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OSCAR DE POLI
DE NAPLES A PALERME
(1863-1864)
(2)
TABLE DES MATIÈRES
Justice
Finances
Presse
Morale publique
Prisons
page

JUSTICE

Une magistrature ignare servile.

(Lettre d'un Napolitain a M. Gladstone)

Pour que la justice soit, il faut qu'il y ait des c'est-à-dire des hommes aussi intègres que savants, chargés d'administrer la justice devant la loi. Il n'y a de justice que par la liberté, et toutes les deux sont inséparables, car à est impossible qu'il y ait justice où il n'y a pas de juge indépendant. Or, le Piémont, au lendemain de l'invasion, chassait du prétoire tous ces vieux magistrats, renommés pour leurs vertus et leur savoir, parce qu'ils étaient coupables d'attachement à la dynastie nationale, et leur substituait d'un trait de plume des centaines de va-nu-pieds ignares, anoblis à ses yeux par quelque trahison ou le récit adroit de torturés fabuleuses. En réalité il n'y a plus qu'une loi en vigueur dans les Deux-Sicilies:

(1)Voir le paragraphe du chapitre Unité et Autonomie.

160 —

la loi-Pica, c'est-à-dire la loi des suspects, chef-d'œuvre de cynique monstruosité, assassinat social érigé en code gouvernemental; il n'y a plus d'annexes même, il n'y a que des conquis récalcitrants; il n'y a plus de juges, il n'y a que des bourreaux. La farce est jouée, et le masque est tombé: le peuple a été le prétexte, le pillage a été le but. Napolitains et Siciliens, tous n'ont plus qu'un droit et qu'un devoir: celui de courber le front sans murmurer sous la férule sanguinaire de ces soudards et de ces hommes noirs, qui s'entendent comme mâtins à la curée.

Que de larmes ne doivent pas couler dans l'ombre, au souvenir poignant du passé, quand la comparaison du passé se fait dans les cœurs entre le système déchu et celui des Piémontais! La vérité est arrachée à toute heure, comme un cri de justice, à ceux-là qui ont le plus contribué au triomphe de la politique annexioniste: «Naples, s'est écrié le député Nicotera, Naples reconnaissait quelque chose de bon dans le gouvernement bourbonien, et savez-vous ce qu'elle reconnaissait de bon? c'est que la propriété et la vie étaient garanties. Mais l'administration d'aujourd'hui, parmi tant de maux dont elle a chargé les provinces méridionales, n'a pas eu seulement la force de garantir la propriété et la vie (1).»

(1)Séance parlementaire du 23 novembre 1862.

161 -

II

Un décret royal, daté de Turin le 13 janvier, suspend l'exécution d'un décret du 6 septembre 1860, par lequel S. M. le roi des Deux-Sicilies mitigeait ou diminuait la peine d'un certain nombre de condamnés et en graciait d'autres. Donnant au décret piémontais un effet rétroactif, les autorités des Deux-Sicilies remettent en état d'arrestation, à l'aide de ce stratagème illégal, tous les anciens prisonniers qui leur sont suspects de bourbonisme.

— Plusieurs fois, au sein du parlement, des députés ont rappelé avec éloge la clémence proverbiale des Bourbons, et reconnu chez le gouvernement sarde la qualité contraire (1). Lors de la discussion de la féroce loi sur le brigandage, le député sicilien d'Oudès-Reggio s'est écrié: «Sous Ie3 Bourbons, Ton n'est jamais arrivé aux excès autorisés par cette loi, c'est-à-dire de refuser le droit de se défendre aux coupables, quelles que soient leurs fautes (2).»

(1)Séances parlementaires du 25 novembre et du 15 décembre 1862.

(2)Séance parlementaire du 12 janvier 1864.

162 —

Par une sorte d'ironie cynique, le ministre de la justice, au temps même où le dernier caporal s'arroge sur les citoyens le droit de vie et de mort, fait annoncer dans les journaux officieux qu'il a l'intention de proposer au parlement l'abolition de la peine de mort. — Ce ministre plaisant ne faisait, d'ailleurs, que copier le feu comte de Cavour qui, en 1860, écrivait d'une part aux journaux de Londres qu'il voulait introduire en Italie la loi anglaise de l'habeas corpus et d'autre part écrivait à l'amiral Persano d'adopter dans les Deux-Sicilies les grandes mesures, c'est-à-dire de fusiller (1).

—Lettre adressée au procureur général Viglioni par le Sicilien Benedetto Castiglia, conseiller à la cour de cassation de Palerme, qui ne peut assurément être suspect de partialité envers l'ancien régime:

«Dès 1831, le roi Ferdinand II avait ordonné à son ministre Nicolas Parisio, de ne laisser exécuter aucune sentence de mort sans lui avoir d'abord soumis un rapport sur le crime du condamné, à qui par la suite le roi lit toujours grâce de la vie; dé façon que pendant trente années que dura le règne de ce roi, à l'exception de deux ou trois exécutions réclamées par l'opinion publique, la peine de mort n'était votée que dans le code et était aboulie en fait (2),»

Un député piémontais ose proposer au parlement, comme mesure politique autant que lucrative, la confiscation et la vente des biens des émigrés des Deux-Sicilies.

—Le gouvernement charge les juges d'arrondissement

(1)Lettre du comte Cavour à l'amiral Persano, 02 octobre 1860. Voyez le Recueil de documents publiés par Nicomede Bianchi.

(2)La chambre des communes anglaises entend lecture de ce document dans la séance du 9 mai 1868.

163 —

de Naples, bien que la ville nait pas été déclarée en état de brigandage, de former un tableau secret de toutes les personnes suspectes d'encourager le brigandage ou opposées au nouvel ordre de choses. Ces personnes de vront être provisoirement mises en état d'arrestation (1).

«... Les ministres de Turin sont de vrais rois temporaires, qui embrassent les querelles d'un petit nombre au détriment de la majorité, caressant tantôt un parti,tantôt l'autre, humbles quand ces partis se réunissent,toujours muets par système, à moins qu'il ne s'agisse de recommander à leurs clients tel ou tel journal, dont les articles amènent la destitution de dignes et honnêtes magistrats. Enfin l'arbitraire gouvernemental est si grand qu'un honnête homme peut se voir déshonoré parle seul bon plaisir de celui qui se trouve accidentellement ou pouvoir (2).»

«.... Les employés de la police ont été admis sans examen préalable de leurs antécédents, qu'on eût trouvés criminels pour beaucoup d'entre eux. Presque tous comptaient sur le retour du gouvernement bourbonien ou du gouvernement républicain, et très-peu comptaient sur un royaume d'Italie (3). Ils sont habituellement possédés de te manie d'incarcérer (4), pour soulager leurs rancunes personnelles (5). Ainsi, dans le cours de cinq mois, des derniers jours de 1862 aux premier de 1863, rien que la

(1)Le journal le Popolo d'Italia, 14 septembre.

(2)Henri Falconcini, Cinque Mesi di prefettura in Sicilia Florence, 1863, librairie Marini, pages 36, 37 et 38. — Avant d'être préfet en Sicile, M. Falconcini avait été député au parlement piémontais.

(3) Ibid. p. 69 et 70.

(4) Ibid. p. 83 et 84.

(5) Ibid. p. 78.

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petite province de Girgenti a vu arrêter 499 personnes, dont 174 ont été déportées à Gaête, 115 mises en liberté, 40 remises au pouvoir judiciaire, et 170 laissées en prison jusqu'à nouvel ordre (1). Et tout cela se fait arbitrairement, au gré de la police, sans ombre de procédure. Admettons donc, pour un instant, cette proportion de 500 arrestations politiques en cinq mois, dans une province de 230,000 habitants; nous arrivons, pour tout le royaume des Deux-Sicilies, au chiffre effrayant de 52,000 emprisonnements par an, et de près de 9,400 déportés; tandis que, sous le gouvernement déchu, la totalité des prisonniers ne montait pas à 10,000. — Quant aux fusillades, «elles sont douloureusement nécessaires pour éviter des maux plus grands, alors même que la sentence de mort est prononcée par un seul chef, qui souvent n'est pas au-dessus d'un sergent ou d'un caporal (2).»

—Trois fonctionnaires publics, prévenus de tentative de corruption envers les membres du conseil de recrutement de la province de Naples, sont dénoncés, arrêtés et mis en jugement (3).

—Le personnel de la police de Naples subit de profondes modifications. A peine deux ou trois des anciens employés, et des plus jeunes, sont-ils maintenus dans leurs emplois,  et transférés dans la haute Italie.  Les autres sont mis à la retraite.

—Dans la province de Foggia, on destitue huit chefs de police, «qui n'étaient pas à la hauteur de leur mission (4).»

(1)Falconcini, p. 85.

(2)Ibid., p. 87.

(3)Le journal le Corriere d'Italia, 1 février.

(4)Le journal La Discussion, de Turin, 1 février.

165 —

—En Basilicate, un chef de police est condamné aux travaux forcés comme fauteur de brigandage.

Le chef de police de Cerreto est condamné aux travaux forcés pour attentat à la pudeur sur les détenues.

La toge cherche à dépasser le sabre en cruauté. La cour d'assises de Lanciano (Abruzzes), jugeant une centaine de paysans arrêtés dans la réaction de Castiglione (1),en condamne onze à mort, dix à trente années de travaux forcés, vingt à vingt années, et les autres à des peines moindres. Les jurés répondent en quarante-huit heures à 4,125 questions.

La cour d'assises de Lucera (Pouille), jugeant les réactionnaires de Bovino (2), condamne vingt accusés à vingt ans de travaux forcés, neuf à la réclusion et trois à la prison.

La cour d'assises de Potenza (Basilicate), jugeant la réaction de Carbone, condamne à mort six accusés (3),quatre aux travaux forcés à perpétuité, vingt-neuf aux travaux forcés à temps, et un grand nombre à la réclusion.

La cour d'assises de Chieti (Abruzzes), jugeant les réactionnaires d'Arielli, au nombre de vingt-sept, en condamne six aux travaux forcés à perpétuité, et les vingt et un autres à vingt, dix, huit et cinq années de la même peine.

—Les débats de la cour d'assises de Catanzaro, jugeant  cinquante-neuf   réactionnaires,   durent   du19 mai au 18 juin. La cour entend 563 témoins, et les jurés répondent en six jours à 9,654 questions.

(1)Au mois d'avril 1801.

(2)Mouvement réactionnaire de 1860.

(3)Egidio Palermo, Vincenzo Gugliotta. Francesco d'Angclo, Staccione, Giuseppe Vitolo et Giuseppe Castelli-Cbiappino.

166 —

Onze prévenus sont Condamnés aux travaux forcés à perpétuité, et les autres aux travaux forcés à temps.

Au dois de juillet, la cour d'assises de Naples, après quinze jours de débats dans la cause de la bande Barone, répondant à 423 questions, condamne vingt réactionnaires de cinq à vingt-cinq ans de travaux forcés.

Le 4 août, la cour d'assises de Foggia, jugeant les réactionnaires de San-Giovanni-Rotondo, répond à 1,009questions, condamne quatre des prévenus aux travaux forcés è perpétuité, huit aux travaux forcés à temps, et met en liberté treize innocents qui gémissaient depuis deux années en prison.

—Le 6 octobre, le tribunal militaire de Salerne condamne aux galères à perpétuité le prêtre Oristanio d'Alfonso et quatre autres prêtres, convaincus d'avoir donné du pain aux brigands.

—Le 30 septembre, la cour d'assises de Teramo (Abruzes), jugeant les 55 réactionnaires d'Elice, en condamne quatre aux galères è perpétuité, seize à vingt années de travaux forcés, treize à seize ans, un à huit ans, et met en liberté les vingt et un autres, qui souffraient depuis deux ans de la prison préventive,.

—La cour d'assises d'Avellino, Principauté ultérieure, jugeant les réactionnaires de Montemileto (1), au nombre de 112, en condamne 87 à la prison. Les vingt-cinq autres, tenant encore la campagne, sont condamnés par contumace.

—Les arrêts des cours d'assises ne sont exécutables,la plupart du temps, que sous le bon plaisir du soldat. Au mois de juillet 1863, la cour de Bénévent, jugeant les réactionnaires de San Giorgio-la-Molara, San Marco-Gavati, et autres lieux, proclame, l'innocence du docteur

(1)Réaction du mois de septembre

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Louis Germano, du propriétaire Raphaël Paffone et du fermier Jeau Paradjso, et ordonne leur mise en liberté. On s'aperçoit alors qu'ils ne peuvent en jouir parce qu'ils ont été fusillés sommairement par des soldats qui les avaient arrêtés arbitrairement, en 1861, comme fauteurs de brigandage. Les accusés sont au nombre de 161 dans cette affaire; mais 52 seulement sont présents; 21 sont condamnés aux travaux forcés eu à la réclusion; les 31 autres sont acquittés. — Ce n'est donc pas sans raison qu'un député s'écrie que «trop de fois la magistrature judiciaire n'a pu remplir son devoir et juger les prévenus, parce que les soldats, sans autre forme de procès, les avaient déjà fusillés sur un simple soupçon (1).»

La cour d'assises de Campobasso devant juger les quatre cents et quelques réactionnaires d'Isernia (2), un certain nombre des accusés invoquent son incompétence par manque de matières criminelles. La cour de cassation de Naples, méconnaissant les principes fondamentaux du. droit public, déclare rebelles et coupables de haute trahison les citoyens qui s'arment pour la défense de leur patrie et de leur souverain légitime, alors même que celui-ci est dans le plein exercice de son autorité royale, qu'il est reconnu par les puissances européennes,et qu'il se maintient sur son territoire, le défendant contre une invasion de bandits étrangers; la cour conclut,par le rejet du pourvoi, en déclaration d'incompétence.

—Le gouvernement et ses partisans applaudissent à toutes ces rigueurs, et s'irritent de tout acquittement arraché à la conscience des juges. C'est ainsi que la commission  d'enquête sur le brigandage,   féroce et grotesque commission, blâme sévèrement, dans  son

(1)Séance parlementaire du 31 juillet.

(2)Réaction du mois d'octobre 1860

168 —

Rapport au parlement, la cour d'appel de Basilicate, d'avoir acquitté et mis en liberté divers accusés politiques, et n'a pas honte de dénoncer ces intègres magistrats (1) à la colère du ministre garde des sceaux. N'était-ce pas oublier maladroitement les mille outrages, dont leurs frères en révolution accablaient naguère les princes italiens qui livraient les conspirateurs à la justice, et qui, hélas! n'encourageaient que trop les conspirations par une clémence souveraine poussée jusqu'à la faiblesse? — Dans un accès d'ivresse sanguinaire, un journal de Turin s'écrie, après avoir lu l'arrêt de la cour incriminée: «Voilà bien qui légitime notre droit de dresser la potence en permanence (2)!...»

(1)Rara avis!

(2)Le journal la Gazzetta del popolo, 11 septembre.

160 —

III

Les Pinelli et les Cialdini lurent les premiers rédacteurs du code piémontais à l'usage des Deux-Sicilies. Le premier, parodiant en cannibale le mot de Titus, s'écriait au sortir de table: «J'ai perdu ma journée, car je n'ai fusillé personne.» Cialdini, de ce ton de César de tréteaux, criait dans un stupide et sauvage ordre du jour: «Faites savoir que j'ai commencé à fusiller!» — Puis tinrent Fantoni, Fumel, de Luca, Ferrari, et toute cette kyrielle sanguinaire d'apothicaires et de marmitons parvenus. S'inspirant de ses nobles serviteurs, le gouvernement piémontais retire enfin aux tribunaux ordinaires la connaissance des causes politiques, la confère aux tribunaux militaires. — Pauvres Sicilies!

— Le consul de France à Naples réclame en vain la mise en liberté du négociant français Michel, détenu arbitrairement pendant trois mois, à la suite d'un voyage commercial à Rome et d'odieuses et inutiles perquisitions. En se rendant de Bari, qu'il habitait, à Naples, où il y a d'importantes fabriques de sucre, M. Michel avait été arrêté dans une auberge de Mugnano di Nola,

161 —

où il se reposait, et traîné en prison sans qu'on daignât lui apprendre les motifs de cette inqualifiable arrestation.


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—Il est notoire que la police de Naples entretient secrètement un certain nombre de camorristes, dits camorristi battenti, chargés, ainsi que l'indique leur surnom, de maltraiter impunément les honnêtes citoyens qui refusent d'adhérer au nouvel ordre de choses. A Naples, entre cent autres exemples non moins déplorables, dans la soirée du 5 août, sept de ces misérables assaillent, dans la rue San Giovani à Carbonara, le chevalier Louis Giordano, ancien officier de la garde  royale napolitaine, rappelant bourbonien et réactionnaire, le frappent brutalement, le blessent au visage, à la tête et au bras, et l'abandonnent sans vie sur le sol (1).

Dans les deux seules journées du 18 et du 27 juillet 1863, à Montecilfone, petit pays de 2,500 âmes, province de Molise, les Piémontais fusillent sommairement 60citoyens, prêtres, propriétaires, fermiers, vieillards et pères de famille (2).

—Un des membres de la commission d'enquête, sut le brigandage, parlant à la chambre de la situation des Deux-Sicilies, prononce ces paroles: «Là on fusille sans aucune garantie de justice; non-seulement les troupes fusillent, mais les gardes nationaux, mais les maires, et quelquefois même les populations; d'autre part, ceux qu'on mettait en prison n'étaient jamais mis en jugement, ou bien ils étaient fréquemment acquittés comme innocents (3).»

La commission d'enquête propose au parlement de

(1)Le Moniteur de Naples, 8 août.

(2)Le journal l'Unità cattolica, de Turin, décrit ce massacre, et donne les noms des victimes, n° 90, 14 février 1864.

(3) Séance parlementaire du 8 janvier 1864.

171 —

décréter pour les brigands, une seule et unique peine: la fusillade; pour leurs complices, la déportation à perpétuité, les travaux forcés, les amendes, la confiscation, et pour les prêtres complices, le maximum de la peine. Le ministre de l'intérieur blâme hautement la proposition de la commission, qu'il dit «être la négation des libres institutions qui régissent l'Italie (1).» La presse de toute nuance la qualifie de «loi barbare, immorale, qui érige en droit l'arbitraire illégal des fusillades, jusqu'alors exercé seulement par abus de pouvoir et resté impuni, non que la sagesse civile ne le réclamât point, mais à cause de la situation exceptionnelle; loi qui propose la confiscation des biens du coupable, et promet des récompenses et l'impunité à la trahison et à la lâcheté, c'est avec ces nouveaux juges d'État, créés par le gouvernement de Turin, avec les listes des suspects, avec les mesures exceptionnelles que l'on donne des airs de martyrs aux accusés, qu'on fomente les colères, qu'on propage les inimitiés et qu'on détruit les liens d'affection les plus sacrés (2).»

Une ordonnance du ministre de la guerre, en date du 21 août, établit les règles à suivre dans leur rigoureuse procédure, pour les tribunaux militaires qui viennent de s'installer À Gaête, Caserte, Potenza, Avellino, Foggia, Aquila, Cosenza et Campobasso.

A la suite de la publication de la Loi-Pica (3), il n'est de ville, de bourgade, de village, où sur de simples délations, sans examen, sans preuves, sans procès, on n'emprisonne, au premier jour, des milliers de personnes

(1)Séance parlementaire du 10 juin

(2)Le journal la Campana del popolo, 3 septembre; le journal l'Opinione. de Turin, n° 152 etc.

(3)Voir le chapitre des Lieutenants piémontais.

172 —

suspectes d'être favorables au brigandage, où Ton ne déporte des milliers d'autres dans les îles, où Ton ne fusille systématiquement. — Partout des cris de douleur, que nul ne daigne écouter; car la pitié, elle aussi, est un crime. — Les feuilles unitaristes mêmes frémissent à la vue de ces massacres, et prévoient que «quand on écrira l'histoire de la répression du brigandage dans les Deux-Sicilies, on saura des actes d'arbitraire féroce, et des excès surpassant ceux des généraux russes en Pologne (1).»

—D'honorables propriétaires de la Basilicate, MM. Aquilecchia, de Melfi, Rapolla, de Venosa, Catena et Fortunato, de Rionero, bien que vivant dans une profonde retraite, sont arbitrairement forcés à porter leur séjour dans la haute Italie (2).

—Le barreau de Salerne adresse au garde des sceaux et au parlement de vives remontrances sur l'ignorance de la magistrature de cette ville.

Le 6 août à Cosenza, une bruyante démonstration a,cueille M. Frega, président de la cour d'assises. La population est furieuse de ce que le gouvernement ait enlevé au chef-lieu le siège des tribunaux pour le transférer à Castrovillari. Le conseil municipal, après avoir protesté contre cette détermination injustifiable, donne sa démission en masse. Ce qui n'empêche pas un décret royal en date du 22 août, d'ordonner la dissolution, du conseil municipal de Cosenza, comme s'il n'eût pas été dissous de fait depuis plusieurs jours.

Le maire et le chef de police de Messine, pour se montrer à la hauteur des temps, et coopérer à l'extinction du paupérisme, font arrêter et renfermer dans une seule et unique chambre une soixantaine de mendiants.

(1)Le journal le Dovere, n. 28.

(2)Le journal II Popolo d'Italia, 10 septembre.

173 —

Ces malheureux couverts de haillons, couchent sur la paille et n'ont pour nourriture que deux pains et une gratification de cinq centimes par jour. Ils sont surveillés par des agents de police qui les punissent avec dureté s'ils se plaignent du froid ou de la faim (1).

A la fin du mois d'octobre, les prisons de la Terre de Labour, renfermaient sept cents suspects, celles de la Principauté ultérieure, plus de quatre cents, et deux cents suspects, au mois de novembre, son! Embarqués dans les ports de la province de Bari pour une destination inconnue. Vers la fin de Tannée, le nombre des suspects arrêtés dans la Basilicate était de 3,000.

—Le gérant du journal Napoli, dont l'imprimerie avait été saccagée par des sbires déguisés, est condamné à deux ans de prison et 4,000 fr. d'amende.

— Lord Lennox déclare au parlement anglais qu'en une seule nuit, à Naples, il a vu arrêter plus de deux cents suspects, parmi lesquels des enfants, des femmes et un prêtre octogénaire.

Au mois de décembre, cent vingt suspects de la province de Naples sont déportés aux îles Ponzi. Dans le seul mois d'octobre, la police opère trois cents vingt-cinq arrestations dans la province de Molise. Dans les Abruzzes, mille quatre cent quatre-vingt-cinq suspect sont été arrêtés dans l'année, dont six cents seulement dans la province d'Aquila (2)«

La princesse Barberini-Sciarra, se rendant de Naples à Rome, est arrêtée par la police piémontaise en compagnie de son jeune fils. Un témoin oculaire rend compte, comme il suit, de la physionomie de l'audience:

(1)Le journal Arturo, de Palerme, 8 avril.

(2)Voir, pour le complément des arrestation, in chapitre Prisons.

174 —

«A 9 heures du matin la salle était remplie de monde, les tribunes littéralement envahies. On y remarquait un grand nombre de dames napolitaines.

Les sbires et les mouchards étaient un peu partout,il n'était pas difficile de les reconnaître.

L'audience s'est ouverte à onze heures et demie. On voyait au banc des défenseurs les illustres avocats Casella et Tarentini, MM. Mazetti, en cravate blanche et en habit noir.

La princesse Barberini est introduite au milieu d'un silence solennel; elle est accompagnée et soutenue par la marquise de Castelnuovo et par une jeune demoiselle française dont j'ignore le nom, qui ont obtenu l'autorisation de s'asseoir à ses côtés pendant les débats.

La princesse est vêtue de noir, elle paraît être âgée dé quarante à quarante-cinq ans, son front est élevé, elle a de grands yeux noirs, le regard intelligent. On remarque sur sa figure une excessive pâleur, que l'on doit attribuer aux neuf mois de prison préventive qu'elle vient de faire. Elle n'est ni intimidée, ni abattue; elle répond avec calme aux questions des juges.

Le chevalier Quattromani, octogénaire aveugle, est assis à côté de la princesse sur le banc des accusés. Un fort piquet de troupes garde les abords de l'audience.»

On connaît trop bien tous les détails de cet odieux procès sans que nous fassions aux juges du Piémont l'honneur d'y revenir.

175 —

IV

Deux cents suspects sont arrêtés et détenus dans] a prison de Melfi sur les dénonciations d'agents de police; quatre-vingt-quatorze sont relâchés quelques jours après. Le chef de la sûreté publique de Venosa, le sieur Guglielmi, est condamné aux travaux forcés par le tribunal militaire de Potenza pour avoir calomnieusement dénoncé des citoyens (1).

— Les excès commis par les Piémontais deviennent si notoires, qu'on en trouva la condamnation dans les journaux même qui passent pour être dévoués à leur idée:

«On s'entretient très-vivement à Naples des faits qui se sont passés dans la nuit du 13 au 14 août à la pointe du Pausilippe dans une villa appartenant à un Français, M Delahante»

«Au grand regret des véritables amis de l'Italie, les au tontes locales ont commis, dans ce court espace de temps, un asses grand nombre d'outrages au droit et aux convenances, pour qu'on pût se croire à Mexico sous l'autorité de Juarez

(1)Le journal îl Popolo d'Italia, mars 1603.

176 —

Cinq à six cents soldats et des escouades de police ont envahi la villa par terre et par mer. Escalader les murs, briser une grille, fouiller tous les appartements et tous les meubles, pénétrer dans la chambre d'une femme récemment accouchée, malgré les supplications de son mari, intendant de l'habitation, telle est la première période de cette expédition odieuse dans les procédés, ridicule dans ses résultats, et qui avait même dédaigné toute apparence de formes judiciaires, telles que mandat, sommation et autres détails par lesquels les nations civilisées se distinguent des sauvages.

Le motif d'une pareille irruption dans un domicile privé serait, dit-on, la recherche de brigands. Or, on n'en trouvait pas encore, et le jour approchait. Rentrer en ville sans capture, impossible: alors on se souvient qu'un grand nombre d'ouvriers, environ trois cents, étaient occupés par le propriétaire aux réparations de son parc. L'heure de leur journée allait sonner, ils arrivaient à leur travail; une grande embuscade est organisée et voilà les trois cents ouvriers cernés, pris, terrifiés, épluchés. Trente d'entre eux sont emmenés à Naples au hasard et sur leur mine; car, au bout de quatre heures on les relâche, sauf un seul qui pourrait bien être un réfractaire (1).»

— «Vous devez savoir que des individus qui s'étaient volontairement présentés ont été condamnés à être fusillés, et fusillés par derrière, ce qui est contraire à la loi. On a condamné à more des mineurs qui cependant n'avaient pas été pris en fait de brigandage; on a passé par les armes des individus coupables, non de brigandage, mais simplement de délits communs, usurpant ainsi le pouvoir de la magistrature civile, sans que le garde des sceaux s'émût.

(1)Le journal la Presse, de Paris, 25 août 1863.

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Le garde des sceaux a connu ces faits, et il n'a pas cherché à réclamer justice. On a condamné aux travaux forcés à perpétuité, pour complicité dans le brigandage, les femmes des brigands, et à dix ou quinze années de fers des filles qui n'avaient pas atteint Page de douze ans. Je ne révèle pas les noms, je ne cite pas les tribunaux, parce que le ministre connaît très bien tout cela, et je ne sortirai de ma réserve que dans le cas où. M. le ministre se croirait en état de me contredire (l).»

