveur des religieux proscrits, soulagea leurs misères, consola leurs afflictions et les dédommagea abondamment des peines endurées sur une terre qu'ils avaient arrosée de leurs sueurs et couverte de leurs bienfaits. Malte mérita d'être bénie par les exilés, bénie par tous les nobles cœurs en admiration devant la foi de peuple, qui resplendit sur les flots de la Méditerranée comme une vive lumière au sein des ténèbres d'une révolution impie (1).

Les Pères de la Congrégation du Très-Saint Rédempteur, institués par S, Alphonse de Liguori, partagèrent le sort des Jésuites dans la persécution comme dans l'exil.

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Ils n'avaient en Sicile que trois maisons, l'une en un bourg de Palerme, dit l'Uditore, l'autre à Sciaeea, la troisième «à Girgenti. Ces ouvriers infatigables dans la vigne du Seigneur faisaient par leurs missions un bien immense dans les villes et dans les campagnes, extirpant les vices, réformant les mœurs du peuple et répandant partout la semence des vertus, qui sont les vrais fondements de la prospérité sociale. Pendant six ou sept mois de l'année, ils se faisaient missionnaires, suivant les lois de leur institut, et telles étaient leurs fatigues et les prodiges de leur zèle, qu'ils excitaient l'admiration de toutes les autorités, aussi bien que des populations de Sicile. Les évêques se réjouissaient infiniment de leur succès dans l'instruction religieuse du peuple et de leur concours dans l'éducation des jeunes clercs qu'ils préparaient au caractère sacerdotal. L'édification de leur vie, leur éloignement de toute ambition, le désintéressement manifeste et le zèle sincère dont ils offraient le spectacle, leur avaient gagné l'estime, le respect, l'amour et la confiance des Siciliens.

(1) Parmi les nombreux Seigneurs Maltais qui s'offrirent généreusement pour subvenir aux besoins de ces pauvres exilés, lions devons faire ici une mention tonte spéciale de il. Rosaire Messina. Dès qu'il eut appris le coup qui venait de frapper les Jésuites de Sicile, il expédia aussitôt à Palerme un de ses bâtiments qu'il mil à la disposition des Pères, et les invita a passer dans l’île de Malte? Puis, de concert avec d'autres généreux habitants tels que: MM. Emmanuel Zammil, l'abbé Emmanuel Speranza, le chanoine Jacques Mamo, etc., etc., suivant en cela les instructions et les inspirations de Msr l’évêque, il mit tout en œuvre pour soulager tant de Pères cl Frères de la Compagnie, qui se rendirent à Malte ou pour y rester, ou pour se rendre de là dans quelque antre pays. —Le contraste entre des catholiques libres et des despotes mécréants est de la dernière évidence.

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Est-ce que jamais on a entendu dire que l'un des Pères de cette vénérable Congrégation se soit mêlé d'affaires appartenant à l'administration civile, ou ait pensé à s'ingérer dans une question qui ne concernât pas rigoureusement le bien des âmes? Mais, ce qui en eux faisait ombrage aux régénérateurs d'Italie, ce qui attirait sur les Rédemptoristes la sentence de suppression et de bannissement, c'était précisément qu'on voulait former le peuple aune école tout autre que celle de l'Evangile. Cependant, pour justifier devant les Siciliens une aussi injuste persécution, on les chargeait d'une accusation souverainement calomnieuse, d'avoir été avec les Jésuites les soutiens de la tyrannie. Comme tels, le décret de Garibaldi les atteignait et les chassait de l'île infortunée qui ne pourra jamais oublier leur zèle ardent ni leurs vertus exemplaires.

A Palerme et à Sciacca, les exécuteurs de cette grande mesure d'iniquité témoignèrent à leur égard du respect et de la déférence; le peuple de l'Uditore fit les plus vives remontrances au dictateur, pour faire rapporter la loi qui les privait de leurs chers et bons Pères; et n’ayant pu y réussir, ils supplièrent qu'au moins l'église du village demeurât confiée à un d'entre eux.

A Girgenti ils ne reçurent pas des témoignages de la même bonté et de la même reconnaissance. Sans doute la population de cette ville était très affectionnée aux Pères Rédemptoristes qui avaient tout fait pour subvenir aux besoins des âmes de toutes les classes de citoyens. Mais les représentants de la révolution étaient par là même plus exaspérés; et l'heure du triomphe venue, ils voulurent faire peser sur ces vertueux prêtres la cruauté de leur haine impie.

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Le dictateur avait à peine lancé contre les Liguoriens le décret de bannissement, que leurs ennemis de Girgenti inondèrent leur maison de gens armés, déclarèrent tous les Pères en état d'arrestation et les gardèrent à vue dans leurs propres cellules, en interdisant l'entrée du couvent, même aux personnages les plus haut placés de cette ville. Nous ne dirons jamais de quelle amertume ils abreuvèrent ensuite ces bons religieux innocents de tout crime autre que celui d'avoir fait le plus de bien qu'ils avaient su et pu faire. Les rigueurs et les vexations résultaient des ordres d'un certain Joseph Belli, jeune homme élevé à la Voltaire, ou plutôt formé sur le type mazzinien, qui fut constitué président d'une commission pour la consignation des biens mobiliers et immobiliers de cette maison. Il serait difficile de raconter ici de quels cris ce mauvais garnement abasourdit les Pères durant ces jours; de quels reproches il les accabla, de quelles menaces il les effraya; dans combien de choses il trouva l'occasion de vomir contre eux son fiel atrabilaire. Il prétendait qu'on lui livrât une liste générale d'archives qui n'avaient jamais existé; ni le serment du recteur de la maison, ni l'attestation de ceux qui avaient reçu la consignation de leurs biens en 1848, ne suffirent pour calmer sa fureur; il manda un juge et lui dicta une accusation terrible contre le supérieur de cette maison. Allant plus loin dans ses exigences, il voulait à toute force un des couverts d'argent, que les Pères réservaient à l'usage des étrangers, et qui manquait sur les neuf couverts portés à l'inventaire de 1818; on eut beau lui dire que si ce couvert manquait, le supérieur ne l'avait pas reçu en consignation de son prédécesseur qui ne se trouvait plus dans la communauté; que par compensation la vaisselle sacrée s'était de beaucoup augmentée:

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ces raisons et beaucoup d'autres ne faisaient aucune impression sur cet homme; vous eussiez dit une vipère qui, plus on la touche, plus elle distille sa bave empoisonnée. Le procès verbal de l'argent que contenaient les armoires et les coffres appartenant à l'église étant terminé, ce frénétique ordonnait d'y joindre la pyxide du tabernacle et de la peser avec les particules consacrées. Les Pères s'opposèrent à une telle profanation et cette résistance leur valut d'être accablés de nouveaux outrages et abreuvés de nouveau fiel. Mais la fureur du président ne connut pas de bornes quand, après avoir fouillé et refouillé toute la maison et après avoir examiné les comptes, il s'aperçut que le trésor était vide et que la maison était plutôt en déficit. — Ç'avait été là le but de tant de vexations et d'inquiétudes, et de voir lui échapper une proie qu'il s'était figurée splendide le mettait dans une rage implacable; cependant, il ne pouvait en faire un grief aux Pères; les comptes de l'administration domestique étaient là sous ses veux, et quelque scrupuleuses que fussent ses investigations autour des chiffres, il ne put découvrir aucune fraude. Enfin, après 14 jours d'épreuves, d'humiliations et de vexations, le nouvel inventaire achevé, ces pauvres religieux qui avaient consumé leur vie à travailler dans l'intérêt de cette ville et de cette province, demandèrent à la commission quelques subsides pour le voyage qu'ils devaient, sans la moindre ressource, entreprendre en pays étranger; mais la commission ne voulut pas même les entendre; ils demandèrent qu'il leur fût au moins permis d'aller hors du couvent implorer la charité de quelque famille pieuse et opulente; mais rien ne, put fléchir ces cœurs de tigres. —lis refusèrent.

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Le 7 juillet, toute la communauté, entourée de la garde du pays et sous l'escorte d'un des membres de la commission, fut conduite à la côte de Girgenti, où elle obtint son passage sur un petit bâtiment qui faisait voile pour l'île de Malte. Ainsi partaient ces ouvriers évangéliques avec leur supérieur qui, étant en proie à de violentes douleurs néphrétiques, ne voulut cependant pas demander à ces sauvages la faveur de rester dans l'île, faveur qu'il n'eût peut être pas obtenue (1). L'évêque de Malte accueillit les exilés avec la plus grande bienveillance et la plus vive cordialité, et les pourvut d'une maison dite de S. Philippe, dans la Genglia, comme il avait pourvu les Jésuites de celle de S. Calcédoine, entre la Floriana et la Valletta. Les Maltais regardèrent les Liguoriens, ainsi que les Jésuites, comme des victimes d'une révolution antireligieuse; ils vénérèrent ces hommes qui avaient été jugés dignes de souffrir pour Jésus Christ, et ils en aimèrent davantage cette foi qui, en maintenant les libertés civiles dans les limites de la rectitude et de la justice, préserve les peuples de l'ignominie de semblables actes barbares et inhumains.

(1) Un pauvre frère lai moribond put h peine obtenir de rester au couvent; on avait soin toutefois d'interdire l'entrée auprès du malade à ceux qui auraient pu le consoler dans ses derniers moments: le médecin et le confesseur seuls étaient admis. Il mourut le 1er août, veille de la fête de son S. Patriarche.

(2) Y eut-il jamais prison plus étroite où le plus despotique des gouvernements usât de plus de rigueur? Et après cela on ose encore déclamer contre la police napolitaine!


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Chapitre XVIII.
CHANGEMENTS POLITIQUES DU GOUVERNEMENT DE NAPLES. — POLITIQUE DE CAVOUR.

La révolution du 4 avril avait été entièrement comprimée. Si les esprits des populations, surtout à Palerme, avaient conservé quelque exaltation, s'ils s'agitèrent et s'aigrirent de plus en plus jusqu'au 11 mai, le feu qui fermentait en eux leur venait de Turin. Sans les promesses et les secours qui provenaient du Piémont, l'ordre public se serait rétabli tout à fait, et le gouvernement du roi de Naples aurait pu entrer dans la voie des concessions et des réformes. Mais en conséquence de l'expédition de Garibaldi et des faits honteux qui s'ensuivirent à Palerme, le ministère napolitain et la famille royale furent frappés de consternation. Parmi tous les projets qui furent agités alors, il y a eu celui des réformes libérales, que le comte d'Aquila avait chaudement et peut-être loyalement proposé. Le jeune monarque et la reine Sophie n'étaient pas contraires aux maximes d'une liberté sage et modérée pour leurs sujets; mais ils avaient la conviction du grave danger auquel s'expose un prince, qui consent au régime libéral sous la pression de la violence populaire. Le comte de Chambord, chef de la famille des Bourbons, consulté par le roi au moment du débarquement de Garibaldi, répondit que, «quand Catilina est aux portes, n'est pas le temps des concussions et des réformes; que le roi devrait plutôt monter à cheval et conduire ses troupes contre Garibaldi et ses partisans.»

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Mais l'empereur Napoléon lui avait antérieurement conseillé de tenter la voie des concessions, et il en voulut courageusement faire l'épreuve en ces moments critiques pour son royaume.

Le chevalier Carafla, ministre des affaires étrangères, avant rassemblé tout le corps diplomatique, lui annonça au nom du roi que de grandes réformes seraient accordées aux États de Sa Majesté; il priait donc les ambassadeurs d'obtenir de leurs gouvernements respectifs la garantie de l'intégrité des possessions royales. La même communication était faite aux ambassadeurs du roi auprès des Cours étrangères, et on leur indiquait les principaux articles sur lesquels porteraient les réformes (1). En même temps, le monarque appelait de Rome le commandeur de Martino, accrédité près du Saint-Siège, et le chargeait d'une mission pour le gouvernement français. De Martino eut avant de partir une longue conférence avec les ambassadeurs de France et de Russie, et le M juin il était reçu par l'Empereur à Fontainebleau.

Napoléon déclara ouvertement à l'envoyé de François II qu'il ne reconnaîtrait pas l'annexion de la Sicile au Piémont, de même que ni lui ni son ministre n'avaient reconnu celle des Romagnes et de la Toscane (2). En réponse à la lettre autographe que lui adressait le roi de Naples, il conseilla au jeune souverain, dans une lettre également autographe, d'adopter une constitution pour son royaume, d'accorder une amnistie générale,

(1) V. les dépêches de Vienne du 9 et du 12 juin 1860, et les correspondances du Nord et du Journal des Débats.

(2) V. la dépêche du 21 juin de Naples, où l'on dit que cela avait été déclaré officiellement. Cette assertion parait se confirmer par la dépêche de Cowley à Lord Russell (Paris 12 juillet).

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de changer son ministère, de conclure une alliance avec le Piémont et d'arborer le drapeau Italien avec les armes de Naples; il promettait ensuite ses bons offices auprès de la Cour de Turin (1).

L'ambassadeur cependant ne put obtenir de l'Empereur la garantie de la couronne de Naples. Le ministère napolitain adhéra unanimement aux propositions de la Cour de France.

Conséquemment, le 26 juin, le journal officiel de Naples publiait l'acte souverain qui suit:

«Désirant donner à nos sujets un témoignage de notre souveraine bienveillance, nous avons résolu d'accorder des institutions constitutionnelles et représentatives en harmonie avec les principes italiens et nationaux, de manière à assurer pour l'avenir la sécurité et la prospérité publique et à resserrer toujours davantage les liens qui nous unissent aux peuples que la Providence nous a appelés à gouverner.

«A cette fin nous avons pris les résolutions suivantes:

«1° Nous accordons une amnistie générale pour tous les délits politiques commis jusqu'à ce jour;

«2° Nous avons chargé le commandeur Antoine Spinelli delà formation d'un nouveau ministère, qui rédigera dans le plus bref délai possible les articles du statut sur les bases des institutions représentatives italiennes et nationales;

«3° Un traité sera conclu avec S. M. le Roi de Sardaigne en faveur des intérêts communs des deux Couronnes en Italie;

(1) V. Le Morning Chronicle du 26 juin. — Exposé de la situation de l'empire français en 1860.

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«4° Notre drapeau sera désormais orné de trois bandes verticales aux couleurs nationales italiennes, contenant toujours au milieu les armes de notre dynastie;

«5° Quant à la Sicile, nous lui accorderons des institutions représentatives analogues, qui puissent répondre aux besoins de l'île, et l'un des princes de notre royale maison y sera notre vice-roi.

«Portici, le 2o juin 1860.

«François.»

Cet acte souverain publié, on s'appliqua à la formation du nouveau ministère, qui fut dans la suite quelque peu modifié. Le commandeur Spinelli en eut la présidence; c'était le même qui en 1848 avait été chargé, par Ferdinand II, de proposer les bases d'une constitution. Le commandeur de Martino, homme de grand mérite, bien connu pour ses principes libéraux mais modérés, eut le portefeuille des affaires étrangères; M. Del Re, financier habile, fut nommé pour lors ministre de l'intérieur; M. Manna rentra au ministère des finances qu'il avait occupé en 1848 avec une réputation d'économiste éclairé; le prince de Torella fut chargé, comme en 1848, du département des affaires ecclésiastiques; M. délia Greca, autrefois député aux Chambres napolitaines, fut préposé aux travaux publics, où l'on appela ensuite M. Morilla, M. délia Greca avant reçu une mission spéciale pour l'Angleterre; l'amiral Garofalo,vieux muratiste, devint ministre de la marine; le général Ritucci qui, en 1848, s'était distingué avec le général Pepe dans la défense de Venise, reçut le portefeuille de la guerre.

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Puis, en conformité des concessions royales, la bannière tricolore fut arborée et saluée par les détonations de l'artillerie des forts et de la flotte. Ensuite on envoya à la légation de Naples à Turin, l'ordre de délivrer des passeports à tout Napolitain et à tout Sicilien qui en ferait la demande, excepté les déserteurs seulement.

Cependant comme le conseil des ministres s'était rassemblé pour élaborer les points fondamentaux de. la nouvelle constitution, on délibéra de proposer au roi le rétablissement du statut de 1848, accordé par Ferdinand II, son père. C'est pourquoi, le 1 juillet, la requête suivante fut adressée à Sa Majesté François II:

«Sire,

«Par l'acte souverain et mémorable du 25 juin, Votre Majesté annonçait à son peuple deux grandes idées, celle de remettre en vigueur le régime constitutionnel et celle de contracter une alliance avec le roi Victor Emmanuel, pour le plus grand bien des deux couronnes italiennes. Ces sublimes paroles, inaugurant pour vous et pour votre royaume une ère vraiment glorieuse, ont retenti dans toute l'Europe et ont rempli de joie les cœurs de vos suce jets, qui attendent de la loyauté de leur Roi l’accomplissement de la grande œuvre.

«Votre Majesté a daigné en même temps convoquer le conseil des ministres soussignés, sur lesquels repose«votre confiance, pour la prompte exécution de vos sincères désirs et pour la confection du statut destiné à vos États de terre ferme. Or votre conseil, Sire, en s'appliquant à la mise en pratique de vos royales dispositions, a considéré qu'un statut constitutionnel existe dans les Lois publiques du royaume, à savoir: celui que votre auguste père, Ferdinand II, a concédé.

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Si ce statut fut, après quelque temps, suspendu par suite d'événements déplorables que nous n'avons pas à rappeler ici, il n'a jamais été abrogé, comme il est arrivé dans quelques États de l'Europe. Il paraît donc aux soussignés qu'une idée simple et logique serait de remettre en pleine vigueur ce statut de 1848. Votre Majesté trouvera, à en user de la sorte, un travail facile et agréable, dont elle est désireuse de répandre les bienfaits dans ses domaines. Les étrangers admireront dans une pareille résolution la sagesse du souverain, et vos peuples, sans être forcés d'attendre un nouveau document, prendront plus d'intérêt à leurs libertés et recevront avec gratitude ce nouveau gage du roi pour l'inauguration du régime constitutionnel.»

François II accepta la proposition de son ministère, et le jour même il publiait le décret par lequel il ordonnait le rétablissement du statut de 1848, convoquait le Parlement National pour le 10 septembre, et renouvelait toutes les lois de 1848 et de 1849 concernant la liberté delà presse. Il nommait ensuite des commissions pour régler toutes les dispositions de la loi électorale et pour former une garde nationale (1).

En ce qui touchait la Sicile, le nouveau ministère ne s'écartait pas des mêmes principes, c’est-à-dire,qu'il reconnaissait les anciens droits de la constitution de 1812 depuis longtemps suspendue, et en proposait le rétablissement. Le roi ordonnait donc d'interrompre les hostilités du côté des troupes royales, à moins qu'elles n'eussent à repousser une attaque du côté de l'ennemi.

(1) V. le Giornale Costituzionale de Naples du 1er au 7 juillet 1860 et les correspondances du Times Journal des Débats.

et du

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Il s’employait activement pour que la France, l'Angleterre et le Piémont reconnussent les deux États de Naples et de Sicile comme réunis sous la même couronne, mais avec une constitution, une représentation et une administration tout à fait distinctes (1).

Il insistait principalement pour amener la France et l'Angleterre à imposer par leur autorité et, au besoin, par la force, une suspension des hostilités, surtout dans la partie continentale des États du roi que menaçait Garibaldi. La France ne rejeta pas cette proposition, que la Russie appuyait; mais elle demanda le concours de l'Angleterre, afin que ses intentions ne prêtassent pas à la calomnie (2). Mais John Russell, qui cependant, avec plus ou moins de sincérité, avait exprimé à M. de Persigny le désir de voir conclure un armistice, pendant lequel on formulerait des conditions de paix, John Russell, qui avait directement signifié les mêmes intentions aux cours de France et de Turin (3), déclara qu'après délibération des membres du cabinet, le Gouvernement de S. M. était d'avis de ne pas se départir du principe de non-intervention (4). Néanmoins, par une contradiction manifeste, John Russell avait écrit peu de jours auparavant à M. Hudson:

(1) V, le Giornale Costituzionale de Naples 1. c. et le correspondant du Times du 3 juillet.

(2) V. Exposé de la situation de l'Empire présenté au sénat et au corps législatif: — Affaires étrangères; la dépêche de Lord Russell à Sir Hudson le 17 juillet; celle de Cowley a Lord Russell le 24 juillet et la réponse du ministre en date du 26.

(3) V. la dépêche du comte de Persigny à Thouvenel, de Londres, 30 juin 1860, communiquée au sénat, et la dépêche de Russell à Sir Hudson, 20 juillet, et du même à Cowley, 23 juillet.

(4) V. la dépêche de Lord Russell a Cowley, 26 juillet et celle de Thouvenel au comte de Persigny, 23 août.

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«que le Gouvernement de S. M. espérait que le roi de Naples n'entreprendrait rien pour reconquérir la Sicile sans le consentement de la France, de l'Angleterre et de la Sardaigne (1).» Lord Russell était-il donc disposé à empêcher par la force le roi de Naples de recouvrer ses États, s'il ne lui en avait pas humblement demandé la permission préalable, comme il avait menacé de le faire avec le Pape au sujet des Romagnes? La non-intervention pour le noble Lord ne devait profiter qu'à la cause révolutionnaire.

Quoi qu'il en soit, à peine l'Acte souverain fut-il publié à Naples, que les perturbateurs de l'ordre public se mirent en mouvement; ils parcoururent la ville avec des vociférations frénétiques, saccageant et brûlant les archives de la police; ils assaillirent et frappèrent à coups de bâtons et de poignards les agents qui essayèrent de leur résister et jetèrent partout le trouble et la confusion. Le fait le plus grave qui eut lieu dans les deux jours de ce tumulte, fut la blessure que reçut le baron Brenier, ministre de France, de la main d'un homme du peuple qui le frappa grièvement à la tête, tandis qu'il traversait en calèche découverte les rangs de la foule. La plus rigoureuse enquête ne parvint pas à découvrir le coupable; mais ce ne pouvait être qu'un membre du parti annexioniste, chagriné de ce que par l'influence de la France on revenait à l'idée delà confédération italienne, proposée à Villafranca. Les journaux licencieux du garibaldisme crièrent que le coup était parti de la main d'un agent du gouvernement et de la police de Naples. Mais à qui fera-t-on croire qu'en ces moments de fermentation populaire contre le régime passé, un employé de la police ait osé, en présence de la multitude furieuse, lever la main contre M. Brenier, regardé comme l'auteur des concessions libérales?