—Paroles du député Crispi, dans la séance parlementaire du 8 juin 1864:

«Un ministre italien est venu vous dire avec cynisme que le tribunal militaire s'est trompé en condamnant à mort un individu... messieurs, cette indifférence n'est pas supportable. La mort d'un homme ne peut s'excuser par des prétextes qui déshonorent l'humanité. Je me sens rougir, messieurs, plus que l'honorable ministre, d'avoir dû écouter, dans cette séance, des paroles qui laissent une tache sur le front qui les a proférées.»

—Je laisse la parole à la Gazette de France (2):Nous avons maintenant à citer quelques fragments de la brochure du comte Bianco de Sant'Jorios, cet officier dont nous parlions plus haut. M. de Sant'Jorios a fait la guerre contre les réactionnaires, qu'il n'aime point, et il ne demanderait pas mieux que d'être encore employé à la chasse aux brigands. Mais son honnêteté a été révoltée de tout ce qu'il a vu. Son livre, éclos d'un mouvement indignation, lui a valu, nous rapporte-t-on, d'être traduit devant un conseil de guerre. C'est son affaire; la nôtre est de recueillir ses aveux.

(1)Séance parlementaire du 8 juin 1864. —La ministre n'a pas contredit M. Minervini, et pour cause.

(2)Numéro du 29 juin 1864.

— 178 —

Voici, d'après l'officier piémontais, ce que sont les magistrats qu'on a donnés à l'Italie pour y faire fleurir le règne de la justice:

«Allez voir dans les cours royales, dans les tribunaux, dans les préfectures, dans les secrétariats, dans les chancelleries, enfin partout, et vous n'y verrez que désordre et confusion Vous serez épouvantés des innombrable actes de démence qui, prenant la forme d'ordres, de sentences, de jugements, vont frapper les citoyens dans leurs biens, leur liberté, leur sécurité et leur honneur...

Au point de vue de la moralité, on voit des choses incroyables: des espions de l'ancienne police, des clercs d'huissiers ou d'avocats, des commis de magasins ou de douane, etc., sont maintenant devenus juges de paix, jugée de tribunaux civils et même de cours d'assises, ou bien sous-préfets, préfets, administrateurs, etc. etc... Vous rencontrerez dans ces places des individus perdus. de réputation, ayant vécu jusqu'à présent avec les pro duits des pièges tendus dans les cafés, etc. etc. Un Napolitain de mes amis trouva installé, en qualité de juge de paix, dans un quartier de Naples, un individu qui, à l'époque où il était étudiant, lui ménageait deux fois par semaine, moyennant quatre carlins...., un rendez-vous avec une danseuse. Cette affaire fit du bruit; le juge de paix fut changé et promu à un arrondissement de la haute Italie

On voit aujourd'hui des juges qui étaient naguère garçons d'hôtel, musiciens ou coiffeurs. On voit dans la justice des fils de danseuses et de courtisanes, des fils naturels de députés, etc...»

Voilà pour l'ensemble. L'officier italien entre ensuite dans les détails, et quelques-uns de ces détails sont de nature à effaroucher la pudeur publique; aussi devrons nous les passer sous silence.

179 —

Il cite des noms avec assurance; nous nous bornerons à mettre des initiales:

«M. Mathieu O..., juge de paix à G..., est tenu généralement pour un homme de mauvaise foi, vénal, sans énergie et immoral...»

Nous n'osons pas achever la phrase.

«Le juge de paix de F..., M. C..., vit maritalement avec une prostituée nommée Carm... Celle-ci intrigue dans les affaires de justice, et le public en sent l'influence dans les prévarications du magistrat...

M. R. M..., juge de paix de P..., est un coquin et un intrigant. Il se sert de tous les moyens pour obtenir que des témoins se dédisent...»

Nous reculons encore devant la traduction d'un passage.


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«Le commissaire de la sûreté publique de M..., M. P. M..., se rendit chez le général Govone, et lui apprit qu'un prisonnier avait avoué dans sa déposition avoir donné, lors d'une arrestation précédente pour un autre vol, 160 livres à M. G..., commissaire cantonal, résidant à M..., et avoir été, à ce prix, mis en liberté.

Il y a à peu près un mois, un de nos bateaux à vapeur en croisière captura un bateau pêcheur, venant de T..., qui avait embarqué deux individus non inscrits sur le rôle, et possédant beaucoup d'argent. Cela éveilla les soupçons. Le commissaire d'arrondissement écrivit deux dépêches à A... et à R..., pays de ces individus; obligé de se rendre subitement à Naples, il chargea le commissaire de canton de porter ces dépêches au télégraphe. A son retour, il put s'assurer que lès deux télégrammes n'avaient point été expédiés, et que les deux suspects avaient été relâchés moyennant la somme de 25 écus romains.

Il y avait à M..., pour commissaire de canton, M Pascal M... Celui-ci prenait de l'argent...»

—180 -

Il y a là certaines choses trop scabreuses pour la morale.

«Il prenait de l'argent à droite et à gauche, à propos de tout. Le commissaire d'arrondissement ayant constaté huit de ces faits, en informa le préfet de G...; P... M.,, fut envoyé à A.,., ce qui équivalait à un avancement.

Le général Govone, lorsqu'il était à S..., apprit que le commissaire de police de l'endroit, M. J... B..., profitait de sa position pour... (!!!) et pour se livrer à tous les abus. Poltron, il propageait des nouvelles fausses et alarmantes. Ce commissaire n'était point dans le cas de donner aucun renseignement à l'autorité; tout le monde le haïssait parce qu'il était fripon, blagueur, méchant et capable de tous les excès. Le général en informa le comte Ponza di San Martino, alors lieutenant général du roi à Naples, qui transféra M. E..., au commissariat de S... G...

M. V. R..., délégué delà sûreté publique à P.., fit deux fois des perquisitions chez M. G..., dans l'unique but d'extorquer de l'argent et de s'emparer de quelque objet précieux. L'armurier P... était occupé à monter deux fusils militaires, M. R... le surprend dans cette opération, le fait jeter en prison et confisque les deux canons de fusils. Le lendemain, l'armurier fut relâché à condition qu'il ne réclamerait jamais les deux canons de fusils, que s'adjugea le délégué de police; ce dernier s'étant, en outre, emparé d'un fusil de garde national, força l'armurier à le lui monter gratis à la bourgeoise. Le même délégué organisa, en 1861, une escouade de vingt individus dans le but apparent de faire mieux le service de la police, mais en réalité pour profiter de la paye de dix hommes, puisque sur les registres il en portait trente au lieu de vingt. Dans le mouvement réactionnaire du 9 mai 1861, il emprisonna de malheureux innocents, des pères de famille qui  avaient besoin de gagner leur vie..., etc..»

— 181 —

Si le public n'est pas édifié, ce ne sont vraiment pas les révélations qui lui manquent. Tel est, au jugement d'un officier, le personnel de fonctionnaires préposés par le gouvernement de Turin au maintien de Tordre, à la sauvegarde de la moralité des citoyens et de l'administration.

Dans la salle de Partinico, on arrête un brigadier de police dans la possession duquel on trouve des couverts d'argent pour une valeur de 26,000 francs, et volés quelque temps auparavant au sieur Gambino.

Le secrétaire général du ministère de l'intérieur, M. Spaventa, le 30 janvier 1863, envoie à Naples, pour y être mis à exécution, un décret royal du 29 décembre 1862, généralement reconnu comme monstrueusement arbitraire. Ce décret, usurpant la juridiction des tribunaux civils, dispose illégalement de l'opulente   succession Zuccaretti, d'une valeur de deux millions, destinés par le testateur à des œuvres de bienfaisance populaire,telles que l'hôpital des pèlerins et le monte-de-piété de Tarente. Le public ne remarque pas sans une défiance railleuse que le garde des sceaux, qui est de cette ville, n'a fait intervenir évidemment ce décret royal que pour favoriser des intérêts privés. En effet, de cette manière la succession se trouve capricieusement partagée entre les parents du ministre, au mépris de la cour de cassation,qui avait déjà repoussé leurs prétentions (1).

(1) Le journal Babilonia, 23 mars, n 9.

FINANCES

Le Piemont a ruinè tout ce qu'il a touchè
au contraire du fabuleux Mydas,
qui pour tout aval de oreilles d'âne.
Voyage Au Royaume De Naples En 1862,  p. 25

La confiance qu'inspirait le florissant royaume des Deux-Sicilies, sous le gouvernement légitime, en faisait rechercher avidement sur toutes les places les actions et les titrée do rente. Naples, au point dé vue dé la solidité et du taux élevé des fonds publics, marchait de front avec l'Angleterre et ne faisait d'ailleurs que rappelé aux financiers européens les temps prospères où, sous dès Bourbons aussi, la rente française s'élevait à un chiffre depuis trop longtemps oublié. Aujourd'hui que Naples a perdu son autonomie, c'est-à-dire son indépendance et son roi, la rente est à 65, et c'est à peine si la masse des petits capitalistes ose en acquérir.

Dans un travail statistique qui a paru dernièrement l'auteur range par degrés les puissances européennes selon la confiance qu'elle inspirent au publie financier.

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On prête à l'Angleterre a trois pour cent; à la France à quatre et demi pour cent, à la Russie à cinq, à l'Autriche à six, à la Turquie et au royaume d'Italie à dix pour cent (1).

Comment pourait-il en être autrement dans un État où le déficit quotidien est d'un million de francs, dans un État où les plus impudentes dilapidations sont assurées de l'impunité, dans un État enfin qui, né d'hier par un scandale, s'agite déjà au bord de la banqueroute, autant dire de la mort. Rien ne lui a servi de toutes, ces richesses annexées, confisquées, —le Code pénal dit un autre mot, — de ces effroyables impôts, de ces donations extorquées impudemment, de ces emprunts renouvelés avec un sang-froid grotesque.

Le Piémont ne s'est pas enrichi peut-être; mais à coup sûr il a ruiné Florence, Parme, Modène, Bologne et Naples. Il multiplie les chemins de fer non pour accroître le bien-être des populations, mais—tous ses journaux le disent avec une naïve maladresse—pour hâter l'extinction du brigandage; plus de chaises de poste arrêtées, plus de Piémontais dévalisés, tel est le comble de la félicité promise aux provinces méridionales du royaume d'Italie. — Il n'en est pas moins vrai que ces créations de lignes ferrées, comme tant d'autres exploitations décrétées, ne sont au fond qu'un prétexte d'enrichissement partiel ou total pour tel député soudoyé, pour tel ministre concessionnaire... Je m'arrête là.

Le type des financiers piémontais est sans contredit M. Bastoggi, pauvre hère de la veille, millionnaire du lendemain, — je devrais même dire le comte Bastoggi, car ses écus, ou plutôt ceux des autres, lui ont rapporté un écu.

(1)Maurice Block, Statistique, avec treize tables; Paris, 1862.

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Le mot n'est pas de moi, non plus que celui qui qualifiait cette noblesse de fraîche date de noblesse prunt; car M. Bastoggi n'a qu'on talent qui résume son passé, son présent et certainement son avenir: emprunter. L'emprunt peut ne pas réussir pour l'État, mais il réussit toujours pour M. Bastoggi, qui en retire à merveille honneurs et profits. Ab uno disce omnes! Le hasard a doublé l'habileté de cet homme, et la fortune l'a fait plusieurs fois millionnaire d'un seul coup de roue. A ses côtés, la foule est nombreuse de ces conspirateurs d'autrefois, parvenus d'aujourd'hui, qui insultent à la misère du royaume par un faste sans pudeur ni pitié! Je l'ai dit ailleurs, c'est là qu'il faut chercher le secret de la situation lamentable des finances italiennes, et c'est là que le penseur chrétien aperçoit clairement le doigt vengeur de la Providence: le royaume d'Italie sera défait par les mêmes hommes qui l'ont fait (1)!

(1) Voir le Voyage au royaume de Naples en 1862, de la p. à la p. 47.

II

Le gouvernement français, frappé du mauvais, étal des finances italiennes et désireux de sauvegarde les intérêts des petits capitalistes, ne permet pas de cote à la bourse le nouvel emprunt que propose au parlement le ministre Minghetti. Celui-ci a effectivement révélé à la Chambre la triste condition du trésor (1); et cependant il y a à peine quelques mois que son prédécesseur Bastoggi a contracté un emprunt de cinq cents millions, qui ont été dissipés comme tant d'autres? M. Minghetti demande à la Chambre d'effectuer un nouvel emprunt de 700 millions effectifs, ce qui, avec les commissions et les remises en usage, nécessite un emprunt réel d'un milliard; de façon que la dette publique italienne atteindra l'énorme chiffre de cinq milliards. Comme pour combler la mesure, le ministre ose affirmer que malgré ce nouvel emprunt les finances sont bien loin de péricliter, grâce aux expédients qu'il indique:

1° Économie annuelle de cent millions pendant quatre ans;

(1) Séance parlementaire du 14 février.

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2° Augmentation de cent cinquante million dans le revenu public;

3° Accroissement des revenus indirects.

4° Extension des bureaux de vente privilégiés de sels et tabacs au provinces annexées, qui, il faut le dire, n'avaient pas connu jusqu'alors cette charge nouvelle;

5° Imposition sur divers biens que les anciens gouvernements avaient exemptés;

6° Recherches de moyens propres à accroître encore les revenus de l'État.

M. Minghetti déclare qu'en cas d'événements extraordinaires, il demandera de bien plus grands sacrifice et qu'à l'occasion 220 millions se retireront de la vente des biens confisqués à l'Église et 224 millions des domaines aliénés, en tout 444 millions. Mr. Minghetti n'oublie qu'une chose, c'est de dire que la moitié des domaniaux ne sont pas encore aliénés. Comme ressource il propose de vendre les chemins de fer de l'État et les biens des œuvres de charité.

Que deviendraient alors ces milliers de vieillards, d'orphelins, d'infirmes, d'indigents, de malades, secourus par les hôpitaux, les crèches, les asiles? Mais qu'importe au ministre piémontais! Il lui faut de l'argent, n'en fût-il plus en Italie, et que lui importent le moyens si le parlement en a la honte?

En résumé voici ce que propose M. Minghetti: une augmentation de 115 millions d'impôts, une économie de 75 millions de travaux publics, la vente générale de tous les bien de l'État et de l'Église, des communes et des institutions de bienfaisance, et c'est avec ces inavouables ressources qu'il espère rendre la vie au jeune royaume.

— Un certain nombre de députés s'opposent au nouvel emprunt, dans l'espoir que

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«la Chambre n?aura pas l'audace de raccorder à un ministère qui en cinq mois n'a su rien faire, et ne tiendra pas plus ce qu'il promet que son prédécesseur (1). Au contraire, à la fin de 1864, nous aurons un déficit de 670 millions de plus. Cette voie nous mène à notre perte; parlement et gouvernement dorment au bord d'un abîme, et cet emprunt ne sera le dernier que parce que leurs jours sont comptés. En quatre ans, on a fait trois gros emprunts de 3 milliards 200 millions, et élevé la dette publique annuelle à 320 millions. Avec tout cela, on n'a rien fait, on n'a rien réparé, et c'est tout au plus si l'on a retardé d'une. année encore une banqueroute qui n'en sera que plus effroyable (2).»

— Le sénat piémontais blâme le nouvel emprunt, «qui n'est pas de 700 millions, mais d'un milliard en réalité, ce qui charge la génération présente et les suivantes de 50 et quelques millions d'intérêt annuel: cet emprunt nouveau, qui vient une année à peine après qu'on en a voté un autre de 500 millions et qu'on a autorisé le gouvernement à émettre pour 300 millions dé bons du trésor. Il est pénible de comparer l'état de nos finances avec celui des finances des anciens États italiens avant l'annexion: ils ne dépensaient alors que 500 millions en tout, et maintenant on en dépense le double; leur dette publique ne montait pas à deux milliards, et celle de la dette d'Italie monte déjà à cinq milliards (3).»

— Malgré tout, le parlement approuve, avec une précipitation tristement instinctive, le nouvel emprunt Minghetti, le plus colossal de toute l'Europe, et retire la

(1)Séance parlementaire du 25 février.

(2)Ibidem. du 21 février.

(3)Séance du sénat piémontais, 9 mars.

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parole à un député qui disait: «Chaque jour ne fait qu'aggraver la situation de notre crédit (1).»

—Les économies que H. Minghetti se vantait d'introduire dans le budget de 1863 n'ont pu se réaliser, ou du moins elles ont été annulées par de nouvelles dépenses imprévues. Aucune des trois lois d'impôts n'a pu être appliquée à l'époque désignée par le ministre. Les revenus n'ont point produit l'augmentation qu'il en espérait. Le nouvel emprunt a été rapidement englouti; mais la maison Rothschild y a gagné 25 millions, si l'Italie y a perdu. On prévoyait un déficit de 353 millions, et en réalité il est de dix millions de plus (2). Le déficit avoué officiellement est d'un million par jour.

—D'après les chiffres officiels, le déficit,

pour l'année 1862, a été-de...........................366,000,000 fr.

Pour 1863.......................................................363,000,000 fr.

Le déficit prévu pour 1864 est de..................280,000,000 fr.

Le déficit total pour ces trois années est

donc de.......................................................1,009,000,000»

Les journaux officieux de Turin crient eux-mêmes contre le nouvel emprunt Minghetti, «tombé sur la Bourse comme la foudre, chose grave, difficile et ardue (3).»

Les économistes remarquent que les consolidés italiens à 5 p. 100 sont à 63, tandis que ceux des autres puissances européennes sont à 93 et ne donnent que 3 p. 100. En suivant la proportion, la rente italienne se trouve donc réduite à 37 francs 80 centimes, qui représentent néanmoins un capital de 100 francs. Le nouvel emprunt a pour résultat immédiat d'abaisser encore le

(1)Séance parlementaire du 28 février.

(2)Ibidem, du 14 décembre.

(3)Le journal l'Opinione, 17 février.

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chiffre susdit, et de le réduire à 34 it. 80 c — Assurément un particulier, qui régirait sa fortune à l'instar du Piémont, serait frappé d'interdiction, et la justice lui nommerait un curateur. — Les avis n'ont cependant pas manqué à ce petit gouvernement infatué d'un succès de mauvais aloi; voyez le rapport du marquis de l'Isle de Siry au ministre des finances de l'empire français (1); relises les paroles prophétiques du meilleur ami du Piémont; j'ai nommé le chancelier Gladstone; «L'Italie, dont les destinées sont encore en suspens, augmente malheureusement sa dette, d'année en année» avec une rapidité qui doit faire trembler ses meilleurs et plus fidèles amis (2).» — Il n'est pas jusqu'au Moniteur universel qui n'envoie un avertissement au royaume d'Italie, en publiant une correspondance, à la date du 4 octobre, qui se résume ainsi: — L'augmentation disproportionnée des forces militaires impose des charges énormes au budget italien; il est à craindre que ce gouvernement ne soit bientôt à bout de ressources. Les dépenses nécessaires pour compléter l'organisation de l'armée, de la marine, de toutes les administrations, pour les travaux publics, jointes aux irais considérables qu'entraîne la répression du brigandage dans les provinces napolitaines, où il faut maintenir une armée de 100,000 hommes sur le pied de guerre, sans parler des nombreux secours à distribuer aux victimes du brigandage, tout cela coûte millions sur millions, sans que tant d'efforts parviennent à modifier sensiblement la situation (3). — Un journal de Bruxelles, la Finance, publie, vers la mémé époque,

(1)Voyage au royaume de Naples en 1862, p. 40 et suivants.

(2) Chambre des Communes, séance du 16 avril 1863.

(3) Le Moniteur universel Correspondances, 4 octobre.

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une série de considérations sur la situation critique des finances italiennes, et démontre, que les bons du trésor actuellement en circulation montent à 400 millions, et non à 100 seulement, ainsi qu'a voudrait le faire croire le-journal ministériel l'Opinione.

—Plusieurs députés s'écrient au sein du de Turin: «A quoi bon parler sans cesse, d'économie, tandis que, depuis trois ans l'on n'a fait autre que dépenser? Et ne le reprochons à mais bien à nous-mêmes, qui avons imposé au ministère cette fièvre de dépenses (1):»

—«Il n'est que trop vrai que plusieurs provinces d'Italie sont grevée» d'impôts en comparaison des autres; et il est vrai aussi que ce gouvernement coûte beaucoup plus que le précédent; tandis, au contraire, qu'un gouvernement libre devrait coûter beaucoup moins qu'un gouvernement absolu (2).» — «Je blâme l'inscription des dépens secrètes au budget de l'intérieur; elles ne conviennent pas à un gouvernement constitutionnel, qui ne s'en sert que pour corrompre (3),»

—Des plaintes surgissent jusque dans le parlement anglais: «Les impôts sont tellement augmentés à Naples, qu'ils sont moins productifs qu'autrefois, malgré l'augmentation décuple. La dette nationale est devenue six fois plus forte, tandis que diminuait la sûreté de la vie et des propriétés. Si l'état de choses actuel continue,si notre gouvernement ne le fait pas cesser, en donnant de sages conseils au Piémont, il nous conduira aux plus graves complications européennes (4).»

(1)Séance parlementaire du 2 février.

(2)Ibid. du 25 février.

(3)Ibid. du 10 avril.

(4)Chambre des Communes, séance du 8 mai.

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—Ses perpétuels emprunts ont discrédité le gouvernement italien au point qu'il en est réduit aux expédients;il vit, un instant, de  traites à longues échéances sur les places étrangères. Le Diritto, de Turin (1), donne le fac-similé d'une de ces lettres de change, tirée sur un banquier milanais.

On ne pouvait dépeindre sous de plus vives couleurs la situation économique du Piémont, que ne le fait un membre du Sénat: «La mauvaise politique fait les mauvaises finances. Chaque année se présentent des déficits de beaucoup de millions, et il est impossible de ne pas mourir sous le poids de nos œuvres. La dépense certaine est de 821 millions; la recette présumée, de 546 millions; l'effroyable déficit annuel, de 275 millions. Rien qu'en trois années, les intérêts de la dette publique se sont accrus de 70 millions par an, sans compter le nouvel emprunt de 700 millions. Celui-là n'est pas Italien qui ne sent pas la gravité de cette situation. Bans diverses branches du service public, l'argent est gaspillé aveuglément. Dans l'instruction publique, on dépense 16 millions pour des instructeurs qui n'instruisent pas, et des directeurs qui ne dirigent pas. Le ministère de la justice dépense plus de 20 millions pour avoir des juges sans jugement. Le ministère de l'intérieur est tin gouffre immense et orageux, qui, pour son administration si mal organisée, engloutit à l'État près de 64 millions; et, ce qui est pire, la paye de 60 préfets monte annuellement à 7 millions, outre leurs frais gratuits de représentation. Au ministère de l'industrie,de l'agriculture et du commerce,  on donne 4 millions et demi pour encourager on ne sait qui. Le ministère des travaux publics paye des ingénieurs qui ne font rien que se tenir les bras croisés.

(1)Numéro du 24 février.

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Les dépenses du ministère des finances sont excessives, 340 millions par an, autrement dit plus des trois cinquièmes du revenu de l'État pour payer le ministère, le secrétaire général, 4 directeurs généraux, 23 chefs de division, 6 inspecteurs généraux, 6 inspecteurs centraux, 50 chefs de bureaux, le secrétaire particulier du ministre, 26 secrétaires, 314 attachés; total: 535, un bataillon de bersaillers!... Quant au ministère des affaires étrangères, son personnel est immense et coûteux au point de dépasser celui des premières puissances. C'est pis encore pour le ministère de la guerre: rien que le service des bureaux coûte 180 millions. La bureaucratie est enracinée en Italie, et tous y demandent et veulent des emplois. Proverbial est rembarras du ministère de la marine, pour lequel on dépense 51 millions par an, sans avoir rien, rien (1)1»

—La marine piémontaise est dans un état assez déplorable pour qu'un député, revêtu d'un double mandat officiel, croie devoir le dépeindre, en ces termes: «Notre marine manque actuellement d'organisation; car son organisation première, instituée par un simple décret royal, a été détruite par d'autres décrets consécutifs: elle manque même d'un système d'organisation pour le matériel, aussi bien que de dispositions réglementaires; de là l'inutilité des grandes épreuves qui se sont faites et se font pour constructions navales, pour création de ports, arsenaux, etc., et en cela sont violées souvent les prescriptions de la loi sur les comptabilités. Mais, qui pis est, il n'existe seulement pas d'inventaires réguliers,

(1)Actes officiels du Sénat italien, n. 396.

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ne de tableau exacts du mouvement de navires. Une enquête parlementaire est donc de nécessité (1) i»

— Le gouvernement repousse l'enquête proposée pour jeter la lumière suivie gaspillage inexpliqué des fonds du ministère de 1 marine. Le public murmure tout haut contre dés contrats de constructions navales passés sans l'autorisation du parlement, et contre le payement de 10 millions de francs fait à M. Welf, de New York; contre un second payement de sept millions et un autre enfin de 588,659 francs, fait le 15 janvier (2).

— Il court en Italie cette lettre d'un ministre de la marine à certaine femme...

«Chère amie.

Je ne peux procurer à ton ami les trente mille francs dont il a besoin, qu'en lui donnant une fourniture de toiles, dont l'administration de la marine n'a pas un besoin urgent (3).»

— L'ex ministre Rattazzi, dans la séance parlement 17 juin, parle longuement sur la triste situation des finances, et dit qu'à la fin de 1863 on a déjà englouti l'emprunt de 700 millions et qu'il est besoin de recourir a de nouveaux emprunts; car, pour les économies, il ne faut pas en espérer, et encore moins une augmentation du revenu des impôts

(1) Rapport de la commission parlementaire sur le budget du ministère de la marine.

(2) Le journal la Discussione, de Turin, 3 février.

(3)«Cara amica, non posso procurare al tuo amico le trentamila lire di cui abbisogna, se non dandogli un appalto di te le che non sono di molta urgenza per l'amministrazione di marina...»

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— Un billet du ministre de l'intérieur facilite une fraude de 400,000 francs, commise au préjudice des caisses de l'État, par un faussaire, au nom de la Société des chemins de fer de Livourne, créancière de cette somme pour transport de troupes (1).

(1)Le journal Il Carrière della Domenica, 13 décembre.

196 —

III

A l'époque où le roi Victor-Emmanuel opérait ce voyage à Naples dont les burlesques incidents ont égayé l'Europe, la presse piémontaise même se moquait du pompeux itinéraire officiel en disant: «Le roi, les ministres, les ambassadeurs vont et viennent, et se donnent l'air de faire de grandes choses, tandis qu'en réalité ils n'en font qu'une: gaspiller l'argent delà nation... Mais quand celle-ci sera lasse de voir ainsi dissiper ses deniers, son devoir sera de se délivrer de toutes les choses monarchiques sus indiquées (1).»

— On dit publiquement que quatre carlins par jour ont été payés aux lazzaroni qui ont joué un rôle dans cette parodie d'enthousiasme populaire dont Victor-Emmanuel a été témoin pendant son séjour à Naples. Cependant l'épuisement de la caisse municipale et la répugnance des particuliers à boursiller sans fin réduisent l'entrée du roi aux mesquines proportions d'une fête militaire, et les fabricants d'enthousiasme poussent l'irrévérence au point qu'un journal ose dire:

(1)Le journal le Diritto, de Turin, novembre.

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«Hier le roi est parti pour Naples ou l'a déjà précédé un convoi d'enthousiastes acclamateurs, pourvus aux frais de l'État de billets gratuits, et où un municipe avare quand il s'agit de frais d'instruction élémentaire dissipe des centaines de mille francs pour organiser.»

Le préfet de Foggia envoie à Turin la dépêche suivante, au sujet du prochain passage du roi: «Tout est organisé. Avec les quarante mille ducats, je garantis l'exécution des ordre que vous m'avez donnés. Tout le monde n'est pas encore content; on pourrait faire davantage (1).»

Réponse télégraphique du ministère:

«Contentez tout le monde (2).»

Le Piémont entretient plus d'employés qu'il n'en faudrait pour quatre royaumes d'Italie (3). La conduite de ces messieurs est en général bien loin de mériter des éloges; mais peut-on s'en étonner quand on sait qu'ils sont littéralement pris au hasard, pourvu qu'ils acclament l'unité a cors et à cris. Le public s'étonne et s'indigne de voir «qu'à neuf heures du matin les employés ne sont pas encore au bureau, qu'à dix heures et demie ils sont allés déjeuner, qu'à une heure et demie ils ne sont pas de retour, et qu'à trois heures ils sont allés dîner; il en ressort la nécessité d'en réduire le nombre pour réduire également les dépenses (4).»

Le ministre des finances, au détriment des intérêts napolitains et au scandaleux profit des intérêts

(1)Le journal l'Unita italiana, 9 novembre.

(2)Le journal le Contemporaneo, de Florence, 20 novembre.

(3) Voir le Voyage au royaume de Naples en 1862, p. 33.

(4) Séance parlementaire du 7 février. Paroles du député Joseph Romano.

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piémontais, diminue l'impôt sur l'exportation des chiffons; on envoie par milliers de ballots à Turin, où ils sont employés à toute sorte de fabrications, avec d'importants bénéfices. Pendant ce temps, plus de six mille ouvriers des fabriques de papier sont sur le pavé de Naples, manquant de travail et de pain, par suite de la décadence de ces établissements si florissants, les premiers de leur genre en Italie et peut-être en Europe; car fournissaient abondamment leurs produits à et entre autres à la typographie du  Times (1).

—Après avoir détruit dans les Deux-Sicilies toutes les sources de la richesse publique, fermé les ports francs, anéanti le commerce, le gouvernement piémontais ne cesse de s'étudier à priver le pauvre ouvrier napolitain de ses dernières ressourças: les ouvriers des chemins de fer, les portefaix des douanes, les cantonniers, les maçons et les paveurs, jusqu'aux cigarières et aux nourrices des crèches, tout ce personnel est fourni au royaume de Naples pur le royaume de Sardaigne.

—L'ancienne Monnaie de Naples était de beaucoup supérieure aux meilleurs établissements de ce genre en Italie. Eh bien! le ministère subalpin Ta supprimée sans plus de façon, et par suite a réduit à la misère ses deux cent quarante ouvriers. Croirait-on ensuite que, comme s'il exécutait forcément les clauses honteuses d'un marché antérieur à l'annexion, il fait frapper pour 81 millions de numéraire dans les Monnaies étrangères, sans tenir le moindre compte des plaintes réitérées des députés napolitains (2)?

(1)Séance parlementaire du 27 mai 1861. — Le journal    la Campana di San-Martino, octobre 1863.

(2)Séances parlementaires du 12 juillet 1861 et suivants.

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Le Piémont fait fabriquer en Angleterre jusqu'à ses timbres-poste.

Toutes les monnaies des divers États italiens devant être refondues conformément au mémé système, le Piémont trouve l'honnête expédiant de les réduire de neuf dixièmes au titre de 800, une véritable falsification, puisque la proportion n'existe plus entre la valeur intrinsèque et la valeur nominale des monnaies.

Le fonderie de canons du Châteaux-Neuf do Naples demeure fermée, et cependant c'était une des plus justement en Europe. Dans le but de calmer la ressentiment public, les émissaires piémontais font courir le bruit qu'il sera créé une fonderie à Çapoua.

La vaste poudrière de Scafata, si admirablement dirigée sous les Bourbons, l'est aujourd'hui si négligemment, que, le 19 novembre, il s'y produisit une effroyable explosion qui couta la vie a dis neuf ouvrières, et jette dans la misère les soixante-deux autres e leurs familles.

Le fameux établissement métallurgique de Pietrarsa, qui était à la fois fabrique d'armes nationales, que les députés napolitains représentaient comme une des plus belles choses, créés par le roi Ferdinand II, est vendu par le Piémont et abandonné à l'industrie privée (1). Le nouveau directeur est le Lombard Jacopo Bozza, qui s'empresse d'augmenter les heures de travail et de diminuer les salaires, non sans traiter avec une inqualifiable dureté ceux des ouvriers qu'il suspecte d'attachement à la dynastie des Bourbons, et, a vrai dire, c'est la généralité des ouvriers (2).

(1)Séance parlementaire du 20 mai et du 6 juillet 1861.

(2)Voir au chapitre Brigandage, le paragraphe IV.

200-

—Les journaux napolitains déplorent amèrement la manie piémontaise de détruire les meilleurs établissements du royaume et d'augmenter ainsi la misère du peuple. Une feuille parle de deux jeunes gens qui, les larmes aux yeux, demandaient pour eux du pain, et pour leur mère, veuve et infirme, des remèdes. Ils allaient par les rues, en disant: «Nous travaillions dix heures par jour à la fonderie de Pietrarsa, pour 35 centimes par jour, et ainsi du moins nous: avions un peu de pain pour ne pas mourir de faim: maintenant l'établissement est fermé, et l'on nous a renvoyés avec tous les ouvriers.» De quel droit le Piémont prive-t-il de leur gagne-pain ces enfants de la terre napolitaine au profit de cet inepte et avide Lombard de Bozza? Des milliers de familles sont dans la même position que ces deux malheureux jeunes gens, et combien de justes malédictions pèsent ainsi sur le nouvel ordre de choses!On vend, on dépouille, on se charge de butin; des nuées de spéculateurs nous arrivent des bords de la Doire (1); les rapaces banquiers de France tombent sur nous comme des corbeaux sur les cadavres; pour nos concitoyens, les larmes et la misère; pour les rabbins du piémontisme, les joies et la richesse. L'Italie est faite! Les lions et les ânes ont signé le pacte social de l'unité: aux premiers tout le butin, aux seconds les coups de bâton et pas même une litière (2).»

—Le gouvernement ferme la fabrique de cartes ouer à Naples, et réduit à l'indigence une centaine d'employés, sans avoir égard à leurs longs services et a pénible situation de leurs familles.

(1)Turin, comme on sait, est assis entre la Doire et le Po.

(2)Le journal la Campana del Popolo, 4 juin.

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—Le 5 juin, le sénat approuve la loi de l'affranchissement du tavoliere (1) des Pouilles, privant ainsi l'État d'une de ses plus claires ressources et ruinant lu même coup vingt-cinq mille familles des provinces napolitaines.

Le gouvernement décrète des dons spontanés pour la répression du brigandage; mais le pays, qui envoie des millions à Pie IX, reste sourd à l'appel de ses spoliateurs. La presse officielle de Turin, elle-même, ne peut s'empêcher de faire les observations suivantes: «Nous avons cent vingt mille soldats dans le sud de l'Italie, qui, jour et nuit, détruisent les brigands, lesquels sont à peine quatre cents, à en croire les chiffres officiels. C'est pour eux qu'on dépense tant de millions et qu'on vient encore demander de l'argent. Qui voulez-vous qui souscrive? Les révolutionnaires? Non, parce que, quand il s'agit d'argent, ils en prennent et n'en donnent pas. Les conservateurs? Non, parce qu'ils se défient du gouvernement et de ses faiseurs de collectes... (2).»

(1)Banque agricole.

(2)Le journal la Discussions, 18 janvier.


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-202 —

IV

Le 4 novembre, la Banque nationale de Turin refuse et renvoie tous les bordereaux qui lui sont présentés à l'escompte et entre autres un de 700,000 francs provenant d'un des principaux établissements de crédit de la capitale. — Cette mesure sans précédente jette un trouble inexprimable dans les transactions commerciales et donne lieu à des plaintes nombreuses.

—La proclamation du municipe de Naples, invitait le peuple à célébrer la fête du 7 septembre, c'est-à-dire rentrée de M. Garibaldi, produit une baisse à la Bourse et jette la panique dans les rangs des boursiers

— Les préfets et les moindres employés gouvernementaux se donnent un mal énorme pour forcer tout le monde à souscrire spontanément au denier du brigandage En réalité, ces dons volontaires donnent lieu à d'impudentes extorsions. Les municipes reçoivent l'ordre de souscrire, souscrivent et chargent ainsi les populations, déjà si grevées, d'un nouvel impôt plus vexatoire que tout autre. Les employés qui ne souscrivent pas sont menacés de destitution, s'ils persistent dans leur abstention.

—203 —

On menace les personnes qui s'abstiennent de les défioncer comme fauteurs du brigandage. On promet des croix aux plus ardents collecteurs, piémontistes effrénés. On organise des quêtes à domicile, faites paf des femmes suspectes. On réalise ainsi le fameux dilemme des lieutenants subalpins: «Qui n'agit pas contré les brigands agit contre nous.»

— Dès les  premiers jours,  douze mille demandes de soi-disant victimes du brigandage sont adressées au ministère qui, avant de leur accorder une indemnité quelconque, commence par décréter que les demandes doivent être faites sur papier timbré; ce qui est tout bénéfice pour le gouvernement, qui, d'ailleurs, s'inquiète fort peu de donner suite à ces demandes.

— Le 6 juillet, à Naples, la gare du Centre était le théâtre d'une scène scandaleuse, dont un député était le héros. Il revenait de Castellamare, porteur d'un panier fermé, que les douaniers, fidèles à leurs consignes, se mirent en devoir de visiter; mais l'honorable les en empêcha, en criant avec une superbe et risible animation: «Me faire cette insolence, à moi!... Arrière! arrière! Je suis député!...» Le contrôleur lui fit observer respectueusement que la première qualité d'un législateur était de se conformer aux, lois. Mais le législateur n'en criait que plus fort: «Tais-toi! je te ferai destituer!» Voilà les privilèges des modernes civilisateurs! Quelle misérable et burlesque féodalité (1)!

— «... Assurément, messieurs les honorables vous né prétendrez pas que vous pouvez prendre la députation seulement dans ce qu'elle a d'utile pour vous, c'est- à dire dans le plaisir de voyager gratis dans les chemins de fer et sur les vapeurs; dans votre droit d'inviolabilité,

(1)Le Journal la Campana del Popolo, 8 juillet.

—204 —

dans la facilité d'approcher les ministres et l'orgueil de vous écrier: «Nous aussi nous sommes un pouvoir souverain.» A ces avantages correspond assurément quelque charge; à ces droits, quelque devoir. Si la charge vous parait insupportable, si le devoir vous paraît trop ardu, donnez votre démission (1).» Outre ces précieux privilèges, quatre-vingt-treize députés reçoivent des appointements ou gratifications des chemins de fer et des Sociétés industrielles, subventionnés par l'État, comme membres du conseil d'administration. Par exemple, le conseil d'administration des chemins de fer méridionaux touche 150,000 francs par an, et quinze députés y siègent. Le conseil d'administration du chemin de Savone compte dans son sein huit députés. Enfin, dans beaucoup de lignes centrales, on trouve un certain nombre de députés rétribués par elles. Il ne faut donc pas s'étonner qu'au parlement la majorité ne remédie pas aux inconvénients signalés dans les chemins de fer et qu'on ait donné à la Compagnie étrangère Laffitte la concession des chemins calabro-siciliens, tandis que la Société nationale Sabbatini et compagnie offrait de la prendre à de meilleures conditions (2).

— MM. Laffitte et compagnie acceptent la concession des chemins de fer calabro-siciliens à raison de 230,000 francs le kilomètre, et font immédiatement une sous-concession de l'entreprise à la maison Parent, à raison de 110,000 francs le kilomètre, ce qui fait à la Compagnie Laffitte un bénéfice net de 120,000 francs par kilomètre (3). Quant au bénéfice de MM. les honorables, on n'en parle pas.

(1)La Gazzetta del popolo, de Turin, juin 1863.

(2)Les journaux l'ltaliano, de Florence, le Lombardo, de Milan, la Campana del Popolo, de Naples, 15 juin.

(3)Le journal napolitain le Paese, n° 271.

-205 —

— Pressés d'en unir avec la session parlementaire, MM. les députés votent dix lois de suite dans un seul jour (1), entre autres les suivantes:

1° Le nouvel impôt, que le ministre des finances dénomme «impôt de consommation,» approuvé par 143 voix contre 56, que la presse napolitaine, même la presse hostile au gouvernement déchu, qualifie comme il suit: «Cet impôt est l'injure la plus ouverte et la plus manifeste qu'on puisse faire aux droits et aux garanties populaires; il représente l'imposition, dont un conquérant sans pitié n'aurait pas osé charger les peuples conquis, et atteint la dernière limite du despotisme qui ne raisonne pas... En matière d'impôts de consommation, le gouvernement des Bourbons fut plus juste, plus conséquent, moins oppresseur; il prenait à peine le reste des taxes de consommation, mais il gardait les formes administratives et n'en altérait jamais la physionomie (2).»

2° La concession des chemins de fer çalabro-siciliens, par 174 voix contre 25;

3° La subvention de plusieurs millions accordée aux travaux du port de Livourne, par 190 voix contre 10;

4° La féroce loi-Pica, mettant la fusillade à l'ordre du jour, et décernant des récompenses pécuniaires aux chasseurs de brigands, par 174 voix contre 33;

5° L'autorisation accordée au municipe de Turin de construire à ses frais la façade, dont il manque un côté, delà Chambre des députés, par 174 voix contre 33;

6° Les dépenses pour amener l'eau potable à Cagliari;

7° Les dépenses pour construire de nouvelles douanes à Turin.

(1)Le J"août.

(2)Le journal la Campana del Popolo, n" 185 et 186.

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  — Un décret ordonne la démolition du Château-Neuf, à Naples. Certes, c'était là une occasion de donner du travail et du pain à la pauvre population napolitaine. Loin, de la, on fait venir des ouvriers génois, sous prétexte qu'ils se contentent d'un moindre salaire.

—  Les imprimés, les registres des administrations publiques, les enveloppes; le papier, les plumes, l'encre, la cire à cacheter, la ficelle, tout est expédié de Turin, quand toutes choses abondent à Naples et à un moindre de revient.

—  Un journal napolitain publie ces lignes, pleines de honte et de tristesse: «Hier, une autre cinquantaine d'ouvriers et d'employés du chemin de fer ont été mis sur le pavé, en leur enlevant de la bouche le morceau de pain qui les faisait vivre. En attendant, tous les travaux sont confiés à des étrangers, et nos ouvriers meurent de faim (1).»

— Quelque temps après le mariage de la princesse Pie de Savoie, un chef de la police de Naples entrait dans les maisons des notables citoyens, connus pour leurs tendances anti-piémontistes, et les obligeait à souscrire d'assez grosses sommes, destinées à l'achat d'une statue du sculpteur Solari, que celui-ci avait appelée depuis longtemps la Juive, et qui, pour la circonstance, était devenue l'Esclave rachetée. Il s'agissait d'offrir cette statue à la princesse Pie, au nom des Napolitains, qui certes, à part les donateurs forcés, ne se doutaient guère de leur générosité. La statue payée, il restait un excédant de 6,500 francs. Savez-vous ce qu'en fît l'honnête chef de police? Sans doute, afin que rien ne se perdît, il les partagea bonnement entre le sculpteur... et lui.

(1)La Campana del Popolo, 2 août.

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— Les ministres se jouent du bon sens aussi bien que de la loi. On voit souvent conférer par décret tel ou tel emploi, qui n'existe que dans l'imagination de Leurs Excellences. Ainsi, à la surprise générale, trois professeurs sont nommés a l'École technique de Messine; or il n'y a pas à Messine d'École technique. En attendant, les nouveaux titulaires touchent de beaux et solides honoraires, tout comme s'ils exerçaient réellement le professorat.

— Les députés des provinces méridionales de crier aux ministres: «Depuis la capitale jusqu'au dernier village, vous avez nommé une myriade d'employés» Donne? aux peuples l'administration économique qu'ils désirent, et mettez-un terme à vos abus... Vous ne devriez pas avoir la faculté d'accorder des pensions et des appointements d'expectative; car vous mettez en expectative qui vous déplaît, et de cette manière on a, pour un seul et même emploi, deux employas qui touchent des appointements bien qu'il n'y eu ait qu'un en activité de service (1).»

—On se plaint souvent au parlement, mais en vain, de l'arbitraire avec lequel les ministres mettent en disponibilité, sans motif plausible, tout employé qui n'a pas le don de leur plaire (2).

On envoie de Turin en Sicile des employés tarés (3).

«Les employés sont trop nombreux et trop rémunérés. On gaspille les deniers publics. On voit journellement, dans les préfectures et les sous-préfectures, des

(1)Séance parlementaire du 26 février.

(2)Ibid. du 26 juin.

(3)Ibid. du 7 décembre.

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employés pour fumer et lire les journaux et tuer le temps (1).»

Un journal ministériel fait remarquer, non sans blâme, que, parmi des employés du ministère de l'intérieur, on en trouve un, Silvio Abbondati, qui est âgé de 12 ans et touche cent francs par mois (2).

—Au sénat, on blâme également le nombre exorbitant des employés dons chaque branche d'administration: «Comme si ce n'était pas encore assez, nous avons un autre fléau, qu'on appelle par le nom barbare de diurnistes,c'est-à-dire des employés à la journée; il y en a un grand nombre au ministère de la guerre et à celui de la justice,rien que pour la Lombardie vous trouverez la dépense annuelle du 230,000 francs, pour insuffisance reconnue de personnel (3).»

(1)Séance parlementaire du 11 décembre.

(2)La Monarchia nationale, de Turin, 27 juillet et 10 août.

(3)Séance du sénat piémontais du 9 mars.

209 —

V

Le parlement s'inquiète de l'illégalité avec laquelle s'opère, dans les provinces méridionales, la répartition des biens domaniaux. Les communes, par un sentiment de défiance envers le gouvernement, nomment des commissaires répartiteurs, qui procèdent arbitrairement et contrairement aux lois de l'État. Le ministre est donc invité à rétablir les commissaires domaniaux tels qu'ils existaient sous l'ancien régime, le ministère lui-même, en 1862, ayant coupablement spolié de leurs biens un grand nombre de communes napolitaines. En repoussant cette dernière accusation, le ministre Pepoli avoue involontairement que «les lois napolitaines étaient de beaucoup meilleures que les lois en vigueur dans les autres provinces italiennes (1).

— Le député Macchi déclare qu'il est impossible d'assujettir la Sicile à l'exploitation unique des tabacs par l'État, vu le mécontentement croissant des populations; à quoi le député sicilien Laporta ajoute que «les Bourbons avaient toujours respecté cette liberté de l'île (2).»

(1)Séances parlementaires des 5 et 6 février.

(2)Ibid., du 18 février.

— 210 -

—Les communes, accablées de dépenses nouvelles, la plupart inutiles, sont réduites à un tel point de misère,qu'elles ne trouvent même pas à contracter un emprunt. Curies plaintes des conseils municipaux, le ministère répond que «la loi communale les autorise à prélever sur les habitants n'importe quel impôt extraordinaire, sur la consommation, sur l'importation et l'exportation, sur la farine, les blés, les légumes, le charbon, les boissons, en un mot sur tout article de grand débit. — L'aversion des populations pour les nouveaux poids et mesures s'accroît visiblement, grâce aux lenteurs des employés chargés de les mettre en circulation. Les nouveaux madeles ne sont pas, encore arrivés à Turin, quoiqu'ils soient seuls légaux dans les provinces méridionales, Come si fa (1)?

—Quelque députés s'ingénient à trouver un remède a la ruine croissant du royaume d'Italie. On parle, mais sans résultats, de supprimer les ministères de l'instruction publique, d'agriculture et du commerce, et du contentieux administratif, qui coûtent inutilement cent millions par an u l'État (2).

—Les journaux indépendants comparent les dépenses du royaume  d'Italie et celles de la France, et en prennent texte pour reprocher au gouvernement piémontais les largesses voisines de la dilapidation. En France, par exemple l'administration de la justice est moins coûteuse et mieux rendue qu'en Italie. — La France, dépense 178,000 pour les tribunaux de commerce; l'Italie, 400,006 fr. La  France dépense 157,000 fr. pour 120 cours d'assises; l'Italie qui n'en a pas 100, dépense pour elles un million. Ce plus, la France ne rétribue, ni les avocats des pauvres.

(1) Le journal le Nomade, 20 juillet.

(2) Séance parlementaire du 25 février.

— 211 -

ni les juges auditeurs, ni les surnuméraires; l'Italie dépense annuellement pour eux 700,000 fr. Enfin les dépenses casuelles, en France, sont d'environ 60,000 fr. tandis qu'en Italie elles montent à 220,000 fr.

—Des membres distingués de la magistrature napolitaine affirment aux députés que «les dépenses qu'entraîne l'administration de la justice ne se sont pas seulement doublées, mais centuplées (1). Et cette scandaleuse augmentation s1est produite également dans toutes les autres parties du service public, dont les dépenses se sont accrues et sont devenues plus mauvaises. On dépense insoucieusement l'argent, non pas comme s'il était dû aux sueurs des contribuables, mais comme si on l'avait gagné au jeu. En jetant un coup d'œil sur les cadres du personnel du ministère des travaux publics, en France, on trouve que celui de l'Italie le dépasse de beaucoup; les inspecteurs seulement sont trois fois plus nombreux (2)» — Ce ne sont pas les besoins de l'État qui nécessitent cette armée inutile d'employés fainéants et grassement rétribués: le Piémont, pour asseoir ses conquêtes, a besoin de ménager tous ces complices, et il leur prodigue l'or des États annexés.

—Le budget de la marine italienne monte à 78,237,049 francs. Celui de la marine française, qui a des colonies à administrer, et un nombre de vaisseaux, frégates, corvettes cuirassées et non cuirassées, trois ou quatre fois plus grand que celui de l'Italie, atteint à peine la moitié du chiffre susdit.

— Le budget du ministère de la guerre piémontais est de 248,999,829 francs, tandis qu'en France, avec une armée de beaucoup supérieure en nombre, le budget de la guerre n'atteint pas 370 millions.

(1) Séance parlementaire du 11 décembre.

(2) Ibid.

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Et cependant que de réflexions déjà suscite ce dernier budget, double de celui qu'on payait il y a trente-cinq ans! — Ajoutons que le système suivi en Piémont, pour les fournitures militaires, est véritablement déplorable: c'est le monopole des ministres (1) et de quelques spéculateurs faciles et privilégiés, au grand préjudice de l'État et de l'armée.


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—Je m'en rapporte aux éléments officiels que j'ai recueillis à Turin. A la fin de 1862, l'effectif des troupes sous les armes était de 284,000 hommes, c'est-à-dire de 50,000 hommes de plus que sur le pied de paix. L'entretien de cette armée coûte 249,999,819 francs, dont 42,921,725 de dépenses extraordinaires. Des journaux font remarquer que, bien que vingt-six régiments soient inscrits au budget, en réalité il n'en existe que 17. Le ministère de la guerre devrait donc rendre raison de l'emploi qu'il a fait des fonds destinés à ces neuf régiments chimériques.

La situation numérique de l'armée est établie comme suit pour l'année 1864:

(1)Voir la fin du paragraphe II de ce chapitre

— 213 —

Pied de paix.Pied de guerre.
Infanterie 84 régiments de 4 bataillons, chacun de 4 compagnies Soldats,19,121274,576
Bersaillers régiments 42 bataillons actifs de 4 compagnies, et 7 de dépôt19.12230,555
Cavalerie de ligne 4 régiments de 6 escadrons, et 1 de dépôt
Cavalerie légère 20 régiments de 4 escadrons, et 1 de dépôt9,33824,721
Guides 2 régiments de 4 escadrons, et un de dépôt
Artillerie de campagne 6 régiments de 15 batteries, et 1 de dépôt 16.995

Artillerie de place 3 régiments de 16 compagnies, et 1 de dépôt

4,818  

8,757

Artilleurs pontiers 1 régiment de' compagnies, et 1 de dépôt

1.525

2,155

Ouvriers d'artillerie 1 régiment de 9 compagnies, et 2 régiments de dépôt

2,219

2,796

Génie 2 régiments de sapeurs, de 3 bataillons, chacun de 6 compagnies

3,996

6,224

Tram 3 régiments

2,659

10,656

Administration

2,755

4,283

Gendarmerie 14 légions

18,516

 18,516

Chasseurs-francs* 8 compagnies

1,028

1,028

Etats-majorsf et autres corps

6,763

6,763

TOTAL

233,904  

408,005

L'opinion publique blâme vivement les prodigalités gouvernementales ci-dessous désignées:

1° De fortes récompenses sont assignées aux anciens complices du Piémont dans la révolution italienne, comme

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«ayant souffert pour la cause delà liberté, sous l'ex-gouvernement des Deux-Sicilies.» Or, tous ces imprudents bénéficiera ne sont rien que des martyrs de contrebande, à la façon de Poerio et compères (1).

2° 200,000 francs de don national et une pension annuelle de 8,000 francs, réversibles à sa mère et à sa femme, sont accordés, en sa qualité «d'avant bien mérité de la révolution,» à M. Louis-Charles Farini (2), — qui cependant voulait mourir pauvre!... (3)

3° En dépit des nombreuses économies promises par le ministre Minghetti, 100,000 francs déplus sont accordés pour les dépenses du secrétariat de la présidence de la Chambre.

4° Le personnel du ministère des finances qui, en 1861, était de 430 employés, monte maintenant à 608.

5° On donnait autrefois aux banquiers chargés de payer à l'étranger la rente de la dette publique une commission de 33 centimes pour 100 francs. On leur donne aujourd'hui 75 centimes.

6° Un décret du 30 Juillet attribue une vingtaine de millions à l'armement de la garde nationale.

7° Les communes napolitaines sont impesées de 2,513,855 francs de plus qu'en 1862: dont 588,000 francs pour casernement des troupes, et 2 millions environ pour provisions de poudre, balles et munitions. En résumé, «les fusillés doivent payer les frais de fusillade (4).»

8° On gaspille annuellement 3 millions pour secourir

(1)Gazette officielle du royaume d'Italie: Supplément du 14 frevier.

(2)Loi du 15 avril.

(3) Voir Les Proclames du dictateur Farini Modenais.

(4) Le journal napolitain, la Campana di San-Martino, 23 novembre.

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l'émigration romano-vénitienne, qui en coutait 2 à peine avant 1860, quoiqu'elle fût plus nombreuse.

9° Un décret du 2 octobre autorise un surcroît de dépenses de 8 millions pour différentes branches du service public. — La vota lion du budget annuel par les Chambres n'est donc plus qu'une insignifiante formalité.

10° Le ministre de la guerre, de retour d'une courte excursion «Naples, nolise pour lui seul, aux frais de l'État, le vapeur Cristoforo Colombo, de la compagnie Valéry, au prix de 900 écus (1), avec défense expresse d'y embarquer qui que es soit sans son ordre.

11° Le gouvernement piémontais dépense annuellement une somme de neuf millions, en subventions à la presse italienne et à la presse étrangère pour tromper l'opinion et la diriger à son gré (2).

12° Une somme de 9,305,505 francs est destinée aux citoyens qui ont souffert de la guerre de Sicile, et cela en exécution d'un décret de M. Garibaldi. Les agents du gouvernement, a en croire la voix publique, ont touché le double de cette somme; mais les victimes n'en ont pas touché un centime (3).