(1) V. la dépêche de Lord Russell à Sir Hudson le 17 juillet.

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Le parti de la révolution ne raisonne pas. — Ces troubles cependant furent réprimés par l'attitude énergique des troupes; la ville fut soumise à l'état de siège, qui dura du 20 juin au 4 juillet, jour où fut publiée la constitution de 1848. Dans cet intervalle on s'était occupé d'organiser la garde nationale, et le 7 juillet la police fut reconstituée et revêtue du pouvoir de procéder à l'arrestation dans les cas de délit flagrant ou presque flagrant, de prévenir les délits et de maintenir l'ordre (1). Mais la police fut malheureusement confiée à l'avocat Liborio Romano, un Garibaldien, qui avait dirigé le mouvement populaire pour arriver au maniement des affaires publiques, s'en faire un chemin vers le ministère, et tramer plus aisément et plus honteusement la révolution du royaume et la chute des Bourbons.

Créé préfet de police à Naples, il publia une proclamation par laquelle il défendait au peuple les cris et les rassemblements séditieux, et recommandait aux troupes de dissiper avec modération les attroupements populaires. La tranquillité renaissait donc momentanément, les bons citoyens reprenaient courage et s'applaudissaient de voir se consolider l'autorité du gouvernement. Les choses persévérèrent en cet état jusqu'au 15 juin, quand un groupe de 20 soldats de la garde royale sortant de leurs quartiers se jetèrent en armes à travers les rues de Naples en criant d'une voix menaçante: «Vive le Roi, à bas la constitution!»

Ce fut l'occasion de nouveaux trouble dans la population. Les ministres, par crainte de se trouver impliqués dans un mouvement réactionnaire, déclarèrent qu'ils renonçaient à leurs portefeuilles, si l'on ne procédait avec vigueur contre les auteurs de cette folle démonstration.

(1) V. les décrets publiés dans le Giornale Costituzionale de Naples du 7 juillet 1860.

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Or François II non seulement ordonna l'arrestation immédiate des coupables, mais montant luimême à cheval avec le ministre de la guerre et avec l'état-major, il visita tous les quartiers militaires, harangua vivement les soldats et les officiers, et les obligea de prêter devant lui serment de fidélité à la constitution. Il fit ensuite disposer en carré toutes les troupes qui occupaient les Granili, — c'étaient celles qu'on jugeait les moins favorables aux idées libérales — et leur adressa quelques paroles bien senties où il leur disait sans détour que la preuve la plus manifeste qu'elles pourraient lui donner de leur dévouement à sa personne, serait de soutenir et de défendre les principes de liberté, devenus la loi fondamentale du royaume. Après quoi, les régiments jurèrent fidélité à la constitution parmi des acclamations au roi et au statut. Cette action glorieuse du jeune prince était un témoignage irrécusable de la sincérité de ses sentiments: elle suffirait seule à démentir les calomnies de Lord Russell et à retourner contre lui les traits qu'il a décochés sans pudeur contre l'héroïque souverain des Deux-Siciles. —

Le ministère de Naples satisfait de la conduite de son roi le remercia vivement et resta au pouvoir, et le jour suivant tout le corps diplomatique présenta au jeune monarque les plus chaleureuses félicitations (1).

Par là grandissait et se fortifiait, à Naples, le parti eonstitutionnel, et ses progrès étaient également sensibles dans toutes les provinces. Les correspondants des journaux étrangers mandaient de cette capitale que l'épreuve tentée par le gouvernement avait toutes les apparences d'un plein succès;

(1) V. les dépêches officielles du 17 juillet publiées par le. gouvernement de France.

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que ce coup, bien qu'un peu tard, frappait à mort le parti de la révolution et soulevait d'immenses obstacles à la propagation du parti annexioniste. La presse de toutes nuances ne pouvait s'empêcher de louer la prodigieuse activité que le jeune monarque et son ministère avaient déployée durant ces jours, et les organes de la publicité n'osaient plus attaquer des mesures qui reflétaient constamment la sincérité des intentions du roi. Les annexionistes voyaient bien que les réformes de François II devenaient un grand embarras à l'accomplissement de leurs desseins; aussi n’épargnaient-ils aucune manœuvre pour en gâter les résultats et en détruire l'efficacité. Le retour des émigrés vint encore augmenter leur audace et donner un précieux appoint au parti insurrectionnel, en le soutenant des noms de personnages représentés comme les martyrs du gouvernement des Bourbons. Liborio Romano était le centre et le moteur de leurs conseils, le guide de leur conspiration et en même temps la garantie de leur impunité; puisqu'il avait réussi à mettre la révolution sous la protection de la police même.

Le seul empêchement qui restait venait du côté des lazzaroni, dont l'amour et le dévouement envers leurs souverains s'est toujours conservé d'une façon vraiment singulière; on s'appliqua donc à corrompre cette masse d'hommes ignorants, comme on avait fait à Rome, en 1847, avec les Transtévérins. Grâce aux mêmes artifices, on trouva aussi à Naples des Cicervacchio et des Masanielli qui, abusant de leur ascendant sur cette portion du peuple et jetant l'argent à poignées, égarèrent l'esprit d'un grand nombre, enflammèrent leurs passions en faveur de Garibaldi, le héros du jour, et en firent les ennemis de quiconque voudrait l'arrêter dans ses triomphes.

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Le portrait du célèbre condottiere était exposé aux regards du peuple; on répandait sur sa personne des biographies merveilleuses et mensongères, on célébrait ses louanges en couplets populaires et l'on glorifiait ses plans dans les journaux du parti qui devenaient de jour en jour plus audacieux. Ainsi fortifiés delà faveur d'une partie des lazzaroni, et soutenus d'une certaine opinion publique qui, soit par fanatisme, soit par compromis, ou par crainte ou par erreur, mais surtout par corruption, commençait à gagner toutes les classes et allait en imposer à la majorité de la population, les meneurs préparèrent de solennelles démonstrations en l'honneur de Garibaldi, démonstrations qui vers la fin de juillet devinrent plus nombreuses et plus fréquentes. D'autre part ils travaillaient sans relâche à faire élire des annexionistes pour membres du parlement; une fois ceux ci maîtres des résolutions de l'assemblée nationale, il ne fallait, se disait-on, pour renverser le trône des Bourbons qu'un coup de main de Garibaldi. De cette manière, à l'aide des plus vils expédients de corruption, de trahison et d'assassinat, le parti garibaldien gagnait peu à peu du terrain, sapant par les fondements la cause de l'ordre, de la justice et de la moralité publique. Alors cependant, tous les veux étaient tournés vers la cour de Turin, des résolutions de laquelle dépendait le sort de la Péninsule. —

C'était en effet le principal objet que devait avoir en vue le ministère Spinelli, de remplir absolument le programme de l'empereur des Français qui avait conseillé à François II une étroite alliance avec le Piémont pour résister

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à toute attaque ou prépondérance étrangère (1). Cette importante mission fut confiée à Manna et au baron Winspeare, tous deux capables de la mènera bonne fin, dès qu'ils n'auraient pas à lutter contre la mauvaise foi, l’hypocrisie et la trahison. —

Assurément la conduite que tint alors M. de Cavour envers la cour de Naples fut digne de cette âme dont le caractère fondamental, a dit avec raison le comte de Montalembert, est le mensonge. Chef et directeur suprême de toute la machine révolutionnaire d'Italie, il avait fait de Garibaldi un instrument de ses projets (2), tandis qu'il proclamait son innocence en face de la diplomatie européenne, laquelle a su élaborer beaucoup de notes et de dépêches, mais n'a rien fait pour la défense du droit audacieusement foulé aux pieds et de la faiblesse cruellement opprimée (3). M. de Cavour avait, sans contredit, favorisé l'expédition de Garibaldi et s'était ensuite plaint au ministre de Naples et aux gouvernements d'Europe de ce qu'ils l'avaient plus ou moins incriminé. 11 avait promis à M. Thouvenel d'empêcher les expéditions ultérieures qui se préparaient à Gênes contre la Sicile, et cependant il avait tout laissé faire et tout disposer, sans y mettre aucune entrave ni en témoigner le plus léger mécontentement. Puis, comme pour se moquer des conseils des diplomates, ou pour les faire rire à ses dépens, il envoyait à la flotte l'ordre de prendre la mer, de marcher vite et d'arrêter, partout où on le pourrait, l'expédition de Garibaldi qui se trouvait déjà dans les eaux de Sicile. Voici quelque chose de plus fort.

(1) V. l'Exposé de la situation de l'empire français, 1. c., la dépêche cit. de Persigny a Thouvenel.

(2) Zambianchi n’hésita pas il l'affirmer dans sa prison de Gènes. — V. la lettre citée plus haut.

(3) Casella avait raison de l'affirmer dans sa circulaire du 12 novemb. 1860.

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S'il arrivait qu'un vaisseau napolitain eût réussi à arrêter quelque détachement de Garibaldiens sur le point de débarquer dans l'île, Cavour s'en constituait aussitôt le protecteur et l'avocat et employait jusqu'à l'autorité de l'ambassadeur anglais, M. Elliot, pour amener la délivrance des captifs et les mettre en état de rejoindre librement Garibaldi (1).

Les choses en vinrent à un tel degré d'impudence que les feuilles publiques annonçaient plusieurs jours à l'avance les expéditions qui devaient partir des ports du Piémont, avec indication du jour et de l'heure du départ; qu'elles annonçaient l'argent, les munitions de guerre, les fusils et les canons que l'innocent M. de Cavour envoyait à Garibaldi, en les faisant porter quelquefois à l'extrémité du môle de Gênes et garder par une sentinelle (2); et qu'elles désignaient même les soldats aguerris et disciplinés que M. de Cavour licenciait de l'armée piémontaise, pour les envoyer en Sicile sous la conduite de Cosenz ou d'un autre officier formé à la guerre. Ce sont là des laits dont personne ne doute et dont M. de Cavour s'est glorifié luimême dans la suite, après s'en être excusé alors par des considérations de prudence et avec tous les calculs de l’hypocrisie.

Mais, tout en avant protesté alors devant les cours étrangères, qu'il n'était pour rien dans ces attentats, et tout en avant tâché de couvrir sa complicité manifeste, il n'avait pas laissé de recueillir à temps le fruit des entreprises de Garibaldi et de ses machinations révolutionnaires.

(1) V. la dépêche de Naples du 16 juin 1860. — Le 21 juin 1860, le marquis Normanbv blâma fortement dans la chambre des Lords, M. Elliot pour avoir fait au nom de la Sardaigne des remontrances au roi de Naples de ce que celui-ci avait capturé des vaisseaux révolutionnaires.

(2) V. corresp. de Turin à l'Union, 24 juin 1860.

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Aussitôt que Palermo eut capitulé, avant que la Sicile se fût émancipée de la domination napolitaine et déclarée librement pour l'annexion, M. de Cavour avait envoyé son cher La Farina pour la gouverner au nom du Piémont.

Ce premier commissaire avant échoué dans sa mission, Cavour le remplaça par Depretis, qui allait mieux aux vues de Garibaldi, et il tenait Farini en réserve pour Naples, comme Pepoli pour l'Ombrie et Valerio pour les Marches. Il n'en mettait que plus de zèle et de scrupule à prêcher le principe de non-intervention, et il le recommandait même à la France, en lui rappelant qu'elle avait officiellement adopté la dépêche de Lord Russell relative à la non-intervention (1). Cavour voulait du principe pour autrui et non pour luimême.

Cependant l'empereur Napoléon, suivant ce qu'il avait promis au roi de Naples, prêtait son appui aux ambassadeurs pour aplanir le chemin à une confédération des deux États (2). Il chargeait son ambassadeur, le baron Talleyrand, d'insister pour que M. de Cavour entrât en pourparlers d'alliance avec Naples (3).

Les cours de Russie et d'Espagne recommandaient chaudement la même chose au noble comte, de sorte que la presse étrangère se persuadait que le Piémont aurait peine à sortir de cet embarras. On commença cependant à faire courir le bruit que le gouvernement Sarde était sous la pression des puissances étrangères. Lord Russell interpellait même M. de Persigny sur les conseils

(1) V. la dépêche du 12 juin 1860 datée de Turin.

(2) V. L’Exposé de la situation de l'empire français, 1. c.

(3) V. la dépêche de Turin du 3 juillet 1860.

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de l'Empereur au roi de Naples (1). M. Griffith demandait des éclaircissements à Lord Russell sur la question de savoir si réellement la pression dont on parlait était exercée sur le gouvernement de Sardaigne pour le forcer à une alliance avec Naples (2). M. de Cavour tentait l'inimaginable pour détourner les coups de la diplomatie: il déchaînait les journalistes et le parlement contre l'alliance Sardo-Napolitaine; il se faisait menacer par eux des tristes conséquences où l'entraînerait sa soumission aux puissances du dehors; puis il répondait à celles ci, en alléguant l'opinion publique qui se soulevait menaçante contre le plan de cette confédération (3); il donnait pourtant toujours de belles paroles et gagnait du temps en différant l'ouverture officielle des négociations. — Il faisait enfin admettre les ambassadeurs napolitains à une audience du roi; il recevait les propositions d'alliance apportées par eux; il leur en proposait d'autres de sa façon assez dures pour les décourager d'entrer en conférences officielles; et les voyant, malgré tout, se prêter à ses propositions, pourvu qu'il y eût alliance mutuelle, il en éprouvait un violent dépit. Cette étrange conduite du comte Cavour et l'embarras comique où il se trouva pendant plusieurs jours, nous ont été révélés, outre les correspondances privées et publiques, par une lettre, vraie ou supposée, insérée dans le Constitutionnel sous la signature pour extrait de M. Grandguillot. Cette lettre qui, si elle n'est pas de ce rédacteur, exprime du moins sa manière ordinaire

(1) Voyez la dépêche de Persigny a Thouvenel datée de Londres 30 juin 1860.

(2) Séance du 10 juillet 1860. — Chambre des Lords. —

(3) V. entre autres documents la dépêche de Russell à M. Fane (21 août) et celle du même Lord à Sir Hudson (23 juillet).

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d'envisager les choses (1), disait que «M. de Cavour était fort embarrassé de voir la nouvelle puissance (des unitaires Italiens), qui grandissait à ses côtés et n'acceptait de lui ni ordres ni direction.» En vérité, si parfois un maître d'école se plaint de l'indocilité de quelque jeune écervelé qui met le trouble dans sa classe, il ne laisse pas pour cela de se dire le maître et de faire prévaloir son autorité sur tous.

De même, si de temps à autre M. de Cavour dut subir une escapade de la part de Garibaldi et de Bertani, son confident; s'il dut souffrir en paix que la Farina fût chassé de la Sicile par Garibaldi et chassé de la manière la plus outrageante, qu'il surgît dans les Romagncs, sous l'influence de Bertani, une société intitulée la Nation qui se mettait en opposition apparente avec sa Société nationale de Turin; nous n'admettons pas, comme vraisemblable, que les dégoûts de M. le comte aient etc. aussi nombreux ni aussi grands qu'il voudrait nous le faire croire et d'ailleurs il a toujours tiré profit de ses émissaires les moins diplomatiques pour satisfaire aux plans de son ambition. La société même de la Nation fondée par Bertani n'avait pour but que d'enrôler des hommes à Faënza pour envahir l'Ombrie et les Marches (2). Mais cette invasion n’était-elle pas un acte conforme aux désirs du comte et une concession que Farini avait faite aux Mazziniens dans la personne de son chef? Que disait en effet VOpinione, organe de M. de Cavour, dans l'article par lequel il s'étudia à justifier l'évidente complicité du gouvernement subalpin favorisant les Garibaldiens? Elle disait que «le gouvernement était convaincu du besoin d'opposer un obstacle aux hordes papales.» Parce que Lamoricière avait organisa Roms«de grandes forces, on pouvait craindre que ces forces ne tombassent sur le Piémont.

(1) V. le Constitutionnel, 12 mai 1860.

(2) V. corresp, de Turin du 19 juin 1860 dans la Presse de Paris.

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Que si, à raison des égards diplomatiques, le Piémont ne pouvait prendre ouvertement l'initiative dans les faits et gestes de Garibaldi, il s'en réjouissait par crainte des attaques de Rome (2). Risum teneatis, amici! Cette fois l’hypocrisie donnait dans le ridicule; ce n'en fut pas moins une preuve indubitable de la réelle complicité de M. de Cavour et dans l'expédition de Garibaldi, et dans l'enrôlement des volontaires de Faënza, et dans la formation du corps des 6,000 hommes armés à Gênes par Bertani, qui les voulait jeter. sur Corneto contre les troupes papales, et encore, comme nous le verrons, dans l'expédition même des Garibaldiens contre les domaines napolitains de terre ferme. Il nous reste cependant à examiner le rôle qu'il joua dans cette affaire sur le théâtre de la diplomatie, en déguisant et en voilant ses pensées, en affectant même d'agir à rebours de ses véritables projets pour les réaliser plus sûrement.

(2) V. l'Opinione de Turin du 17 août 1860.

Chapitre XIX.
LE DICTATEUR DE SICILE ET LA FARINA. — BATAILLE DE MILAZZO ET CONVENTION DE MESSINE. 
— ISSUE DES NÉGOCIATIONS DE LA COUR DE NAPLES AVEC LE GOUVERNEMENT DE TURIN.

Les projets de l'insurrection italienne formés par Garibaldi n'étaient pas un mystère: il les avait hautement annoncés dans ses proclamations où il avait chaque fois rebattu les mêmes idées. Faisant pour un moment abstraction de la question religieuse, en ce qui concerne la politique, il entendait, après la Sicile conquise, passera Naples, de Naples à Rome, de Rome à Venise et ne proclamer le royaume d'Italie que lorsqu'il aurait soumis toute la Péninsule. Il faisait encore croire, et il en avait souvent fait la promesse, qu'après la délivrance de l'Italie, il aiderait les Hongrois à s'émanciper, et affranchirait enfin Nice, sa patrie, de la domination française. Or M. de Cavour ne pouvait pas manifester solennellement ces plans devant les cours de l'Europe, ni montrer de près ou de loin qu'il était de complicité avec le programme de Garibaldi et en rapport d'alliance avec le parti de la révolution. Il devait donc se donner l'air d'ignorer ingénument tout ce qui s'ourdissait dans les provinces piémontaises au détriment des États voisins; protester et se démener, tant que la conquête restait en suspens; puis, l'invasion accomplie, il devait entrer en sema pour réprimer, par pur motif de zèle, les désordres et l'anarchie des pays qu'il avait soulevés, et accepter pour le bien de l'Italie, le bénéfice de la révolution, son ouvrage.

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Néanmoins, comme il arrive d'ordinaire dans l'association de plusieurs larrons, il n'existait pas de confiance entre Garibaldi et Cavour: le comte n'ignorait pas que le plus fort parti qui soutenait le général était celui de Mazzini et des républicains. Au fait, les principaux agents et confidents de Garibaldi comme Crispi, Raffaele Bertani, Ricciardi, Zambianchi, Mario, etc., ne disaient pas autre chose, et c'était aussi la signification du rendez-vous que les plus grands démagogues de l'Europe s'étaient donné à Palerme, puis à Naples. C'est pourquoi, aussi bien avisé qu'il l'était, M. de Cavour n'oubliait point de surveiller les mouvements du dictateur et de pousser à la prompte annexion des États qu'il enlevait à leurs souverains légitimes. Mais Garibaldi, au milieu des ovations publiques et au comble de sa gloire, ne pouvait certainement pas accéder aux prétentions de Cavour qui, de maître l'auraient fait esclave et l'auraient privé des moyens de réaliser ses projets C'est à ce point de vue qu'il faut juger la violente expulsion de la Farina hors de Sicile. La Farina avait toujours été un républicain, collaborateur de l'Alba de Florence et l'un des ultralibéraux de ce temps. En 1848, après les scènes de théâtre qu'il monta en Sicile, surtout pendant son ministère de la guerre, conduit à la frontière, il se donna pour un unitaire républicain et tel il se dépeignit dans son histoire de la révolution de 1848 en Sicile, histoire qu'on dirait avoir été conçue en apologie de ses principes. «Il s'aperçut ensuite, dit Pianciani, que le titre d'unitaire sans celui de républicain répondrait mieux à ses projets et ménagerait, comme dit un proverbe italien,

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les chèvres et les choux (1).

En d'autres termes, il s'offrit en holocauste à la politique de Cavour, qui se servit beaucoup de lui dans l'organisation de la révolution des Deux Siciles. Garibaldi à peine entré à Palerme, la Farina y fut envoyé avec le pouvoir de commissaire général du roi de Piémont dans l'île (2); tant il est vrai que le vote populaire seul appela le Piémont en Sicile. Garibaldi ne tarda pas à comprendre quel était le caractère de l'envoyé Piémontais: il lui fit bientôt sentir que la Sicile avait alors besoin d'armes et de munitions et non des phrases brillantes avec lesquelles il l'amusait et allongeait le chemin; il lui déclara ensuite carrément, qu'il n'entendait pas proclamer l'annexion avant la délivrance de l'Italie entière. Mais la Farina, quoique le gouvernement de Garibaldi ne fit aucun cas de lui, opérait en conformité des instructions reçues de M. Cavour; il faisait imprimer des bulletins portant ces mots: «Nous voulons l'annexion au «royaume constitutionnel de Victor Emmanuel»; il les faisait coller aux portes de toutes les maisons de Palerme, les disséminait dans l'île entière, pour amener une réunion immédiate au Piémont, répandait ensuite le bruit que Garibaldi et Crispi voulaient fonder dans l'île un gouvernement républicain; il persuadait aux municipalités de pétitionner en faveur de l'annexion, et 300 communes, à ce qu'il dit, répondirent à son appel; il tenait des assemblées, organisait des démonstrations; en un mot, il n'y avait pas une pierre qu'il ne soulevât pour remplir la mission dont il était clergé. Garibaldi connaissait tous les manèges de la Farina, et en concevait chaque jour plus d'aigreur et de rancune contre lui;

(1) Pianciani, op. cit. p. 53.