13° Le désordre administratif entraîne forcément le désordre financier. Pendant plusieurs jours du mois de mars, à Naples, on voit séjourner, avec l'indemnité d'usage, un grand nombre de paysans et de militaires, cités comme témoins par-devant un tribunal dissous depuis le 24 février. Ils eussent attendu longtemps et patiemment sa résurrection, si la questure n'eût enfin pris sur elle de les renvoyer chacun chez soi.

(1) Près de 5,000 francs.

(2) Le Journal des Débats, 26 janvier 1861.

(3) Les journaux le Precursore, le Popolo d0Italia, n° 92. - Séance parlementaire du 15 mars. Paroles du député Crispi.

216 —

14° 400,000 francs, destinés à l'apaisement de la malheureuse et vaillante Basilicate, sont donnés au préfet Veglia, «dont la nomination surprend tous les bons patriotes (1).»

15° Les organes piémontais accusent souvent le gouvernement bourbonien d'avoir négligé le percement de routes nouvelles, tandis qu'il résulte de documents officiels que rien qu'en 1853 il y appliquait 2 millions de ducats. Un journal sicilien dit à ce propos: «En trois ans, le nouveau gouvernement n'a pas fait un kilomètre de chemin, je ne dis pas de chemin de fer, mais pas môme de chemin carrossable, et il a empêché l'achèvement des routes commencées sous le précédent gouvernement. Tous les projets nouveaux sont restés sur le papier (2).»

(1)Le journal le Popolo d'Italia, 6 décembre.

(2)Le journal l'Aquila latin a, de Messine, avril 1803.


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217 —

VI

La dernière exposition, à Florence, a prouvé sans réplique que Naples n'est inférieur à aucun autre État italien, aussi bien sous le rapport des arts que des manufactures. Naples ne fut-il pas le premier à inaugurer les chemins de fer dans la péninsule? — C'est précisé ment dans la création de ses voies ferrées que le Piémont, s'il faut en croire les premiers économistes, a commis le plus de fautes, lourdement onéreuses à ses finances. Les chiffres suivants en font foi. Il suffira au lecteur de jeter un coup d'œil sur la colonne des sommes garanties par l'État pour chaque kilomètre en exploitation.

Nombre do kilom.

Somme garantie par kil

Total.

Compagnie des  chemins de fer méridionaux.

47

20,000 f.

1,175,000 f.

Chemin de fer de Ceprano à Naples

140

20,000.

2,800,000

Chemins de fer Calabro-Siciliens

930

14,000

13,020,000

Chemin de fer de Basento à Potenza

147

16,000

2,352,000

Chemins de fer de San-Seveiino à Cancello

398

14,000

5,572,000

Palerme à Trapani

Tarente à Brindisi.....

-218-

Les lignes du centre et du nord, jointes à celles des Deux-Sicilies, donnent un ensemble de 4,389 kilomètres, et un total de garantie de78,619,800 francs. 4 1/2 p. 100 sur le capital sont garantis au chemin de fer Victor-Emmanuel et à la ligne de Mortara à Vigevano; 5 1/2 p. 100 des frais aux lignes lombardes; 5 p. 100 aux chemins de fer de Livourne, outre le remboursement au pair des actions, qui sont actuellement au-dessous du pair; 6 p. 100 sur le capital de 80 millions au fameux canal Cavour. Plusieurs millions sont donnés à la compagnie du chemin de fer de Pescara à Foggia, sous prétexte qu'il a été construit dans le terme voulu et qu'il est en exploitation, ce qui est doublement faux. L'histoire en est assez curieuse. Lors du voyage malencontreux de Victor-Emmanuel dans les provinces méridionales, au mois de novembre, les administrateurs eurent l'ingénieuse pensée de faire inaugurer la ligne par le roi. Pour ne pas perdre donc une si superbe occasion, ils pressèrent si intelligemment les travaux, que Sa Majesté Sarde inaugura, en effet, la ligne napolitaine, mais qu'il faut aujourd'hui la recommencer d'un bout à l'autre. Aussi les journaux annoncent-ils qu'elle ne sera livrée au public que vers le mois de mai 1864 (1). — En résumé, d'après des données irrécusables, l'exploitation des 4,389 kilomètres de chemins de fer coûte annuelle ment au trésor 55,784,190 francs.

— Une sorte de fatalité pèse sur toutes les opérations du Piémont, et même sur celles qu'on pourrait croire inspirées par un louable sentiment. On blâme fortement au parlement le projet de loi pour la réorganisation de la loterie, «lequel supprime les avantages préexistants, maintient les anciens vices, et en ajoute môme de nouveaux,

(1)Le journal le Conciliatore, de Naples, 7 février 1864.

-219 —

réduit à la misère une foule d'employé) et augmente de plus en plus le mécontentement dans le» provinces méridionales où. Ton ferait mieux de laisser le choses comme elle» étaient (1).»

— Le gouvernement, fie trouvant sans doute pas assez misérable encore la situation du pauvre peuple de Naples, lui enlève une à une ses plus claires ressources d'autrefois. Un décret du 27 avril dépouille tes banques de tapies de toutes les prérogatives des trésoreries publiques, les détache du ministère des finances, et les déclare propriétés domaniales. Leur dotation monte à plusieurs millions de ducats, grâce à la sage administration du gouvernement déchu et à un habile emploi des fonds déposés par les particuliers dans les caisses d'escompte et des dépôts. Le public y avait tout avantage,puisqu'il pouvait, grâce à cette institution, toucher par anticipation les rentes sur l'État, emprunter sur les coupons et sur les marchandises en douane, en un mot,trouver des ressources, instantanées dans toute» sortes d'opérations commerciales ou financières. En outre, on impose aux banques un droit de timbre, jusqu'alors inconnu, qui rapportera un demi-million; plus, une taxe de 4 p. 100 sur leurs biens de fondation, que le gouvernement déclare biens de mainmorte. ~ Ainsi, pour le Piémont, la plus ancienne, la plus vaste et la plus utile institution de crédit qui soit en Italie., n'est qu'un bien de mainmorte!

—Naples accueille hostilement la circulaire du ministre Manna, ordonnant la transformation de ses diverses banques en banque nationale de Turin, transformation trop évidemment contraire aux intérêts commerciaux du pays.

(1)Séance parlementaire du 29 Juin.

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On rappelle alors que le même ministre, dans un opuscule intitulé: Le provincie meridionali del regno d'italia, et publié moins de deux ans avant ladite circulaire, vantait à outrance l'ancienne banque de Naples, et la mettait «au nombre des institutions qui honorent l'Italie et la civilisation européenne.» Contraste douloureux pour ce malheureux royaume, et peu honorable pour M. Manna! Mais nous sommes faits d'ailleurs à ses palinodies.

— «... Non, M. Manna n'est pas libre dans ses actions! Derrière lui, il y a le gouvernement qui le pousse,qui le force à avancer dans sa fausse voie. Dans l'opinion générale il règne un soupçon, que trop de faits concourent à changer en certitude: on assure que certain ministre a fort à cœur la réussite de la grande banque nationale, parce qu'il en possède un grand nombre d'actions...Un vu intérêt individuel arrive-t-il à faire oublier jusqu'à ce point l'honneur! La Banque de Naples n'est pas absolument une institution gouvernementale, comme le prétend le ministère; c'est l'œuvre d'une société, qui avança les fonds, dressa les règlements, et, dans le cours des siècles, agrandit sans cesse ses opérations au bénéfice du pays. Cette banque n'a jamais manqué à ses devoirs; elle a su acquérir dans le pays une large confiance, et le gouvernement italien lui-même en a reçu d'importants bienfaits (1).»

—Une adresse, rédigée dans ce sens et couverte de plusieurs milliers de signatures, entre autres de celles de M. Rothschild, des membres de la chambre consultative de commerce, et des premiers négociants de Naples,est envoyée au parlement de  Turin. On y remarque les grands éloges donnés à la  Banque napolitaine:

(1)Le journal napolitains Roma, 12 avril, n° 93.

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«Grande institution fondée depuis des siècles, tout à l'avantage du peuple, et qui va de pair avec les plus considérables de l'Europe (1)».

Aux fautes ruineuses du gouvernement s'ajoutent par aggravation l'immoralité de ses employés, la contrebande, l'augmentation arbitraire des impôts, les extorsions des percepteurs. Le plus honteux péculat est devenu à la mode. Le directeur de la Caisse Paternelle s'enfuit avec les fonds que lui avaient remis de trop confiants particuliers. Le secrétaire du bureau de l'état-major s'enfuit avec une somme d'environ 40,000 francs (2).Un agent de change de Turin disparaît avec de nombreuses valeurs; 15,000 francs sont volés à la banque de Palerme.

Les employés de la douane, à Naples, sont chassés pour avoir arbitrairement prélevé de gros pourboires sur les marchands; ce qui n'empêche pas leurs successeurs de les imiter en tout.

—47,000 francs disparaissent de la caisse des douanes, a Naples (3).

—L'inspecteur dès postes de Bari s'enfuit, immédiatement après le suicide du sous-caissier. Un déficit de 13,000 francs est constaté au préjudice de la caisse postale.

—La  contrebande   atteint d'énormes proposions et prive le trésor d'importants revenus. De Malte et Corfou, l'on introduit frauduleusement tabacs, étoffes, sucres, cafés, vins, et en général toutes les matières les plus imposées.

—Le revenu des douanes, dans les ports napolitains, est actuellement d'un million  environ par mois, soit 12 militons par an;

(1)Voir cette adresse dans le Popolo d'Italia, 18 avril, n° 106.

(2)Le Nomade, 22 octobre.

(3)Le journal le Popolo d'Italia, 20 octobre.

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tandis que, sous les Bourbons, il montait à 22 millions (1); décadence navrante, qui n'a cependant pas empoché le chancelier Gladstone d'affirmer au parlement anglais que le commerce napolitain avait gagné en prospérité depuis l'annexion.

—Dans le budget de 1863, le revenu prévu des douanes est fixé à 60,400,000 francs, et les frais d'administration à 17,857,000; ce qui équivaut à une charge de 28,000.

—Le 23 juillet, à Palerme, à la porte du bureau d'octroi, une lutte terrible s'engage entre les douaniers en armes et des hommes du peuple armés de pistolets, qui voulaient délivrer douze charrettes de vin prises en contrebande.

—Les bateaux à vapeur de Gênes à Trieste faisaient escale deux fois par semaine à Bari; ils n'y touchent plus qu'une fois, «à cause du peu d'activité du port,» me dit un officier de marine; et en effet j'ai pu m'assurer par moi-môme que les transactions commerciales sont à peu près nulles.

(1) Gazette officielle de Turin, 27 novembre.

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VII

Le fisc piémontais est, on peut le dire, insatiable: une nouvelle taxe de consommation vient encore charger les populations déjà si grevées d'impôts de toutes sortes et fait renchérir les vivres de première nécessité: «Cette taxe est l'injure la plus nette et la plus manifeste que l'on puisse faire aux droits et aux garanties populaires... Le gouvernement des Bourbons, sur ce point, fut plus juste, plus conséquent et moins oppresseur (1).»

Ces nouvelles extorsions du Piémont produisent un soulèvement à Maddaloni; un millier d'habitants se livrent à une démonstration menaçante. L'autorité judiciaire, accourue sur le théâtre de l'émeute, calme à grands efforts les hostilités populaires en promettant de faire diminuer autant que possible ce dernier impôt.

— En général les populations témoignent une répugnance significative à payer les lourds impôts piémontais.

Je renvoie, pour les preuves à l'appui, au chapitre Armée et au chapitre des Lieutenants piémontais.

(1)Le journal la Campana del Popolo. 2 et 3 septembre.

—224 —

Mais il est juste de dire que la province de Girgenti est celle qui se distingue entre toutes par ses répugnances, qui se traduisent souvent par des résistances à main armée.


vai su


— Les finances se trouvent dans une terrible détresse, la dette publique ayant atteint un chiffre énorme; le crédit tombe à ce point qu'on ne trouve plus à emprunter même à des taux usuraires; le ministère propose et fait approuver parle parlement une loi pour un impôt sur le revenu mobilier, qui doit rapporter 30 millions par an, dont 10,906,345 francs seront payés par les Deux-Sicilies.

C'est en vain que les députés de cet infortuné royaume protestent contre ce surcroît exorbitant d'impôts; en vain qu'il est qualifié au sénat même d'injuste et d'immoral; en vain que toutes les communes s'élèvent contre un impôt jusqu'alors inconnu et qu'en peu de jours plus de trois cents protestations sont adressées au gouvernement; — on répond froidement au parlement qu'il est juste «que tous les bienheureux sujets du nouveau royaume d'Italie participent dans de justes proportions à ces charges comme à ces avantages;» et la loi est aussitôt approuvée, aussi bien que l'article additionnel qui exempte de ce nouvel impôt la liste civile du roi et les apanages des divers membres de la famille royale. Le Piémont n'a pas eu le cœur de suivre l'exemple de l'Angleterre  où le souverain n'est exempt d'aucun impôt.

— Les députés napolitains prévoient «qu'aussitôt après la mise en vigueur de cet impôt tous les municipes des provinces méridionales se démettront en masse... Quand les révolutionnaires cherchaient à renverser le gouvernement des Bourbons, ils ne pouvaient pas dire aux populations: Délivrons-nous des lois en vigueur!

225 -

parce que ces lois étaient excellentes, parce que c'étaient de bonnes lois. Le but des révolutionnaires napolitains et siciliens était donc très-ardu. L'idée de l'unité italienne sourit aux personnes instruites, mais elle ne dit rien à l'esprit et au cœur du peuple, à qui nous faisons tout l'opposé du bien que nous lui avions promis... (1).»

— Les populations ne sont pas à bout de plaintes et doivent s'attendre à de nouvelles charges plus lourdes encore, s'il faut s'en rapporter au dernier discours de la couronne, qui, pour réorganiser les finances délabrées, réclame comme une dette d'honneur de prochains sacrifices (2).

—On trouve la condamnation du nouvel impôt jusque dans les feuilles qui passent pour amies du Piémont. La Presse de Paris (3) prévoit qu'il rapportera à peine 16millions, et l'impôt de la consommation environ 35, en tout 51 millions, non compris les frais de perception qui, en pareille matière, sont toujours énormes. La Presse établit que le budget des recettes n'en sera que faiblement accru, et que la plupart des riches espérances du ministre Minghetti s'envoleront enfumée. Ainsi il espérait 45 millions de l'enregistrement, il n'en a pas eu neuf dans les cinq premiers mois de l'année, ce qui fait un déficit de 20 millions pour un seul chapitre du budget.

Qui pourrait nier que les dépenses augmentent d'un côté, tandis que de l'autre diminuent les revenus? «A Naples, après l'augmentation de la taxe de l'enregistrement, les revenus publics diminuèrent au lieu de s'accroître: ce qui se doit au manque de sûreté pour les personnes et pour les choses...

(1)Séance parlementaire du 4 juillet.

(2)Ouverture de la session parlementaire de 1863.

(3) Numéro du 3 août.

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La taxe d'enregistrement est indigne du gouvernement italien: le riche peut procède à plaisir, mais le pauvre ne peut recourir aux tribunaux. Cette taxe viole le secret des familles. Dans les provinces méridionales elle n'a pas rapporté le tiers de ce qu'ont donné les provinces septentrionales. Ensuite elle est très-lourde aux Siciliens, parce que cette taxe odieuse ne leur fut jamais imposée par les Bourbons (1).»

—Le mécontentement public résulte de l'impôt qui frappe indistinctement les arts et les métiers. (2) Cependant le gouvernement autorise, par une suite de décrets, les Chambres de commerce à percevoir une taxe annuelle sur les individus exerçant dans leur circonscription un art, une industrie ou un commerce.

—Outre les chats, les perroquets et autres oiseaux de luxe, les pianos, les photographies et les balcons, on parle de prélever de nouvelles taxes sur les mendiants, sur les enterrements et sur les quêtes des églises.

—Les finances des États annexés, il est oiseux de le redire, étaient dans la plus florissante situation, et ce ne sont donc pas elles qui ont imposé au Piémont la nécessité de l'emprunt de 500 millions du ministère Rattazzi, encore moins les 700 millions de M. Minghetti; au contraire, les budgets des divers États se soldaient en excédant de recettes; nous en appelons plutôt aux chiffres officiels:

(1)Séance parlementaire du 12 décembre.

(2)Même séance.

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Revenu

Excédant

Royaume des Deux-Sicilies.

128,072,426 f.

1,695,416 f.

Provinces pontificales

78,965,164 f.

1,500,000 f.

Grand duché de Toscane

74,000,000 f.

9,105,956 f.

Duché de Panne

8,702,225 f.

117,161 f.

Total des excédents

12,418,533 f.

retrancher: déficit du duché de Modène

96,081 f.

Total général des excédants

12,323,452 f.

Telle était le situation financière de l'Italie, quand le Piémont s?annexa les divers États qui, aujourd'hui, protestent d'autant plus vigoureusement contre la perte de leur autonomie, qu'ils la ressentent plus douloureusement. Héritier de finances si prospères, le Piémont lès a dévorées d'abord, puis il a eu recours aux emprunts usuraires, et déjà l'on peut prévoir qu'il aboutira enfin à la banqueroute. Le budget de 1863 se solde comme il suit:


Dépenses:  

948,791,384 fr, 68 c

Recettes:   

575,718,679  fr. 71 c.

Déficit :   

368,072,684 fr. 97 c.

Avant la création du bienheureux royaume d'Italie, la capitation était à Naples de 14 francs; dans les Romagnes de 18; à Modène de 15, et d'un peu moins dans les autres États. Aujourd'hui, chaque citoyen italien paye 25 francs 25 centimes par tête.

— «... Nos dépenses augmentent toujours, les revenus publics fondent comme la neige au soleil. On recourt sans cesse aux emprunts. Les impôts n'inspirent pas confiance, parce qu'ils sont mal organisée...

 —228 —

Vous pensez à vendre les chemins de fer et les biens domaniaux! Mais qui vend par nécessité vend toujours mal (1).»

Le cours des fonds publics subit d'effroyables baisses;  ainsi le 5 pour 100 est réduit à 67. Le ministre des finances se voit contraint de demander à la maison Rothschild le payement anticipé de 80 millions sur les deux cents qui restent du dernier emprunt. La maison Rothschild, comme il était facile de le prévoir, ayant répondu par un refus catégorique, le ministre se tourne vers la Banque, qui lui avance seulement 50 millions,puis il émet de nouveau un grand nombre de bons du trésor» — «Vendez les 200 millions qui vous restent encore; ouvrez un emprunt sur les biens nationaux; vendez les chemins de fer de l'État... Si vous n'adoptez pas ces expédients extrêmes, vous n'avez plus d'autre ressource qu'un nouvel emprunt à tout prix. La situation s'est singulièrement aggravée; tout indique qu'elle s'aggravera encore; chaque jour empire la situation (2).»

Le député Mandoj-Albanese constate que l'Italie voit s'ouvrir pour elle la gouffre  d'un épouvantable déficit. Il propose aux ministres, qui promettent bien haut des économies,  de commencer par en donner l'exemple et de rendre au trésor la moitié des 25,000 fr. qu'ils émargent annuellement (3). La Chambre accueille par des rires peu flatteurs pour MM. les ministres, la candide proposition de l'honorable Mandoj-Albanese. Aussi, comment supposer sans rire que des ministres, des ministres piémontais, donnent de l'argent à l'Italie!

(1)Séance parlementaire du 26 novembre.

(2)Le journal la Discussions de Turin, 28 novembre.

(3)Actes officiels de la Chambre des députés, n. 301, p. 1152. Séance parlementaire du 11 décembre.

229 —

Ces sortes de gens ne savent qu'en prendre, sans savoir ni donner ni rendre (1).

—La presse napolitaine juge sévèrement la déplorable condition des finances italiennes et les tristes expédients qu'elle entraîne: «On a prédit que le très-heureux royaume d'Italie ferait banqueroute: il en approche à pleines voiles. Dernièrement on suspendait le payement des mandats sur la poste; aujourd'hui on les solde avec des bons de la banque: C'est avec du papier qu'on paye un autre papier payable à vue! Un gouvernement de banqueroutiers est seul capable de cela! Ajoutons que bien qu'on ait donné Tordre «exprès d'éliminer l'ancienne monnaie, il arrive souvent que le public est obligé de la recevoir de la Banque même, non sans grande perte, parce qu'elle manque absolument de numéraire... Mais où ne nous entraîneront pas les harpies qui nous gouvernent si mal (2)?»

Quand on se rappelle qu'un impôt de quelques centimes, mis sur les fruits par un vice-roi espagnol, amena la révolution de Mazaniello, on se demande si le peuple des Deux-Sicilies n'a plus dans les veines la même ardeur que ses pères, ou bien le philosophe chrétien croit entrevoir la main de Dieu dans ces malheurs prolongés à l'égal d'une expiation.

Je dirai comme le marquis de l'Isle de Siry, envoyé par M. Fould en Italie, avec mission d'examiner a fond la situation pécuniaire du Piémont: «La situation peut se résumer en peu de mots: Impossible d'augmenter le revenu dans le présent. — Pas d'économies. —Continuation d'une politique à outrance, qui droit à la ruine.»

(1)Le journal napolitain la Campana di San-Martino, décembre 1863.

(2)La Campana di San-Martino, 3 février 1864.

230-

Et je terminerai ce navrant exposé situation financière, en répétant aux hommes du Piémont le sage et ironique conseil d'un autre diplomate français:

Vous passez la revue de vos armées, vous feriez mieux de passer la revue de vos caisses!

—231 —


vai su


PRESSE

Cent vingt journaux indépendante

supprimée, par suite de comédies judiciaires

ou d'agression soudoyée...
(Lettre d'un napolitain a M. Gladstone)

Il n'est pas une liberté que l'hypocrisie piémontaise ait laissée debout, pas une qu'il n'ait flattée d'abord, pas une qu'il n'ait terrassée ensuite. — La liberté de la preste, pour laquelle le gouvernement subalpin rompit naguère tant et tant de lances, a été mise par lui, depuis trois années, au grenier des rebuts politiques; ou, du moins, si elle existe encore, ce n'est qu'à la condition d'endosser la livrée ministérielle...

Moyennant quoi, votre salaire

Sera force reliefs dé toutes les façons...

Les écrivains italiens, en un mot, n'ont plus qu'une liberté: celle de paraphraser les idées officielles. Avant tout, il faut être utilitariste et prêcher l'unité par-dessus les toits; sans quoi l'on n'est qu'un bourbonien, un infidèle, un giaour, un paria, un chien, digne de la hart


—232 —

et indigne de toute pitié (1). Malheur au journaliste téméraire qui laissera percer une seule fois dans ses colonnes lu pensée, même la plus voilée, d'un retour à l'ancien ordre de choses! Des sbires déguisés entourent son logis, cassent les vitres à coups de pierres, brisent les presses et dispersent les caractères dans la rue, et s'il a eu le courage de ne pas se mettre en lieu sûr, l'outragent et le maltraitent à l'envi, le plus libéralement du monde. — La police en costume accourt au bruit, s'enquiert de l'affaire, et se retire sur un signe du chef des sbires déguisés; heureux le pauvre journaliste, quand les gardes de la sûreté publique ne font pas cause commune avec les ignobles agresseurs! Le saccage fini, la victime, indignée et confiante en la justice, court se plaindre de ces odieuses brutalités. Que font les juges? Ils mettent le journaliste en état d'arrestation, sous le prétexte d'un ou de plusieurs articles incriminés, le laissent plusieurs mois durant en détention préventive, et daignent enfin le condamner à deux, trois ou cinq années de prison et à d'énormes amendes. — On a vu de cette manière des journalistes indépendants mourir de misère dans les cachots piémontais (2).

Si le journaliste est plus ou moins renommé, on laisse de côté les moyens trop criardement illégaux, et on lui lâche aux jambes une douzaine d'officiers, quelquefois un état-major au grand complet, qui se prétendent insultés dans le journal, et tuent ou estropient le journaliste.

(1)Voir le Voyage au royaume de Naples en 1862, p. 155-156.

(2)Entre autres, à Noto, le jeune directeur du Democratico, Mariano Salvo-la-Rosa, emprisonné pour avoir publié quelques lignes contre le préfet. — Séance parlementaire du 25 novembre l862.

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Pour se figurer au vrai la situation de la presse dans les Deux-Sicilies, il suffit d'ailleurs de se rappeler qu'un général de garde nationale, M. Topputi, prit, sur lui-même, un beau jour, d'écrire au procureur général près la cour criminelle de Naples (1), «pour lui recommander de redoubler de sévérité à l'égard des journaux de l'opposition.» Certes on ne s'attendait guère à voir la garde nationale en cette affaire!

Encore si la justice était juste, s'il y avait des juges à Naples aussi bien qu'à Berlin, si la majeure partie de la magistrature n'était plus servile même qu'ignare; mais en unifiant les poids et les mesures en Italie, le Piémont a omis de les unifier pour la presse. Un journal est saisi tout à coup pour tel article public il y a vingt jours, ou pouf tel article seulement reproduit d'après un autre journal, quand ce dernier n'a même pas été inquiété. Il y a donc deux poids et deux mesures dans le royaume d'Italie: il n'a même pas l'unité du despotisme.

Je veux dire un mot sur la façon dont on pratique les saisies. Un délégué de police et deux agents porteurs d'un mandat imprimé du parquet, se présentent au journal, saisissent le numéro indiqué par leur mandat, et se retirent en saluant la compagnie. Et la farce est jouée; imprimeur et journaliste n'en entendent plus parler. — Tout au plus, parfois, selon son bon plaisir, le mandat de saisie (sequestro) daigne-t-il préciser quel article l'a en traînée. C'est donc d'un sans façon autocratique, comme on voit. A cela, me demandera-t-on, que font les journalistes? Ils font silence, et puis qu'attendre d'une presse dont la majorité ne taille ses plumes que pour grossir le recueil des cantiques officiels? Quel courage, quelle dignité attendre d'hommes à qui leur prose rapporte 9 millions par an?

(1)Le 2 février 1862.

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Dans les temps d'épreuves, la dignité ne marche le plus souvent qu'avec la pauvreté.

Ainsi, on menotte, on bâillonne les penseurs, et l'on croit étouffer la pensée! On galonné, on enrichit les scribes mercenaires; on pille, on emprisonne les écrivains indépendants; nul n'a d'esprit que le Piémont et ses valets;—on sème les croit et les pensions sur la meute officieuse; et, malgré tout, en dépit des agressions soudoyées, des saisies ruineuses, de la prison, de l'amende, de la mort, la pensée survit à ses bourreaux, surgit pour les souffleter partout où ils mentent, partout où ils annexent, et déjà l'on peut prévoir l'heure où elle sonnera le glas d'autres vêpres non moins terribles...

-234-

II

En 184 jours, du 1er juillet au 31 décembre 1863, où compte 192 saisies de journaux. Encore ne parlât-on pas des nombreuses arrestations de gérants responsable, dès suspensions forcées, et des amendes énormes imposées subséquemment aux journaux saisis (1).

—Le ministère piémontais dépense annuellement 9 millions en subventions accordées aux journaux italiens et étrangers (9).

—Les 5 et 6 mars, l'état-major du 83 dé ligna provoque en duel le rédacteur du journal l'Aspromonte, de Palerme.

—A Trapani, le 6 août, six officiers et cinq sous-officiers vont provoquer en duel le directeur du journal Caprera, au sujet d'un article qu'ils prétendent injurieux pour l'armée. L'état-major de la garnison et un escadron à cheval entouraient le terrain du combat. Le journaliste blesse grièvement son premier et seul adversaire après un combat de... trois heures.

—Le 17 novembre, à Palerme, un officier de l'ancienne armée royale napolitaine, qui avait endossé le harnais piémontais, crut entrevoir une insulte à l'adresse des

(1)Le journal l'Unità Italiana, de Milan, 29 février 1864.

(2)Le Journal des Débats, 26 janvier 1864.

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traîtres de son acabit, dans un article du journal il Patio Nazionale, se rendit au bureau du journal, provoqua le rédacteur, M. Joseph Borruso, et le blessa d'un coup de sabre.

— On élabore un décret qui obligerait les gérants des journaux à fournir au gouvernement une caution de 4,000 ducats.

—Nous lisons dans la Strega, de Modène: — «Le 2 décembre, à deux heures de l'après-midi, le parquet est venu nous faire une visite, saisissant, contre toute disposition légale, tous les numéros portant pour titre: Vous êtes ingrats! dont le premier a paru il y a dix-huit jours, et le dernier il y a trois jours. Le parquet, lui aussi, a ses petits coups d'État!!! — Saisir un journal dix-huit jours après sa publication est une incroyable invention du parquet modenais! Qu'était-ce donc que ces terribles articles: Vous êtes ingrats? C'était un réquisitoire historique pour beaucoup de membres de la maison de Savoie, amis et vassaux à perpétuité de la France ou de l'Autriche... Mais que voulez-vous? On veut changer l'histoire (1)!»

—Au mois de février, le gérant du Journal Napoli,naguère saccagé par des sbires déguisés, est condamné deux ans de prison et 4,000 francs d'amende

—Le gérant du journal l'Ape cattolica est mis en état d'arrestation.

Circulaire de M. Peruzzi, ministre de l'intérieur,

à MM. les préfets.

Turin, 21 janvier 1863

«Monsieur le préfet.

Plusieurs circonstances révèlent l'existence d'un accord évident entre les adversaires de l'unité italienne,

(1)Le journal la Campana di San-Martino.

—237 —

notamment ceux qui sont étrangers à notre pays, dans le but d'activer avec une ardeur extraordinaire une propagande dans le sens fédératif, en s'adressant aux sentiments municipaux et en exploitant toutes lès occasions d'un mécontentement passager, conséquence naturelle des transformations politiques et du défaut d'organisation nationale dans les diverses branches de l'administration, défaut auquel le ministère et le parlement se proposent de porter un prompt remède.

Cette propagande, inaugurée et énergiquement favorisée par le parti qui a pour organe, à Paris, le journal la France, a établi à Naples et à Florence des journaux qui portent précisément les noms de ces deux ex-capitales. Ces journaux, ainsi que d'autres, se rencontrent dans les points essentiels de leur polémique, avec les journaux cléricaux et avec certains organes du parti d'action pour combattre l'unité que ces derniers, comme, par exemple, la Nuova Europa de Florence, déclarent ouvertement incompatible avec la monarchie constitutionnelle.

Ces excès ne sauraient être tolérés sans amener la déchéance de l'autorité morale du gouvernement, qui doit se montrer toujours l'adversaire énergique et constant de toute idée contraire à l'unité, sans faire naître des défiances au sein du grand parti national, sans s'exposer aux intolérables excès du genre de ceux dont le journal Napoli a donné récemment le signal.

C'est pourquoi le soussigné, tout en jugeant convenable de laisser la plus grande liberté de discussion, regarde comme indispensable, sous le rapport indiqué tout à l'heure, une surveillance active et une répression énergique et constante, dans les limites de la loi, à l'égard de cette portion de la presse qui cherche à combattre l'unité

—238 —

et a amoindrir la foi dans l'accomplissement des destinées de la nation, conformément au vœu du parlement. Le soussigné est convaincu qu'en agissant ainsi contre les journaux de n'importe quelle couleur, il obtiendra l'assentiment de l'opinion publique.

Quoique la tâche de la surveillance et de la répression soit confiée par la loi spécialement à l'autorité judiciaire, néanmoins l'autorité politique ne doit pas rester entièrement inactive; il importe, au contraire, que l'une et l'autre de prêtent un appui mutuel, chacune dans la sphère de ses attributions.

Dans ce but, le soussigné invite MM. les préfets à porter leur attention sur les excès de la presse dont il est question et à s'empresser de faire les communications officieuses au représentants du ministère publie chaque fois qu'ils verront dans cet excès les éléments nécessaires d'une poursuite.

Grâce à ces dispositions, qui seront communiquées par le garde des sceaux aux fonctionnaires du ministère public, le soussigné espère que la surveillance et la répression seront promptes et efficaces, et attend un accusé de réception de la présente circulaire (1).

Le ministre, U. PERUZZI (2)»

(1) Il nous paraîtrait difficile d'établir plus clairement que ne le fait cette circulaire ministérielle, l'entraînement des populations vers les idées d'indépendance et d'autonomie.

(2) J'ai déjà publié cette curieuse circulaire dans le Voyage au Royaume de Naples, en 1862, p. 149 et suivants, mais, comme on le voit par sa date, elle appartient à l'année 1863. Bis... repetita placent!

239 —

Il résulte de ce document, ainsi que l'a fait observer un publiciste distingué:

1° Que te ministre piémontais établit diverses catégories de journaux, c'est-à-dire diverses catégories de citoyens, envers lesquels l'autorité doit user do mesures différentes, et partant violer la loi qui est une;

2° Qu'au lieu de blâmer, ne fût-ce que pour la forme, les excès commis contre la liberté de la presse, notamment contre le journal Napoli, pillé, dévasté, le ministère renchérit encore sur le journal officiel de Naples qui avait osé approuver cet violences scandaleuse;

3° Que le ministre autorise et prescrit même des immixtions de l'autorité politique dans les attributions exclusives de l'autorité judiciaire.

En un mot, cette circulaire de M. Peruzzi est une raillerie des lois.

—M. Cartnei, gérant du journal le Difensore Cattolico, meurt en prison des suites de, mauvais traitements.

— Les journaux Y Aurore, l'Equatore, la Croce-Rossa, la Stampa Méridionale, le Macehiavelli, la Settimana, le Napoli, la Campana del popolo, le Popolo cessent de paraître après avoir subi de nombreuses saisies suivies d'emprisonnements, de féroces menaces et des voies de fait de la part des sbires qui avaient envahi et saccagé leurs imprimeries.

—Une série de saisies et l'arrestation de leurs gérants forcent à cesser leur publication les journaux la Stella del mattino, il Corriére délia Domenica, il Popolo lndipendente, l'Eco di Napoli, il Vesuvio, la Tragicommedia, la Babilonia, il Torino, il Veridico, il Veritiero, l'Ordine, l'Araldo, il Cattolico, l'Ape Cattolica, il Vesuvio, il Padre Rocco, il Papa Giuseppe, il Çiabattino, la Luce, i Tuoni, l'Epoca, l'Alba, il Ficcanaso, l'Incivilimento et la Pietra Infernale.

—240 —

—De nombreuses saisies frappent les journaux il Popolo d'Italia, il Pensiero, l'Assemblea, l'Osservatore Napolitano, l'Arlecchino, lo Zingaro, l'Aspromonte, il Precursore, la Campana di San Martino, la Pagnotta, etc.

— M. Selvatori, rédacteur de la Pagnotta, est provoqué en duel par un officier piémontais, et reçoit une grave blessure.

—A Palerme, la Penna Indipendente est saisie le second jour de son apparition.

—Le Monitore compte dix saisies sur quarante numéros, voit emprisonner son gérant, poursuivre son réducteur, et menacer sa précaire existence.

Vive, ma d'una vita

Di chi doman morrà (1).

(1) «Il vit, mais d'une vie dont il mourra demain.» — Ces deux vers ont fait naguère le tour de l'Italie, dans une sorte de chant funèbre à la louange de prisonniers imaginaires et de martyrs à trois sous la ligne, dont on se servait pour ruiner date l'opinion les gouvernements légitimes. Aujourd'hui que l'Italie est heureuse, que Naples nage dans la joie, on n'entend plus nulle part ces strophes pathétiques à la «Lune, ermite aérien, paisible astre d'argent..,.»

Luna, romito aereo,

Tranquillo astro di argento...

Ce n'est pas du pathétique, je me trompais, c'est du pathos... Mais qui pense à pleurer sur tant de milliers de martyrs tombés sous les balles piémontaises, les plus heureux ceux-là, sur ces 80,000 prisonniers politiques, ces exilés, ces déportés, sur les ruines fumantes de près de trente villes ou villages?... Hélas! on a tiré le rideau: la farce était jouée, et les amoureux politiques de la lune jouent aujourd'hui l'épilogue, galonnés, empanachés, enrubannés et les goussets pleins... Que voulaient-ils de plus?


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241 —

—Il paraît à Palerme le programme d'un nouveau journal catholique, l'Eco di Roma; sur quoi le correspondant d'un journal officieux de Turin s'écrie d'un ton menaçant: «Il est possible qu'avec ce nouveau journal sicilien on veuille faire de la propagande réactionnaire;mais il ne manquera pas aux rédacteurs une réaction de coups de bâton, que je n'oserais désapprouver (1).»

Les imprimeries des journaux réputés cléricaux ou légitimistes sont gardées à vue par deux agents de police, qui attendent le tirage de la feuille du jour; pendant que l'un emporte à la police le premier numéro, l'autre reste en faction pour en empêcher le débit, jusqu'à ce que le questeur ait envoyé l'ordre ou de laissent publier, ou de saisir.

—Dans la soirée du 27 avril, une nuée de sbires déguisés envahissent l'imprimerie du journal indépendant la Borsa, et en brisent les presses; Le lendemain, le Journal officiel de Naples raconte cette brutale violation avec une cynique complaisance, et conclut par des sarcasmes: «Nous ne savons pas si la Borsa voudra encore essayer de nous convertir au système lies autonomies municipales (2).»

Outre les répressions légales, l'autorité piémontaise ne dédaigne pas, comme on voit, d'employer d'infâmes moyens et les plus ignobles agents. La presse a sa police à part, qui connaît les noms et prénoms, le lieu natal, la fortune, le domicile et les relations de chaque directeur, rédacteur ou gérant. Les imprimeries suspectes sont gardées à vue, et qu'un journal déplaise, ces sbires de la pensée libre s'arment de bâtons, quelquefois de revolvers, envahissent l'imprimerie, brisent les presses et dispersent les caractères.

(1)Le journal le Diritto, 21 août.

(2)Gazzetta official di Napoli, 28 avril.

-242 —

Le lendemain les journaux officiels et officieux racontent la chose comme une démonstration et un triomphe du peuple souverain — Ces faits sont connus de l'Europe entière, et appréciés comme il convient par les organes de toute nuance qui n'ont pas perdu tout sentiment de respect et de dignité. Ainsi la France établit que ces brutales agressions sont le fait de Piémontais et non de Napolitains (1), et la Presse déclare qu'elles déshonorent la population et les autorités qui les laissent s'accomplir (2).

—Le ministère expédie de Turin aux procureurs généraux et aux procureurs du roi des ordres rigoureux pour réprimer par tous les moyens possibles la liberté de la presse. En outre, par une circulaire secrète du 23 janvier, le secrétaire général Spaventa demande aux préfets la statistique des journaux de chaque province,annotant:

1° Le titre du journal; 2° le chiffre du tirage; 3° la couleur politique; 4° le nom du propriétaire; 5° la liste des rédacteurs, — en y joignant des informations spéciales sur chacun d'eux, et en général toute observation de quelque utilité.

—Le 24 janvier, le ministre garde des sceaux adresse aux procureurs généraux une circulaire leur enjoignant de saisir sans retard tous les journaux, qui, dans leur polémique, se montrent hostiles à l'unité italienne, et d'user contre eux des moyens les plus énergiques de répression (3).

(1)Le journal la France, 20 janvier.

(2)Le journal la Presse, 20 janvier.

(3)En rapprochant la circulaire du ministre Peruzzi de celle de M. Spaventa et du garde des sceaux, on s'aperçoit vite, parleurs dates, que le Piémont entreprend une véritable croisade contre la liberté de la presse.

—28 —

III

Statistique des saisies de journaux napolitains dans le seul mois d'août.         

L'Arca de Noe, saisie le l et le 19; le Terremoto, le 2, le 3, le 19, le 21, le 27, le 29 et le 30, outre une suspension de dix jours et l'arrestation de son gérant; le Pensiero, le 7, le 14, le 17, le 19 et le 29; le Smascheratore, le 5, le 17 et le 25; le Popolo d'Italia, le 9, le 30 et le 31; la Campana del Popolo, le 11 et le 29; l'Unité de Palerme, le 10, le 14, le 25 et le 31; l'Arturo, le 10 et le 14; lo Zingaro, le 17; le Monitore, le 27; lo Scherzo, le 28; la Pagnotta, le 29; le Bazare, de Palerme; le Popolano de Syracuse, le Salentino, de Lecce, plusieurs saisies; en tout 45 saisies dans le cours du mois.

— Statistique du mois de septembre: la Pagnotta, le 1, le 16, le 18 et le 26; le Martello, de Palerme, le 6, le 26 et le 90; le Pensiero, le 9, le 10, le 16, le 18, le 29 et le 26; la Campana del Popolo, le 14, le 18, le 22 et le 29; le Terremoto, le 16 et le 18; l'Unità, de Palerme, le 17 et le 28; l'Unità politica, le 19 et le 26; le Popolo d'Italia, le 29 et le 30; il Nuovo Sannio, le 20; l'Eco del Faro, le 21; le Popolo, le 29; l'Arca di Noe, le 29; le Conciliatdre, le 23; en tout trente-trois saisies dans le cours du mois.

-244 -

Il serait fastidieux de prolonger davantage cette statistique mensuelle; celle de ces deux mois suffira pour éclairer le lecteur sur la liberté de la presse dans les Deux-Sicilies et sur les aspiration réelles des populations.

—Le prêtre don Vincent Ruggero, de San-Fele (Basilicate), est emprisonné pendant quelque temps comme prévenu de n'être abonné qu'à des journaux catholiques, tels que l'Armonia, la Stella del Serchio, le Monitore, le Conservatore, etc.

Pour publier de temps à autre quelque aperçu sincère sur les misères du peuple, il faut avoir recours aux journaux républicains qui, grâce aux services passés,sont à peu près respectés par le gouvernement, qui tient à les ménager pour s'en servir encore en cas de besoin.

L'Emancipatore, journal que publient à Naples deux ou trois Passaglia, reçoit 600 ducats de subvention de la caisse ecclésiastique. Le Mediatore, de Turin, organe du commandeur Passaglia, recourt souvent, par force de misère, à la haute bienveillance du ministère. On sait au reste ce que parler veut dire.

Un journal raconte que l'excellent organe conservateur, «la Borsa, a reçu du ministère la proposition de prendre part à la curée de 70,000 francs qu'un vapeur de M. Accossato a apportés à Naples, le 2 octobre, pour les employer à rendre adulatrice la sainte puissance de la pensée et de la raison (1)» — Le journal la Borsa du 1er novembre confirme lui-même cette nouvelle en ajoutant qu'il peut en donner les preuves.

(1)Le journal la Croce di Savoja, octobre 1863.

245 —

—C'est désormais une vérité incontestable que le-journalisme officieux et officiel ne saurait vivre sans les larges subventions du Piémont, dont il a pour mission d'exalter chaque jour les moindres actes, de changer le mal en bien, en un mot d'égarer, d'oblitérer, de pervertir le sens public. Mais il est consolant de voir, malgré tout d'outrages et de persécutions, surgir incessamment de nouveaux défenseurs de la foi, de la justice, de la vérité, du droit et de la liberté, car la péninsule ne manque pas de ces généreux champions, dont les courageuses paroles protestent contre la plus inique des usurpations et trouve dans le cœur populaire un écho de plus en plus sympathique.

347 —

INSTRUCTION PUBLIQUE

«Le budget du ministère de l'instruction publique
montait, à Naples, sous les Bourbons, a 1,610,730 fr.
depuis la Révolution, il monte à 1,326,156 fr.
eu malgré l'augmentation de 706,126 fr. l'instruction
publique non-seulement y dépérit, mais y meurt.»

(Le duc de Maddaloni, Motion d'enquête
parlementaire sur la situation de Deux Sicilies)

L'histoire nous offre peu de monarques qui aient plus intelligemment et plus constamment protégé les arts que les Bourbons des Deux-Sicilies; le bien-être moral de§ populations était le but de leurs efforts, comme aussi te développement des sciences et des diverses branches d» l'instruction publique.

Quel cortège vraiment royal de savants et de génies sortirait de la tombe, si Dieu le permettait, pour acclamer le roi-gentilhomme, le bombardé de Gaête, et le venger de l'usurpation et des outrages du homme, du bombardeur de Gênes? Ces riches ces merveilleuses bibliothèques, ces villes ressuscitées en

248 —

dépit du Vésuve et de vingt siècles, ces monuments nationaux semés à profusion dans toute cité, ces institutions libérales chaque jour multipliées, la terre même de Naples ne proteste-elle pas contre la brutale occupation des conquérants allobroges! s'il y avait eu autant d'énergie que de reconnaissance dans le cœur des Deux-Sicilies, le règne des Bourbons s'y fût éternisé sans lacunes!

Qui oserait mettre en doute l'excellence de l'enseignement passé dans la patrie de-saint Thomas-d'Aquin, de Vico et de Genovesi? Sous, le feu roi, ne voyait-on pas, dans les chaires universitaires, un Galupi, un Lanza, un Flanti, un Bernard Quaranta, un Macedonia Melloni! Que de science et surtout que d'honnêteté rappellent ces noms illustrés par le professorat l Hélas! que de tristesse apporte la comparaison avec le présent! Les universités sont désertes, depuis qu'elles se sont transformées en clubs politiques, où se prêche l'oubli de l'honneur et de la patrie; depuis que l'enseignement a été confié à des hommes sans science ni conscience, parvenus ignares, et à qui, aux yeux du gouvernement de l'annexion, leurs escapades passées ont donné la science infuse. On cite tel collège où il y a plus de professeurs que d'élèves. A Naples, par exemple, l'université à laquelle est affectée une somme de 702,592 francs, compte 66 professeurs, et n'a plus que deux élèves inscrits. A Maddaloni, on compte 15 professeurs pour deux élèves. Messine et Palerme sont relativement à peu près dans les mêmes conditions. Il semble qu'on ait augmenté le nombre des professeurs en raison de la diminution des élèves.

Voici quelle fut, jusqu'au 6 septembre 1860, l'organisation de l'enseignement dans les quatre grandes universités de Naples, Palerme, Catane et Messine, le tableau suivant est de source officielle.

249 —

Nous ajouterons que ces universités étaient peuplées d'une nombreuse jeunesse, et qu'elles comptaient des bibliothèques publiques, des observatoires astronomiques et météorologiques (1), des musées d'oryctognosie (2), de géognosie, de zoologie et d'anatomie comparée, des cabinets de physique, de médecine et d'anatomie pathologique, des cliniques, des laboratoires de chimie appliquée aux arts, des jardins botaniques, en un mot elles constituaient une vaste encyclopédie enseignante

NOMBRE DE CHAIRES dans le Université de
FACULTÉS des SCIENCES SUPÉRIEURESNAPPALCAT

MES

TOTAL

1 Théologie

5

6

5

3

19

2  Jurisprudence et économie polit

9

6

7

5

27

3  Sciences mathématiques

8

5

4

4

21

4 Sciences naturelles et physique

7

6

4

4

21

5 Sciences médicales

14

10

11

8

43

6 Philosophie et belles-lettres

11

5

5

5

26

7 Beaux-Arts44

TOTAL

54

42

36

29

161

(1)Naples seul en avait trois.

(2)Connaissance des fossiles.


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-250- 

Chacune des vingt-deux provinces avait ses lycées, ces collèges, ses séminaires diocésains; la plupart des communes avaient des écoles secondaires, et toutes avaient au moins des écoles primaires. Rien qu'à Naples, on comptait une foute d'établissement destinés à l'instruction publique:

1° Le collège des Nobles, dirigé par le» Père» Jésuites, les collèges des Bernabites et des Missionnaires, sans compter les nombreuses écoles gratuites ouvertes parles ordres religieux.

2° Le collège de théologie.

3° Les écoles pour les sourd-muet et pour les aveuglés nés.

4° L'école du système de Bell et Lancastre, au couvent des doctrinaires de saint Nicolas de Caserte.

5° L'école d'application des ponts et chaussées.

6° Le collège royal militaire.

7° Le collège royal de marine.

8° L'Institut royal des beaux-arts;

9° L'école élémentaire de dessin pour les ouvriers.

10° L'académie des pensionnaires de Rome.

11° L'école de scénographie.

18° L'école des ouvriers mécaniciens è Pietrarsa.

13°Les pensionnats royaux de demoiselles.

14°Le collège de Gaête, où étaient élevés gratuitement 150 fils de soldats.

De nombreuses et savantes académies avaient vu le jour sous les Bourbons, et grâce à leur royale munificence, on comptait à Naples: 1° la Société royale Bourbon, partagée en trois sections: —Archéologie, — Académie des sciences, — Académie des beaux-arts, se subdivisant en classes d'architecture, de peinture historique, de sculpture et de musique;l'Institut royal des beaux-arts; 3° l'Académie Pontaniana, qui devait son nom à une des gloires scientifiques des Deux-Sicilies;

-251-

4° l'Institut royal d'encouragement, fondé également à Palerme, pour augmenter l'essor des arts et des sciences dans le royaume; 5 l'Académie de médecine et chirurgie. — Catane avait l'Académie Gioenia; Messine, l'Académie Peloritana. Mais il serait fastidieux de les énumérer toutes. Ne terminons pas cependant sans rappeler les vingt-deux sociétés d'économie agricole, établies dans chaque province pour encourager l'agriculture, l'élevage du bétail, les industries champêtres, etc.

Le Piémont n'a pas voulu tenir compte d'un passé glorieux dont les œuvres le condamnaient, et il leur a fait une guerre d'extermination. Je ne saurais dire autre chose, sinon que ce gouvernement est la négation de l'humanité et de l'intelligence, la négation du droit et de l'art, la négation de Dieu et de l'homme. En vérité, sous quelque côté qu'on l'envisage, on sent l'indignation déborder au bout de la plume, et l'on voudrait le fouet de Juvénal pour fustiger à loisir tous ces sicaires, tous ces bouffons et tous ces bourreaux!

-257-

II

On déplore, à plusieurs reprises au sein du parlement, lu barbarie gouvernementale qui détruit à plaisir les écoles les mieux organisées de Naples, «parce que renseignement n'y est pas fait selon la méthode piémontaise.» Des députés blâment la conduite des nouveaux professeurs de l'université napolitaine, qui n'instruisent aucunement la jeunesse et cumulent plusieurs chaires, ce qui est contraire aux règlements (1).

—Un décret ministériel supprime l'Académie royale de Naples.

—En 1851, on comptait à Naples. plus do 9,000 étudiants. En 1863, ils sont à peine 3,000.

—Un arrêté préfectoral abolit l'Institut classique des Beaux-arts.

—Le nouveau directeur du Musée fait mettre en piètes les modèles des célèbres statues équestres de Canova.

capables de rappeler glorieusement le génie protecteur des Bourbons.

(1)Séances parlementaires des 20 et 29 mai, 19 juin, 12 juillet, 3,20 et 21 décembre 1861, et 27 Janvier 1862.

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—Le romancier nègre, Alexandre Damas, est mis à la tête des fouilles de Pompéi et de tous les musées nationaux, et on lui assigne pour demeure un palais royal.

—Un décret désorganise le Collège militaire, fondé par Ferdinand IV, où la jeunesse de toute l'Italie venait étudier les sciences militaires.

—L'école militaire de Maddaloni est dissoute.

—L'université de Palerme compte 50 professeurs ordinaires et 12 extraordinaires, qui coûtent annuellement 500,000 francs, et ne compte pas 500 élèves. — L'université de Catane compte 32 professeurs ordinaires et 12 extraordinaires, qui coûtent 187,818 francs, et ne compte pas 300 élèves. — L'université de Messine compte 37 professeurs, qui coûtent 148,125 francs par an, et n'a que 64 élèves. — La célèbre université de Naples compte 66 professeurs, qui coûtent annuellement 700,591 francs, et n'a que trois élèves d'inscrits.

—«... L'université de Naples s'ouvre du 15 au 20 novembre et se ferme avant la fin de juin; elle fonctionne donc pendant sept mois, dont il faut retrancher 70 jours de fête, 8 pour le Carnaval, 12 pour Pâques, 10 pour Noël, et les dimanches. Les leçons ne se donnant que trois fois par semaine, Tannée scolaire se compose donc d'une cinquantaine de leçons. Encore ne comptons-nous pas les indispositions des professeurs, leurs fréquents empêchements, les absences de ceux qui sont ou députés, ou conseillers, ou maires, ou sénateurs, etc. Chaque professeur touche annuellement de. cinq à six mille francs, et huit mille après cinq années de service universitaire. Pays de Cocagne! En voulez-vous une preuve? Le professeur-recteur-sénateur-recteur-président-grand-croix Imbriani reçoit 6,000 francs par an;

-254-

et, en trois ans, pour ses 18,000 francs, il n'a fait qu'une chose: la lecture du discours d'ouverture (1).»

—La France dépense, pour l'instruction de 40 millions de citoyens, 16 millions par an. L'Italie dépense,pour l'instruction de 20 millions de citoyens, 17 millions par an, quelle gaspille à rétribuer des ignorants et dessiné cures.

—Le ministre de l'instruction publique ose dire au parlement que «l'enseignement public avant l'annexion avait été fort négligé en Italie (2),» et qu'il y est maintenant florissant.

—Un décret supprime les chaires de faculté théologique.

—«... Nous dépensons des millions pour l'instruction publique, messieurs, et savez-vous pourquoi? Pour avoir d'un côté des docteurs peu doctes, des professeurs qui ne professent pas, des recteurs qui ne régissent pas, des directeurs qui ne dirigent pas, des inspecteurs qui n'inspectent pas... (3)»

—A la suite du décret qui confisquait le couvent des Pères Paolotti de Palerme et le changeait en caserne, l'autorité militaire fait enlever les 15,000 volumes, qui formaient la riche et précieuse bibliothèque du couvent,et les relègue pèle-mêle dans les caves.

—Un projet de loi, adopté par la suite, propose de travestir le règlement universitaire en programme gouvernemental, pour brider plus facilement renseignement. Ce projet doit infailliblement amener la ruine des univertités napolitaines: «Si les gouvernements du roi de Naples, des ducs de Modène et do Parme,

(1)Le Journal le Conciliatore, 22 février 1864.

(2)Séance parlementaire du 9 mars 1863.

(3)Séance du sénat parlementaire du 9 mars 1863.

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s'écrie an députè, eussent détruit les universités des Deux-Sicilies, de Modène et de Parme, vous n'auriez pas manqué de crier à l'injustice. Or pourquoi ne pas le faire aujourd'hui? Pourquoi ne trouvez-vou3 pas également injuste la destruction qui sen opère sous un gouvernement libéral? L'injuste est toujours injuste, quel que soit celui qui le commet...» L'orateur s'étend élogieusement ensuite sur l'organisation de l'ancienne université royale de Catane (1).