(2) V. le Dritto de Turin du 14 juin 1860 et le Times: corresp. de Naples du 9 juin.

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mais, quand il vit que les démonstrations, dues à son rival, gagnaient en force et en étendue, et que dans l'une de ces démonstrations son cher Crispi avait été sifflé, il ne fut plus maître de sa colère: il fit investir à onze heures de la nuit la maison de la Farina, le fit arrêter, avec ses deux amis, Jacques Griscelli et Pascal Totti, et conduire sous escorte à bord de la frégate Marie Adélaïde qui le déposa à Gênes (1). Le lendemain le journal officielle Palerme reçut une note du gouvernement garibaldien, dans laquelle on disait que les trois personnes arrêtées la nuit précédente avaient été expulsées pour conspiration contre l'ordre public déjà rétabli dans l'île. Après le départ de la Farina, quelques uns des ministres les'plus honnêtes renoncèrent à leurs portefeuilles et furent remplacés par des hommes que la presse qualifia de Mazziniens.

Cavour, à qui l'on renvoyait ainsi en cadeau La Farina, ne put assurément qu'éprouver du dépit de cet outrage qui rejaillissait sur luimême; il dut cependant comprimer son indignation et chercher un ami de Mazzini, en qui il pouvait se confier, pour le dépêcher en conciliateur à Garibaldi. Depretis lui parut l'homme dont il avait besoin en cette occurrence, d'autant plus que le dictateur avait manifesté le désir de l'avoir. Ce fut donc Depretis qui alla soutenir en Sicile les intérêts du Piémont avec la qualité de commissaire royal.

Mais avant que cet envoyé fût arrivé à sa destination, Garibaldi s'était vu dans un rude embarras, à la suite des concessions libérales faites par le roi François II au royaume de Naples et promises à celui de Sicile avec la clause additionnelle de gouvernement séparé.

(1) V. le Dritto de Turin au n° 186. — Le Morning star, corresp. de Paris du 1 juin. — La lettre de la Farina dans le Piccolo Corriere du 15 juin.

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Ce qui augmentait l'embarras du dictateur, c'était de voir la constitution napolitaine reposer sur des bases plus libérales que celle du Piémont.

Les négociations diplomatiques entre Naples et Turin ouvertement favorisées par la France et non entravées, semblait-il, par le ministère anglais, lui causaient un grand souci. C'est ce qui lui fit commencer à comprendre le besoin qu'il avait de l'appui de M. de Cavour et modifier un peu sa politique; il établit donc dans toute la Sicile des comités électoraux pour nommer les députés d'une assemblée nationale, qui devait hautement protester contre les réformes du roi de Naples et se déclarer, pour mettre la Sicile en complète indépendance de la dynastie bourbonnienne. Il ne laissa pas en même temps de réchauffer l'activité de ses agents, en leur recommandant de tourner en ridicule, de calomnier de la façon la plus outrageuse les intentions du jeune souverain et d'ameuter ainsi l'opinion publique contre les dernières concessions de cette cour. Cependant à peine se vitil rassuré par la faveur que rencontrait auprès de Lord Russell la continuation de ses invasions et par les progrès que faisait à Naples le parti annexioniste, grâce au concours de Liborio Romano, assez heureux pour tromper la Sicile sur les intentions du roi de Naples, Garibaldi ne se soucia plus ni des élections, ni de l'assemblée nationale, et appela de nouveau ses soldats dans le chemin des combats.

Syracuse et Messine paraissaient les deux points principaux vers lesquels Garibaldi aurait porté ses forces; c'est pourquoi le mois de juin avait été employé à renforcer les garnisons de ces deux places.

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On avait rappelé de Syracuse le général Rodriguez, qui paraissait peu propre à la défense de cette forteresse, et l'on avait envoyé à. Messine le général Clary et le général Bosco, en même temps qu'avait eu lieu le rappel de Pianelli, à qui fut malheureusement confié le ministère de la guerre laissé vacant par Ritucci. Dans cette dernière place avaient été construites des redoutes formidables sur les hauteurs qui dominaient la ville, et ces redoutes, au dire des hommes de l'art, la rendaient inexpugnable. Mais Pianelli, devenu ministre de la guerre, fit rappeler une grande partie des troupes de Syracuse, en persuadant au roi que, pendant qu'on attendait le résultat des négociations entamées, il fallait suspendre les hostilités, se tenir strictement sur la défensive et augmenter les garnisons de Naples et des Calabres. Le général Clarv avait luimême l'intention d'abandonner la petite place de Milazzo, située dans la partie septentrionale de l'île, près de Messine, et d'en retirer la petite garnison de 1,500 hommes qui s'y trouvaient renfermés. Mais l'avis du généreux et chevaleresque Bosco avant prévalu, on lui confia un corps de 4,000 hommes avec de l'artillerie, et on l'envoya dans les premiers jours de juillet renforcer cette forteresse et réoccuper la ville. Le général Medici était alors à Barcellona avec sa forte colonne, et il y faisait des recrues pour les conduire à l'assaut de Milazzo et de Messine (1). Ainsi, vu la proximité de ces deux corps de troupes impatients d'en venir aux mains, il devenait très difficile d'éviter une rencontre. Le combat s'engagea en effet le 16 juillet avec tant d'impétuosité tic la part des royaux et d'obstination de la part des Garibaldiens, que ceux ci complètement défaits, éprouvèrent des pertes immenses qui remplirent de deuil toute la Sicile.

(1) Milazzo situé à l'ouest de Messine en est distant de 27 milles: Barcellona de 30 milles du côté du S. O.

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Medici ne voulut pas publier les détails de ce combat, mais dans l'île on ne douta point du fait qui fut pleinement confirmé par les passagers de la Mouette et de Vlvoquois, et annoncé par une dépêche de Naples du 21 juillet. Les deux jours suivants, 17 et 18, des engagements se renouvelèrent, mais en légères escarmouches, Medici n'osant pas affronter une seconde bataille sans de nouveaux renforts, et Bosco n’ayant pas l'intention de l'ai laquer, occupé qu'il était du soin de fortifier et de défendre Milazzo. Medici en profita pour annoncer dans de vaines dépêches l'entrée de Bosco à Milazzo comme une grande victoire. Il ne négligeait pas cependant de demander à Garibaldi de prompts et de vigoureux renforts.

L'ordre vint donc de Palerme, que les colonnes qui avaient marché par Girgenti et Cefalù eussent à rejoindre promptement celle de Medici. Puis, le 18 de ce mois, Garibaldi avant connu l'importance de l'affaire s'embarqua sur la City of Aberdeen, avec toutes les forces qu'il put réunir à Palerme, et il les distribua sur divers bâtiments h vapeur, parmi lesquels était le Veloce, dont le capitaine Anguissola avait depuis peu trahi son drapeau et passé à la révolution (1).

(1) Le 5 juillet, Anguissola après avoir conduit des troupes h Milazzo, fit prendre aux siens la direction de Palerme sous prétexte qu'il devait s'y rendre en qualité de parlementaire. Arrivé en radele même jour, ce traître fut conduit dans une barque génoise auprès de l'amiral sarde, avec lequel, parait-il, il s'était entendu d’avance. Peu d'instants après, une foule immense se pressait sur le vapeur napolitain: Garibaldi y haranguait les matelots pour les engager à la trahison et à la désertion; mais il seulement se rendirent k ses paroles, tous les autres au nombre de 138 demeurèrent fidèles à leur prince et furent renvoyés à Naples. Le Veloce se transforma en vaisseau pirate: il essaya, mais en vain, de capturer l'Elettrico; il parvint cependant à s'emparer de deux petits bâtiments de commerce l'Elba et le Duca di Calabria. — V. le Giornale Costituzionale de Naples au n° 135.

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A la même époque débarquait du même coté le général Cosenz, avec une colonne de soldats piémontais aguerris, qui disaient à tout venant — et rien n'était plus vrai en effet — avoir été envoyés par Cavour pour renforcer les troupes de Garibaldi, tandis que le même Cavour traitait d'alliance avec le roi de Naples. De cette manière, Garibaldi se vit devant Milazzo avec des forces supérieures à celles dont disposait Bosco, et en mesure de tenter l'assaut de cette ville. Le 20 juillet il assaillit donc les Napolitains. Le combat fut opiniâtre et sanglant. Les Garibaldiens furent plusieurs fois repoussés en désordre, et décimés par un massacre épouvantable hors des murs de Milazzo; et bien qu'ensuite les royaux aient dû céder au nombre et se retirer dans la ville, les Garibaldiens ne purent gagner du terrain que pas à pas, après une lutte terrible de deux journées entières, et en perdant la fleur des volontaires partis de l'Italie. Enfin, les troupes de Bosco, fatiguées d'un combat acharné et inégal, se retirèrent dans la forteresse, qui fut attaquée du côté de la mer par le Veloce, et du côté de la terre par les Garibaldiens. Les vaisseaux de Naples ne firent pas mine de défendre le fort et n'y apportèrent pas même les secours dont cette place avait besoin; et malgré cela, Bosco n'aurait pas certainement capitulé de sitôt. Mais le gouvernement de Naples avait depuis le 20 juillet pris la résolution, comme nous le verrons plus loin, d'évacuer la Sicile; le général recevait donc l'ordre de s'embarquer pour les Calabres avec toutes ses troupes. Et c'est ce que les Garibaldiens annoncèrent comme une brillante victoire. Garibaldi fut à peine maître de Milazzo qu'il y fit arrêter 39 personnes qui avaient pris part au combat en faveur du roi, et qu'il les fit aussitôt fusiller avec ce cruel sang-froid qui est l'indice d'une âme vile et corrompue.

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Un jour, après la capitulation de Milazzo, on y vit arriver Depretis que Cavour envoyait à Garibaldi, pour donner aux ambassadeurs de Naples une nouvelle preuve de la sincérité de ses intentions. Il fut bien reçu par Garibaldi, revêtu par lui de la charge et du titre de prodictateur, puis renvoyé à Palerme. Le vingt-six du même mois, Depretis rassemblait le sénat de cette ville, parlait du royaume d'Italie, de Rome choisie pour capitale de la nouvelle Italie, de Rome, à laquelle serviraient de couronne Palerme, Naples, Florence, Milan, Venise, Turin. Le 4 août, pour montrer au comte de Cavour le bon résultat de sa mission, il publiait le statut de Sardaigne, comme loi fondamentale de la Sicile et de tout le royaume d'Italie. De cette manière le commissaire piémontais annexait de fait la Sicile au Piémont, avant que le peuple eût donné son suffrage. Mais qu'importaient les vœux de la Sicile et de toute l'Italie? Il suffisait de la volonté des sociétés secrètes, pour qu'un État fût obligé de briser d'un coup la chaîne de ses anciennes traditions et de sacrifier son indépendance nationale b. un fantôme d'unité italienne, qui n'était au fond que la domination d'un Etat de la Péninsule sur les autres. Cependant un nuage venait obscurcir l'horizon du gouvernement subalpin. Après la conférence de Bade, où Napoléon avait assuré aux princes d'Allemagne que sa politique était étrangère à toute pensée d'agrandissement(1), et leur avait témoigné en même temps sa surprise de les voir si fermes dans la défense de l'intégrité de leur territoire (2), le cabinet prussien s'était de plus en plus rapprochée tel u i de Vienne: aussi conférence du 24 juillet, qui avait lieu ensuite à Trôplitz,

(1) Ceci ressort de la circulaire officielle envoyée à cette occasion, par le gouvernement de Prusse à tous ses agents diplomatiques près les cours étrangères.

(2) V. la corresp. de Vienne dans le Times, 5 juillet 1860.

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entre l'empereur et le régent, maintenant roi de Prusse, avait assez manifesté l'accord qui se rétablissait entre ces deux grandes puissances. La presse officielle de Berlin s'expliquait dans ce sens, et augurait que cette entrevue serait une nouvelle garantie pour la conservation de la paix publique et de l'équilibre général (î). Il parut dès lors certain, quoique les organes officiels de la Prusse n'aient jamais voulu l'affirmer positivement, que cette puissance avait alors promis son assistance à l'Autriche, toutes les fois qu'une nation étrangère attaquerait ses possessions d'Italie, en auxiliaire du Piémont. Quoi qu'il en soit, l'amicale entrevue de Trôplitz et les visites annoncées des autres princes d'Allemagne à l'empereur Joseph, inspirèrent de vives craintes au ministère Cavour, d'autant plus que l'Autriche commençait à prendre une attitude menaçante en Italie, et que le comte de Rechberg avait signalé aux grandes puissances les terribles conséquences que l'invasion de Garibaldi aurait pour la paix de l'Europe, le flot révolutionnaire qui se jetait sur Naples devant ensuite se porter sur Rome et Venise. Mi de Reichberg appelait donc l'attention de la diplomatie sur les grands armements du Piémont, qui n'avaient d'autre raison d'être qu'une menace d'agression contre l'Autriche. Bien qu'après cela le gouvernement autrichien déclarât que son intention n'était pas d'attaquer, mais seulement de se défendre à tout prix dans ses possessions d'Italie, il n'en faisait pas moins craindre que la révolution déchaînée sur tout le continent italien, n'amenât l'Autriche à franchir ses limites, pour arrêter le torrent avant d'en être débordée chez elle. Ce fut pour cela que Lord Russell, vers la fin de juillet, se montra si soucieux d'assurer aux puissances que la cour de Turin empêcherait à tout prix une reprise d'hostilités contre l'Autriche dans la Vénétie,

(1) V. la Gazette prussienne du 29 juillet 1860.

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et qu'il manifestait solennellement à la France et au Piémont les fermes résolutions du cabinet anglais à cet égard (1). Plus tard, par une dépêche à M. Fane, le ministre britannique adressait les mêmes communications à la cour de Vienne (2) et les renouvelait par sa fameuse dépêche du 31 juillet à Sir Hudson, lui recommandant d'engager le gouvernement piémontais à ôter à l'Autriche tout prétexte d'intervention dans les affaires d'Italie, parce que les effets en pourraient être fort pernicieux à la maison de Savoie. Lord Russell avait raison.

Le Piémont seul contre l'Autriche, après avoir perdu ses meilleurs régiments dans une campagne sanglante, aurait difficilement réussi à défendre ses possessions et à réaliser ses plans. Il fallait donc que le Piémont, avec sa politique ordinaire de l’hypocrisie, se montrât, en ce moment, innocent de toute complicité avec la révolution et même contraire aux machinations de ce parti.

M. de Cavour voulait seconder les vues de l'Angleterre et pensait d'ailleurs qu'il fallait donner à l'Autriche un gage de modération dans la question des Deux Siciles, et séparer à ses veux la cause du Piémont de celle de Garibaldi, pour ne pas augmenter ses appréhensions et ses soupçons. Il se décidait donc à faire auprès de Garibaldi une démarche, avant au moins l'air de lui déconseiller un débarquement sur le continent napolitain. Des les premiers jours de juillet! le gouvernement de Naples avait insisté pour que la Sardaigne imposât une trêve à Garibaldi, afin de négocier un traité d'alliance entre les deux États et de régler pacifiquement la question de Sicile:

(1) V. les dépêches de Lord Russell à Lord Cowley du 23 juillet et à Sir Hudson du 23, — et une seconde dépêche du 26 juillet à Cowley.

(2) V. la dépêche de Lord Russell à M. Fane du 21 août.

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il avait aussi demandé que, pendant cette trêve, les troupes de Garibaldi fussent confinées à Palerme et à Catane, et celles de Naples, à Syracuse et à Messine, et que, de plus, aucun secours ne fût envoyé du Piémont dans l'île (1). La France avait fortement recommandé au cabinet anglais de proposer et d’appuyer à Turin ce projet d’armistice, et elle avait espéré que, si John Russell déférait sincèrement à ce désir, M. de Cavour n'oserait pas s'y refuser (2). Mais la sincérité et les moyens efficaces de persuasion firent défaut à la proposition de Lord Russell 11 annonçait pourtant à Turin les recommandations qui lui venaient de la France; il ajoutait que le gouvernement britannique verrait volontiers une trêve se conclure en Sieile, et il adhérait aux pénibles conditions qu'on voudrait imposer au roi de Naples (5). Le gouvernement de Cavour, comme on devait s'y attendre, avait pris le chemin des tergiversations. Il avait exigé que le roi de Naples laissât les Siciliens entièrement libres de déterminer par eux mêmes leurs destinées futures, et il entendait (suivant ce qu'en pensait Elliot luimême) que les Siciliens pourraient se soumettre au Piémont; il avait en outre fait savoir que la cession de Messine serait pour Garibaldi la condition sine qua non d'un armistice; puis, en fin de compte et malgré tout, il affirmait que le gouvernement piémontais n'avait aucune influence sur le général Garibaldi, et que par conséquent il ne voudrait pas se charger

(1) V. la dépêche de Lord Russell à Sir Hudson du 9 juillet, et celle de M. Elliot de Naples (12 juillet) à Lord Russell.

(1) V. la dépêche de Cowley à Russell, datée de Paris 12 juillet et la réponse de Russell en date du 11.

(3) V. la dépêche de Lord Russell à Cowley, 14 juillet.

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de lui recommander une trêve avec Naples (1). Le roi François II, bien qu'il eut tout d'abord refusé l'abandon de la Sicile à la Sardaigne et le démembrement de la monarchie des Deux-Siciles (2), avait ensuite consenti à évacuer complètement l'île, pour lui laisser l'entière liberté de choisir le gouvernement qui lui plairait mieux, même en dehors de la maison des Bourbons; c'était pour le jeune souverain un dur sacrifice par lequel il espérait arriver à une confédération d'amitié avec le Piémont, d'où partaient les encouragements et les ressources de la révolution. Le commandeur de Martino avait fait notifier par un télégramme du 20 juillet aux cabinets de Paris, de Londres et de Turin, cette nouvelle résolution du roi, son maître. II avait l'espérance que le gouvernement sarde ne se montrerait plus opposé à un traité d'alliance (3). M. Thouvenel nourrissait le même espoir et regardait cette importante concession comme le plus sur moyen de contraindre la Sardaigne à adopter des mesures conciliatrices (4). C'est pourquoi, John Russell, pour justifier la conduite du cabinet anglais devant la France et les puissances d'Allemagne, comme aussi pour témoigner sa volonté de seconder en quelque façon les désirs de la cour de Naples, dont lui avait fait part le marquis de la Greca, envoyé extraordinaire de François II (3), c'est pourquoi, dis-je, le ministre anglais adressa à Turin la note qu'il avait expédiée à Paris. Dans cette note, il exposait les graves dangers vers lesquels marchaient l'Italie et l'Europe par suite des progrès de la révolution,

(1) V. les dépêches de Lord Russell citées plus liant.

(2) V. la dépêche de M. Elliot à Lord Russell, datée de Naples 13 juillet.

(3) V. la dépêche de M. Elliot a Lord Russell, datée de Naples 22 juillet.

(4) V. la dépêche de Lord Cowley à Lord Russell, Paris 22 juillet.

(5) V. la dépêche de Lord Russell à Sir Hudson, 23 juillet.

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et il recommandait à M. de Cavour d'empêcher de tout son pouvoir la continuation des hostilités en Sicile (1). Cavour, qui comprenait très bien les intentions de l'Angleterre, interprétées par Sir Hudson, se prêta de bonne grâce à la comédie, pour mieux couvrir, en face de l'Europe, tant qu'il ne serait pas en possession de la proie convoitée, la complicité de son gouvernement avec la révolution dont Garibaldi était le capitaine. Il faisait donc répondre à John Russell qu'il avait déjà persuadé au loi d'écrire à Garibaldi pour le détourner de toute expédition contre le continent napolitain (2). Mais Lord Russell, nous le répétons, n'avait pas été de bonne foi dans ses prétendues instances. Et, de fait, Garibaldi ne cessa pas de vanter le gouvernement anglais pour la protection qu'il en avait reçue, tandis qu'il criait fortement contre la France qui voulait entraver ses projets.

On avait cependant dépêché à Garibaldi en Sicile le comte Jules Litta Modignani, avec une lettre du roi, qui conseillait au dictateur de ne pas marcher contre le continent de Naples, de ne rien tenter contre les Marches et l'Ombrie et de ne pas y fomenter non plus l'insurrection, à cause des embarras considérables où cela mettrait le Piémont. Le roi lui promettait ensuite que François 11 consentirait à évacuer la Sicile, afin que le peuple pùt choisir en toute liberté et sans aucune pression la forme de gouvernement qui lui conviendrait le mieux; ajoutant que, pour lui, il verrait avec peine les Siciliens demander un gouvernement à la dynastie régnante des Bourbons. Du reste, il se réservait en tout cas le droit d'agir dans la question de Sicile.

(1) V. la dépêche de Sir Hudson îi Lord Russell, eu date de Turin, 27 juillet.

(2) V. la note précédente.

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A cette lettre Garibaldi fit une réponse respectueuse envers son souverain; mais il refusa complètement de souscrire à ses désirs. Il en donnait pour raison qu'il avait reçu une mission de l'Italie (c’est-à-dire des sociétés secrètes et de Cavour, qui avait usurpé la représentation des vœux de l'Italie), et que, cette mission accomplie, mais seulement alors, il déposerait tout pouvoir aux pieds de Sa Majesté (1). Tel était le résultat du voyage de Litta en Sicile et des deux envoyés de Naples à Turin, à qui M. de Cavour annonça officiellement la réponse de Garibaldi et par conséquent l'impossibilité d'établir une confédération (2).

D'autre part cependant le comte voulut donner à l'Autriche une nouvelle preuve que le gouvernement sarde demeurait étranger aux menées et aux complots des agitateurs révolutionnaires. Mais

«En évitant Charybde il tombait dans Scylla.»