—Plusieurs journaux publient divers documents émanés de fonctionnaires publics, entre autres une circulaire du ministère de l'instruction publique, qui pullulent de fautes d'italien (2).

—On ferme les séminaires et les collèges dirigés par des ecclésiastiques, et Ton élimine les prêtres de renseignement primaire.

—Des débats parlementaires, il ressort que le gouvernement voudrait abolir toutes les universités primaires et secondaires, moins trois pour toute l'Italie, celles de Naples, Florence et Turin, qui prendraient alors le titre d'universités supérieures. «Ainsi, s'écrie douloureusement un député des provinces méridionales, c'est nous qui nous appelons civilisateurs, qui détruirons ce qu'avaient édifiés ceux que vous appelez des barbares (3)!»

—On supprime-successivement l'école d'éducation et d'instruction secondaires annexée à la maison religieuse de S. Philippe de Néri, à Giarre, en Sicile, sous prétexte

(1)Séance parlementaire du 7 mars.

(2)Voir les journaux l'Unità politica, de Palerme, juin 1863, et la Campana del Popolo, 27 juin.

(3) Séance parlementaire de 26 juin. — I Precursore, 21 décembre.

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que-les religieux ont refusé de conformer leur enseigne ment au programme gouvernemental (1).— Un décret ministériel ferme également les séminaires de Caltanisetta, de Chieti, de Termoli et de presque tous les diocèses.

Le lycée Victor-Emmanuel (ancien collège du Sauveur), à Naples, est réouvert le 5 novembre, et refermé bientôt pour l'incapacité des professeurs et la rareté des élèves.-En moins de trois ans, les élèves ont dû Changer au moins trois fois de grammaire latine, et quatre fois de grammaire italienne. — Est-ce l'auteur ou le ministre qui gagne le plus à ces déplorables bouleversements (2)?

L'école gratuite des filles du peuple, dirigée par les sœurs clarisses d'Aversa, est fermée contre le vœu du conseil municipal et de la population tout entière.

—A Palma, suppression des écoles pieuses, et du pensionnat de Saint-François d'Assise.

—L'archevêque de Chieti refuse au préfet de conformer l'enseignement de son séminaire au programme gouvernemental. Le 8 octobre, le ministre de l'instruction publique adresse au préfet de Chieti cette instructive dépêche:

«Les choses contenues dans votre lettre me font voir avec quelle obstination la cour archiépiscopale continue à contrarier vos ordonnances sur renseignement. Tout bien examiné, aucun accord possible n'est à espérer. Puisque l'autorité a épuisé tous les moyens pour induire le séminaire à accepter la situation faite par les conseils provinciaux d'enseignement le 19 septembre dernier, il faut fermer le susdit séminaire...

Le ministre, AMARI.»

(1)Décret du ministre de l'instruction publique, 13 octobre. (2) lie journal Il Popolo d'Italia, 15 novembre.

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—Par décret du 13 mai, est fermé le séminaire de Marsi-in-Pescina (Abruzzes).

—Le 1er octobre, 79 archevêques, évoques, abbés ordinaires et vicaires capitulaires du royaume de Naples adressent au gouvernement une protestation contre l'arbitraire des préfets dans la fermeture des séminaires. Elle n'aboutit qu'à la suppression de celui de Caltanisetta;— de 120 élèves qu'on espère voir entrer au collège de la ville, alors désert et coûtant gratuitement 60,000 francs par an à l'Etat

—Monseigneur de Àngelis, vicaire général de Termoli, ne s'étant pas rendu sur le passage du roi Victor-Emmanuel, le préfet décrète la suppression du séminaire de Termoli  Les élèves refusant d'abandonner  leurs maîtres, un détachement de 160 soldats piémontais envahit la maison et les en chasse brutalement les uns et les autres.

—258 -

III

Les collèges se changent en clubs, et la plus audacieuse insubordination envahit les universités des Deux-Sicilies. A Naples, les étudiants, armés de bâtons, se livrent à une menaçante démonstration, et placardent dans les écoles le suivant avis:

«La jeunesse s'adressera aux journaux pour qu'ils blâment publiquement les fréquentes absences des professeurs, qui, négligeant leur sacré mandat, passent leur temps dans les salles de bal. La presse publiera, en outre, les noms de ceux qui remplissent scrupuleusement leurs devoirs, et ne trahissent pas les saintes aspirations de la jeunesse, qui désire ardemment s'instruire (1).»

— Les étudiants napolitains réclament hautement l'abolition du fameux règlement Matteucci sur les taxes universitaires. Le gouvernement l'accorde seulement pour les étudiants-pharmaciens et les étudiants-notaires. Les étudiants des autres facultés se soulèvent en masse et réclament avec menaces le même privilège. Le 28 et le 29 avril, ils forcent les professeurs à interrompre les

(1)Le journal l'Avvenire, 12 février.

—260 —

leçons, à la barbe d'un piquet de gardes nationaux, envoyés «pour protéger les maîtres contre les outrages des

—D'autres scandales se produisent dans l'université de Palerme, le 2 juin. Le recteur avait ordonné un examen général. Les élèves se révoltent et se barricadent dans les classes, aux cris de: à bas le recteur! —qui se voit forcé de révoquer son ordre intempestif, et se place sous la protection de la police et des gendarmes. Un décret royal prononce bientôt la fermeture des cours; on y lit «que la nécessité de restaurer la discipline des écoles,fort relâchée depuis quelque temps, se fait plus que jamais fortement sentir (1).»

—Le 26 février, les journaux siciliens publient une protestation des étudiants contre la dissolution, prononcée par le gouvernement de la «Société italienne de Sicile.» Les étudiants de Naples suivent cet exemple, et envoient une adresse élogieuse aux députés qui, le30 avril, avaient reproché au gouvernement d'avoir dissous le meeting de San-Pier d'Àrena. Le début de l'adresse est bon à recueillir:

—Du jour où Ton a inauguré en Italie une politique ouvertement hostile à la liberté; nous assistons avec indignation à la lutte de l'arbitraire contre la loi. Tandis qu'on donnait à l'Italie un-statut, on préparait les moyens de le violer, en ouvrant la voie à un large système de corruption. Le premier vagissement de l'Italie n'a pas été un hymne à la liberté reconquise au prix du sang de mille martyrs, mais un cri de protestation contre un gouvernement qui, sous le manteau du libéralisme, foule aux pieds tout droit et viole le statut.

(1) Préambule du décret signé du ministre Amari, Gazette officielle de Turin, 10 juin.

MORALE   PUBLIQUE

«Le ministre de l'instruction publique propose la création, à l'université royale, d'une chaire de l'histoire de la prostitution; la Goutté officielle en publie le règlement, et, dans le même temps les feuilles officieuses annoncent l'apparition prochaine d'une Histoire de la Prostitution chez tout tes peuples du monde, depuis l'antiquité  le plus recules jusqu'à nos jours, et en recommandent vivement l'achat.»

(Voyage au royaume de Naples en 1862, page 132)

«Ici nous voulons établir un gouvernement qui donne les garanties d'une vie libre aux peuples, et de probité sévère à l'opinion publique.»

Telles sont les paroles que le roi galant-homme adressait aux populations des Deux-Sicilies dans une proclamation grosse de vertus et de promesses. Il semblait, à l'entendre, que la terre de Naples ne fût pas la plus heureuse et la plus riche de la péninsule italienne; qu'elle attendit impatiemment son Messie, et que ce Messie régénérateur dût être infailliblement le galant chef de l'auguste. maison de Savoie. L'opinion publique souriait alors; en entendant les héros d'annexion lui parler


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de probité sévère; mais qui pouvait prévoir à quel degré de démoralisation et d'abaissement intellectuel, dans un laps de trois années, les prétendus régénérateurs feraient descendre les populations, un moment séduites sans doute par tant d'hyperboliques promesses?

Il n'y a pas, dans le royaume d'Italie, de livre immonde qui n'ait été écrit ou traduit, imprimé à profusion, et vendu à vil prix, avec accompagnement de gravures de la plus révoltante obscénité. Il n'y a pas de ville où d'impudents colporteurs patentés n'offrent au passant de ces chefs-d'œuvre de la crapule de tous les temps et de tous les peuples. Puis, non content de voler l'Église, on veut la ridiculiser, l'avilir à l'aide de calomnies monstrueusement raffinées. Le sol italien est inondé de photographies vendues au rabais, vendues à perte, ou des prêtres, où des religieuses, où des moines, des enfants de chœur, des princes de l'Église jouent un rôle dans des. scènes d'une horrible impureté. Parfois encore, les régénérateurs attaquent avec ces armes lâches, telle femme, telle souveraine, italienne ou étrangère, qui passe pour hostile à l'infâme et chimérique unité; et que de puis santés sympathies se changeraient en haine, s'il venait sous d'autres yeux que les miens de ces calomnieuses ordure?!» Pie IX, lui-même, Pie IX, le roi-père, le pontife saint et doux, le chef auguste d'une religion de chas teté et de martyre, n'est pas oublié par les misérables, et l'on vend publiquement,—à Florence par exemple,--! de sales et sottes gravures coloriées qui sont le comble du plus ignoble dévergondage.

Odieux au peuple des Deux-Sicilies, le Piémont cherche à asseoir sa conquête par la corruption, l'oblitération du sens moral, l'avilissement du sentiment religieux. Je ne sais rien au monde de plus bas que cette régénération piémontiste, qui pille, ruine, ment, calomnie,

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débauche, et des rives de l'Adriatique aux bords de la Méditerranée, fait respirer à l'homme d'honneur des parfums de bagne et de lupanar. Un jour, en passant la lumière sur ce rare amas d'infamies, l'histoire reculera épouvantée et refusera de croire, pour l'honneur de l'humanité, à tant de douleurs et de hontes!

Les effets de ce système dépravateur n'ont point tardé à se produire. — La sûreté publique n'est plus qu'un mot en Italie. — Le vol et l'assassinat sont à l'ordre du jour. Les magistrats sont vendus, ou complices, et, dans tous les cas, ils conforment leurs sentences à la consigne préfectorale ou militaire. Des crimes monstrueux, dont le nom même ne se prononce pas (1), se commettent impunément sous le couvert des lois, et les plus mauvaises passions s'étalent au soleil avec une sauvage impudeur. Que peut devenir un peuple à qui les pires exemples sont donnés par ceux-là même qui devraient se montrer les plus fermes gardiens des vertus et de l'honneur? — Cependant, je m'empresse de le proclamer, à la louange du peuple des Deux-Sicilies, tant d'efforts corrupteurs se sont brisés contre son invincible amour pour son Dieu, sa patrie et son roi; il ne répond aux outrages piémontais qu'en entourant de plus de respect les ministres de la religion catholique, et, si quelque unitariste en goguette ou soudoyé entonne, du haut de la borne d'un carrefour, l'antienne révolutionnaire: «A Rome! allons à Borna!» le peuple lui répond avec une joie triste:

—Oui, à Rome!...

Et les hommes de Naples et de Palerme ajoutent à voix basse:

—Nous irons à Rome, pour remercier le bon Pie IX et ramener chez lui notre roi Bourbon! — Vox populi

(1)Voir le paragraphe IV du chapitre Justice.

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II

Les écrits obscènes et les caricatures sacrilèges sont exposés en public, et jusque dans les théâtres. La presse honnête s'en émeut, et l'opinion publique réclame en vain de la police une trop juste répression.

—On voit soutenir presque officiellement une  nouvelle théorie scientifique,» abominable négation des lois mêmes de la nature, la théorie du fœticide, c'est-à-dire le droit d'avortement pour toute femme enceinte. C'est ainsi qu'on entend le progrès moderne, dans la Société italienne, débarrassée des mesquines superstitions autrefois (1). — «Qu'un prêtre, m'écrit-on de Naples à ce propos, se lève ensuite pour défendre la morale publique et combattre ces horribles impiétés, on ne lui ménagera ni les persécutions ni même la prison, et les régénérateurs l'accuseront d'entraver la marche de l'humanité!»

—«A Girgenti, tant dans la ville que dans les campagnes, des vols et des agressiez: se commettent sans cesse;

(1)Congres médico-chirurgical de Sienne, 1862.

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les propriétaires sont contraints de se tenir renfermés dans leurs maisons (1).»

—.Les journaux ministériels de Turin avouent la gravité de la situation en Sicile: «Les faits, mieux que les journaux, attestent l'existence d'un mal dont nous ne saurions indiquer la source; mais d'où qu'il vienne, c'est toujours un mal. Un jour, à Palerme, on poignarde dans les rues, de propos délibéré, au hasard; un outre jour, la justice emprisonne un grand nombre de citoyens de tout rang et de toute opinion; ici on est assailli par une troupe de valeurs; là, une bande de réfractaires met en danger la sécurité du pays (2)...»

—Plusieurs députés siciliens affirment que «sous les Bourbons, la Sicile offrit, pendant de longues années, un édifiant spectacle: on n'y comptait pas un vol, et l'on pouvait aller partout, à toute heure, sans crainte d'être attaqué et volé (3).» Quantum mutatus!...

—«Un matin, vers midi, le chef de police de Favara se présenta à la préfecture de Girgenti, armé d'un fusil,d'un poignard, de deux revolvers, la cartouchière au ventre, et suivis de huit hommes armés jusqu'aux dents. Le préfet lui ayant demandé ce que signifiait ce formidable appareil, le chef de police répondit qu'on ne pouvait faire qu'ainsi, même en plein jour, les huit milles qui séparent Favara de Girgenti (4).»

—Le 16 janvier, à Palerme, province de Catane, le chef de police est assassiné par un homme qu'il voulait

(1)Séance parlementaire du 17 avril 1863.

(2)Voir le journal l'Opinion, de Turin, 8 avril.

(3)Séances parlementaire des 2 et 4 avril, 29 juin et 3 décembre 1861.

(4)Enrico Falconcini, Cinque mesi di prefettura in Sicilia.

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mettre en état d'arrestation, et qui meurt lui-même» quelques jours après, de blessures reçues dans la lutte. — Le préfet Falconcini confesse que, pendant les cinq mois que dura son administration, 675 crimes ou délits furent commis dans sa province; ce qui donnerait, pour les Deux-Sicilies, une moyenne actuelle de 12,000 crimes ou délits; tandis que sous les Bourbons, la moyenne annuelle n'était pas de 7,000. — De toutes parts, l'administration reçoit «des lettres désolantes, de douloureuses doléances, pour qu'elle tente au moins de rendre cette sécurité des personnes et des biens dont on jouissait sous les Bourbons (1).»

—Les habitants de la province de Girgenti publient une protestation solennelle, déclarant au gouvernement qu'ils sont résolus à émigrer en masse, s'il ne ramène pas la sécurité (2).

—Les maisons de jeu, interdites sous les Bourbons, se multiplient dans d'énormes proportions, en dépit de la police, dont quelques agents d'ailleurs sont réputés les complices et mêmes les associés des chefs de ces maisons. La ruine de nombreuses familles, des faillites, des banqueroutes, des vois, des suicides, sont les tristes conséquences de cette tolérance coupable.

—La dépravation est telle dans certaines villes, l'opprobre dô4a civilisation chrétienne, qu'elles sont presque inhabitables.

—Le général Govone, coupable en Sicile de tous les excès, est élevé au grade de lieutenant général, et le chirurgien militaire qui avait torturé avec des fers rouges

(1)Falconcini, p.68.

(2)Le Journal l'Eco dell'Etna, de Catane.

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le conscrit sourd-muet Capello (1), reçoit la croix d'honeur du Piémont.

—Ou compte, dans les Deux-Sicilies, 101 suicides en1863; tandis que naguère le maximum annuel était seulement de 15.

— Pour la seule province de Capitanate, les six premiers mois de l'année, on trouve un total de 1,449 crimes ou délits, ainsi répartis: 115 assassinats, 5 viols 174 abus de confiance, 82 agressions par guet-apens, 938 vote qualifiés, 51 incendies, 13 tentatives d'invasions réactionnaires, 81 massacres de bestiaux, 19 séquestrations suivies de rançons (2).

—Un journal de Turin donne philosophiquement la statistique de crimes et délits commis dans le bienheureux royaume d'Italie pendant le mois d'août; 196 homicides 987 abus de confiance, 1,452 vols qualifiés, 55 viols, 255 incendies, 43 suicides, 678 délits divers, 1,190 rixes accompagnées de blessures, 197 désertions, 37 actes de rébellion contre la gendarmerie, 5,641 individus arrêtés en vertu de mandats judiciaires (3).

—Le 13 janvier, à Palerme, deux paisibles citoyens qui se rendaient à leurs affaires sont frappés dé coupade poignard dans le dos par des inconnus (4).

La police piémontaise violant à tout propos et hors de propos les domiciles, messieurs les voleurs croient sans doute ne pouvoir mieux faire que de l'imiter.

(1)Capello a sur le corps 152 cicatrices. On vend sous le manteau, en Italie, la photographie de cette infortunée victime. C'est d'un aspect horrible: le dos est littéralement moucheté de cicatrices.

(2)Le journal la Stampa de Turin, 27 Juillet.

(3) Il Giornale dei Dibattimenti, le Turin, octotre 1863.

(4)La Politica del Popolo, janvier 1863.

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Une nuit, à Naples, des voleurs déguisés en sbires, ou de véritables sbires peut-être, s'introduissent dans la villa Pugliese, à Capodichino, et la mettent à sac.. — Un journal napolitain trace de la situation des Pouilles ce lugubre tableau: «Les populations ont perdu tout ordre civil et se trouvent dans un état quasi-sauvage; les campagnes, en grande partie, sont incultes; ce sont tous les jours des massacres d'hommes et de bestiaux; les marchés sont abandonnés, les rues désertes, les correspondances souvent brûlées, et l'autorité, qui devrait mettre un frein à tant de désastres, les accroît au contraire, soit par incapacité, soit par lâcheté, et multiplie ensuite le nombre des arrestations arbitraires,les longues et illégales détentions, les fusillades sans jugement... Les préfets se cachent; on foule aux pieds tous les droits, non seulement ceux que garantit le statut, mais même les lois ordinaires... Les populations ne sont pas amies, pas même indifférentes, mais ouvertement ennemies (1).»

—On ne saurait compter les agressions violentes, dont sont victimes, sur les routes, les passants et les voitures. Aux environs d'Avellino, une chaise de Voyage-est assaillie: des six personnes qu'elle contient, deux sont tuées, deux grièvement blessées, et les deux autres gardées en otages.— Peu de temps après, il en arrive autant la diligence de Venafro à Isernia.

—Les villes sont moins sûres encore que les grands chemins. A Naples, dans la matinée du 1 avril, des voleurs envahissent la maison du juge Altimari, sise dans une des principales rues, garrottent sa famille, et se sauvent emportant ce qu'ils ont trouvé de plus précieux.

—Dans une seule semaine du mois de mars, l'arrondissement de Lecce (Pouilles) offre ce désolant aperçu

(1) Le Popolo d'Italia, 22 janvier.

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Dans le bois de Sopersano, un charbonnier tué; sur la route de Taurisano à Ugenti, un négociant, père d'une nombreuse famille, égorgé par des voleurs; à Ruggiano, en plein jour, des voleurs mettent au pillage l'habitation d'un riche vieillard; à Patu, un voleur s'introduit par la cheminée chez un riche propriétaire qui, en sortant pour aller demander du secours, est saisi par quatre autres voleurs qui le dépouillent; à Barbarano, trois voleurs pénètrent dans une ferme et la mettent au pillage, jusqu'à arracher les boucles d'oreilles à la fermière, qui, dessuites de sa frayeur, avorte de deux jumeaux; la métairie Valentini est saccagée par une bande de voleurs qui laissent le métayer complètement nu; à Gagliano, on signale un vol de plusieurs milliers de francs. Grimes et délits,tout demeure impuni.

— Les journaux parlent de vols considérables commis dans les palais royaux de Portici, de Capodimonte, de Persano et de Caserte. La consorteria piémontiste en niait naturellement l'existence; mais voici qu'un M. Gomin en dépose une plainte formelle au parquet, désignant les coupables, spécifiant même lès objets détournés: par exemple, rien qu'au palais de Capodimonte, il manque neuf grands tableaux, six candélabres de bronze doré du. plus haut prix, dix lustres, dont quelques-uns garnis en or, deux cents chaises dorées, une grande quantité de cristaux et de porcelaines de Sèvres, cinq cents livrés de cire, plusieurs voitures royales, des livres enrichis d'or et de pierreries, ayant appartenu à la vénérable reine Marie-Christine, pour une valeur de 10,000 ducats, etc. — A Portici, la plus grande partie du mobilier a disparu, entre autres tous les meubles de S. À. R. le comte d'Aquila, et cinq pianos (1).

(1)La Gazzetta di Torino, 16 janvier.

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Le 23 janvier, le procureur du roi procède à saisie-inventaire des palais royaux. Le bruit court que la commission de la maison du roi, à Naples, est suspendue de ses fonctions, et qu'elle est remplacée par un commissaire spécial. L'opinion accuse dé ces détournements deux gentilshommes napolitains, du petit nombre de ceux qui se sont ralliés au Piémont; ils sont effectivement destitués» l'un de la charge d'administrateur des biens de la couronne, l'autre d'intendant des écuries du roi. — A ces vols incroyables, il faut ajouter, encore la disparition d'anciens et nombreux approvisionnements militaires, et la dissémination de grandes bibliothèques publiques (1). — Il est curieux maintenant de connaître la décision du magistrat chargé (Je l'instruction de ces audacieux détournements: «Il n'y a pas lieu à des poursuites (2).» — La même décision est rendue après l'instruction judiciaire sur le vol avec effraction commis dans les armoires de la tapisserie du palais royal, à Naples; et cependant on constate la disparition de reliquaires précieux, d'aiguières, de candélabre, etc., pour une valeur de 40,000 ducats (3). L'opinion publique en conclut que le gouvernement est complice de tous ces détournements, s'il n'en est le premier auteur. Il faut donc bien le reconnaître, l'annexion a trouvé des partisans dans les Deux-Sicilies; la force de l'exemple «triomphé des scrupules, et, de cette manière, le Piémont a pu croire qu'il s'éviterait certains reproches humiliants; mais aujourd'hui que la curée est finie, nul ne se gêne pour rappeler les faits et gestes de l'annexion

(1) Le Popolo d'Italia, 1 Mars.

(2)Dirait-elle donc vrai, cette piquante chanson napolitaine(fui court dans le peuple depuis deux ans?

Nous avons plat le royaume de net pères.

Mais nous sommes du royaume des voleurs.

(3)Le journal la Campana del Popolo, 27 mai.

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«La flotte des Deux-Sicilies est à Gènes. Le magnifique chantier de Castellamare n'existe plus. Les arsenaux ont été impudemment dépouillés d'immenses richesses. Deux cent cinquante mille fusils et des milliers de canons ont été transportés en Piémont, en même temps  que les dépouilles opimes des palais royaux. Encore ne comptons-nous pas le butin particulier fait par les modernes Verres qui se pavanent aux bords de la Boire dans les carrosses des Bourbons de Naples. L'argenterie royale a été pillée de moitié, et le reste vendu à vil prix. Les batteries de cuisiné même ont été enlevées et envoyées à Turin. Si tout ce butin se ramasse sous les yeux d'un peupla stupéfait, qui n'en croit passes yeux.»

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III

«Le 15 janvier, la cour d'assises de Palerme, jugeant le cause des Poignardeurs, condamne à mort Pascal Masotto, Gaétan Castelli et Joseph Gali, et les sept autre» prévenus aux travaux forcés à perpétuité. En dépit de la sévérité de cette sentence, la salle regorge dénommes du peuple portant la bonaca (1); soudain le bruit se répand que la force armée a cerné l'audience et va procéder à l'arrestation des suspects, et, au même instant, on entend tomber sur le parquet une grêle de poignards et dé couteaux. Que d'affiliés se délivraient ainsi d'une pièce accusatrice! — Le 9 avril, les trois condamnés sont pendus. Les journaux siciliens reprochent au bourreau sa brutalité, et concluent en ces termes: «Six mois après l'assassinat, trois mois après la sentence, on exécute trois hommes dont le sang rachète l'attentat du 1er octobre. Les imbéciles crient: Justice! mais, nous, nous crions: mystère!»

—Les journaux annoncent que le bourreau de Turia vient départir pour la Sicile. Voilà certes un envoi bien digne de Turin!

(1)Sorte de vaste que portaient les trois condamnés à mort.


vai su


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— Le 5 août, trois condamnes à mort sont exécutés «Messine, non sans avoir engagé avec les geôliers et les gendarmes une lutte acharnée, où plusieurs de ces derniers sont blessés aux bras. On ne se rend maître des condamnés qu'en défonçant le toit de la prison pour faire pénétrer un- renfort de troupes, qui parvient à leur mettre les fers et à les conduire tout sanglants à Pécha fàud.

—De nouveaux assassinats épouvantent Palerme, a là place Ospedaletto, dans la rue des Golli, prés delà cathédrale, pi es de Saint-Antoine et à la porte des Grecs. Les assassins ne craignent pas de se servir d'armes à feu aussi bien que de poignards. — Dans une seule nuit, aux portes de Palerme, trois courriers (1) et une chaise de poste sont dévalisés par une bande de malfaiteurs, qui blessent deux officiers piémontais. — Aux environs de Palerme, quatre malfaiteurs arrêtent le baron Chiaramonte-Bordanuro, et lui imposent une rançon de 310,000 francs, qu'ils consentent en dernier lieu, à réduire au dixième. Le même sort atteint un sieur Barroçchieri, accueilli, près de Malaspina, par des coups de fusil, arrêté, traîné dans un bois, et dépouillé de tout ce qu'il portait de précieux.

—A Syracuse, une nuit, des inconnus forcent les grilles de la villa de la Plage, brisent les statues, les pots de fleurs, et arrachent toutes les plantes.

—Pendant que la civilisation moderne va purger de la piraterie Bornéo et le Japon, celle-ci se montre audacieusement dans les eaux de Palerme même. Les jour-Baux citent divers actes de piraterie demeurés impunis (2). — «Des fastes de terre, passons aux pirates assassin».

(1)Les courriers de Girgenti, Corleone et Messine.

(2)Le Journal officiel  Naples, 13 avril.

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Dans la nuit du 26 février, non loin du cap Zafferano, c'est-à-dire à six milles (1) du môle de Palerme, des corsaires ont assailli un navire, blessé le capitaine et quelques hommes de l'équipage, et massacré, «près l'avoir dévalisé, un riche négociant en vins.» — Le 14 juillet, dans les eaux de l'île des Femine, près Palerme, des pirates prennent à l'abordage le cutter Pitre, venant de Trapani, blessent le capitaine et enlèvent tout le chargement, pendant que les quelques hommes d'équipage se sauvent à la nage ou se cachent dans la cale.

— La complicité des agents de police avec les voleurs devient tellement évidente que le gouvernement, sur la proposition du préfet de police de Palerme, expulse d'un coup cinquante gardes de la sûreté publique (2). «Mais quelle sécurité espérer, s'écrie le Corriere Siciliano, quand on apprend que les auteurs du dernier vol commis à Palerme sont quatre gardes de police?»

—La sûreté publique en Sicile n'est plus qu'une amère illusion. Des milliers de prisonniers évadés, des milliers de réfractaires battent la campagne, et déjà, dans les provinces de Palerme, Girgenti et Syracuse, il s'est organisé des bandes qui sèment la terreur parmi tous les propriétaires, qui e renferment chez eux et n'osent pas plus aller dans les villes, où Ton vole et tue à tout moment. M Aux portes de Girgenti, le vol est bureaucratiquement organisé. Les hommes qui conduisent les voitures de soufra, à peine sortis des portes de la ville, rencontrent cinq ou six voleurs qui prennent leur nom et leur imposent une redevance; elle est payée au retour, et alors le noie

(1)Deux lieues.