Il montrait cette fois au monde entier qu'il aurait pu, s'il l'avait bien voulu, empêcher toutes les expéditions garibaldiennes. En effet, le bruit avant couru que l'Autriche ferait un cas de guerre de toute expédition révolutionnaire du Piémont dans les États du Pape (3), une dépêche de Paris enjoignait au gouvernement subalpin d'empêcher l'expédition que Bertani avait solennellement préparée à Gènes. A cette opposition inattendue, tout fut en mouvement; Ricasoli s'élança h Turin, Farini, alors ministre de l'intérieur,

(1) V. la dépêche de Sir Hudson à Lord Russell en date de Turin, 10 août. — V. encore la corresp. parisienne du Times, G août, qui s'accorde avec la dépêche de Sir Hudson.

(2) V. les dépêches de Sir Hudson ii Lord Russell, 10 et 12 août.

(3) V. la dépêche de M. Fane à Lord Russell en date de Vienne, 16 juillet. Dans cette dépêche M. Fane annonce que l'Autriche avait démenti les intentions menaçantes qu'on lui prêtait à l'égard du Piémont.

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vola à Gênes pour s'assurer, disait-il, que Bertani suspendrait le départ de l'expédition qui, sous le commandement de Charras, devait fondre sur les États pontificaux. Le fait est cependant que Farini conclut avec Bertani une convention, en vertu de laquelle ce corps de volontaires, pour sauver les apparences, suivant l'expression dont se servit alors un grand diplomate, devait quitter Gênes, prendre la route de la Sicile, et, après avoir touché à un port quelconque, revenir en arrière pour envahir les États romains (1). Le compromis étant signé et le comte Borromeo laissé à Gênes pour en surveiller l'exécution, Farini retourna à Turin. Il avait donné une nouvelle preuve de cette haute et sage politique qui dans le vocabulaire de toutes les nations s'appelle proprement: agir par voie tortueuse et hypocrite (2). Il publia donc, le 13 août, la circulaire suivante, adressée aux gouverneurs et aux intendants du royaume:

Turin, le 15 août 1860.

«Lorsque, il y a trois mois, les Siciliens se soulevèrent pour reconquérir leur liberté, et que le général Garibaldi vola à leur secours une poignée de quelques braves,

(1) V. Pianciani — Dell'andamento delle cose in ltalia. p. 151 et suiv. V. aussi la corresp. sicilienne du Times, en  août 1860. Voici d'après Pianciani les paroles que Farini adressa à Bertani: «Dans la situation actuelle de la diplomatie, le gouvernement ne peut pas attaquer le domaine du Pape, sinon il y aurait expédié ses k propres troupes. Allez donc, vous, dans un des ports delà Sicile: Ce voyage ne retardera l'expédition que de deux jours. Après avoir reçu de Garibaldi des secours et des conseils et l'avoir peut être déterminé luimême à prendre le commandement (des volontaires, vous le viendrez sur vos pas pour vous jeter sur le territoire du Pape.»

(2) V. l'ouvrage déjà cité de Pianciani, p. 135.

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l'Europe se remplit du bruit de ses victoires (1); toute l'Italie en fut émue et l'enthousiasme fut grand dans ce royaume où les institutions libres et les habitudes n'apportent aucun obstacle à la libre expression de l'opinion publique. De là les généreuses souscriptions et le grand nombre des volontaires qui partirent pour la Sicile. Si, en des temps moins troublés, on combla de louanges les nations qui donnèrent aide et encouragement à la délivrance d'un peuple étranger et si les gouvernements, en obéissant, pour ainsi dire, à l'autorité du sentiment public, permirent d'envoyer des secours en Amérique, en Grèce, en Portugal et en Espagne, qui comte battaient, à tour de rôle, pour leur liberté et pour leur indépendance, il y a lieu de croire que l'Europe civilisée sanctionnera, avec justice, la conduite tenue par le gouvernement du roi. Cette conduite trouve sa justification dans l'obligation qui incombe à celui ci de défendre toutes les prérogatives constitutionnelles de la couronne et du parlement, et dans le devoir, que lui imposent ses propres actes aussi bien que le sentiment public, d'agir comme le modérateur suprême du mouvement national. Oui, dis-je, le gouvernement a le devoir de modérer toute action irrégulière, d'encourager et de ramener à l'ordre toute ingérance illégitime dans les affaires de l’État, faite par des personnes qui n'ont pas la responsabilité morale et constitutionnelle qu'a le gouvernement envers la couronne, le parlement et la nation. Autrement, par les menées ou par les conseils de personnes sans autorité et sans respectabilité publique, l’État pourrait êtrdmis en danger et le sort de l'Italie en souffrir grandement. Et parce que, dans les États libres, l'ordre civil et la discipline résident plus dans l'opinion que dans la vigueur des lois,

(1) C’est-à-dire du bruit des trahisons obtenues par l'or du gouvernement sarde.

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le soussigné exige que vous donniez à la présente circulaire la plus grande publicité possible. Il a déjà déclaré plus d'une fois que le gouvernement ne pouvait ni ne voulait tolérer que, au dedans du royaume, on fit des préparatifs dans le but de porter la violence chez les États voisins; et il a ordonné d'user de tout moyen pour prévenir ces attentats imprudents (1). Il espère que l'opinion publique suffira pour les empêcher; mais, à tout événement, il confie aux autorités civiles et militaires la prompte exécution de ses ordres. Il leurre commande donc de nouveau de rechercher avec le plus grand soin, et de punir selon toute la rigueur des lois ceux qui, conspirant et agissant contre l'honneur national et la discipline milite taire, se font soutiens et promoteurs de désertion. Le soussigné avant à compléter l'organisation de la garde nationale mobile et les corps des volontaires de la garde nationale, ne peut permettre à d'autres de recruter des soldats. Enfin, le soussigné déclare que, si le gouvernement du roi accepte volontiers la coopération de tous les partis politiques, tendant à la liberté et à la grandeur de la patrie, il est d'un autre côté fermement résolu à ne se laisser dominer par personne qui n'ait pas l'autorité et la responsabilité du gouvernement, du roi et de la nation. L'Italie doit et veut appartenir aux Italiens et non au sectes» (celles du moins où ne se trouvent pas Farini et Cavour).

FARINI.

(1) Comme on le voit, il n'est question que des attentats imprudents et non pas des attentats dirigés contre le droit des gens.

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Cette circulaire de Farini est une nouvelle preuve de la complicité du gouvernement sarde dans l'expédition de Garibaldi, et en même temps de la crainte (¡ne lui inspirait le pouvoir toujours croissant du parti Mazzinien.

Cependant, à peine Garibaldi eut-il Milazzo, qu'il fit marcher vers le Gesso, qui est à 10 milles de Messine, la colonne de Fabrizii et d'Interdonato à laquelle il adjoignit la brigade du général Medici. Les troupes de Messine, après quelques escarmouches d’avant-postes, curent l'ordre de se retirer dans les forts, n'étant pas en force suffisante pour défendre toute la ville contre les nombreuses bandes garibaldiennes, et avant d'ailleurs reçu de Naples des ordres tout différents. Ce fut pour cela que le général Clary, après avoir conclu avec Medici une trêve de 5 jours, signa le 28 juillet, par ordre du ministre de la guerre, une convention pour 6 mois avec le général Garibaldi luimême. Cette convention portail que, pour éviter une nouvelle effusion de sang, les troupes royales abandonneraient aux Siciliens la ville de Messine et évacueraient en deux jours les forts Gonzaga et Castelluccio; qu'une commission de quatre officiers, dont deux de chaque camp, dresserait l'inventaire des canons et des munitions qui s'y trouveraient au moment de la consignation, et que tout ce matériel serait déposé dans une zòne neutre alors désignée. Les troupes royales conserveraient la citadelle, les forts de Biasio, de la Lanterna et du Salvadore, sous la condition expresse de ne pas endommager la ville de quelque manière que ce fut, à moins toutefois, que l'attaque ne partît des forts cédés dans Messiue ou qu'on essayât d'y construire de nouvelles fortifications. Tant que ces conditions seraient observées, la citadelle ne tirerait point sur la ville et ne commettrait aucun acte d'hostilité.

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La ligne de terrain parallèle et contigue aux deux zones militaires demeurerait neutralisée; mais on étendrait cette ligne h 20 mètres de plus autour de la citadelle. Les communications par mer resteraient libres de part et d'autre, et conséquemment les deux pavillons continueraient d'être respectés. Enfin on établissait que la ville serait obligée de fournir aux troupes royales tout ee qui serait nécessaire à leur entretien. Cette convention signée et étendue aux forteresses de Syracuse et d'Agosta, le général Clary renvoya sur le continent l'excédant de troupes qui n'était pas nécessaire à la défense des forts de Messine.

Une telle convention, qui fut encore une trahison du ministre Pinelli et une très grosse bévue de la cour de Naples, en même temps qu'elle garantissait la Sicile de tout acte d'agression de la part des royaux, permettait à Garibaldi de porter toutes ses forces sur le continent pour opérer la totale destruction de la puissance des Bourbons. Elle prépara ainsi la seconde période de la révolution par l'invasion des provinces napolitaines. Le roi François ne prenant conseil que de la bonté de son cœur la sanctionna; malheureusement son adhésion reposait sur la bonne foi du gouvernement de Turin et sur la diplomatie des puissances Européennes; or ses ministres abusaient de sa bonté et de sa loyauté pour consommer l'œuvre de la trahison la plus honteuse, la plus inouïe.

Chapitre XX.
LA RÉVOLUTION DE NAPLES ET LE COMTE CAVOUR — INVASION DE GARIBALDI DANS LES CALABRES.

Le comte Cavour, pendant qu'il tenait en haleine les ministres napolitains et que, par respect ou par crainte des grandes puissances, il faisait semblant d'insister pour que Garibaldi n'étendit pas au continent son mouvement insurrectionnel, préparait et organisait à Naples la révolution contre la dynastie régnante. Ses principaux agents étaient les émigrés qui, élevés à son école à Turin, s'étaient portés en foule dans la capitale du royaume des Deux-Siciles, pour mettre en pratique les leçons du grand homme d'Etat. C'étaient eux qui dirigeaient et gouvernaient à Naples l'opinion publique, eux qui rédigeaient et répandaient les journaux et les écrits annexionistes, qui donnaient cours à d'atroces calomnies contre le gouvernement et ses représentants les plus honnêtes, qui pavaient de l'argent du Piémont les lazzaroni de Naples, pour les détacher de leur souverain. Ils étaient eux mêmes sous l'action d'un comité, établi à Turin, dont avaient fait partie Poério et Scialoia comité tout dévoué aux ordres du comte Cavour et d'accord avec la société de l'Unité nationale, qui avait La Farina pour président. Mais le plus puissant agent de la révolution à Naples était Liborio Romano. Après le départ de Manna pour Turin, il avait pris en main le ministère de l'intérieur, pour abattre avec une bassesse sans pareille le roi, son maître, et. pour frayer la voie à l'invasion de Garibaldi.

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Liborio, par le moyen de Pouget et de Muratori, enrôlait pour la révolte les déserteurs de l'armée royale, et était résolu, si d'autres moyens n'avaient pas réussi, à se mettre à la tête de l'insurrection et à proclamer la chute des Bourbons (1). En attendant, Cavour travaillait à ce que le gouvernement qui serait formé à Naples fût composé de personnages entièrement vendus à ses idées et disposés à empêcher Garibaldi de prendre le pouvoir suprême ou de prétendre à la nomination des ministres; tant était grande la jalousie du noble comte à l'égard de l'ascendant qu'avait donné à Garibaldi le succès de ses expéditions. Ces projets de M. de Cavour furent dénoncés à l'opinion publique par le Movimento de Gênes, organe de Bertani, qui manifestait l'espérance que: «Garibaldi connaîtrait facilement, les trames de ce ministre et saurait de même s'en dégager.» En résumé, tout en favorisant l'entreprise de Garibaldi et en lui envoyant pour cela des hommes, des armes et de l'argent, et en corrompant dans le royaume de Naples des officiers et des hommes d'Etat, Cavour voulait que Garibaldi se restreignît au rôle d'instrument et n'acquît pas une puissance à entraver ses plans ambitieux. Cette réserve de M. de Cavour jette un grand jour sur l'histoire qui nous occupe (2).

Néanmoins, en même temps qu'il mettait à exécution ses funestes projets et qu'il travaillait activement à la ruine totale de la dynastie légitime, Cavour protestait diplomatiquement en faveur du roi François II,

(1) Ces faits et autres, qui mettent en évidence la conspiration de Liborio Romano, sont rapportés dans les lettres de Pouget et de. Muratori, publiées par l'lndipendente de Naples du 31 déc. 1860.

(2) Un grand nombre de correspondances publiées dans les journaux confirment ce que nous avançons: V. les corresp. du 25, 30 août et du 1er sept, dans le Times. V. encore la dépêche de Sir Elliot a lord Russell en date de Naples, 15 août 1860.

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et jusqu'à la retraite du roi à Gaëte et même après qu'il s'y fût renfermé, qualifiait solennellement de violation des lois internationales et d'usurpation l'œuvre de Garibaldi; avec une politique digne d'un païen, il donnait au malheureux prince l'assurance que jamais le gouvernement sarde ne. reconnaîtrait cette œuvre, ni la déchéance de la royale maison des Bourbons (1). Et cependant à ces traîtres éhontés, à ces offenseurs de la conscience publique de l'Europe, on ose donner le titre de grands diplomates, de ministres incomparables; on ose les signaler aux ovations des masses!! Ou nous avons perdu le sens commun, ou les temps du paganisme sont revenus parmi nous. —

Le roi de Naples, malgré la bonté de son naturel, qui l’éloignait du soupçon de perfidie, ne put en cet état de choses ignorer que la trahison s'était glissée dans les soutiens de sa monarchie et jusque dans les membres de sa propre famille; il s'aperçut que si l'Europe l'avait décidément abandonné, sa dynastie courait un danger imminent de tomber (2); il s'affligeait qu'on recommençât les hostilités en Sicile pendant les négociations de paix mises sur le tapis à Paris, à Londres et à Turin.

Cependant quelque peu encouragé par l'attitude que prenaient les puissances vis-à-vis de l'invasion de ses domaines de terre ferme, il faisait tous ses efforts pour empêcher l'écroulement de sa monarchie. Il ordonnait donc la mise en vigueur des lois constitutionnelles répressives de la presse licencieuse,

(1) V. la protestation du baron "Winspeare, que nous publions au chap. XXVII de cet ouvrage, la circulaire de Casella du 16 sept. 1860 (au chap. XXVI) et celle du 12 nov. dans le Times. V. en outre la corresp. parisienne du Times (8 oct. )

(2) C'est ce que François II écrivait à un diplomate romain qui communiqua la lettre au Pape. — Corresp. de Rome.

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il supprimait trois journaux effrontément hostiles à son gouvernement; dissolvait les comités électoraux dont le but était d'assurer l'élection des unitaires italiens; rappelait l'armée des Abruzzes et la concentrait autour de Naples; introduisait de grandes améliorations dans l'armée et dans la flotte; nommait à la direction du ministère de la marine, le commandeur Capecelaco; effectuait de nombreux changements de personnes dans les décastres administratifs; animait de sa présence les bataillons de la garde nationale; composait sa camarilla des hommes les plus estimés, et se montrait partout plein d'activité et de courage, en inspirant des sentiments de confiance et de respect à la population napolitaine. —

La capitale du royaume était alors tranquille, et jusqu'au débarquement de Garibaldi l'ordre n'avait pas été troublé dans les provinces; pourtant les comités et les clubs révolutionnaires étaient en grand mouvement et déployaient une énergie fébrile. Depuis le 19 juillet, ils avaient fait distribuer à l'armée une proclamation qui exhortait les soldats à trahir leur drapeau. D'un autre côté, ils agissaient par la crainte sur le peuple pour l'empêcher d'entraver la marche de Garibaldi, conformément à la tactique suivie en Sicile, et à cet effet, ils exagéraient la puissance du condottiere et de ses compagnons et en faisaient les géants de la fable. Saisis d'épouvante, les habitants de Naples fuyaient dans tous les sens: un tiers des commerçants de la rue de Toledo, craignant pour leurs propriétés, s'étaient mis sous le protectorat de quoique puissance étrangère: tout faisait prévoir à Naples l'imminence du débarquement de Garibaldi. On ne se trompait pas; des préparatifs de tout genre le devançaient dans la province de Messine et ne laissaient plus aucun doute sur les projets du dictateur.

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Dans ces terribles conjonctures, le roi de Naples avant vu manquer, par l'opposition de Lord Russell, la mission du marquis della Greca, et manquer aussi à Turin, par la duplicité de M. de Cavour, les négociations d'alliance que proposaient ses envoyés, fit appel au courage et à la fidélité de ses troupes et, avec les princes, ses frères, et avec le comte de Trapani, son oncle, il se mit à leur tête pour combattre la révolution et retenir le trône sur le penchant de l'abîme. Les troupes, on ne peut en disconvenir, aimaient leur prince; elles étaient en ce moment pleines d'enthousiasme et frémissaient d'indignation contre les audacieux rebelles; de sorte que la bande de Garibaldi aurait pu être battue et dispersée bien avant qu'il sut profiter des immenses approvisionnements militaires de la capitale et étendre ses opérations jusqu'aux rives du Volturno. Mais le roi de Naples aurait dû en ce moment chasser plusieurs de ses ministres, dénoncés comme traîtres par toute la presse catholique, priver du commandement tous les officiers suspects de trahison et s'entourer des plus fidèles; il aurait dû suspendre les formes constitutionnelles, proclamer sa dictature et suivre le conseil du comte de Chambord; peut-être alors eût-il sauvé son royaume des malheurs de cette invasion. Mais la bonté de son âme non encore habituée à pénétrer la malice et la perversité des hommes le trompa, son inexpérience des perfides détours d'une politique sans conscience le perdit.

Garibaldi cependant hâtait avec un grand éclat, ses apprêts pour l'envahissement des provinces de Naples; il recevait du Piémont, sur des navires anglais, des armes, des munitions et des canons de tout calibre; il organisait sa milice et formait ses plans d'attaque.

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Il avait depuis longtemps caressé le projet d'assaillir Naples, en même temps qu'il allumait la révolution dans les États du Pape au moyen des bandes préparées à Gênes et à Castelpucci (1). Ensuite, pour ce qui regardait Naples, il avait abandonné la pensée de tenter un débarquement près de cette capitale, où il avait connu qu'un soulèvement général ne serait pas chose facile. Le succès d'ailleurs n'avait pas couronné l'audacieux coup de main tenté le 13 août à Castellamare par le Veloce, qui essaya de capturer le vaisseau royal le Monarque. Garibaldi circonscrivit donc ses expéditions aux Calabres, jusqu'à ce que la révolution eût éclaté dans toutes les provinces du royaume. Il avisa la plage qui s'étend de Torre di Cavallo au Pizzo, comme la plus favorable à un débarquement, et se proposa de tenter un coup de main pour s'emparer du fort de la Frumana qui, avec celui de Scylla défend la route allant vers la plage du côté de Reggio. Le major Missori explora les lieux, et le 11 août Garibaldi y expédia, sous les ordres du même major, 200 hommes qui devaient donner l'assaut à ce fort: mais l'entreprise manqua, et ce détachement chercha abri sur le mont Sant'Angelo où il fut renforcé par quelques bandes de Calabrais insurgés. Une seconde expédition était projetée pour le 13, mais Garibaldi s'étant embarqué à l'improviste pour le golfe d'Orange en Sardaigne, où Bertani avait transporté de Gênes 6000 hommes, elle fut différée jusqu'à son retour. Garibaldi, après avoir inspecté l'important renfort, ordonna qu'il fût transporté en Sicile et employé à la conquête de Naples. il en détacha mille hommes qu'il dirigea sur Taormina à bord du Torino, bateau à vapeur de Sardaigne.

(1) V. le chap. XXIV où il est question de l'invasion des États Romains.

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Le 18 il arriva luimême dans l'île et donna aussitôt l'ordre d'embarquer toute la brigade Bixio de la division Tûrr, qui était campée au pied de l'Etna: c'étaient 3000 hommes qui allaient, à diverses reprises, être portés sur la côte méridionale des Calabres par le Torino et par le Franklin. Le dictateur voulut cependant conduire en personne cette expédition, qui descendit près de Melitto où elle fut reçue par 300 gardes nationaux accourus pour protéger le débarquement (1).

Mais dans un second trajet le Torino, chargé de 2000 hommes, toucha un banc de sable près du cap de Spartivento, où il put déposer à terre les hommes et les munitions; mais tous les efforts du Franklin, pendant 6 heures, ne parvinrent pas à le remettre à flot. Sur ces entrefaites, le général Piale, qui avait alors le commandement en chef des Calabres, faisait garder la ligne de Scylla, de Bagnara, de Pizzo et de Monteleone, sans se préoccuper de ce qui se passait sur la côte méridionale; il envoyait une colonne de 1500 hommes contre les 200 Garibaldiens qui avaient débarqué et se tenaient en sécurité sur la montagne, et il ne concevait aucune inquiétude au sujet des forces qui s'avançaient pour attaquer la ville de Reggio. Les vaisseaux de croisière disparaissaient à l'heure du débarquement et ils ne se montraient que lorsque la plage avait reçu tout le corps de l'expédition avec le matériel de guerre; les mêmes vaisseaux pourtant canonnaient et fracassaient le Torino échoué et devenu inutile à l'expédition. Qui ne voit par là que l'invasion des Calabres, comme celle de la Sicile, devait être l'œuvre de la trahison organisée, cette fois, et dirigée parles ministres de la guerre, de la marine et de l'intérieur?

(1) V. le premier bulletin de Garibaldi daté de Mellito.

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Cependant les journalistes en faisaient honneur à la bravoure de Garibaldi et composaient à sa gloire un roman de prouesses (lignes des anciens chevaliers; et John Russell avec les orateurs de son parti l'exaltaient en plein parlement.

A peine le héros eut-il rassemblé tout son corps d'expédition, qu'il envoya des agents dans toutes les provinces pour donner le signal de l'insurrection; rejoint ensuite par le détachement de Missori qui stationnait à Aspramonte, à 3 lieues de distance, il marcha contre Reggio. Cette ville, comme toutes les villes bâties sur la plage, s'étend plus en long qu'en large, bien qu'elle s'élargisse davantage sur les collines qui l'environnent et dominent la plage. C'est pourquoi Garibaldi partagea ses troupes en trois corps; il dirigea le premier, de quelques compagnies seulement, par la route du littoral, l'autre, sous la conduite de Bixio devait marcher vers le centre contre le pont de la Fiumara; il retint pour lui le troisième corps qui était le plus fort, afin d'assaillir la ville à droite du côté des collines. Le colonel Dumaz qui commandait cette place, laissant peu de compagnies dans la forteresse, avait pris position sur la Fiumara et aurait certainement pu s'y défendre, sans la trahison qui paralysait la résistance. En effet, au premier mouvement des Garibaldiens, les royaux se retirèrent sans combattre, abandonnant leurs positions de la droite et du centre; deux bataillons passèrent à l'ennemi (1) et l'accès clans la ville resta entièrement libre. A gauche, les troupes résistèrent un peu plus; mais, averties de ce qui se passait à la droite et au centre, elles prirent en niasse le chemin de San Giovanni.

(1) Celle désertion fut annoncée officiellement au corps diplomatique par le ministre de Martino.

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Telle fut la première victoire que Garibaldi remporta dans la Calabre ultérieure; elle ne lui avait pas coûté un kilogramme de poudre; la flotte, qui aurait pu arrêter sa marche, se contenta de tirer quelques coups pour dire qu'elle avait fait son devoir et, Garibaldi une fois dans Reggio, elle ne l'inquiéta plus du tout. Le 21, l'assaut fut donné au fort. Après une légère résistance qui coûta quelque hommes au dictateur, la garnison arbora le drapeau blanc et capitula en abandonnant aux assaillants les immenses provisions que le fort ¿enfermait. Elle obtint seulement de pouvoir partir avec armes et bagages (1). —

Au premier coup de canon entendu de Reggio, Cosenz exécutait, avec 90 barques, une nouvelle descente dans les Calabres et prenait possession des hauteurs de San Giovanni; quelques bataillons postés aux forts de Pizzo, furent trahis par le général Briganti et, entourés par les Garibaldiens: ils se rendirent à discrétion: de cette manière Villa San Giovanni tomba le 23 août entre les mains de l'ennemi. Le camp de Piale se débanda en criant à la trahison; plusieurs généraux furent désignés comme traîtres, nommément Piale, Melandez et Briganti; mais ce dernier pava pour tous: le 2o août, un des régiments de la brigade de Piale qui bivouaquait à Mileto, le mit en pièces à coups de baïonnettes, en criant au traître qui les avait vendus à trois carlins (1 fr. 23 c.) par tête. Dans un tel état de choses quelle résistance les milices royales pouvaient-elles opposer à la marche de Garibaldi? Déconcertées parles méchants artifices de leurs chefs, une partie se dispersa, une partie se rendit de désespoir ou de connivence à Garibaldi; le reste chercha un refuge à Avellino.

(1) Ce récit est en grande partie emprunté à la correspondance napolitaine du Times; seulement nous y avons rectifié quelques détails sur la foi de nos renseignements privés.

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Ainsi disparut le camp de Monteleone et toutes les Calabres devinrent la proie des envahisseurs. En même temps la Basilicate s'insurgeait et le gouvernement de Potenza proclamait la souveraineté de Victor Emmanuel, attaquait 400 gendarmes préposés à la garde de la ville, leur coupait la retraite et les forçait à se rendre. L'insurrection allait se propageant dans la Fouille; elle s'insinuait dans les Abruzzes et, au commencement de septembre, elle manifestait ses premiers mouvements dans la Terre de Labour, au nord de la capitale du royaume. La troupe trahie et mal conduite se débandait de toutes parts et jetait ses armes, en maudissant ses chefs et en leur jurant une trop tardive vengeance.

Chapitre XXI.
ÉTAT DE NAPLES AU MOMENT DE L'INVASION DES CALABRES. PROTESTATION ET DE PART 
DE FRANÇOIS II. ENTRÉE DE GARIBALDI DANS LA CAPITALE DU ROYAUME.

Le roi François II, depuis le moment où Garibaldi mit le pied dans les Calabres, ne se dissimula pas que l'œuvre de la trahison allait se consommer entièrement. Il ne laissa pas cependant d'agir en ces extrémités, comme il convenait à un prince légitime dans la pleine possession de ses droits. Le 20 août, il décrétait la prorogation des collèges électoraux jusqu'au 30 septembre, et de l'ouverture du parlement jusqu'au 20 octobre. Le lendemain, il protestait, en face de l'Europe, contre les actes d'usurpation commis par Garibaldi en Sicile au détriment de sa souveraineté, et il déclarait ne vouloir reconnaître aucune des conséquences qui suivraient les mesures adoptées dans l'île (1). D'autre part, il concentrait entre Capone et Gaëte, un corps de troupes qui lui étaient restées les plus fidèles; il formait un camp à Salerne, sous le commandement des généraux Bosco et Barbalonga; il en établissait un troisième à Avellino, pour enfermer comme dans un cercle de fer la capitale du royaume. Les soldats n'avaient pas perdu leur courage et paraissaient résolus à se sacrifier pour leur souverain, ainsi qu'ils le firent en réalité à Capoue et à Gaëte. Mais les sociétés secrètes et l'or du Piémont avaient acheté un grand nombre d'officiers qui avilissaient aux veux de l'Europe l'armée napolitaine.

(1) V. Cette protestation de François II dans l'Appendice de ce chapitre.

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Le général Pianelli, qui déployait ces jours là une très grande activité, donnait des ordres et disposait les troupes de façon à les rendre incapables d'opposer une résistance sérieuse (1). Liborio Romano, ministre de l'intérieur, se rendait le 22 août, travesti en Garibaldien, à bord du yacht d'Alexandre Dumas, pour y avoir avec lui ci avec Pouget et Muratori un long entretien, destiné à arrêter les moyens qui consommeraient plus vite leur perfidie; puis il cherchait un asile auprès de l'amiral anglais, résolu qu'il était de se jeter dans le parti de l'insurrection, si François II n'avait quitté Naples dans 3 jours (2). Tels étaient les ministres qui devaient repousser la révolution et soutenir la monarchie des Bourbons.

La capitale cependant n'offrait plus aucune apparence d'ordre. L'état de siège, promulgué pour y maintenir la tranquillité, n'était point observé; les journaux garibaldiens y étaient publiés avec une effronterie sans pareille; on répandait solennellement le portrait du dictateur; la garde nationale, qui se composait en grande partie d'annexionistes, insistait pour le licenciement des bataillons Bavarois, suivant la proposition de Pianelli et de Liborio: elle protestait qu'elle ne souffrirait pas que, par la faute de ces étrangers, la ville de Naples fût arrosée de sang national; elle ajoutait qu'à cette condition seule, elle ferait son devoir et garantirait l'ordre public. Plusieurs officiers, surtout  de la marine, demandaient leur congé et donnaient leur démission; les employés du gouvernement étaient changés par centaines; tout enfin respirait désordre et confusion.

(1) Garibaldi (Mail à Naples lorsque les colonnes de Barbalonga occupaient encore les hauteurs de Salerne.

(2) V. les lettres de Pouget et de Muratori que nous avons citées plus liant d'après l'Indipendente de Naples du 31 déc. 1860.

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Pourtant, au milieu de cet imbroglio général, 1500 bersaglieri piemontais avant débarqué pour appuyer la révolte, la garde royale les reçut avec un feu si vif qu'elle les obligea de se rembarquer. Cavour cependant ne restait pas inactif; il avait expédié déjà, sur des vaisseaux de la flotte sarde, 3000 hommes, tout prêts à débarquer, pour assurer le triomphe de la révolution sur laquelle il avait si souvent déclaré n'avoir aucune espèce d'influence.

Cependant le jeune monarque qui voyait tout en dissolution et en ruines autour de son trône, ne s'abandonna pas luimême, et ses sentiments restèrent supérieurs à sa destinée. Il avait supporté avec fermeté d'àme, l'abandon de ses propres parents qui s'étaient jetés du côté de ses ennemis; il avait noblement repoussé la lâche proposition que lui avait faite le comte de Syracuse, de renoncer au trône et de délier ses sujets du serment de fidélité, comme avait fait la duchesse de Parme (1); puis, avant convoqué ses généraux, il rejetait de même le conseil d'abandonner la capitale, et se rangeait à l'avis de Bosco, qui l'exhortait à demeurer ferme à Naples et à se mettre à la tète de ses troupes; toutefois il assurait au corps diplomatique et aux chefs de la garde nationale qu'il n'ordonnerait jamais un bombardement général de la ville, mais seulement

(1) La lettre du comte de Syracuse publiée clans tous les journaux est datée du 24 août. Elle porte le cachet de cette ignoble hypocrisie qui caractérise la politique de Cavour. Ainsi, le comte de Syracuse mettait le comble aux trahisons et aux scandales, dont l'affligeant spectacle désolait depuis si longtemps le royaume des Deux Siciles; mais Dieu le frappa de sa main vengeresse et l'appela devant son tribunal pour rendre compte de ses forfaits.

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sur les points où se serait engagé le combat (1). Mais ses ministres, soit parce qu'ils voyaient l'œuvre de leurs trahisons accomplie, soit parce qu'ils jugeaient inutile tout ce qu'ils pourraient faire pour prévenir l'écroulement de la monarchie, déposèrent leurs portefeuilles. Le commandeur de Martino luimême, en l'honnêteté duquel le jeune roi avait mis sa confiance, vint ces jours là lui offrir la démission de son ministère. Ce dernier coup émut profondément l'âme du monarque, et dans son angoisse il répondit: «Vous m'abandonnez donc tous?» L'accent pénétrant de cette question alla droit au cœur du loyal ministre qui ne trouva pas un seul mot pour insister.

A mesure cependant que le danger de l’État paraissait plus imminent, l'indignation des troupes restées fidèles croissait à proportion; le souverain prévoyait donc de quels terribles combats sa belle capitale serait le théâtre, des scènes de sang et d'extermination s'offraient à son esprit; il contemplait d'un regard épouvanté les massacres et les atrocités, dont une soldatesque sans frein et un peuple en révolte allaient, dans leur fureur, désoler la ville, que les étrangers ont appelée le paradis terrestre; à cette vue, le bon roi décidait de tout sacrifier plutôt que de voir ces scènes d'horreur désoler sa ville natale. Le o et le 6 il convoqua ses ministres et ses généraux et, sur l'avis de la majorité, il résolut d'abandonner Naples, En conséquence, à l'exception de 4000 hommes laissés à la garde de la capitale, il ordonnait à toutes ses troupes de marcher du côté de Capoue. C'est là, sur les bords du Volturne, qu'il se proposait d'écraser l’hydre révolutionnaire pour retourner ensuite dans sa capitale et doter son peuple d'institutions vraiment libérales et civilisatrices. Avant de partir, il publiait la protestation suivante qu'il fit signer par son ministre.

(1) Ce détail est officiel. V. le document n° 2 dans l'appendice de ce chapitre, à la lin du volume.

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FRANÇOIS II.

«Depuis qu'un hardi condottiere, avec toutes les forces dont l'Europe révolutionnaire dispose, a attaqué nos domaines en invoquant le nom d'un souverain d'Italie, notre parent et ami, nous avons, par tous les moyens en notre pouvoir, combattu pendant cinq mois pour l'indépendance sacrée de nos États. Le sort des armes nous a été contraire. L'entreprise audacieuse que ce souverain protestait de la manière la plus formelle ne pas vouloir reconnaître et qui pourtant, pendant le cours des négociations tentées pour établir un accord intime, recevait, surtout dans ses États, secours et appui; cette entre prise, à laquelle toute l'Europe, après avoir proclamé le ce principe de non-intervention, assista indifférente, nous ce laissant seuls lutter contre l'ennemi de tous, est sur le ce point d'étendre ses tristes effets jusque sur notre capitale; les forces ennemies n'en sont plus qu'à une faible ce distance.

«D'autre part, la Sicile et les provinces du continent, de ce longue main et de toutes manières travaillées par la révolution, dont la pression les a soulevées, ont formé des ce gouvernements provisoires au nom et sous la protection ce nominale de ce souverain, et elles ont confié à un ce prétendu dictateur l'autorité et le plein arbitre de leurs ce destinées.

«Fort de nos droits, fondés sur l'histoire, sur les engagements internationaux et sur le droit publie européen, tandis que nous comptons prolonger, autant qu'il nous sera possible notre défense, nous ne sommes pas moins décidé à n'importe quel sacrifice pour épargner les horreurs d'une lutte et de l'anarchie à cette vaste métropole, siège glorieux des plus anciens souvenirs, berceau des arts et de la civilisation du royaume.

— 336 —

«En conséquence, nous sortirons avec notre armée hors de ses murs, nous confiant dans la loyauté et dans l'amour de nos sujets pour le maintien de l'ordre et du respect dû à l'autorité.

«En prenant une pareille détermination, nous sentons cependant en même temps le devoir que nous dictent nos droits anciens et inviolables, notre honneur, l'intérêt de nos héritiers et successeurs, et plus encore celui de nos bien aimés sujets; et nous protestons hautement contre tous les actes jusqu'ici consommés et contre les événements qui se sont accomplis et qui s'accompliront à l'avenir. Nous réservons tous nos titres et toutes nos raisons émanant des traités et des droits sacrés et incontestables de succession. Nous déclarons solennellement tous les événements et tous les faits mentionnés nuls, illégaux et sans valeur, remettant pour ce qui nous retegarde, dans les mains de Dieu tout puissant, notre cause et celle de nos peuples, dans la ferme assurance de n'avoir pas eu, pendant le temps si court de notre règne, une seule pensée qui n'ait été consacrée à leur bien et à leur bonheur. Les institutions que nous leurs avons irrévocablement garantiesen sont le gage.

«Cette protestation sera transmise à toutes les cours, et nous voulons que, signée par nous, munie du sceau de nos armes royales et contresignée par notre ministre des affaires étrangères, elle soit conservée dans nos royaux ministères d’État, des affaires étrangères, de la présidence du conseil des ministres et de grâce et justice, comme un monument de notre constante volonté d'opposer toujours la raison et le droit à la violence et à l'usurpation.

«Signé: François.

«Contresigné: Jacques de Martino.

«Naples, 6 septembre 1860.»

— 337 —

Le même jour fut affichée à Naples la proclamation qui suit, dans laquelle le jeune prince s'adressait directement à son peuple.

«Parmi les devoirs prescrits aux rois, ceux des jours d'infortune sont les plus sacrés et les plus solennels, et je veux les remplir avec une résignation exempte de faiblesse, l'âme sereine et confiante, comme il convient au descendant de tant d'illustres monarques.

«Dans ce but, j'adresse encore une fois la parole au peuple de cette métropole, dont je dois à présent m'éloigner avec douleur.

«Une guerre injuste et contraire au droit des gens a envahi mes États, bien que je fusse en paix avec toutes les. puissances européennes.

«Le changement des ordres gouvernementaux, mon adhésion aux grands principes nationaux et italiens ne suffirent pas pour l'éloigner; bien plus la nécessité de défendre l'intégrité de l’État a entraîné derrière elle les v. événements que j'ai toujours déplorés. Je proteste donc solennellement contre ces inqualifiables hostilités que les siècles présents et futurs jugeront.

«Le corps diplomatique résidant près de ma personne a su, depuis le commencement de cette étrange invasion, a de quels sentiments mon âme était remplie pour mes peuples, et pour cette illustre ville; j'ai promis de la garantir de la ruine et de la guerre, de sauver ses habitants et leurs propriétés, les temples sacrés, les monuments, les établissements publics, les collections d'art, tout ce a qui forme enfin le patrimoine de sa civilisation et de sa grandeur: tout cela doit passer aux générations futures et comme tel triompher des passions du jour.

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«L'heure de tenir cette parole est désormais arrivée. La guerre approche des murs de la ville, et c'est avec une douleur ineffable que je m'éloigne avec une partie de mon armée, pour me rendre là où la défense de mes droits m'appelle. L'autre partie demeure pour contribuer, de concert avec l'honorable garde nationale, à l'inviolabilité et à la sécurité de la capitale, que je recommande au zèle du ministère comme un palladium sacré. Et je demande à l'honneur et au civisme du syndic de Naples et du commandant de cette même garde citoyenne, d'épargner à cette patrie si chère, les horreurs des désordres intérieurs et les désastres d'une guerre imminente; et, à cet effet, je concède à ces derniers tous les pouvoirs nécessaires et les plus étendus. Descendant d'une dynastie qui, pendant cent vingt-six ans régna dans ces contrées continentales, après les avoir sauvées des horreurs d'un long gouvernement de vice-rois, toutes mes affections sont ici. Je suis Napolitain, et je ne pourrais, sans d'amers regrets, adresser des paroles d'adieu à mes bien aimés peuples, à mes compatriotes.

«Quelque soit mon destin, heureux ou malheureux, je leur conserverai toujours de profonds et affectueux souvenirs. Je leur recommande la concorde, la paix, la sainteté de leurs devoirs nationaux. Qu'un zèle immodéré pour ma couronne ne devienne pas un motif de troubles.

«Soit que, par le sort de la guerre présente, je revienne bientôt parmi vous, soit qu'il plaise à la justice de Dieu de me rendre dans un temps plus éloigné le trône de mes ancêtres, devenu plus splendide encore par les institutions libres dont je l'ai irrévocablement entouré, ce que j'implore, dès à présent, c'est de revoir mes peuples unis, forts et heureux.

«Signé: François II.

«Naples, le 6 septembre 1860.»

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Cette noble et touchante proclamation dut aller au cœur des Napolitains. Les honnêtes familles en pleurèrent dans l'intimité du foyer domestique; le peuple, et surtout les femmes, qui en de telles conjonctures sont ordinairement le sexe le plus courageux parce qu'il est le plus faible et le plus dégagé d'influences, manifesta publiquement sur la place du palais royal de vifs sentiments de douleur et de regret. Le roi fut attendri des plaintes et des sanglots de ses bons Napolitains; il les fit encourager par l'espoir d'obtenir du secours de ce Dieu qui protège le droit et la justice. Une réaction énergique n'était cependant pas possible alors, parce que toute la force était entre les mains des traîtres et des partisans de Garibaldi qui, sous le prétexte de maintenir l'ordre, étouffaient toute démonstration en faveur des Bourbons.

Cependant François II, avant de partir, avait voulu faire transporter à Gaëte et à Capoue tous les canons ravés; mais le général Pianelli, chargé de cet ordre, ne put se résigner à priver Garibaldi de ces belles pièces d'artillerie, et lui en laissa 70, tandis qu'il affirmait au roi que ses instructions avaient été complètement suivies. François II voulait encore mettre sa flotte à l'abri des pirates garibaldiens, et il avait ordonné de la conduire à Trieste; mais les ministres et les commandants des vaisseaux, qui voulaient en faire un don à Garibaldi, s'opposèrent à l'exécution de ce projet; alors le roi avait ordonné à la flotte de le suivre à Gaëte; mais à l'exception d'un seul bâtiment, tous les autres s'obstinèrent à demeurer dans le port de Naples (1).

François II, avec son épouse, ses frères et son oncle François de Paule, accompagné de la plupart des ambassadeurs et de deux seulement de ses ministres, savoir de Martino et Spinelli, s'embarqua le 6 septembre, à 8 heures du soir, pour Gaëte sur un bâtiment espagnol.

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«Un matin, dit à ce propos le colonel Pianciani, Naples en s'éveillant vit un vapeur qui prenait le large; elle demandait ce que c'était, et on lui répondait que François II s'éloignait de sa capitale avec une partie de sa famille. — Mais qui lui a fait abandonner son trône? Serait ce son peuple? Non, ses plus proches parents, qui avaient été des premiers à lui jurer fidélité, les généraux qu'il avait le plus favorisés, «les grands cordons de ses ordres, en un mot ses propres «créatures, celles qui lui devaient honneurs et fortune (1).»

C'était en effet parmi ces personnages que M. de Cavour avait ouvert le grand marché de la perfidie et versé le trésor des finances de Sardaigne. Il avait dépensé 3,000,000 de ducats pour la conquête de la Sicile; à Naples, avant l'entrée de Garibaldi, il avait expédié 6,000,000 de ducats, destinés à corrompre les officiers royaux et civils, les commandants de terre et de mer.

(1) Des lettres écrites de Naples en date du 8 septembre et publiées dans un grand nombre de journaux, ont prétendu que l'amiral sarde avait menacé de faire feu sur tous les bâtiments napolitains qui auraient fait mine d'appareiller pour Gaëte. Une dépêche de Marseille du 11 confirma ce fait.

(2) V. Pianciani, ouv. cit. page 117.

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Ce fut une chose notoire et jamais démentie, que les agents piémontais empruntèrent aux banquiers de Naples, pour le compte du Piémont, 4,800,000 ducats, à 8 et à 12 pour cent, et qu'avec cet argent ils pavèrent largement les employés qui devaient proclamer le règne de Victor Emmanuel!! Ces faits bien connus ont été solennellement attestés par le marquis de Normanbv, dans la séance du 1 mars à la Chambre des Communes.

En cet état de choses, Garibaldi avait marché au commencement de septembre de Palmi vers Salerne, s’appuyant à sa droite sur la colonne du général Cosenz, pendant que Tùrr, s'embarqua lit avec une brigade à Sapri,dans la province de Salerne. Cependant, à quelques milles de Salerne, s'insurgeait la commune de Sala; la brigade Caldarelli, trahie par ses officiers, se rendait à discrétion; le général Bosco, gravement malade, était forcé de quitter le camp et de se retirera Naples, en laissant à Barbalonga le commandement des troupes de Salerne qui, malgré les fortes positions qu'elles occupaient, ne pouvaient empêcher la marche de Garibaldi (1). Celui ci écrivait le 2 septembre au comité de Naples, qu'il y ferait son entrée entre le 7 et le 8 du même mois. Aussi, dans la soirée du 6, après le départ de François II, il se tint un conseil dans la maison du préteur de Naples, et le général Desauget, deux fois traître à son roi, y fut présent. Le lendemain le préteur et Desauget allèrent à Salerne pour recevoir Garibaldi et l'introduire dans la capitale du royaume.