(2)Le Corrige Siciliano, 26 septembre — Voir le Precursore du 7 juillet.

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du voiturier est effacé (1).» — Le Diritto, de Turin, a donc bien raison de s'écrier, dans un accès de franchise dont il faut lui tenir compte: «Ces populations étaient plus heureuses sous les Bourbons (2)!»

—Statistique criminelle de l'arrondissement de Girgenti dans la première quinzaine du mois de mai: A Girgenti, un coup de feu est tiré en pleine place publique sur le juge d'instruction. La maison du fermier Alà, domaine de Naro, est envahie et rançonnées. Six mules et six juments sont volées au sieur Maniano, qui les recouvre moyennant un rachat de 2,000 fr. Sur la grande route, M. Licata est arrêté et rançonné de 5,000 francs. Diverses maisons de campagne sont mises à sac. M. Pascal Geraci, de Castrofilippo, se trouvant dans son domaine avec vingt-deux ouvriers, est arrêté par des bandits et relâché moyennant 1,000 francs. Dix jeunes filles sont enlevées avec violence de leurs maisons Milocca. Un négociant de Girgenti, qui, pour aller en sûreté à Naro, s'était adjoint un soldat du nom de Calogero, est assassiné avec lui sur la grand route.

—Le 30 juin, on met volontairement le feu aux ré-cokes d'un propriétaire des environs de Cirignola, qui perd ainsi plus de 10,000 ducats.

—Au commencement du mois de septembre, on compte à Naples de nombreux incendies criminels.

—Le 3 août, la porte de Massa, à tapies, est le théâtre d'un quadruple fratricide, sous les yeux de la policé indifférente. Dans la grande rue de Tolède, le propriétaire Joseph Marino est attaqué et dépouillé de sa montre et de sa chaîne d'or par deux militaires (2).

(1)Séance parlementaire du 17 avril.

(2) Le Diritto, aout 1863.

(3) Le Popolo d'Italia, 4 aout.

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Près du palais royal, dans l'endroit le plus fréquenté, à quelques pas du factionnaire, une jeune fille tombe mortellement frappée d'un coup de pistolet

—La police découvre une fabrique clandestine de polices de banque, de timbres-poste et de billets de la banque nationale. Parmi les coupables, on remarque un employé supérieur des postes (1 )..

—À Sant'Angelo de Girgenti, le percepteur des finances, M. Costanzo, est assailli dans sa propriété, traîné dans une caverne et forcé de se racheter moyennant1, 200 francs appartenant au trésor. A Racalmuto, après le coucher du soleil, les habitants ne peuvent plus sortir de chez eux sans courir le risque d'être assassinés. Des demandes d?argent avec accompagnement d'horribles menaces sont adressées à la plupart des riches propriétaires (2).

—Un soldat est tué dans le corps de garde même de Monreale.—Près de Catalafîmi, aux bords de la Bimiara, le courrier est assailli et dévalisé; un des voyageurs est massacré (3) — Dans la soirée du 3 juin, un pauvre homme de Baucina est tué d'un coup de fusil. Un fratricide se commet dans la ruelle de San-Cristofaro al Capo, à quelques pas d'un poste de police, dont on invoque en vain l'intervention. Le 26 mai, à Palerme, le marchand de pâtes de la descente des Giudici est assassiné dans sa boutique, pour cela seulement qu'il vendait son macaroni à bas prix et faisait ainsi une rude concurrence à ses confrères.

—Dans la province de Caltanisetta, le domaine de Budano, près Resulano, est assailli et mis à sac:

(1)Journal officiel de Naples, 30 septembre.

(2)Le journal Arturo, 13 mai.

(3)Le journal l'Arlecchmo oppositore, 27 mai

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de l'argenterie, des armes et 12,151 francs en sont emportés. Le domaine d'Orisenoli, près Vallelunga, est également assailli et mis à sac, malgré la résistance des fermiers, dont l'un deux, Michel Gavaretta, est tué. — Une lutte s'engage, dans le domaine de Giulfo-Sellitti, entre la force publique, commandée par le chef de police de Serra-di-Falco, et des malfaiteurs, dont un est tué et trois sont faits prisonniers (1).

—En plein jour, le meunier Vito Chiodo, de Ciminna, est assassiné en se rendant de sa chaumière au moulin. Dans la soirée du 31 mai, à Ventimiglia, deux gardes champêtres sont désarmés et assassinés. Le 1er juin, à Casagrande, près Mineo, un paysan et un brigadier de gendarmerie sont tués, et un soldat est blessé. A Casteltermini, l'intendant des solfatares du duc de Monteleone est tué par quatre gendarmes en tournée. A Misilmeri, un individu est assassiné. A Palerme, on trouve deux cadavres, offrant des traces de mort violente, entre la porte Saint-Georges et le Borgo. Dans la seule journée du 5 juin, à Palerme,trois personnes sont assassinées, et cinq grièvement blessées. À Vicari, un prêtre et sa sœur sont assassinés dans leur demeure.

—Un journal sicilien attribue tous ces excès à la lâcheté des agents piémontais (2). «Les vols, les tueries,les assassinats continuent; nul point de l'île n'en a été privé. Nous ne savons plus qu'écrire et à qui adresser nos plaintes.... Le général Serpi lui-même, chef de notre sûreté publique, se fait escorter tous les soirs par des gendarmes jusque chez lui (3).»

(1)Le Precursore, 30 mai.

(2)Le Precursore, 8 juin.

(3)Le Precursore, 15 juin.       .

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Aux portes de Palerme, trois officiers piémontais, revenant d'une partie de plaisir, sont attaqués et dévalisés; le plus robuste est massacré.

—A Campofranco, le jeune Guarino est séquestré par des malfaiteurs et relâché moyennant finances. Une chaise de voyage, sortie de Caltanisetta, est assaillie quatre fois dans son trajet. Le 24 juin en vue de Palerme, une bande occupe le pont de la Grazia et impose des rançons à tous les passants, pour la plupart riches marchands, qui invoquent en vain l'aide de la police.

—La province de Messine est dans une désolante situation: 1,900 ducats sont enlevés au sieur Zangales, homme d'affaires de la duchesse de San Giorgio Les couvents d'Alcara et de San Marcello sont assaillis et mettent les malfaiteurs en fuite en sonnant le tocsin. Des placards incendiaires se voient  dans toutes les villes (1).

(1)Le Corriere siciliano, 24 mai.

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IV

Les députés siciliens déplorait le douloureux état de leur patrie: «Les agressions, les vols, les séquestrations de personne sont vraiment innombrables en Sicile, et la foute en est au gouvernement qui ne place pas un bureau central de police à Palerme, comme il y en avait un sous les Bourbons, alors que la sûreté publique était en bon état.» Le ministre ne nie pas la gravité des crimes commis en Sicile, et promet d'y remédier en augmentant la force publique; un député lui réplique: «La Sicile n'a pas besoin de gendarmes, mais de pain; et quand le pain manque, il ne peut y avoir de sûreté publique (1).» — «Il n'est pas contraire à l'amour de la patrie de révéler les plaies de son pays. En Sicile, les malfaiteurs sont devenus si audacieux qu'ils brûlent les moissons de ceux qui refusent de leur donner de grosses sommes d'argent Le ministre de l'intérieur lui-même a confessé que le personnel des fonctionnaires publics a besoin d'être changé par là, et cependant on ne s'en occupe point.

(1)Séance parlementaire du 11 juin.

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Les procès commencés montent à des milliers, les crimes sont innombrables, et la terreur est si grande parmi les populations que les victimes n'osent pas dénoncer les vols et les violences qui les atteignent. Le corps de la gendarmerie, en Sicile, abuse de son mandat; la faute en est aux officiers, et spécialement au commandant.... Le ministère est incapable de donner à la Sicile cette sécurité publique que les autres gouvernements avaient pourtant su y maintenir par le passé (1).»

—«L'état de la Sicile démontre l'absence complète de sécurité publique, c'est-à-dire l'absence des éléments sociaux: c'est là la  situation du   pays!...   Il n'y a sûreté ni pour la vie ni pour la propriété, où il n'y a de liberté que celle de mal faire, puisque les méfaits y restent éternellement impunis (2).»

—Dans la nuit du 5 juillet, un détachement de la force publique commandé par le chef de police, passant dans la rue Piana de' Greci, à Palerme, essuie une décharge de coups de fusil qui tue un gendarme, lies auteurs de cette attaque nocturne demeurent inconnus. — Deux gendarmes sont blessés dans une rixe, dans la rue del Parco.— Près de Pollizzi, trois fermiers sont assassinés. — A Leonforte, province de Catane, le comte Bonsignore, dans un laps de cinq jours, reçoit cinq lettres menaçantes lui demandant chacune une rançon de dix mille ducats. Son intendant est tué à sa porte même, quelques jours après, dans la soirée du 7 juillet.

—Un véritable combat s'engage dans la soirée du18 juillet, à Castelvetrano, entre la troupe et des malfaiteurs surpris en flagrant délit. Un caporal piémontais reçoit une grave blessure.

(1)Séance parlementaire du 11 juin.

(2)Séance du sénat piémontais, 29 juillet. — Actes officiels du Sénat, n. 66.

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— Vers la fin du mois, le président de la cour d'appel est poignardé à Catane. — A Monreale, on signale cinq séquestrations dans un seul jour. Le commerce est abattu, les campagnes sont désertes, nui n'a confiance dans le nouvel ordre de choses, les masses sont démoralisées par le sentiment de l'impunité (1).

—A Termini, on compte cinq homicides dans un seul jour, et deux à Altavilla. — A l'endroit même où avait été assassiné, quelque temps   auparavant, le général Corrao, on assassine le gardien de sa propriété (2)..— A Castellamare del Golfo, le 12 août, trois hommes, dont deux frères, sont tués dans une rixe acharnée.

—La situation est si déplorable que les feuilles ministérielles même s'en émeuvent La Stampa, de Turin,dans son numéro du 20 août, dit que «les malfaiteurs forment une société de vols et de camorra au sein de la société même, et qu'elle est devenue plus forte que cette dernière; elle a son conseil supérieur, sa direction suprême, ses adhérences, ses exécuteurs dans le bras vénal des chemises rouges, sa clientèle dans tous les rangs,ses écrivains, ses poètes, ses artistes.»

—En plein jour, on vole un cheval à la porte de Palerme, et les voleurs s'arrangent ensuite à l'amiable avec le propriétaire, et lui rendent sa bête moyennant un cadeau de 380 francs. — Deux jeunes gens, mis en état de séquestration et ne pouvant ou ne voulant payer rançon,sont assassinés près de Monreale. — Non loin de là, un autre jeune homme est arrêté et, mieux inspiré, échappe à la mort en payant une forte rançon. — A San Giuseppe delle Mortille, un propriétaire est arrêté et dépouillé dé 24,000 francs (1).

(1)Le journal le Precursore, 24 août.

(2)Le Precursore, 15 août.

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La terreur que répandent les malfaiteurs pousse leurs victimes à nier ces violences à leurs voisins et à l'autorité (2), comme par exemple Philippe Pecoraro, de Carini, Xavier Domitri, de Monreale, et tant d'autres (8).

— Le 29 août, un propriétaire de Palerme est assassiné pour ne s'être pas conformé aux décrets d'une association de contrebandiers, dite la Camorra de' Colli, qui prétend empêcher les propriétaires de campagne de rendre au détail. — A Ficarazzelli, des malfaiteurs, se disant agents de police, assassinent le sieur Domenico Macchiarelli, dont le vieux père n'échappe au même sort que par la fuite (4). D'autres assassins séquestrent un ecclésiastique du nom de Gusmano Olivuzza (5). A quelques milles de Cefalù, le courrier est assailli, dévalisé et brûlé (6).

—A Vicari, on compte en un seul jour trois homicides et six vols (7). — «En juin, on tue un sieur Milone; en juillet, on tue son frère; au mois d'août, leur père, vieillard septuagénaire, est blessé mortellement d'un coup de fusil. Un paysan se marie, et deux mois après il est assassiné sous les yeux de sa femme, qu'on n'a plus revue.

(1)Le journal le Precursore, de Palerme.

(2)On voit par le combien il est difficile de dresser exactement la statistique criminelle des Deux-Sicile. Le Piémont ne croyait peut-être pas si complètement y inculquer le droit de la force.

(3) Journal officiel de Sicile, 27 août.

(4)Le journal l'Arlecehino oppositore, 10 septembre.

(5)Le journal le Precursore, 11 septembre.

(6)Le Çorriere siciliano, 17 septembre.

(7)lbid. 15 septembre.


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— Rien qu'en six jours, du 28 juillet au 2, août, dans l'arrondissement de Palerme, on no compte pas moins de 106 crimes! Quand ces détails parviendront au ministre de l'intérieur, il ne manquera pas décriera l'exagération, et cependant ce n'est que la plus affreuse réalité (1)1»

— Des propriétaires de San-Giuseppe délle Mortille, se rendant à Palerme, pour plus de sûreté s'étaient fait es corter de trois militaires à cheval. Arrivés à la Portella della Puglia, ils sont attaqués et dépouillés de 8,000 fr. Un des militaires est tué dans la lutte (2).

—Au mois de décembre, à Petralia-Soprana, on trouve massacrée une famille de quatre personnes, dont deux enfants. La plus jeune, âgée de neuf ans, avait reçu plus de trente coups de poignard (3).

— Le général Govone, fameux par ses excès en Sicile, dit au parlement que «la Sicile est déchirée par des haines de famille et de parti poussées jusqu'à la férocité... La révolution de 1860 a fourni l'occasion de les manifester avec d'épouvantables excès. Je pourrais citer les partis des Cavalieri et des Scribi, des Greci et des Latini, des Sorci et des Libérali et d'autres noms qu'on se jette mutuellement, en détruisant des familles entières hommes, femmes, enfants, en saccageant et en brûlant les maisons, en ne laissant aux parents même éloignés que la ressource de s'exiler. C'est le moyen âge. Mais outre ces excès éclatants, beaucoup d'autres haines existent et ont donné lieu à des vengeances sans un. Ces faits ne laissent pas seulement derrière eux des rancunes immenses, mais ils compromettent judiciairement un nombre considérable d'individus, hommes du peuple la plupart, 4ont on se sert comme instruments.

(1)Le journal la Monarchia nazionale, de Turin,  12 septembre.

(2)Le journal l'Amico del Popolo 18 décembre.

(3)Le Precursore de Palerme, 27 décembre.

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A cette première catégorie d'êtres dangereux, il faut ajouter de nombreux malfaiteurs évadés des prisons et des galères en 1860, et amnistiés par la dictature, vu l'impossibilité de les reprendre. Leur nombre est de huit à dix mille. Vient ensuite le recrutement, et avec lui une autre catégorie de personnes dangereuses, les réfractaires et les déserteurs, qui se cachent par milliers. Tant de mauvais éléments devaient produire leurs fruits. En 1861 et 1862, la gendarmerie a constaté 1,560 homicides, et ce n'est pas encore le chiffre véritable et réel; car on peut dire qu'en Sicile il se commet un millier d'homicides par année (1).»

—Le 1 octobre, à Naples, une rixe tumultueuse et sanglante éclate, dans le quartier de la Vicaria, entre des officiers delà garde nationale et des malfaiteurs. On se bat à coups de couteau et de revolver. Onze individus  sont grièvement blessés, entre autres un capitaine de la garde nationale, qui n'a pas reçu moins de douze coups de revolver, et un brigadier de police. —Le bruit se répand qu'une rixe a éclaté entre la police et la garde nationale. Aussitôt une des légions prend les armes et va attaquer l'hôtel de la police. L'inspecteur et ses agents sont désarmés ou mis en fuite, et c'est à grand peine qu'on parvient à apaiser le tumulte, qui gagnait la cité tout entière (2).

—Dans la soirée du 8 novembre, le sénateur Vacca, procureur général à la cour de cassation, est assailli dans une des principales rues de Naples et dépouillé de tout ce qu'il porte. — Le 16, dans le populeux quartier

(1)Séance parlementaire du 5 décembre. — Atti ufficiali, n. 287, p. 1097.

(2)Le journal le Popolo d'Italia, 8 octobre.

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Pendino, la foule assiste à un combat au couteau entre Ferdinand Picardi et Jean Avitabile, près de la fontaine des Serpi. Le premier est tué; le second, grièvement blessé, est relevé et conduit en prison par la police, comme toujours, arrivée trop tard pour empêcher le mal. — Parfois le passant aperçoit, dans les rues de Naples, des tronçons de membres humains; ainsi, au coin du bourg Mattonelli a Carbonata, on trouve un jour la tête d'un homme âgé, fraîchement séparée du tronc, et, à quelques pas plus loin, dans une autre rue, le crâne d'une femme, plus loin des mains, et ailleurs des jambes.

—A Àndria, province de Bari, plusieurs centaines de paysans envahissent le domaine de M. Espagnoletti en criant qu'ils ont le droit de vivre comme les riches, arrachent ses oliviers et détruisent tout ce qui tombe sous leurs mains. La gendarmerie accourt; mais le ma était fait, et elle ne parvint à arrêter que cinq ou six de ces furieux (1).

—Mais il nous faudrait plusieurs volumes pour relater tous les faits douloureux qui établissent sans conteste comment le Piémont a régénéré l'Italie en gênerai et les Deux-Sicilies en particulier. Il promettait de restaurer la liberté et la civilisation: il n'a restauré qu'un despotisme ignare et qu'une atroce barbarie. — C'est ainsi que du domaine politique ses principes brutaux  sont passés dans le domaine social, et que trop d'annexes se sont crus en droit d'appliquer à leur profit personnel la doctrine de leur nouveau gouvernement. Ce grand royaume d'Italie, élevé sur la corruption et la démoralisation, ne rappelle que trop la gigantesque statue aux pieds d'argile. Il tombera donc, comme elle, au premier orage, écrasé sous le poids du ridicule et de la honte!

(1) Le journal l'Italia, de Naples, 1 décembre.

PRISONS

.........................................

SILVIO PELLICO

Quand M. Gladstone publiait son triste pamphlet contre le gouvernement napolitain, quand il retraçait à la démocratie européenne les tortures imaginaires de prisonniers hâbleurs, il prenait la peine d'écrire en note ces mots d'une parfaite et charmante naïveté: «Voilà l'histoire de Poerio (1), telle qu'il me l'a racontée lui-même!»

Quel véridique plaidoyer publierait aujourd'hui le complaisant chancelier de l'Echiquier, s'il avait vu comme nous les prisons piémontaises dans les Deux-Sicilies, bouges infects, sans lits, sans air, sans lumière, où Termine et l'ordure quatre-vingt mille

(1)Aujourd'hui vice-président du parlement piémontais.

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prisonniers (1) mourant de soif et de faim (2)1 Mais M. Gladstone, qui, à l'en croire, ne fait à Naples que des voyages de santé, oserait-il approcher ces repaires empestés, où le typhus étend ses ravages, où les sévices de la plus immonde immoralité sont commis par d'odieux justiciers mêmes, où peut-être, enfin, le râle de quelque moribond jetterait un horrible anathème au coupable auteur de l'extermination.

Le Piémont n'a pas eu assez des salubres prisons des Bourbons, des tyrans, comme on dit à Turin, et il a changé en cachots des casernes, des couvents, des églises, des écuries et jusqu'à des caveaux funèbres, comme il est arrivé, par exemple, à Potenza et à Catanzaro. Encore si les infortunées victimes de ces détentions arbitraires et prolongées pouvaient recevoir quelques consolations du dehors! Mais elles ne peuvent envoyer ni recevoir de lettres, et ne communiquent ni avec leurs amis ni avec leurs parents, pas même avec leur avocat. Qu'elles se tiennent cramponnées aux barreaux de leur prison pour chercher un air plus pur, un rayon de soleil, un regard ami peut-être, sans sommation préalable un factionnaire piémontais leur casse la tête d'un coup de fusil, et reçoit ensuite la médaille de la valeur militaire.

A Palerme, j'ai trouvé trois classes de détenus préventifs: les premiers,' à la disposition de la magistrature; les seconds, à la disposition de la police; les troisièmes, à la disposition du pouvoir militaire.

(1)C'est le chiffre approximatif donné par lord Cochrane à Bon retour des Deux-Sicilies.

(2)Le chien du comte B., qu'on ne nourrit que de pain et d'eau, resta trois jours sans manger plutôt que de toucher au pain des prisons de Milazzo, en Sicile.

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Foggia, le directeur de la prison, voulant s'assurer, un beau matin, des motifs de la détention d'environ deux cents individus, n'en trouva que sept détenus en vertu d'un mandat judiciaire, et, chose incroyable! cinquante-deux n'étaient détenus qu'en vertu du sic volo d'un sergent de la garde nationale mobile!

Mais ce n'est pas tout: si les détenus ont enfin la chance de passer en jugement et le bonheur d'être déclarés innocents, il arrive que la police les retient néanmoins en prison comme suspects. Elle y est d'ailleurs illégalement autorisée par une circulaire ministérielle (1). Ah! qu'un philosophe, même le moins panégyriste, pourrait heureusement faire ressortir ici la proverbiale clémence des rois Bourbons, et stigmatiser justement ce règne plus inique encore que douloureux! — Par bonheur pour un certain nombre des prisonniers du Piémont, les geôliers n'ont pas le cœur aussi dur que leurs chefs de file, et l'on en voit qui prennent gaiement la clef des champs avec les captifs: demandez plutôt au brave baron Cosenza et à monseigneur Cenatiempo.

Un jour, les prisons piémontaises auront leur Silvio Pellico, et resteront dons la mémoire des peuples comme l'ineffaçable témoignage de la monstrueuse barbarie des prétendus régénérateurs de l'Italie au XIX siècle!

(1)En date du 19 octobre 1861.—Voir le Voyage au royaume de Naples en 1862, page 98.

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II

«Nous ignorons quelle peine subissent les nombreux détenus du château de l'Œuf, à Naples; mais c'est un douloureux spectacle que celui de leurs familles désolée, errant autour de la forteresse en demandant en vain à voir leurs parents Ceux qui se promènent sur la plateforme du château peuvent être vus de loin par leurs familles, qui les regardent de la mer, où ils sont dans dés barques (1).»

—Les ingénieurs civils reçoivent du gouvernement l'ordre de changer promptement les maisons religieuse confisquées en lieux pénitentiaires (2).

—Dans les prisons de Sicile, «il se trouve une immense quantité d'êtres humains, entassés sans motif et sans jugement, dont quelques-uns n'ont plus de l'homme que les pieds et les mains, nus, les cheveux incultes. Les geôliers me dirent que ce châtiment lui était infligé pour inspirer la crainte aux autres détenus.

(1)L'Indipendente de Naples, journal de M. Alexandre Dumas, 6 juin, n. 26.

(2)Le journal la Borsa, de Naples, 14 août.

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Ensuite le sol de la prison était ai sale que je ne put distinguer s'il était fait de brique ou de pierre (1).»

-- «Le nombre des détenus en Sicile n'est pas inférieur à celui des détenus napolitains, et la procédure n'y marche pas plus vite. Rien qu'en la province de Palerme, au commencement de 1863, les prévenus étaient au nombre de quatorze cents, et en quatre mois on n'en a jugé que soixante-sept. Il y a des personnes détenues depuis deux ou trois ans, sans que jamais personne se soit souvenu d'elles. De telles illégalités ne se sont jamais produites en Sicile que depuis 1861 (2).»

— «La prison judiciaire de Salerne peut contenir six cents individus, et il y en a actuellement quatorze cents; celle de Potenza, six cents, et il y en a douze cents. Dans la prison San-Francesco, à Naples, il s'est déjà manifesté une épidémie, et il faut y parer d'urgence. La prison de Lanciano (Abruzzes) peut contenir deux cents détenus, et il s'y en trouve sept cents. Voilà ce qui fait craindre fortement que l'épidémie se développe dans toutes les prisons napolitaines. Il est donc démontré qu'aujourd'hui certaines prisons contiennent le double, et même le triple ou le quadruple du chiffre réglementaire de prisonniers... Ce sont des cavernes antédiluviennes, tellement encombrées de prisonniers qu'on y redoute de grosses épidémies.., La nourriture, les mauvais traitements, tout y a de pair avec le local... La prison de Milazzo surtout est une horreur: celui qui la visite pendant peu d'instants en sort couvert de ver- mine, le cœur soulevé, et rougissant d'être Italien.

(1)Séance parlementaire du 25 février.

(2)Séance parlementaire du 34 avril.

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On ne croirait pas qu'il fût possible en Italie qu'on laissât des êtres humains périr dans la pourriture et la dégradation (1).»

— «Dans une seule prison de Palerme pourrissent quatorze cents prisonniers, dont un tiers depuis 1861, sans que la questure en sache même les noms, puisqu'elle les a demandés au procureur du roi et au directeur des prisons. — Dans celle de la Vicaria, à Naples, sont entassés mille prévenus, dont la plupart n'ont pas même été interrogés, et gisant tous dans des cachots aussi horribles que ceux de Palerme; quelques-uns y sont depuis deux ans. — Dans la prison de San-Francesco, à Naples, se trouvent quatre cent trente-sept détenus, dont soixante-dix-sept seulement par suite de condamnations; les autres attendent qu'on les juge, et sont à la disposition de la police qui sait depuis combien de mois!...  - Si l'on voulait parler de toutes les prisons des Deux-Sicilies, on n'en finirait plus: voyons seulement celles de la Terre de Labour, de Molise et d'Avellino. Dans la prison de Santa-Maria, se trouvent treize cent quatre-vingt-dix détenus, dont huit cent soixante-dix  attendent qu'on les juge;  cent quatre-vingt-seize sont accusés de réaction, cent cinquante-cinq de crimes politiques, cinq cent dix-neuf de crimes communs. Les cinq cent vingt autres se subdivisent ainsi: trente-quatre galériens, quatre-vingt-dix reclus, trois condamnés à la relégation, et cent dix-huit à la prison; deux cent dix détenus à la disposition de la police, trente-cinq camorristes, et soixante-quinze détenus à la disposition de l'autorité militaire; ce qui fait que dans l'Etat, outre le pouvoir judiciaire, il y a un autre pouvoir qui s'arroge la faculté d'emprisonner les citoyens.

(1)Séance parlementaire du 9 avril.

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Dans la prison de Campobasso, se trouvent mille treize détenus, dont huit cent soixante-quatre attendent toujours qu'on les juge. A Avellino, il y a dix-huit cent trente-six détenus, dont quatre cent dix politiques. Les principales causes de ces emprisonnements en masse sont: 1 la légèreté vraiment coupable avec laquelle procèdent aux arrestations, d'une part la police, et de l'autre l'autorité militaire; 2° la lenteur des instructions, ruit de la paresse ou involontaire, vu le nombre restreint des juges d'instruction; 3° la nécessité, même pour de légers délits, d'attendre le jugement des cours d'assises avant celui des juges de canton et des tribunaux d'arrondissement.»

A la moindre appréhension, la soupçonneuse police piémontaise procède à d'innombrables arrestations, surtout parmi les anciens officiers napolitains et les bourboniens, dont une vingtaine sont emprisonnés dans la seule nuit du 19 avril.