(1) Pianelli qui s'était vendu au Piémont pour la somme de 100,000 ducats, en bonne monnaie, avait eu soin de répartir les troupes de Salerne de façon à laisser un passage libre aux bandes garibaldiennes.

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Liborio Romano demeurait à Naples pour attendre le dictateur, et lui adressait par écrit l'invitation suivante, au nom de tout le peuple napolitain qu'il prétendait alors représenter:

A l'invincible général Garibaldi, dictateur

des Deux Siciles, Liborio Romano.

«Naples attendait votre arrivée avec la plus vive impatience pour vous saluer rédempteur de l'Italie, et déposer entre vos mains les pouvoirs de l’État et ses propres destinées. Dans cette attente, je resterai ferme à mon poste pour la défense de l'ordre et de la tranquillité publique. Vos paroles que j'ai déjà fait connaître au peuple sont le gage le plus assuré du succès de vos entreprises.

«J'attends vos ordres ultérieurs et suis avec un respect sans bornes, de vous, dictateur très invincible, le très.... etc.

«Liborio Romano.

«Naples, 7 septembre 1860.»

Cependant le jour où eut lieu l'entrée de Garibaldi, Naples avait changé considérablement son aspect ordinaire de vie et de gaieté. La ville semblait frappée de terreur et avait l'aspect d'un sépulcre; les affaires étaient suspendues et les boutiques fermées, les maisons closes, les palais déserts; la noblesse avait quitté en foule la capitale, pour se réfugier à Rome, à Paris et à Vienne (1);

(1) Ces détails se trouvent confirmés par les correspondances du Morning Post et du Morning  Chronicle  en date du 20 sept.; par celle du 18 sept, adressée au Times; par une lettre écrite de Naples à M. George Bowyer et insérée dans le Tablet du 6 oct. 1860. etc. V. encore deux correspondances de Naples en date du 8 sept, publiées par le Monde dans ses n» du 15 et du 15 sept.

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pas une calèche dans les rues où fourmillent d'ordinaire des voitures de toute forme; pas une personne de la bonne société sur la voie publique; mais seulement une populace composée en majeure partie de curieux avec une poignée d'annexionistes et de Piémontais (1). Parmi cette multitude se trouvaient néanmoins, suivant des correspondances authentiques, quantité de gens très résolus à faire une forte démonstration en faveur du prince légitime; mais ou ils n'en eurent pas l'occasion favorable, ou ¡¡s fuient intimidés par la crainte d'une nouvelle espèce de libéraux qui prétendaient graver de nouveaux sentiments dans le cœur des peuples avec la pointe du poignard. Garibaldi arriva h Naples par le chemin de fer de Castellamare et y entra en calèche découverte, avant à ses côtés le major Windham; l'un et l'autre portaient la chemise rouge et le chapeau conique de certains brigands. Deux ou trois carrosses suivaient pleins de Garibaldiens qui, armés de fusils et de poignards, criaient: «Vive Garibaldi!» La plèbe qui entourait ces voitures poussait des cris élevés où retentissait le nom du triomphateur défiguré de mille façons, mais le triomphe avait plutôt les apparences d'une bacchanale (2), que d'une fête populaire. Cette tourbe de furieux se porta avec un grand fracas à l'église cathédrale qui avait été fermée par ordre du cardinal archevêque et disposée comme pour un jour de Vendredi Saint; les portes en furent enfoncées, et en l'absence des prêtres, le Père Gavazzi, l'apostat, entonna le Te Deum, criant comme un fou à chaque verset: «Vive Garibaldi !» Le Te Deum achevé, Gavazzi bénit le peuple de la main droite, pendant qu'il agitait la gauche et criait:

«The crowd consisted of the lowest rabble, with a prinkling of men and women of the middle orders.» Times, 1. c.

«An insane multitude in prey to a Bacchanalian fury, which I should be sorry if 1 as able to describe.» — Times, 1. c.

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«Mort aux Bourbons!» De la cathédrale, le nouveau maître se, rendit au palais d'Angri et y dîna avec les siens. On fit ensuite défendre au peuple de parcourir les rues, sous prétexte que Garibaldi reposait. Le lendemain, 8 septembre, qui est le jour où se célèbre dans cette ville la fête de la Vierge de Piedigrotta, le dictateur voulut aller y faire sa visite, comme le pratiquaient chaque année les princes de Naples. Il y alla suivi de plusieurs moines et prêtres, écume de galériens, qu'il avait en cette occasion, ramassée dans les prisons de Nisida, pour s'en former un glorieux cortège (1). Le peuple assistait silencieux à cette scène ridicule, mais souverainement déplaisante. Cependant le poignard inaugurait le gouvernement de Garibaldi, à Naples; la révolution se hâtait déjà de révéler son caractère et son drapeau. Il suffisait ces jours là de ne pas répondre au cri de «Vive Garibaldi!» pour voir ces libéraux sicaires jouer du poignard homicide: plusieurs en furent frappés; on compta en une seule nuit jusqu'à 72 victimes; et ce sang ne suffît pas à étancher la soif de cette abominable faction; elle continua et continue encore ses assassinats dans ces malheureuses contrées devenues la proie des chemises rouges, emblème de sang (a).

Cependant, un des hommes les plus favorisés par la famille des Bourbons, le général Viglia, alors commandant de la place de Naples, rendait honteusement les forts à Garibaldi.

(1) Le correspondant du Times ne dit rien sur la qualité des prêtres et des moines qui accompagnaient Garibaldi: la lettre susmentionnée a M. Bowyer, d'accord en cela avec nos correspondances privées et celles des journaux français, nous donne sur leur compte tous les éclaircissements désirables. V. pour plus de détails le Monde du 15 septembre.

(2) V. la corrcsp. déjà citée du Morning chronicle et celles du Monde (17 et 18 mai 1860).

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La garnison licenciée se rendit en grande partie à Gaëte; mais celle du château Saint Elme ne voulut capituler qu'à la condition de pouvoir marcher tout entière en corps et avec armes et bagages, du côté de Gaëte; et ces braves s'avancèrent, en effet, au milieu de la foule, d'un air si intrépide et si résolu, que personne n'osa leur faire seulement un signe insultant (1). Le drapeau sarde n'en fut pas moins arboré sur tous les forts, et Garibaldi les envoya garder par 3000 Piémontais, qui se tenaient depuis plusieurs jours sur des vaisseaux sardes, en rade de Naples: il voulut cependant que le château Saint Elme fût livré à la garde nationale. Il décréta ensuite que tous les navires de guerre et de commerce appartenant à l’État des Deux Sieiles et les arsenaux avec leur matériel, fussent placés sous le commandement de l'amiral piémontais et fissent partie de la flotte de Sardaigne. II abolit le gouvernement provisoire, composa son ministère du général Cosenz à la guerre, de Liborio Romano à l'intérieur, de Pianelli à la justice, de Giacchi à la police et de Cesare aux finances. Giacchi et Romano avaient été ministres de François II, et on les récompensait ainsi d'avoir été les ignobles traîtres, qui avaient activement organisé la révolte en faveur du dictateur.

Au nombre des principaux décrets publiés par Garibaldi dans les premiers jours, furent ceux de la délivrance des prisonniers politiques (déjà amnistiés par François II); de l'abolition de toute zone douanière entre la Sicile et le continent de Naples, ainsi que des dépensières allouées aux ministères, de la fondation de douze asiles d'enfants pour la capitale, de l'interdiction de toute sépulture dans la ville, de l'introduction des jurys, etc.

(1) V. la lettre d'Edwin James au Times 14 sept. 1860.

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Le dictateur trouva aussi, au milieu de ses graves et importantes résolutions, le temps de s'occuper des Jésuites, pour abolir leur ordre, ce qui était un des principaux devoirs de sa mission. Il déclara biens nationaux toutes leurs propriétés mobilières et immobilières et annula despotiquement tous les contrats conclus par eux dans ces derniers temps. Ainsi ce régénérateur de l'Italie, égalé aux plus grands hommes, aux personnages les plus illustres et les plus bienfaisants de l'humanité, après avoir fermé douze collèges et lycées, et dix séminaires et pensionnats, où affluait une si nombreuse jeunesse, accourue de toutes les parties du royaume, pour y recevoir l'enseignement des belles lettres et s'y former à la pratique des vertus chrétiennes; après avoir aboli tant de congrégations qui inculquaient aux diverses classes du peuple les principes de la morale, jetait sur le pavé, sans leur offrir une obole, 409 Jésuites, qui tous, plus ou moins, avaient consacré leur vie au bien de ces populations (1). On ne leur épargna pas non plus, en cette occurrence, les outrages dont leurs frères de Sicile avaient été abreuvés. Dans quelques endroits,et notamment à Bénévent, leur maison fut assaillie par une bande garibaldienne; ils se virent arrachés à leur demeure sans pouvoir rien emporter,

(1) Le Piémont avait déjà tenu une conduite toute semblable à l'égard de ces mûmes religieux: il ne voulait accorder de pension qu'à ceux qui pourraient témoigner authentiquement de leur sortie de l'ordre. Et voilà ce qui, aux veux de ce gouvernement, s'appelle liberté de conscience!

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sans savoir où se retirer dans ce jour néfaste, et sans posséder aucun moyen de retourner dans leur pays natal. Tels étaient les débuts de ee régime tyrannique dont Garibaldi faisait l'inauguration en laissant à Cavour le soin d'y mettre la dernière main.


vai su


Chapitre XXII.
ÉTAT RELIGIEUX ET CIVIL DES DEUX SICILES A L'ÉPOQUE DE L'INVASION DE GARIBALDI. 
— CHANGEMENTS MINISTÉRIELS DANS L'ILE.

Ant d'allejilus Join dans notre pénible tâche, nous devons jeter un regard en arrière sur les terribles plaies que l'invasion garibaldienne fit aux Deux Siciles dans l'ordre religieux et dans l'ordre civil. Nous avons assez dit quel fut le caractère antireligieux de la révolution italienne qui, suivant les propres paroles du Souverain Pontife, dans son allocution du 13 juillet: «se propose de renverser de ses fondements, si cela se pouvait jamais faire, l’Église et sa doctrine salutaire, d'éteindre tous les sentiments de la foi chrétienne, de la vertu, de la loi naturelle elle même, de la justice, de l'honnêteté et de la probité, et d'en extirper les racines.» Quoi que puissent tenter les journaux révolutionnaires et les brochures du même parti, pour repousser cette accusation; et malgré ce qu'ils ne cessent d'affirmer, que la religion sera en Italie plus respectée et mieux défendue par le gouvernement de la révolution qu'elle ne le fut jamais:cette vérité, tombée des lèvres augustes de notre premier pasteur, a été mise en pleine lumière, et chaque jour en accroît l'évidence; et pas un homme de bonne foi ne saurait être d'un avis différent.

Du jour où Garibaldi mit le pied en Sicile, il s'aperçut que la foi catholique y était profondément enracinée; c'est pourquoi, dans l'unique intention d'assurer le dénouement de son entreprise, il voulut affecter, le plus possible,

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religion et piété, et il recommanda aux siens une extrême prudence à cet égard. Nos lecteurs ne pourront s'empêcher de rire quand nous leur dirons qu'un des moyens par lesquels le héros du jour s'étudia à séduire en Sicile le peuple des campagnes, les classes inférieures des villes et jusqu'aux nonnes ingénues, ce fut de leur faire accroire qu'il était un Saint! un homme intérieur!! en communication directe avec Dieu!! (Deus hujus seculi?), comparable aux plus illustres chefs du peuple d'Israël! !! Aussi, pour se montrer dévot (et plus encore pour inspecter les lieux), il fit le tour des monastères de Palerme; et tantôt il assurait n'avoir pas l'intention de molester les Vierges consacrées à Dieu, tantôt, se couvrant le visage de la main, véritable geste de comédie, il protestait contre la dure nécessité qui l'avait obligé à chasser les Jésuites, non sans en éprouver une vive peine de cœur; ici, il faisait de profondes révérences devant les images des Saints, il allait répétant, comme par parenthèse, aux nonnes qui le suivaient: «Et puis ils disent que je suis «excommunié!» là, dans un accès de tendre piété, il s'humiliait jusqu'à embrasser dévotement quelque religieuse infirme. Partout, usurpant des dehors et des propos d'ascétisme, il s'efforçait de soutenir le caractère d'homme de Dieu. Il voulut ensuite donner au peuple de Palerme un nouveau témoignage de sa dévotion, en répandant le bruit qu'il se rendait au Pellegrino uniquement pour vénérer le sanctuaire de la vierge ermite Rosalie, pour laquelle les habitants de cette ville ont une grande dévotion. Puis à l'occasion de la messe Pontificale, qui a coutume de se célébrer à la fête de sainte Rosalie, il se transformait en légat apostolique de la sainte Église romaine, pasquinade aussi digne de sa personne qu'injurieuse à ceux qui lui faisaient cortège. —

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Il montait en chemise rouge sur le trône royal érigé dans la cathédrale de Palerme et assistait en roi au sacrifice solennel, dégainant l'épée,comme d'habitude, pendant la lecture de l’Évangile; c'était, aux veux du peuple, jurer de défendre, au prix de son sang, la foi catholique qu'il était venu détruire. Par ces comédies et d'autres du môme genre, il jouait devant la multitude et pour les sots, le rôle menteur d'un homme pieux et religieux,tandis que, sous sa direction,ses partisans travaillaient à détruire tout sentiment de foi et de vertu chrétienne.

Pour nous convaincre de cela, il suffirait de jeter un regard sur l'un de ces journaux d'un baïoque, qui avaient la mission d'altérer les maximes religieuses du peuple et de pervertir son esprit. Ces journaux prêchaient les doctrines les plus opposées aux principes du christianisme et les erreurs les plus subversives de l'enseignement catholique. — Ils faisaient caricature des dogmes sacrés de la foi et repoussaient, avec une légèreté impie, celui de l'Immaculée Conception delà Vierge, devant un peuple qui, depuis des siècles, avait juré de verser son sang pour cette sainte crovance. Ils tournaient aussi les sacrements en dérision de la manière la plus injurieuse, surtout le sacrement de la Pénitence et de la Communion, et méprisaient sans retenue les lois de l’Église. Aux journaux venaient en aide une infinité de mauvais livres de tout genre, d'historiettes, de romans, de poésies, de catéchismes irréligieux, d'abrégés du protestantisme, d'almanachs obscènes et impies, toutes publications également légères et irréligieuses, mais toutes également efficaces à verser le venin le plus mortel dans le cœur du peuple abusé.

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On rendait familières et agréables aux masses, des doctrines et des maximes qu'elles n'auraient jamais dû connaître, si ce n'est pour les abhorrer. Les bibles de l'apostat Diodati arrivaient dans ce pays par milliers et le nouveau gouvernement en facilitait la propagation dans toutes les provinces, et toutes les communes de l'île étaient exhortées par les journaux à imiter sur ce point la capitale. Et, comme les écrits elles livres ne disent pas grand' chose à la foule ignorante et au bas peuple qui ne sait pas lire, on y suppléait au moyen d'images et d'estampes qui parlent aux veux et n'en répandent que plus vite le venin de l'erreur et du mensonge. Outre les gravures que publiait la Forbice, mauvais journal de Palerme, le Fischietto de Milan et d'autres feuilles de la même trempe en distribuaient une immense quantité aux Siciliens. Partout ces turpitudes illustrées venaient exposées à la curiosité du peuple et certains partisans de Garibaldi se chargeaient d'en expliquer la signification; tantôt c'étaient des prêtres et des religieux dans des attitudes grotesques et indécentes, et parfois même le Souverain Pontife et ses cardinaux; tantôt c'étaient nos saints mystères et nos dogmes figurés sous des emblèmes outrageants qui ne pouvaient que les faire mépriser ou mettre en oubli. Cependant les volontaires de Garibaldi, dont plusieurs étaient véritablement une lie infâme d'hommes animés d'une haine mortelle contre le Catholicisme, apportaient une large et diabolique coopération à l’œuvre impie dont nous parlons. Fouler aux pieds les saintes images, déchirer à coups de baïonnettes, dans l'église de Reggio le magnifique tableau de S. Ignace de Loyola, profaner dans cette ville et à Naples les pierres sacrées et les plus vénérables reliques? Affliger nos temples de monstrueux sacrilèges; c'étaient là des usages familiers à ces Mazziniens qui, en 1848, les avaient pratiqués à Rome sur une plus grande échelle.

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Leur langue était satanique; les blasphèmes qu'ils vomissaient contre tous les objets de notre vénération, eussent fait envie au prince des ténèbres; leurs expressions pour qualifier le chef suprême de l’Église respiraient une haine ignominieuse et frénétique; ruine et mort au Pape! voilà leur cri solennel.

Le peuple de Sicile, bien qu'il fût trompé et entraîné par tant d'attaques et d'allusions impies contre le Pape et son domaine temporel, et bien que, dans l'ivresse de la révolte, sa foi se fût grandement affaiblie, n'avait pas perdu le sentiment catholique, qui est le dernier à disparaître du cœur des peuples. Mais Garibaldi imaginait un moyen de corruption puissamment efficace. — 11 instituait à Palerme un collège qui aurait eu ses ramifications dans toutes les provinces; y rassemblait les enfants du peuple, et pour les avoir en plus grand nombre,faisait assigner à chacun d'eux 3 carlins (1 fr. 20 c.) par jour, qu'ils consommaient ordinairement dans le jeu et dans le vice. Il en confiait ensuite la direction à Mario, un vieux Mazzinien, qui déclara franchement «que l'éducation religieuse qui serait donnée à ces jeunes gens, ne serait pas tout à fait celle des prêtres catholiques et qu'on ne leur enseignerait pas ces momeries de confession, de communion, de pape etc., qu'on avait coutume d'insinuer à la jeunesse; mais que ce serait une instruction adaptée aux temps et aux nouvelles conditions de l'Italie régénérée.» Tel était donc le but de ces établissements d'éducation populaire, à savoir: de gâter dans son premier germe la foi catholique, de la déraciner entièrement du cœur des jeunes gens et de corrompre ainsi sans remède la nouvelle génération. Le gouvernement piémontais continuera maintenant cette importante mission qui lui tient fort au cœur, de décatholiser l'Italie.

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Pour ce qui concerne les ecclésiastiques et les évêques, Garibaldi et son gouvernement ne tardèrent pas à fouler aux pieds toute loi canonique; ils se jetèrent sur le patrimoine de l’Église, dévalisant d'abord, autant que possible, monastères, couvents, chapitres, ilienses épiscopales, legs pieux et ecclésiastiques, imposant aux maisons religieuses de fournir des vivres et des logements aux milices nationales; encaissant net plusieurs rentes d'églises et exigeant 2 % sur le capital des autres fonds de même nature, outre les contributions soi disant volontaires qui dépouillèrent les monastères, les couvents et les évêchés. Dès que le dictateur fut à Naples, il porta une main plus audacieuse encore sur les biens de l’Église. En effet, le 22 septembre, il statua que tous les fonds épiscopaux et archiépiscopaux deviendraient propriété de l’État; que l’État assignerait ensuite aux évêques un revenu convenable qui ne dépasserait jamais 2000 ducats (8332 francs). De cette manière, Garibaldi spoliait les riches évêchés de Sicile et de Naples, que les grandes familles et les plus puissants souverains du royaume avaient généreusement dotés d'une part de leurs patrimoines; il leur était les moyens d'opérer ces œuvres de bienfaisance publique auxquelles les lois de l’Église veulent que soit appliquée une portion des ilienses épiscopales, ainsi que les moyens de conserver les grands séminaires de leurs diocèses avec éclat et honneur (1).

Néanmoins une partie du clergé, ou ne connut pas ou feignit de ne pas connaître la perversité des intentions du dictateur et de toute la révolution dont il était le capitaine.

(1) Le gouvernement piémontais, par sa loi du 18 février 1861 contre les ordres religieux et les propriétés du clergé, a complété l’œuvre de spoliation, commencée par Garibaldi.

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Nous devons ici convenir que les journaux protestants ne se réjouirent pas à tort, cette fois, de voir un assez grand nombre des ecclésiastiques siciliens être de complicité manifeste avec la révolution garibaldienne.

Le Souverain Pontife, dans l'allocution déjà citée, se plaignit amèrement de la conduite de ces aveugles qui, s'éloignant du droit sentier, se mêlaient à des manœuvres entièrement étrangères au caractère sacerdotal. «Il est spécialement à déplorer, disait Sa Sainteté Pie IX, qu'il s'est trouvé en Sicile quelques membres du clergé qui, oubliant le Seigneur et le devoir des prêtres envers le peuple, au grand scandale et à l'indignation des bons, n'ont pas rougi de prêter leur concours aux ennemis de l’Église et de toute justice.» Le vénérable pontife n'exagérait point et ne se servait pas d'expressions outrées contre ces malheureux. Ne fut ce pas pour la Sicile et pour les catholiques du monde entier un objet de scandale et d'indignation que de voir des prêtres et des religieux, l'épée au côté et le fusil sur l'épaule et même quelquefois en chemise rouge, marcher en tête d'un ramassis d'insurgés ou se confondre parmi leurs rangs?Quoi de plus scandaleux aussi que ces ecclésiastiques qui, sans pudeurni réserve, se déclaraient pour Garibaldi et s'offraient à former des légions et à combattre à ses côtés contre le roi de Naples, et peut être hélas! contre le Souverain Pontife luimême? Quel scandale que ces bouches de prêtres s'aventurant à déclamer contre le pouvoir temporel de l’Église, outrageant le Vicaire de Jésus Christ des qualifications les plus ignominieuses, méprisant les arrêts de son autorité, comme juge souverain de la morale publique; se riant des excommunications lancées par lui contre les envahisseurs des biens de l’Église et du patrimoine de S. Pierre; laissant enfin entrevoir des pensées de schisme et d'apostasie!

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Quel scandale que certain prêtre et même certain curé allant jusqu'à prêcher la croisade contre le Saint Père et cela, avec une telle animosité que dans telle commune le peuple en fut soulevé d'indignation et menaça des effets de sa colère les nouveaux apôtres de satan! N'avons nous pas à rougir, nous, catholiques, de l'avilissement où tombèrent quelques prélats des Deux Siciles, en protestant, soit par crainte ou par nécessité, de leur dévouement personnel à Garibaldi, qui les reçut de la manière la plus impolie et avec des insultes abominables à l'adresse du Pontife dont ils représentaient l'autorité?

L'éloge du clergé de Sicile fait par Garibaldi était une tache d'infamie qu'il lui imprimait et que la plupart de ces dignes ecclésiastiques auront certainement repoussée avec mépris: et nous ne crovons pas que les feuilles révolutionnaires d'Italie et les journaux protestants de la GrandeBretagne aient pu faire un plus sanglant affront à l'archevêque de Palerme qu'en lui décernant leurs éloges pour avoir été en Italie le premier prélat qui ait fait visite à Garibaldi. Mais ce qui causa le plus de surprise et de douleur, ce fut de voir que le chanoine Ugdulena, après toutes les justifications qu'il avait présentées au Souverain Pontife, une année auparavant, pour se disculper de sa participation à la révolte de 1848, eut de nouveau trempé dans l'insurrection garibaldienne. Assurément si les égards de reconnaissance qu'il devait au gouvernement de Naples, qui s'était réconcilié avec lui et avait cherché à lui faire oublier ses mécomptes de 1849 en l'élevant aux dignités ecclésiastiques, si la reconnaissance,

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dis-je, n'avait pas suffi pour lui commander la modération et le respect dans les troubles de 1860, les motifs de religion auraient dù lui suaire. Homme de haute et forte intelligence, savant et érudit, il ne pouvait méconnaître l'impiété des principes qu'apportait la révolution de Garibaldi. Que s'il voulait, comme il l'a dit et comme l'ont pensé ses amis, opposer par son influence une barrière au torrent qui menaçait de ruine le troupeau du Christ, il ne devait pas, lui prêtre, connu du monde catholique par ses remarquables travaux, il ne devait pas, à double reprise, accepter un portefeuille des mains de Garibaldi et siéger à côté des plus furieux ennemis de la religion, sans pouvoir en rien contrecarrer leurs projets; il ne devait pas se faire le promoteur de levées et d'enrôlements de troupes, destinées à combattre contre le père commun des fidèles, ni adresser aux évêques siciliens des circulaires, les engageant à seconder pareille entreprise; il ne devait pas s'abaisser à approuver et à signer, comme ministre des affaires ecclésiastiques, les actes les plus contraires et les plus injurieux à la liberté et cà la propriété de l’Église; il ne devait pas souffrir, sans mot dire, que les flots bourbeux de l'erreur inondassent la Sicile, et qu'au risque de semer le schisme et l'apostasie, on sapât effrontément les principes les plus essentiels du catholicisme. A quoi bon, après cela, la profession qu'il a faite de son respectueux dévouement à l'autorité spirituelle du Souverain Pontife, dans ce temps de duplicité et d’hypocrisie? Le gouvernement piémontais n'a-t-il pas répété plus d'une fois de semblables déclarations qui n'ont trompé que les gens niais ou aveugles?

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— Rapprocherons nous l'illustre chanoine des Gavazzi et des Àchilli? c'est ce que fait à peu près un journal protestant; nous nous contenterons de faire observer que les erreurs des sommités intellectuelles se mesurent d'ordinaire à leur grandeur.

En quoi nous ne saurions partager l'avis du Morning Post, c'est quand il donne l'exemple de ces ecclésiastiques fourvoyés, pour la règle de conduite que tint le clergé de Sicile. Nous sommes certains, au contraire, qu'à peu d'exceptions près, le clergé dés six provinces en dehors de Palerme, ne pactisa point avec la révolution garibaldienne. Dans la province même de Palerme, si un grand nombre d'ecclésiastiques, bien qu'opposés aux maximes antireligieuses de cette révolution, cachèrent leur manière de voir par faiblesse de caractère et par calcul de prudence, il n'en manqua pas cependant qui combattirent, à face découverte, le combat du Seigneur. Ainsi le clergé de Monreale tout entier mérite une mention spéciale. — Avec un courage au dessus de tout éloge, il prêcha ouvertement contre les principes anticatholiques du parti révolutionnaire; les menaces d'emprisonnement, d'exil et de mort ne l'intimidèrent pas et il affronta les plus grands dangers pour honorer le sacerdoce et défendre la foi. Plusieurs évêques de Sicile firent preuve du même héroïsme.

M.er Guttadauro, des princes Rebordoni, évêque de Caltanissetta, déclara solennellement ne vouloir prendre aucune part dans le gouvernement de la révolution et défendit sévèrement la même chose au clergé de son diocèse. Criscoli, évêque de Trapani, menaça d'excommunication et, si c'était un prêtre,

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de suspension a divinis, quiconque oserait attaquer le domaine temporel du Pape ou répandre d'autres maximes d'impiété; il publia ensuite un savant opuscule contre un pamphlet destiné à propager des principes erronés sur le pouvoir de l’Église.

Mer Papardo, évêque de Messine, montra encore plus d'intrépidité; et sa fermeté fut vraiment celle d'un premier pasteur. Garibaldi, après son entrée dans cette ville, avant reçu la visite de plusieurs prêtres malavisés, avait donné l'ordre que l'évêque, à son tour, avec le reste de son clergé vînt en personne lui promettre obéissance et reconnaître sa dictature. Le courageux prélat refusa sans hésiter de se soumettre à un acte qui aurait avili la dignité de son caractère. Alors le dictateur le fit arrêter et juger par une commission spéciale, bien résolu qu'il était de donner un exemple terrible, pour qu'à l'avenir aucun prêtre ne se permît plus de résister à ses ordres. Mais ce tribunal, qui désirait infiniment contenter le dictateur, ne réussit pas à trouver des raisons suffisantes pour la condamnation capitale qu'avait en vue ce despote aventurier. La sentence portait seulement que l'évêque s'éloignerait à l'instant de la Sicile. Mais l'admirable prélat ne se plia pas même à cette injonction; il répondit qu'il n'abandonnerait, son troupeau que par la force; la force fut donc employée et Mgr Papardo traîné à bord d'un vaisseau fut transporté à CivitaVecchia. Pareille violence eut lieu, toujours par ordre de Garibaldi, envers l'excellent évêque de Caltagirone, Mr Natoli, arrêté dans son palais et traduit hors de son diocèse par une escouade de Garibaldiens. Ainsi le dictateur donnait libre cours à sa haine invétérée contre le clergé catolique;

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il n'avait pas eu l'occasion de sévir à Palerme, où les prêtres avaient caressé son ambition; mais il comprenait maintenant qu'il n'avait pas seulement à faire en Sicile à des Gavazzi et à des Achilli.

A Naples, comme dans l'île, la révolution garibaldienne fit les plus grands efforts pour décatholiser ce peuple. L'inondation des mauvais petits livres écrits avec la plume de satan y fut encore plus grande qu'en Sicile et les Bibles de Diodati y furent répandues avec plus de profusion. Des sociétés impies s'y organisèrent dans le but de corrompre la foi des habitants. Les voyageurs protestants eux mêmes écrivaient de Naples qu'ils n'auraient jamais cru qu'on déploierait tant d'activité dans cette capitale pour détruire les croyances du peuple et l'élever à l'école du protestantisme (1). C'était l'éducation que Garibaldi voulait faire donner au peuple par la classe instruite de la société.

«Votre devoir,» disait-il à Naples aux personnes les plus cultivées, votre devoir est d'enseigner le peuple à être Italien et à défendre ses libertés. Enseigner le peuple veut dire assurer son indépendance: la liberté et la grandeur de l'Italie dépendront de la forte et salutaire éducation du peuple (1).» Or dans le même discours il avait dit que le pape était l'ennemi de la liberté et de la religion même du Christ, qui est une religion de liberté; il avait recommandé de répandre cette doctrine et de la faire pénétrer dans les masses; élever le peuple à la liberté, voulait donc dire dans la bouche de Garibaldi l'élever à l'école du protestantisme, La nouvelle société mazzinienne qui se fondait à Naples et dans toute la péninsule, sous le titre d'Association d'unité nationale se proposait le même objet, d'inculquer

(1) V. la correspondance d'un protestant dans la Free Press de Glasgow, 1 déc. 1860.

(2) V. le Times. 8 nov. 1860.

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aux peuples les principes de l'école qui représente tout le système des maximes de la Jeune Italie

(1).

De sorte que la révolution, à mesure qu'elle s'étend dans les provinces italiennes, se met aussitôt en devoir de rajeunir le peuple en le formant aux sentiments les plus funestes à la vraie doctrine du christianisme.

Garibaldi avait spécialement chargé de cette mission le Père Gavazzi, un apostat de 1848, devenu Mazzinien, infecté des vices les plus honteux et repoussé des écoles mêmes des protestants. Le Père Gavazzi qui, associé à Cicero Vacchio, avait tant travaillé en 1848, à Rome, pour le parti de l'insurrection, qu'il séduisit, par ses infernales menées, jusqu'à l'âme généreuse d'Ugo Bassi, accepta volontiers de Garibaldi la mission de déraciner peu à peu du cœur des populations les premiers germes des vérités du catholicisme. Il avait commencé à Messine, par ses funestes prédications à corrompre la simplicité du peuple; mais le centre de ses diaboliques opérations devait être Naples. C'est là qu'il entreprit devant le peuple ses prédications politiques, tendant surtout à transformer les lazzaroni en autant de saints Janviers qui se feraient éventrer, par amour pour Garibaldi. Hypocrite raffiné autant que déclainateur outré, il assaisonnait ses allocutions populaires de quelque sentiment religieux qu'il croyait devoir être agréable à ces masses, et il espérait par là les entraîner plus facilement dans les voies de l'erreur (2). Dès qu'il vit son éloquence de carrefour se déployer au souille de la popularité, ¡I voulut, d'accord avec Garibaldi, risquer un coup terrible contre la foi des Napolitains: mais, sa tentative fut comme un dard mal dirigé qui retourne contre celui qui l'a lancé.

(1) V. le règlement île celle association dans le Morning Star du 12 déc. 1860, et dans le Monde du 16 déc.

(2) V. le Times du 5 nov. 1860.

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Le dictateur en effet se proposait de créer sans retard dans les Deux Siciles des églises protestantes, et avant, dans cette intention, aboli par un seul décret tous ceux de 1818 à 1857 concernant les libertés ecclésiastiques, il accordait gratuitement aux protestants l'emplacement nécessaire pour ériger un temple à Messine, et à Naples deux autres temples dont l'un était pour la Congrégation évangélique. Garibaldi souhaitait pareillement de mettre à l'usage des protestants les églises catholiques, celle des Jésuites, en particulier. C'est pourquoi il avait choisi le P. Gavazzi pour desservir les deux églises des Jésuites de Naples, le Gesù nuovo et S. Sebastiano. L'apostat se disposa aussitôt à jouer le rôle important que Garibaldi lui avait assigné; il tint à S. Sebastiano des réunions d'autres apostats et de jeunes gens égarés; il organisa des propagandes de prosélytisme et disposa toutes choses pour inaugurer dans le Gesù nuovo le grand temple du protestantisme. Déjà il avait fait enlever les tableaux des saints et il aurait de même ôté les croix, brisé les pierres consacrées et renversé les autels, s'il avait pu aller au terme de son infernal projet. Il annonça donc au peuple qu'il prêcherait au Gesù nuovo et rebaptiserait cette église sous le nom de Gesù risorto Times et d'autres journaux protestants en suffoquaient de joie; ils rêvaient monts et merveilles mais sans sortir du vague de leurs idées: il leur eût été difficile de les préciser. Car le peuple de Naples, au fond religieux et plein de foi, qui savait quelle espèce d'homme c'était que Gavazzi, se précipita furieux dans le temple, criant dans son langage énergique: «mort à ce diable d'apostat, devenu curé par commission d'un diable plus élevé dans la hiérarchie!» et menaçant de le massacrer s'il osait encore ouvrir la bouche en public.

(ressuscité). Des correspondants du

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Au bruit de ce soulèvement populaire, la garde nationale accourut, consigna Gavazzi dans sa maison avec défense de prêcher au peuple, et mit les scellés sur l'église du Gesùnuovo où elle laissa un détachement. Ce fut en vain que Garibaldi confirma à cet apôtre de Satan la faculté de prêcher et fit son possible pour lui regagner l'estime de la population; celle ci conserva la même attitude contre Gavazzi et le menaça de mort avec une énergie si résolue qu'il n'osa plus braver par ses diatribes frénétiques la fureur de la multitude. Ainsi les correspondants des journaux révolutionnaires et protestants demeurèrent, pour employer un proverbe vulgaire, le bec dans l'eau.

Le dictateur cependant, depuis son entrée dans le royaume de Naples, avait reconnu que le clergé de cet état opposait un formidable obstacle à ses desseins pervers. Le très digne cardinal, archevêque de Naples, avait défendu sous des peines graves aux ecclésiastiques, de recevoir Garibaldi dans la cathédrale ou dans toute autre église de son diocèse, de chanter le Te Deum pour son entrée ou de lui faire aucune démonstration quelconque. Et comme un prêtre Garibaldien voulut à toute force chanter la messe au Gesùnuovo, le courageux prélat lui en fit fermer les portes. Telle fut en général la conduite du clergé de cette vaste capitale, bien que le correspondant du Times ait souvent répété que prêtres et moines se mettaient à fraterniser avec les Garibaldiens, sans nous dire que ceux dont ils parlaient étaient sortis des galères de Nisida et qu'ils méritaient bien d'y retourner. Le vrai clergé de Naples, tant sous la dictature que sous le gouvernement de Farini et de ses successeurs, se montra toujours fidèle aux devoirs de son sublime ministère.

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Ce qui le prouva clairement, ce furent les menaces publiées contre les ecclésiastiques par Conforti au temps de la dictature, et plus tard renouvelées par le prince de Carignan, qui aurait peut être désiré voir le clergé napolitain s'asservir bassement à l'école de Cavour; nous trouvons la preuve du même fait dans la circulaire adressée par le ministre Mancini à tous les évêques du royaume de Naples, pour qu'ils eussent à refréner le zèle de leurs prédicateurs du carême de cette présente année 1861. Ne s'ensuit-il pas que la majeure partie des évêques et des ecclésiastiques de ce royaume ne jouissent pas de la confiance du gouvernement et ne trahissent pas leur mission? C'est pourquoi Garibaldi eut recours aux moyens de rigueur et de violence. Il publia donc des peines sévères contre les prêtres qui oseraient blâmer les actes de son administration, fit incarcérer bon nombre d'excellents prêtres et exila plusieurs évêques, dont les principaux furent ceux de Reggio, de Castellamare, de Sorrente et le cardinal archevêque de Naples; et il n'aurait pas borné là ses persécutions, et volontiers il aurait renouvelé les faits qui s'étaient passés dans les Romagnes, si les réactions menaçantes, dont le bruit retentissait jusqu'aux portes de Naples, et les défaites essuyées sur le Volturne lui avaient permis de provoquer l'indignation populaire en se déchaînant à l'aise contre le clergé.

Mais avant de quitter Naples, après l'entrée de Victor Emmanuel, il voulut inaugurer à sa façon et par un décret solennel, l'époque de cette liberté de conscience que les protestants ont posée comme la pierre fondamentale de leur foi, et qu'ils se promettaient de voir proclamée par Garibaldi en Italie (1). En conséquence, il annula de son autorité dictatoriale la bulle de Benoît XIV, Etsi pastoralis,

proclama sans restriction la liberté de conscience et autorisa les Grecs albanais de Sicile à exercer leur culte librement et ouvertement.

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Ce décret est une preuve entre mille autres, de la crasse ignorance du dictateur-pirate et de ses conseillers a latere. Sans parler de cette autorité d'un nouveau genre, avec laquelle ce despote de fraîche date supprime et foule aux pieds, non seulement les décrets des princes et les lois constitutionnelles des nations, mais encore les bulles des souverains pontifes, qui a jamais dit à Garibaldi que les Grecs albanais de Sicile et de toute l'Italie n'obtinrent pas des papes pleine et entière liberté de suivre leurs croyances et leurs privilèges, quand ils sont catholiques eux mêmes, quand la bulle citée non seulement leur accorde cette liberté, mais confirme et amplifie les privilèges que les papes leur avaient concédés dans les temps passés? Où donc Garibaldi a-t-il appris que cette bulle a pour objet l'hétérodoxie et prêche la persécution contre les hétérodoxes, quand il n'y est question que des dogmes et des rites à retenir et à observer? Nous en publions en note la partie la plus importante (2).

(1) «If we would fully understand, why Scotmen have watched the progress of the Italian struggle with so ranch carncstncss, we must refer to that great principle of liberty of conscience that foundation of our protestant faith.» Ce sont les paroles que M. Walter Buchanan adressa, à Glasgow, aux membres du comité organisé pour fournir des secours à Garibaldi. V. le Times, 24 décemb. 1860.

(2) «Graecos et Albanenses graeci ritus tam in ditione nostra ecclesiastica et utraque Sicilia quam in reliquis Italiae partibus et insulis adjacentibus, in dioecesibus Latinorum episcoporum commorantes specialibus favoribus et gratiis prosequi volentes, omnia et singula quae laudabiliter provida pontificum praedecessorum nostrorum ordinatim Graecis et Albanensibus praedictis, tum quoad ritum Graecorum, sive consuetudinum observantiam, tum quoad privilégia, immunitates, exemptiones, favores, indulta et faeta dignoscuntur et pleniorem roboris firmitatem obtinent, eoque firmius et stabilius illibata, inconcussaque perdurant, quo saepius sunt in genere et in specie Sedis Apostolicae praesidio communita,

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Pour ce qui regarde la condition civile des Deux Siciles dans le temps de l'occupation garibaldienne, nous dirons en deux mots que ces contrées furent toujours dans un état d'épouvantable anarchie; au point que les panégyristes mêmes du dictateur, qui avaient coutume d'en faire un demi-dieu, perdirent l'espérance d'en faire un homme d’État. Le Times, en dépit de ses efforts pour couvrir la vérité, fut enfin contraint d'avouer que Naples était cruellement gouvernée et tout le royaume livré à la plus féroce anarchie, parce que le chevaleresque Garibaldi, qui est si fort comme soldat, est petit et incapable comme homme d’État (1). Les correspondants du journal anglais, non moins que ceux des feuilles de France, y compris les Débats, l'Opinion nationale et le Siècle,ont fait la plus lamentable description de cette situation de violence et d'anarchie (2).

Le mal n'était pas moins grand en Sicile où, après 5 mois de révolution, on n'avait fait que désorganiser de plus en plus l'administration civile, relâcher les nerfs de l'autorité et remplir les provinces de tant de rapines et de meurtres, que Depretis crut annoncer merveille, quand il publia que dans Palerme

per praesentes nostras litteras innovamus confirmamus et approbamus, illisque nostrae approbationis, confirmationis et innovationis robur adjicimus; ut iisdem privilegiis, immunitatibus, exemptionibus, indultis, gratiis, favoribus, perinde ae clerici latini tam seculares quam regulares, eorumque Ecclesiae, monasteria et bona in iisdem locis, ubi ltalo-Greci commorantur, utuntur, potiuntur et gaudent, uti potiri et gaudere libéré possint ae valeant; ut privilegiis ac gratiis hujusmodi sibi concessis in Domino plene gaudentes in tranquillitate pacis conquiescant, et per semitam mandatorum Dei gradientes, ferventiori erga Apostolicam Sedem devotione persévèrent. — Bullarium Bened. XIV, t. I, p. 75.

Le Times du 18 oct. 1860. V. encore la lettre d'Edwin James au Times (14 sept. 1860).

Le Times du 8 nov. 1860. — V. encore la corresp. napolitaine du 26 sept, dans le Journal des Débats.

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les assassinats ne s'élevaient plus qu'à un par jour (1).

Qui pourrait peindre la condition intérieure de l'île? Pour ne pas rappeler les faits de cannibales commis à Bronte, à Biancavilla, à Tre Castagne, à Bon Pietro, à Resuttana et dans d'autres lieux situés près de S. Philippe d'Argiro et à Castiglione, où des assassins renommés massacraient les plus honnêtes familles et passaient pour impunis à Catane et à Palerme, les correspondances de Sicile nous ont appris que les meurtres et les vol«les plus audacieux étaient à l'ordre du jour, que la police était sans force, les magistrats sans autorité, les chefs de la sécurité publique menacés de mort, tout en désordre et confusion.

Cet état de choses servit de prétexte aux agents de Cavour pour prêcher en faveur d'une prompte annexion, comme un puissant moyen de salut, comme l'unique préservatif de l'anarchie et de tous les crimes. Le prodictateur Depretis et Cordova employèrent toutes leurs ressources pour faire prévaloir cette opinion dans la partie la plus influente de la secte révolutionnaire. Mais Crispi contrariait vivement leurs desseins et poussait au parti contraire. Il s'en suivait un antagonisme prononcé entre les Mazziniens et les annexionistes; ces derniers, signalant leurs adversaires comme les ennemis du bien public, les exposaient aux injures et aux sifflets de la population, et à mesure que ces influences opposées se disputaient plus violemment le terrain, le désordre croissait à proportion. C'était la conséquence nécessaire d'une révolution commencée et poursuivie par des principes subversifs; après avoir tout détruit, tout dévoré, elle devait finir par se détruire et se dévorer elle même et finir par ressembler à un objet de mépris et de décision pour la multitude.

(1) V. la correspondance parisienne du Weekly Register (1 sept. 1860).