—La cour d'assises de Naples suspend ses séances,quand le chiffre des causes pendantes est encore de mille quarante dans la province. La cour d'assises de Salerne juge cent détenus, et laisse les dix-huit cents autres pourrir en prison.

— Le Sicilien Joseph Politino, accusé de crime politique et détenu depuis quatorze mois, est déclaré innocent par la cour d'assises de Palerme.

—Treize cent soixante-neuf procès sont pendant à la cour d'appel de Palerme, et celles de Messine et Catane ne sont pas moins surchargées. A en croire le journal la France, un haut fonctionnaire sicilien aurait évalué à douze mille les procès criminels pendants.

—«J'ai vérifié en personne le nombre des citoyens détenus dans les prisons de Naples et de Palerme, qui est de trois à quatre mille. Outre les tableaux des prisons de Santa-Maria, de Campobasso et d'Avellino, j'ai

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sous les yeux deux lettres de Catanzaro et de Salerne: la dernière, qui est d'un avocat bien connu dans cette Tille, porte à deux mille quatre cents le chiffre des dé tenus dans la Principauté citérieure. En le prenant pour base et en le multipliant par vingt-trois, on arrive, pour tes vingt-trois provinces des Deux-Sicilies, à un chiffre effroyable de détenus (1).»

— Lord Lennox, après avoir visité quelques-unes des prisons napolitaines, en fait à la chambre des communes une description dictée par la plus éloquente indignation. Encore n1avait-il pas visité peut-être tous ces tombeaux où descendent vivants des milliers d'êtres humains: las caveaux de Potenza (2), l'humide forteresse de Brindisi, la fourmilière de Foggia, le bouge putride de Milazzo, et tant d'autres séjours infernaux ou la mort devient le plus désirable de tous les biens (3)! — Nous croyons devoir donner quelques extraits du remarquable discours du noble représentant anglais, en exprimant le regret de ne pouvoir le donner en entier:

«J'ai été à Naples, et j'ai vu que, chaque semaine, des citoyens inoffensifs sont arrachés la nuit de leurs lits et jetés par la police dans d'horribles prisons où l'on ne voudrait pas mettre des bestiaux en Angleterre; et c'est là qu'ils gisent pendant des mois et des années, sans être jugés ni même interrogés. Deux cents individus, hommes, femmes et enfants, sont emprisonnés en peu d'heures sans en savoir le motif; et si on le de mande à l'autorité, elle répond «qu'ils sont suspects de sympathie pour les brigands...»

(1)Lettre du député Ricciardi au journal le Diritto, 23 avril.

(2)A Potenza, le gouvernement napolitain avait transformé en prison le vaste et confortable couvent dé San-Francesco.

(3)Le journal la Stella di Foggia.


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Et c'est pour une accusation aussi vagué qu'un gouvernement libre les: jette dans une prison infâme! — J'ai Visité, dan la prison politique de Santa Maria Apparente, l'Anglais Bishop et j'ai entendu les réclamations d'une foule de prisonniers, détenus depuis deux et trois ans sans avoir seulement été interrogés. Ce n'étaient pas des personnes dangereuses pour un gouvernement qui serait basé sut l'amour des peuples. Au contraire, le plus grand nombre étaient des vieillards, dès boiteux appuyés sur des béquilles, capables seulement de finir leur jouis dans un asile des pauvres. Beaucoup d'eux se pressaient au tour de moi pour nie donner leurs noms; mais je n'avais pas le temps de les écrire tous» Beaucoup de leurs demandes de mise en jugement sont expédiées à Turin par voie officielle et on n'y répond pas (1). Je passai à la prison de la Concordia, destinée aux détenus pour dettes, et j'y trouvai confondus avec eux des condamnés pour crimes. Il y avait parmi les prisonniers cinq prêtres et un évêque, jetés là depuis un mois, pêle-mêle avec tes ans et les autres, sans savoir pourquoi... Dans la prison des femmes de Santa-Maria ad Agnone j'ai vu d'honnêtes femmes détenues confusément avec d'autres ramassées dans les rues et de mœurs obscènes. Les trois sœurs Francesca, Carolina et Raffeelle Avitabile y gémissent depuis un an pour avoir exposé à leur fenêtre un drap que la police prit pour un drapeau bourbonien... Je visitai la prison de Salerne, qui devrait contenir six cents prisonniers à peine; j'y en ai trouvé treize cent cinquante-neuf;

(1)Entre cent noms que cite lord Lennox, nous remarquons Gîuseppe Arenca, à qui les geôliers ont brisé les dents; Angelô Lusitano, son père et sa mère. Natale Perez et sa femme, Luigi Pansa, bâtonné par ordre de la police, etc. Voir le Morning-Herald.

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de là le typhus, qui avait tué, entre autres, le médecin et le gardien de la prison. Dans la première chambre, on avait entassé huit ou neuf prêtres et quatorze autres citoyens accusés d'être suspects, et dix ou douze individus pour délits communs. Dans la seconde chambre, il y avait cent cinquante-sept détenus ignorant les motifs de leur arrestation, et parmi eux un condamné à mort qui devait être prochainement exécuté. Dans la troisième, c'étaient l'ordure et l'horreur poussées à l'excès: il y avait là deux cent trente détenus, parmi lesquels des officiers de la garde nationale, coupables d'avoir obéi à la voix de Garibaldi, des prêtres, des citoyens, tous dans une misérable situation. J'en ai vu dont les vêtements, par suite d'un long emprisonnement, n'étaient plus que des haillons, et. qui, presque nus, ne pouvaient même se bouger pour implorer la pitié des visiteurs... Ils manquaient littéralement de pantalons, de souliers, de chaussettes; une jaquette en lambeaux remplaçait la chemise; c'était horrible à voir et à sentir, bien qu'on fût au mois de janvier. En Angleterre, on ne donnerait pas leur nourriture à des animaux; leur pain est dur comme la pierre...

— Sir Bowyer dit à la chambre des communes que, d'après des documents officiels, il y a dans les Deux-Sicilies, trente-deux mille individus condamnés aux galères, et environ quatre-vingt mille détenus politiques (1). — Les représentants Cochrane, Bentinck et Cavendish, appuient cette assertion.

(1)Séance de la chambre des commîmes, février 1863.

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III

Le 7 septembre, la police opère inopinément une razzia d'anciens officiers et employés bourboniens, entre autres MM. François de Blasio, Jules Bonneval, officiers napolitains, Salomon Peluso, employé au ministère de la justice, etc.

— Le 17 novembre, le roi d'Italie décrète une amnistie partielle, qu'on ne reçoit à Naples que comme une injure nouvelle à la douleur publique. En effet, de tant de milliers de prisonniers, quarante à peine sortent de leur prison (1), où la police s'empresse d'écrouer à leur place un nombre égal de nouveaux détenus. En outre, quelques jours après, en dépit de l'amnistie royale, la junte secrète, appliquant l'art. 5 de la loi Pica, ordonne de nouveau l'arrestation de quatre des amnistiés. Un journal napolitain appelle cette suite de mesures «des comédies qu'on n'a jamais vues sous aucun gouvernement (2).»

(1)Journal officiel de Naples, 20 novembre. — La Campana di San-Martino, 6 décembre, réduit à 34 le nombre des amnistiés.

(2)Le journal le Popolo d'Italia, 6 décembre.

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La Discussion, de Turin taxe le décret d'inconstitutionnalité, puisqu'il ne favorise que les provinces méridionales, et non le royaume d'Italie tout entier, et promulgue une loi d'exception à leur avantage exclusif. — A Naples, le décret royal donne lieu à quelques importantes manifestations: les plus grandes familles du pays viennent recevoir les amnistiés à leur sortie de prison, et les accompagnent comme en triomphe jusqu'à leurs demeures. L'autorité feint habilement de se méprendre sur le sens de cette démonstration anti-piémontaise.

—La statistique officielle établit que, dans le royaume de Naples, la gendarmerie, à elle seule, a arrêté vingt-trois mille six cent quarante-quatre personnes dans le cours de l'année 1863 (1).

—La mesure arbitraire du domicile forcé porte la désolation dans les familles et dépeuple pour ainsi dire le pays. Ainsi, dans la seule journée du 19 octobre, par ordre de la junte Pica, vingt-quatre citoyens de Palerme sont embarqués de force et envoyés à Livourne pour être confinés ensuite dans les îles toscanes (2). Voici maintenant la statistique des hommes du peuple napolitains déportés aux îles (3):

         Porto-Ferrajo180

Elbe  Rio200

         Merciana..200

Capraja.300

Gorgona.........160

Giglio..;,150

Total..................................... 1,180

(1)Le journal l'Unità italiana, de Milan, 29 février 1864.

(2)Journal officiel de Sicile, 20 octobre 1863

(3)Le Mémorial diplomatique, octobre 1863.

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enfin comment inexécuté le transport de ce infortunés, arbitrairement forées à s'exiler tans avoir même, la plupart du moins, été mis en jugement. «Le vapeur fronçait Comte Bacciocchi (l), allant de Naples à Livourne, transporte à Portoferraoo plus de quarante réactionnaire napolitains, parmi lesquels un vieillard de plus de soixante-dix ans, une femme et deux enfants. Excepté ceux-là, tous sont enchaînés deux paf deux et attachés aux anneaux du bord, à la belle étoile, comme des animaux. Leurs fatigues et leurs misères inspirent généralement la pitié. Plusieurs passagers de ce vapeur, qui fait ordinairement le trajet entre Naples et Marseille ont témoigné leur indignation de voir oublier tout sentiment d'humanité à regard de tant d'infortunés qui, par application de la loi Pica, ne sont pas condamnée mais destinés (2) au domicile forcé (3),» — Lettre d'une victime de la loi Pica (4): «Je fus écroué à la prison de Foggia sans avoir pu parler à quelqu'un des miens, sans avoir pu pourvoir â mes affaires domestiques, et j'y restai deux mois environ côte à côte avec les condamnés criminels; pour faire par venir quelque petit billet à ma famille dans ce laps de temps, il m'en coûta 120 ducats. Je fus ensuite conduit à Manfredonia, enchaîné, avec soixante autres prisonniers, hommes et femmes, et nous fûmes ferrés deux à deux sur le vapeur qui nous porta à Àncone.

(1)Comment un navire français peut-il accepter une si odieuse mission?

(2)Molière eût mis cette ingénieuse distinction dans le bouche de Tartufe.

(3)L'Osservatore romano, 23 novembre, correspondance de Civita-Vecchia.

(4)Publiée par le journal l'Italia, de Naples, 3 février 1864.

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A Ancône, on nous ôta les fers sur Tordre du préfet et malgré l'opposition du commandant de l'escorte. D'Àncone, on nous conduisit à Gênes, dans une boutique où nous arrivâmes affamés, et où un inconnu nous offrit par charité quelques gâteaux. C'était une aumône, mais elle fut acceptée. Mes effets, que j'avais laissés à Ancône, me rejoignirent à Gênes; il me manquait une malle d'effets valant plus de 200 ducats. De Gènes je fus conduit ensuite en Sardaigne, où je trouvai l'autorité bénigne, mais le pays affreux. Je vous écris pour vous recommander de faire tout le possible pour éclaircir ma situation, demandant non une absolution, mais un jugement qui démontre ma culpabilité; mais je ne suis que victime des artifices de mes ennemis.»

— Dans la Terre de Labour, on compte en février soixante-sept arrestations; en septembre, cent cinquante-trois; en octobre, soixante-seize; en novembre, sept cent soixante-deux; en décembre, cent quarante-neuf.

— Dans la principauté ultérieure, soixante réactionnaires de Montemiletto sont condamnés aux travaux forcés, en juillet, ainsi que vingt et un réactionnaires de San-Giorgio la Molara. Le docteur Louis Pappone, le propriétaire Raphaël Pappone et le fermier Jean Paradiso sont déclarés innocents par la cour d'assises, qui apprend alors qu'ils ont été préalablement massacrés par la troupe chargée de leur arrestation; en octobre, arrestation d'environ trois cents suspects. En novembre, déportation en Sardaigne et à l'île d'Elbe de soixante femmes; en décembre, déportation en masse.

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IV

Michel Ruta est tué d'un coup de fusil par un factionnaire du 55, Jean Cecco, pour s'être montré un instant aux barreaux de sa prison, à Syracuse.

—A Sora (Terre de Labour), un prisonnier est tué d'un,coup de fusil, le 22 juillet, par un factionnaire du 43 pour le même motif.

—Cent vingt-sept détenus, au mois de janvier, s'évadent de la prison de Girgenti. Neuf autres s'évadent de celle de Potenza, après avoir désarmé un factionnaire du 46. En février, cinquante-cinq condamnés aux travaux forcés s'évadent des prisons de Teramo et désarment à Ginepri trois soldats et cinq gardes nationaux. Le 17, révolte sanglante dans la prison de Catane (1).

—Extrait d'une lettre d'un voyageur français, datée d'Avellino:

«Les populations des campagnes surtout sont favorables aux bandes; elles les approvisionnent, les renseignent,   en attendant qu'elles puissent les soutenir activement.

(1)Le journal l'Opinione, 20 février.

—302 —

Le gouvernement le sait bien; mais comme il ne peut frapper les habitants en masse, il les décime par catégories de suspects. Il faut voir comme on-les convertit aux nouvelles idées: c'est un chapitre à ajouter au martyrologe des peuples. On me conduisit à la prison, bâtiment de médiocre grandeur, ceint de murs et de fossés, et gardé par les libérateurs de l'Italie. L'entrée nous en fut refusée; le directeur alléguait que ce lieu était malsain et qu'on en pourrait garder un fâcheux souvenir. Il ne se trompait pas. La prison a été construite pour contenir 500 individus; mais elle n'a jamais eu 250 prisonniers, même aux époques les plus agitées des précédents. Aujourd'hui l'on y a entassé 2,300 prévenus! Le défaut d'espace, l'air toujours vicié, la mauvaise alimentation et son insuffisance même y ont fait naître des maladies, qui sont devenues contagieuses et mortelles, et les médecins eux-mêmes s'en éloignent avec terreur. Toutes les nuits, des tombereaux emportent furtivement les victimes. Aux femmes, aux enfants éplorés qui assiègent la porte de la prison et appellent un être cher, une voix brutale répond: Il est mort! Allez-vous-en!..»

— Le 17 janvier, en Capitanate, le préfet Ferrari fait arrêter les parents et les amis d'environ 400 légitimistes. Le 24 août, 50 condamnés politiques (travaux forcés) sont embarqués à Manfredonia pour une destination inconnue. — Dans la Terre de Bari, à la fin du mois d'octobre, la loi Pica reçoit une première application: 100 suspects sont arrêtés à Terlizzi et à Minervino, dans une seule nuit. Au mois de novembre, 200 suspects sont embarqués, dans les ports delà province, pour une destination inconnue. — Les prisons de la Terre d'Otrante regorgent de détenus. Au mois d'octobre, 21 suspects sont arrêtés à Castellaneta, 7 à Martina, 30 à Gallipoli;

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au mois du novembre 17 suspecte à Francavilla, 8 à Castellaneta, 7 à Martina et 5 à Ginosa.

—Une soixantaine de condamnés s'évadent des prisons de Montalto (Calabre), et se refirent sur les monts qui se trouvent entre cette ville et le village d'Entavolata.

—En février, l'encombrement produit le typhus dans les prisons de Potenza. - De nombreuses arrestations de suspects ont lieu dans le Melfese, à Rionero, Piètragalla, Potenza, Montepeloso, San-Fele Terranova, Àvigliano, Pescopagano, Palazzo, Saponara, Marsico-Nuovo, Marsico-Vetere, etc. - Le nombre des suspects arrêtés dans la Basilicate, pour la seule année 1863, s'élève à plus de 3,000.

—Extrait d'une lettre d'un voyageur français, datée de Sala, principauté citérieure:

«Nous étions au café entre des officiers silencieux et quelques pauvres diables de pagnottistes, qui vantaient à outrance le bonheur actuel de la terre napolitaine. Tout à coup un grand tumulte se fit entendre au dehors, et chacun de sortir: des soldats piémontais repoussaient à coups de crosse la foule qui stationnait devant la prison pour parler aux détenus qu'on voyait à toutes les grilles des croisées.»

—Le 30 septembre, la baron de Cosenza est condamné, pour crime de réaction, à dix années de travaux forcés. Heureusement le noble et fidèle Napolitain parvient, peu de temps après, à s'évader du bagne.

—Au mois de juillet, à Naples, la prison de la Vicaria contenait 1,700 détenus, la plupart politiques. Le 18 septembre, on signale 45 arrestations de suspects. En octobre, on arrête le baron Cicconi, beau-frère du baron Cosenza. Le 10 octobre, à Castellamare, 11 arrestations. Vers le milieu de ce mois, le nombre des suspects arrêtés à Naples était de 1,400.

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Aussi, vers la fin de novembre, la Vicaria était-elle devenue insuffisante; plusieurs prisonniers y avait été asphyxiés; le gouvernement ordonne la transformation des couvents en prisons. Le 23 novembre, on annonce 60 nouvelles arrestations, et en décembre 120 suspects sont déportés aux îles Ponzie. — Dans le seul mois d'octobre, 325 suspects de Molise sont arrêtés. — Dans les Abruzzes, le nombre des arrestations politiques, du 1er janvier au 31 décembre 1863, a été d'environ 1,500, dont 400 à Àquila, dans le seul mois de novembre. En décembre, on déporte un grand nombre de suspects, parmi lesquels des femmes et des vieillards

—Les gardiens de la prison de Catane mettent en liberté, au lieu d'un détenu déclaré innocent par les tribunaux,  un homme condamné à 23 ans de travaux forcés.

—On découvre dans les prisons de Catanzaro un complot d'évasion de 600 prisonniers, dont quelque»gardiens étaient complices.

— Le 5 mars, une rixe sanglante éclate entre les galériens au bagne maritime de Palerme.

—De nombreuses évasions (1), dont les geôliers sont le plus souvent complices, se produisent dans les prisons de Lecce, Naples, Gragnano, Maïda, Casoria, Castellamare   del   Golfo, Montalto (2),   Pescara, Bénévent (3), San-Marco-in-Lamis (4), Viviteila-Roveto, Cosenza, Gelico,  Laurenzana,   Manfredonia,   Trani (5).

(1)Voir la séance parlementaire du 24 février.

(2)Le journal le Popolo d'Italia, 8 juin.

(3) Le Lombardo, de Milan, juillet 1863.

(4)Le chef du poste piémontais se sauve dans la montagne avec deux brigands prisonnier-.

(5)Le journal le Movimento, de Gênes, 10 octobre.— Le Nomade, 17 octobre.

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Tarante, Lagonegro (1), San Demetrio, Palerme (2), Potenza (3), etc.

—A Cerami (Sicile), on arrête d'un seul coup le vieil archiprêtre, le maire, le commandant de la garde nationale, divers membres du conseil municipal et du tribunal, et un certain nombre de notables.

—Le 9 septembre, des arrestations en masse ont lieu à Messine et dans les environs. La population est comme frappée de stupeur.

—La statistique officielle établit que, dans le mois d'août, 5,621 citoyens, dont 3,511 Napolitains, ont été arrêtés dans le bienheureux royaume d'Italie. En adoptant cette proportion, le nombre des Italiens arrêtés serait de 67,452 par an, dont 42,132 napolitains. Encore faut-il rappeler qu'à cette époque la loi d'exception contre le brigandage ne fonctionnait pas. Aussi, quand elle fut promulguée,  le chiffre des arrestations s'accrut-il dans des proportions incroyables. En peu de jours, la province d'Aquila comptait 400 nouveaux prisonniers; Molise, 321; la Terre de Labour, 700; Palerme, 500. Or la statistique officielle établit qu'il n'y a pas dans cette dernière province plus de 30 brigands! Parmi les nouveaux détenus, on compte 51 capitaines de gardes nationales, c'est-à-dire le tiers des capitaines de la province (4).

—On déplore unanimement les procédés inhumains dont les prisonniers sont victimes. De longues files de ces malheureux, enchaînés en masse, traversent, le front baissé, les grandes et les petites villes.

(1)Le Movimento, 1er novembre.

(2)Le journal le Precursore, de Palerme, 15 novembre.

(3)Le Nomade, 3 janvier 1864.

(4)Le journal la Libértà Italiana, de Naples, 14 décembre.

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«Les spectateurs demeurent épouvantés de tant d'excès,  se disent entre eux: Le Bourbon ne faisait jamais ainsi; les arrestations étaient plus humaines, et ses décisions avaient l'apparence de la légalité (1).»

—On écrit de Naples à la Gazette officielle de Turin, le 9 novembre; a Nous sommes dans de grands tracas pour les prisons. On ne sait plus où mettre les prisonniers qui y arrivent de toutes parts, à cause de la loi Pica. La police cherche des locaux pour en faire des prisons provisoires, et elle s'empare des couvents... Le gouvernement est vivement préoccupé de cette situation et cherche des remèdes avec sollicitude; mais il le résoudra à faire construire une très-vaste prison, la chose étant d'urgence.» Ainsi le gouvernement libérateur n'a pas assez des anciennes prisons, qui ne furent jamais pleines sous le gouvernement des tyrans. La conclusion qui ressort de cet aveu officiel est précieuse à noter. Le peuple a donc raison de dire que le royaume des Deux-Sicilies n'est plus qu'un «royaume d'emprisonneurs et d'emprisonnés (2).»

—Paroles du député Crispi, prononcées dans la séance parlementaire du 4 Janvier 1864.

«Les arrestations en Sicile sont si nombreuses qu'a près avoir encombré toutes les prisons, il a fallu remplir de prisonniers les églises et les couvents. S'ils sont coupables, pourquoi ne les interroge-t-on pas et ne les juge-t-on pas? Si vous avez arrêté des innocents, vous augmentez le désordre. Le préfet de Girgenti — province peu populeuse, de 300,000 habitant à peine — vous dit que, dans un mois, il y a eu 32,000 arrestations rien que dans cette seule province.

(1)Le Popolo d'Italia, 12 novembre.

(2)E divenuto il regno de' carcerati e dei carcerieri.

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Au lieu de réparer les crimes commis, vous commette de nouveaux actes d'arbitraire et tous riez. Avant la révolution de 1860, lés arrestations n'atteignaient pas en Sicile la moitié du chiffre actuel...»

A la fin de Tannée, on comptait dans la province de Salerne plus de 3,000 personnes en état d'arrestation préventive; à Santa-Maria, 2,700,  dans la Basilicate, 4,000. Le gouvernement ne sachant plus où les loger, change en prisons le couvent des sœurs de San-Luca, un autre couvent, l'antique collège des Jésuites, le rez-de-chaussée de la préfecture et un caveau de l'église de Saint-Nicolas où l'on descend par trente-deux marches.

—L'agglomération des prisonniers a mène le typhus dans les prisons de Naples et de Foggia.

— De nouvelles arrestations ont lieu dans les provinces. Les préfets, ne sachant où enfermer les détenus préventifs, les envoient à la prison de la Concordia, à Naples, qui les refuse pour cause d'encombrement déjà excessif (1).

—Des révoltes fréquentes éclatent dans les prisons, où les détenus se plaignent de la qualité des vivres, si mauvais qu'on ne les  donnerait pas  même à dot  animaux (2).

—Dans les prisons de San-Francesco et de la Vicaria à Naples, le pain est rare et nauséabond, et rien n'égale la brutalité des geôliers; de là les plaintes et les réclamations turbulentes des détenus (3).

(1)Le journal la Borsa, de Naples, 5 novembre.

(2)La Penna indipendente, de Palerme, juin 1863.

(3) L'Omnibus, 21 juillet 1863. — Le Pungolo, de Naples,janvier 1864.

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— Au mois de mars, le gouvernement afferme la fourniture des vivres et des vêtements destinés aux prisonniers. Or, toute l'année, ces malheureux se voient dans une horrible misère, nus, sans souliers, sans chemises. Aussi est-ce avec raison qu'en janvier 1864 l'Appello de Palérme reproche au gouvernement son inhumanité envers tant d'infortunées victimes qui meurent de froid ci de faim dans les prisons.

—«Le gardien-chef des prisons de Palerme est un de ces montres stupidement cruels qui renouvellent les atrocités de la barbarie la plus reculée. Le 28 novembre, comme tous les jours, une grande foule se pressait devant la porte de la prison. Chaque personne était munie d'un permis, et brûlait de voir ceux qu'elle aimait. Tout à couple gardien-chef se précipite furieux au fort de la foule, donnant du poing au hasard sur les visages. Une pauvre mère du Parco, vieille, désireuse d'embrasser son fils prisonnier, qu'elle n'avait pas vu depuis deux mois, portant quelques vivres et une bouteille de vin, fruit de se sépargnes,  devient victime de la fureur bestiale de ce mon sire, qui lui brisa un bras. Pour toute réparation, il lui ordonna de n'en point parler; autrement il s'en vengerait sur son fils. Le 4 décembre, la même scène se renouvelle. Toutes les femmes s'enfuirent; mais une seule ne put le faire parce qu'elle était enceinte. Le gardien-chef lui donne alors un violent coup de poing et la jette à terre. Quelques femmes viennent au secours de l'infortunée, la relèvent et la reconduisent chez elle à demi morte. Une autre malheureuse eut le même sort, et, après d'effroyables douleurs, accoucha d'un enfant mort (1).»

(1)Le journal l'Apostolo, de Palerme, décembre 1863.

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— Nous terminerons ce douloureux résumé par la traduction d'une circulaire secrète du procureur général près la cour d'appel de Naples, qui démontre sans réplique comment Le gouvernement régénérateur entend et pratique la justice. On ne s'étonne plus, après la lecture de ce monstrueux document, que les prisons piémontaises dans les Deux-Sicilies regorgent de détenus préventifs; on ne s'étonne plus surtout de la proposition que faisait le Piémont au Portugal, en l'an de grâce 1863, de lui acheter l'île de Mozambique pour y déporter ses suspects (1).

CIRCULAIRE   DU   PROCUREUR   GENERAL   DU   ROI  
PRES  LA  COUR  D'APPEL  DE NAPLES.

N 9617.

A Monsieur le président du tribunal de...
«Naples, 2 septembre 1863.

D'après l'article 5 de la loi du 15 août sur le brigandage, le ministre garde des sceaux, par une note du 28 de ce mois, fait observer que, pour assurer la pleine exécution de mesures aussi salutaires, il en est une autre non moins nécessaire: c'est-à-dire que lorsque des détenus doivent être relâchés, soit en vertu d'ordonnance ou de sentence judiciaire, soit parce qu'ils ont accompli le temps de leur peine, il est utile que l'autorité politique du lieu en ait préalablement connaissance. Cela doit avoir lieu secrètement quand il s'agit de délivrer des détenus suspects de favoriser le brigandage, alors même que les preuves recueillies contre eux ne seraient pas suffisantes pour les faire mettre en jugement;

(1)Le journal l'Italie, de Turin, décembre 1863.

—310 —

car il subsiste très-souvent contre eux le soupçon de l'avoir favorisé, et c'est assez pour les assujettir aux dispositions de l'article 5. Le ministre ordonne donc que tes autorités judiciaires en assurent l'exécution...

Signé;
G. MIRABELLA»


TABLE DES MATIÈRES

Avant-propos............................1
Religion..................................38
Armée.....................................98
Justice...................................150
Finances................................183
Presse....................................231
Morale publique....................261
Prisons...................................287
Les Brigands..........................311
Unité et autonomie................415
Les lieutenants piémontais....468
Conclusion.............................487

RdS, dicembre 2008 – https://www.eleaml.org/











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