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Garibaldi, mis au courant de la mauvaise humeur des populations de Sicile et de la discorde allumée entre les gouverneurs, adressa à Palerme, en date du 10 septembre, une proclamation où, après avoir assuré les Palermitains de son affection pour eux et de l'ineffable souvenir qu'il conservait d'eux au fond du coeur, disait avoir laissé un autre luimême à Palerme dans la personne de Depretis, représentant non seulement de sa dictature, mais encore delà sainte idée nationale; il ajoutait que Depretis leur annoncerait l'heure opportune de l'annexion; puis il terminait ainsi: «Aux lâches qui se cachaient quand vous combattiez sur les barricades de Palerme pour la liberté de l'Italie, vous direz au nom de Garibaldi, qu'il proclamera bientôt l'annexion, mais du haut du Quirinal, lorsque l'Italie pourra voir tous ses enfants réunis en une seule famille, les accueillir libres dans son sein auguste et les bénir (1).» Par ces magiques paroles, le dictateur prétendait calmer les colères du peuple et. pacifier les partis; mais Depretis ne secondait pas ses vues et se démettait de ses fonctions, ou plutôt Garibaldi l'en dépouilla, ne voulant plus reconnaître en son ami un autre luimême, deux ou trois jours après sa proclamation. Le 17, il fit donc afficher à Palerme un second manifeste où il répétait sens dessus dessous les mêmes choses; il disait qu'à Rome il proclamerait le royaume d'Italie et promettait d'envoyer aux Siciliens Mordini, comme prodictateur (2). Mordini était un Mazzinien, et dans l'assemblée de Toscane il avait été un des trois

(1) Cette proclamation de Garibaldi fut publiée le 11 sept, dans le journal officiel de Naples.

(2) Ce manifeste parut le même jour dans le journal officiel de Palerme.

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qui avaient voté contre l'annexion au Piémont (1); Garibaldi pouvait donc mettre en lui toute sa confiance et être bien persuadé qu'il se montrerait digne de l'Italie. Cependant, pour mieux arranger les choses, il voulut le jour même se transporter en personne à Palerme. Là, du haut d'un balcon, il harangua le peuple, l'exhorta à ne pas se laisser entraîner aux conseils de ceux qui poussaient à l'annexion immédiate, et lui certifia qu'il était le plus grand ami de Victor Emmanuel. Par la même occasion il changea le ministère et le composa de personnages plus dociles à ses idées. Ce fut Pisani, Errante, Orlando, Digiovanni, Corvaia, Fabrizzi et l'abbé Ugdulena, qu'il choisit pour ministres. Mais le nouveau ministère, pas plus que le nouveau prodictateur, ne sauva la Sicile de l'horrible anarchie dont jusqu'à présent le gouvernement sarde ne l'a pas sauvée luimême.

(1) V. la corresp. napolitaine du Times (26 sept. 1860) et la lettre du 22 sept, adressée de Turin au Tablet.


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APPENDICES.

Appendice au Chapitre VI.
Lettre de Joseph Mazzini un de ses amis du Piémont.

«Je n'ai pas,' à vrai dire, la moindre difficulté à faire sur la proposition d'une conférence, et j'accepte la ville que vous m'indiquez; mais j'ai besoin d'un délai pour des motifs particuliers dépendant de la position exceptionnelle où me retiennent les libérateurs de l’Italie. Aussitôt certains empêchements écartés, je me rendrai à l'endroit indiqué et j'avertirai en temps opportun l'ami Brofferio.

«Il est utile cependant, que je profite de ce délai, pour que Brofferio sache par vous la position dans laquelle j'entends me maintenir. Je dis cela, parce que je crains que ma lettre ne puisse être mal comprise et qu'il s'agit entre nous d'agir loyalement.

«Cette lettre n'est pas un premier pas, c'est le dernier. C'est le sinon, non, proféré avec plus de logique et avec une résolution plus invariable que celle de Manin.

«Je suis républicain, je resterai républicain, je conserve, dans tous les cas, mon droit de la propagande pacifique républicaine par la voie de la presse, j'aurai recours à l'action où et quand cela sera possible, si la proposition de ma lettre au roi n'est pas acceptée.

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«M'inclinant avec respect devant la souveraineté nationale, convaincu par des faits qu'aujourd'hui la majorité du pays non seulement accepte, mais encore désire la monarchie de Victor Emmanuel, partisan de l'unité italienne plus que de toute autre chose, je crois qu'il est de mon devoir de dire au roi: Si vous voulez vraiment et efficacement obtenir l'unité nationale, nous sommes prêts à vous aider. Vainquons ensemble; nous nous tairons sur le reste. Quand le pays émancipé se donnera à vous, ce dont vous ne pouvez douter, nous ne nous y opposerons pas; nous ne l'agiterons pas en sens contraire. Le lendemain (1) en exil ou dans mon pays, j'écrirai, comme avant, les convictions démon âme. Pour aujourd'hui nous nous contenterons d'inscrire sur notre drapeau: Unité et Liberté.

«Ceci, comme nous l'entendons, est important. Je suis trop avancé en âge et trop connaisseur d'hommes et de choses pour me faire illusion.

«Les intentions occultes et indéterminées sont pour moi sans valeur. Je n'accepte pas l'union et l'unification progressive, ni les transactions de conscience, comme serait la proposition de marcher en avant pendant dix ans. Je n'accepte pas qu'on me dise: nous prendrons aujourd'hui les duchés, demain un autre morceau de l'Italie; ensuite nous attendrons que le Pape meure; après deux ou trois ans, nous recommencerons la guerre pour ôter la Vénétie à l'Autriche; les meilleures intentions, même celles des rois, dépendent de la vie ou de la mort du monarque, d'un changement de ministère, d'un fait qui se produit à l'étranger, toutes éventualités que nous ne pouvons accepter comme conditions de salut. Le fait du jour présent nous appartient, c'est sur lui que nous devons fonder notre œuvre.

(1) Le lendemain, en italien il dï dopo: C'est une allusion de Mazzini à ce que disent de lui ses adversaires, qu'il arrive toujours le lendemain; ce qui lui a valu le surnom d'il di dopo.

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Le fait d'aujourd'hui cet la résolution du centre de l'Italie. C, elle qui doit servir de point d'appui pour soulever les niasses. Il faut que la monarchie s'unisse résolument à la révolution et nous aide à la rendre italienne.

«Ma proposition part de la conviction où je suis que le Piémont et la révolution sont assez forts pour achever l’œuvre.

«Pour cela il faut révolutionner le Sud. Cela fait, avec l'armée actuelle napolitaine, les milices siciliennes, celles qui existent déjà en Piémont, dans le centre et en Lombardie et avec celles qui sortiraient de l'immense élan que ce fait produirait en Italie, nous nous trouverons forts de 500,000 hommes et d'une marine. La victoire sera alors rapide comme la foudre.

«Si la monarchie sarde n'a pas un homme qui sente par intuition, par puissance de génie révolutionnaire cette vérité, tout contrat est inutile, tout accord est impossible. Que chacun fasse alors ce qu'il peut.

«Cinq cent mille hommes sous les armes, le peuple d'Italie derrière eux, serait un fait accompli,

auquel l'Europe des peuples applaudira et que l'Europe des rois saluera en murmurant (brontolando). Louis Napoléon ne peut faire la guerre au Piémont et à l'Italie; il ne peut envoyer ses armées au Sud, sans que la guerre s'allume contre lui en Prusse, en Allemagne, en Angleterre. Si la diplomatie sarde ignore ces choses-là, elle est bien mal renseignée. Révolutionner le Sud est chose facile, pourvu qu'on le veuille. Je ne demande pas que le Piémont entre en lice le premier et prenne l'initiative. L'initiative, c'est nous qui la prendrons.

«Ce que nous demandons, si le roi veut vraiment l'unité italienne, s'il entend concilier tous les partis dans une seule entreprise, ce sont les gouvernements du centre. Une parole du gouvernement sarde à ces derniers suffit; cela met fin au scandale d'une persécution contre nous, qui déshonore la cause nationale, et cela rend l'accord possible.

— 372 —

Qu'on laisse en paix les exilés; tant qu'ils ne se rendront pas coupables d'actes hostiles contre la tranquillité intérieure, qu'ils puissent parcourir librement les terres italiennes qu'on appelle libres; nous n'en abuserons pas par une publicité dangereuse.

«Que le gouvernement sarde donne à Garibaldi l'assurance, soit directement, soit par Ricasoli ou Farini, que, s'il agit au delà de la frontière actuelle, il aura les vœux et l'approbation tacite du Piémont; qu'il aura son concours, si l'Autriche ou les puissances voulaient intervenir entre les Italiens et leurs maîtres.

«A ces conditions loyalement remplies, nous promettons sur l'honneur:

«1° Le secret absolu sur tout ceci, aujourd'hui et demain, tant qu'il plaira au gouvernement sarde;

«2° L'insurrection de la Sicile, sitôt que les nôtres auront passé la Catholica; avant même, s'il le faut, pourvu qu'on nous avertisse:

«5° L'insurrection du royaume de Naples, dès que Garibaldi sera sur la frontière des Abruzzes; et entre l'insurrection de Sicile et le mouvement des provinces, l'insurrection de Naples sera indubitable;

«4° L'offre d'annexion au roi qu'il devra accepter purement et simplement; cette offre, toute opposition cessant de notre part, est également certaine.

«Le reste viendra de soi.

«Tout cela devra se faire vite. Le temps perdu tourne à l'avantage de l'ennemi. Les gouvernements du centre commencent à manquer d'argent. Le mécontentement, par suite de la désillusion éprouvée, s'accroît dans l'ombre; il éclatera en anarchie.

«Les moyens de défense du royaume augmentent. L'inertie fatigue les peuples et les volontaires. Les mouvements se localisent. L'enthousiasme se perd. Il faut agir ou périr.

— 373 —

Nous ne provoquons pas les mécontentements des peuples; mais nous devons les utiliser pour combattre dans la première crise, maîtres décrépits et gouvernements épuisés. Si nous n'agissons pas, nous tomberons inévitablement, je le dis avec douleur et certitude, dans la guerre civile et l'anarchie. Avec un instant de résolution, le Piémont peut faire que l'Italie soit. Le roi peut devenir l'homme du siècle.

«Si ces bases peuvent être acceptées, traitons, et surlechamp. Au cas contraire, toutes les négociations deviennent inutiles. Je suis irrévocablement déterminé à rester absolument indépendant dans ma conduite, si l'on juge ces propositions excessives.

«Mais que le gouvernement sarde ne se fasse pas illusion sur sa position. Il ne connaît ni les peuples, ni les partis, s'il ne comprend pas que deux mois encore de tergiversations peuvent changer la popularité apparente dont il jouit en antagonisme et en un souffle de réaction.

«G. Mazzini.»

(Dans le journal Roma e Venezia, el dans le Monde, 21 janvier 1860).

Appendice au Chapitre VII.
Lettre d'un des chefs Carbonari écrite le 20 octobre 1821.

«Dans la lutte maintenant engagée entre le despotisme sacerdotal ou monarchique et le principe de liberté, il y a des conséquences qu'il faut subir, des principes qu'avant tout il importe de faire triompher. Un échec était dans les événements prévus; nous ne devons pas nous en attrister plus que de mesure; mais si cet échec ne décourage personne, il devra, dans un temps donné, nous faciliter les moyens pour attaquer le fanatisme avec plus de fruit. Il ne s'agit que de toujours exalter les esprits, et de mettre à profit toutes les circonstances. L'intervention étrangère, dans les questions, pour ainsi dire, de police intérieure, est une arme effective et puissante, qu'il faut savoir manier avec dextérité. En France, on viendra à bout de la branche aînée, en lui reprochant incessamment d'être revenue dans les fourgons des Cosaques; en Italie, il faut rendre aussi impopulaire le nom de l'étranger, de sorte que, lorsque Rome sera sérieusement assiégée par la révolution, un secours étranger soit tout d'abord un affront, même pour les indigènes fidèles.

«Nous ne pouvons plus marcher à l'ennemi avec l'audace de nos pères de 1795. Nous sommes gênés par les lois et bien plus encore par les mœurs; mais, avec le temps, il nous sera permis peut être d'atteindre le but qu'ils ont manqué. Nos pères mirent trop de précipitation à tout, et ils ont perdu la partie. Nous la gagnerons si, en contenant les témérités, nous parvenons à fortifier les faiblesses.

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«C'est d'insuccès en insuccès qu'on arrive à la victoire. Avez donc l’œil toujours ouvert sur ce qui se passe à Rome. Dé-popularisez la prêtraille par toute espèce de moyens; faites au centre de la catholicité ce que nous tous, individuellement ou en corps, nous faisons sur les ailes. Agitez, jeter sur la rue sans motifs ou avec motifs, peu importe, mais agitez. Dans ce mot sont renfermés tous les éléments de succès. La conspiration la mieux ourdie est celle qui se remue le plus et qui compromet le plus de monde. Avez des martyrs, avez des victimes, nous trouverons toujours des gens qui sauront donner à cela les couleurs nécessaires.»

(Cretineau-Jolv. L’Église Romaine

en face de la révolution. Vol. II, p. 53. )

Appendice au Chapitre VIII.
Lettre d'un des chefs de la Jeune Italie, écrite de Livourne, le 2 novembre 1844, 
sous le pseudonyme de Beppo.

«Nous marchons à grandes guides, et chaque jour nous incorporons de nouveaux, de fervents néophytes dans le complot. Fervet opus; mais le plus difficile reste encore non seulement à faire, mais même à ébaucher. Nous avons acquis, et sans de trop grandes peines, des moines de tous les ordres, des prêtres d'à peu près toutes les conditions, et certains monsignori intrigants ou ambitieux. Ce n'est peut être pas ce qu'il y a de meilleur ou de plus respectable; mais n'importe. Pour le but cherché, un Frate, aux veux du peuple, est toujours un religieux, un prélat sera toujours un prélat (t). Nous avons complètement échoué sur les Jésuites. Depuis que nous conspirons, il a été impossible de mettre la main sur un Ignacien (2), et il faudrait savoir pourquoi cette obstination si unanime. Je ne crois pas à la sincérité de leur foi et de leur dévouement à l’Église; pourquoi n’avons nous donc jamais près d'un seul pu saisir le défaut de la cuirasse (5)? Nous n'avons pas de Jésuites avec nous; mais nous pouvons toujours dire et faire dire qu'il y en a, et cela reviendra

(1) Cette hypocrite déclaration est conforme aux instructions données aux sectes d'Italie, comme on peut le voir dans le document publié par Crétineau-Jolv. — Ouvr. cit. vol. M, p. 8392.

(2) Parce que les Jésuites n'ont voulu faire partie d'aucune secte, les sectaires les appellent du nom de secte.

(3) En excluant ces vraies raisons, comment pouvait-il le comprendre?

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absolument au même (1). Il n'en sera pas ainsi pour les cardinaux; ils ont tous échappé à nos filets. Les flatteries les mieux combinées n'ont servi à rien, de telle sorte qu'à l'heure présente nous nous trouvons aussi peu avancés qu'à la première. Pas un membre du Sacré Collège n'a donné dans le piège. Ceux qu'on a sondés, auscultés, ont tous, au premier mot sur les sociétés secrètes et sur leur puissance, fait des signes d'exorcisme, comme si le diable allait les emporter sur la montagne (2); et Grégoire XVI mourant (ce qui va arriver prochainement), nous nous trouverons comme en 1825, à la mort de Pie VII.

«Que faire dans cette occurrence? Renoncer à notre projet n'est plus possible, sous peine d'un ridicule ineffaçable. Attendre un quine à la loterie, sans avoir pris de numéros, me paraîtrait trop merveilleux; continuer l'application du système, sans pouvoir espérer une chance môme incertaine, me produit l'effet de jouer à l'impossible. Nous voici qui touchons au terme de nos efforts. La révolution s'avance au galop, portant en croupe des émeutes sans fin, des ambitieux sans talent et des bouleversements sans valeur; et nous qui avions préparé toutes ces choses, nous qui avions cherché à donner à cette révolution un suprême dérivatif, nous nous sentons frappés d'impuissance au moment d'agir souverainement. Tout nous échappe, la corruption seule nous reste pour être exploitée par d'autres (3). Le Pape futur, quel qu'il soit, ne viendra jamais à nous; pourrons nous aller à lui? Ne sera-t-il pas comme ses prédécesseurs et ses successeurs, et ne fera-t-il pas comme eux? Dans ce cas là, demeurerons nous sur la brèche et attendrons nous un miracle?

(1) Les sectaires eurent la preuve du contraire et durent avoir recours à d'autres armes.

(2) Allusion à la tentation de Jésus Christ transporté sur une haute montagne par l'esprit malin.

(3) Cette arme des sectes italiennes recommande la bonté de leurs institutions.

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Le temps en est passé, et nous n'avons plus d'espoir que dans l'impossible.

Grégoire mort, nous nous verrons ajournés indéfiniment. La révolution, dont l'heure approche un peu partout, donnera peut être un nouveau cours aux idées. Elle changera, elle modifiera, mais, à vrai dire, ce ne sera pas nous qu'elle élèvera. Nous nous sommes trop renfermés dans le demi-jour et dans l'ombre; n’ayant pas réussi, nous nous sentirons effacés et oubliés par ceux qui mettront à profit nos travaux et leurs résultats. Nous n'aboutissons pas, nous ne pouvons pas aboutir; il faut donc succomber et se résigner au plus cruel des spectacles, à celui de voir le triomphe du mal que l'on a fait, et de ne pas partager ce triomphe (1).»

Cretineau-Jolv. L’Église Romaine en face

de la révolution. Vol. II, p. 162.

(1) N'est-ce pas le génie du mal qui parle par la bouche des chefs des sectes modernes d'insurrection?

Appendice an Chapitre XXI.
I. Protestation du roi de Naples contre quelques actes de Garibaldi en Sicile.

Naples, 21 août 1860.

«Le général Garibaldi, après avoir envahi la Sicile, non content d'avoir usurpé la bannière royale de Sardaigne et revêtu tous ses actes du nom du roi Victor Emmanuel, a, pair décret du 5 courant, mis en vigueur le Statut piémontais et obligé tous les fonctionnaires et les municipalités, nommées par la révolution, à prêter serment de fidélité au roi Victor Emmanuel.

«Le gouvernement de Sa Majesté se croit en devoir de porter à la connaissance de toutes les puissances, ces nouvelles usurpations et ces attentats, qui foulent aux pieds les prérogatives les plus évidentes de la souveraineté, les principes les plus inébranlables du droit des gens, et font dépendre les destinées de toute une nation du caprice arbitraire d'une force étrangère.

«Le gouvernement de Sa Majesté voulant, au prix des plus grands sacrifices, éviter l'effusion du sang, en suite de la promulgation de l'acte souverain du 25 juin, et dans le désir de mettre en harmonie sa politique avec celle de la Sardaigne, pour le maintien de la paix en Italie, a espéré la solution de la question sicilienne dans ses longues et persévérantes négociations.

«Cette dernière espérance étant déçue, le gouvernement de Sa Majesté, par l'organe du soussigné, ministre secrétaire d’État aux affaires étrangères, se voit clans la nécessité dénoncer a.....  ces attentats, qui se commettent sous la pression d'une force étrangère en Sicile,

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de protester fermement contre tous les actes qui tendent à nier ou affaiblir les droits légitimes du Roi, son auguste maître, et déclare qu'il ne reconnaîtra aucune de leurs conséquences, étant fermement décidé à maintenir les amples institutions libérales promises spécialement à la Sicile, et à ne pas transiger quant au principe, fondé sur l'histoire et le droit public européen, qui réunit sous la royale maison de Courbon les deux royaumes de Naples et de Sicile.

«Le soussigné profite, etc.

«Signé de Martino.»

II. Déclaration du ministre de Martino  communiquée à sir Elliot, le 27 août 1860.

«Après avoir épuisé toutes ses forces pour empêcher l'invasion du continent et délivrer ses peuples d'une guerre inqualifiable, Sa Majesté sicilienne croit devoir accomplir un dernier sacrifice pour l'humanité.

La ville de Naples, capitale du royaume, centre de l'administration publique et dépôt des forces militaires de la monarchie, devrait être le dernier rempart de sa défense. Mais cette métropole est en même temps le centre de la civilisation, du commerce et de l'industrie; une grande population vit dans son sein, et de nombreux citoyens de toutes les parties du globe y ont établi leur famille et placé leurs capitaux.

«Mu par ces raisons, Sa Majesté le roi, désirant délivrer la ville de Naples des calamités de la guerre, ordonnera à ses généraux de la manière la plus précise:

«1° Que, selon les besoins de la guerre, les troupes royales doivent déployer leur action hors de l'enceinte de la capitale;

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«2° Qu'il ne reste dans la ville d'autre garnison que celle qui est nécessaire en temps de paix, et que l'on confie à cette garnison ainsi qu'à la garde nationale le maintien de l'ordre public;

«5° Que les forces royales s'abstiennent de faire feu d'aucune manière contre la ville, excepté en cas de défense contre les attaques des assaillants quels qu'ils soient.

«Sa Majesté veut que toute crainte de bombardement cesse pour les étrangers comme pour les habitants du pays.

«Interprète des intentions très clémentes de son auguste Souverain, le gouvernement de Sa Majesté fait toiît ce qui est possible pour délivrer Naples de la calamité de la guerre, comme il a fait autant qu'il l'a pu, jusqu'à présent, pour prévenir l'invasion du royaume.

«On ne pourra donc l'imputer à Sa Majesté, si l'ennemi n'imite pas cet exemple et s'il porte inutilement les hostilités dans cette importante et pacifique capitale.

«Croyant que de telles dispositions peuvent tranquilliser les sujets étrangers, le soussigné, etc. a l'honneur d'en informer son Excellence M. Elliot, etc., le priant de transmettre cette note à son gouvernement et d'aviser aux moyens par lesquels, dans l'intérêt même de la civilisation et de ses nationaux, grâces aux mesures compatibles avec le droit public, la neutralisation de la ville de Naples, dans un rayon déterminé, puisse avoir son effet complet et devienne une réalité pour chaque parti.»







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